Intervention de Fleur Pellerin

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 8 juillet 2014 : 1ère réunion
Diplomatie économique et tourisme — Audition de Mme Fleur Pellerin secrétaire d'etat chargée du commerce extérieur de la promotion du tourisme et des français de l'étranger

Fleur Pellerin, secrétaire d'Etat chargée du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l'étranger :

Je me propose de centrer mon intervention sur mon portefeuille ministériel et la manière dont je le conçois, puisque c'est la première fois que je m'exprime devant votre commission.

Volontairement, je n'aborderai pas dans ce propos liminaire les sujets spécifiques relatifs aux Français de l'étranger, mais nous pourrons naturellement aborder ces questions lors du temps d'échanges que nous aurions ensuite.

I - D'abord, les priorités stratégiques sur le commerce extérieur.

Les chiffres du commerce extérieur français, nous le savons tous, ne sont pas à la hauteur des attentes. Le déficit de la France dépasse encore 61 milliards en 2013, dont 13 milliards d'euros hors énergie (ces statistiques concernent les biens seuls, à l'exclusion des services, ce qui constitue une limite, j'y reviendrai). Nos secteurs d'excellence (aéronautique, agroalimentaire, chimie, parfums, cosmétiques et pharmacie) ne parviennent pas à contrebalancer les secteurs déficitaires (outre l'énergie, les produits industriels, les produits informatiques et électroniques, le textile-habillement ou l'automobile). La France est par ailleurs mal orientée à l'export en termes de couple pays/produits : elle n'est pas suffisamment positionnée sur les produits porteurs dans les pays à forte croissance, où la demande est tirée par les classes moyennes.

La France souffre également d'un tissu d'exportateurs fragile, très concentré (1 % des exportateurs réalisent 70 % des exportations) et marqué par un faible nombre d'entreprises exportatrices (120 000 exportateurs contre deux fois plus en Italie et près de quatre fois plus en Allemagne) et par des exportateurs « intermittents » et peu résilients.

Au total, nos parts de marchés se sont fortement érodées au niveau mondial depuis 10 ans (3,2 % aujourd'hui contre 5 % il y a une dizaine d'années), avec une baisse marquée au sein de la zone euro, alors même que les questions de change ne se posent pas (9,1 % de parts de marché dans la zone euro contre 12,3 % en 2000).

Un grand nombre de facteurs sont en jeu : la compétitivité prix et hors-prix, le niveau de l'euro, la conjoncture européenne et mondiale ... Nous devons nous concentrer sur nos leviers d'action immédiats, avec pour objectif de mieux nous organiser et de nous renforcer pour faire de la France un pays gagnant dans la mondialisation.

1°) Nous devons d'abord aider notre appareil productif à se « remuscler » à l'export : encore trop peu d'entreprises en France sont exportatrices même si le chiffre est en augmentation depuis deux ans et il n'y a pas encore assez d'entreprises de taille intermédiaire (ETI) exportatrices et de grosses PME ayant des capacités pour conquérir de nouveaux marchés. Je viens, à cet égard, d'annoncer un dispositif d'accompagnement pour les PME exportatrices dans le secteur des médicaments.

2°) Nous devons ensuite fédérer les énergies : « l'équipe de France de l'export » ne souffre pas d'un déficit de moyens mais bien de leur dispersion.

Avec un budget global de l'ordre de 600 millions d'euros, dont 500 millions pour l'Etat, nous disposons de « troupes » nombreuses et aguerries : 1 500 agents au sein d'Ubifrance et de l'AFII dans 63 pays, 1 200 agents de l'Etat au sein du réseau de la diplomatie économique (630 relevant de la direction du Trésor et 600 relevant du MAE dont les attachés scientifiques et culturels), 8 000 « volontaires internationaux à l'étranger » (VIE), les chambres de commerce et d'industrie (CCI) avec 600 agents en France sur le soutien à l'international et 800 dans les 107 CCI françaises à l'étranger, 3 500 conseillers du commerce extérieur (CCEF), dont 900 en France et plus de 2 500 à l'étranger, environ 350 collaborateurs de la COFACE dédiés à la mission de garanties publiques, les régions, qui jouent un rôle éminent pour la stratégie d'internationalisation des entreprises et les acteurs privés d'appui à l'export (OSCI).

Jusqu'à récemment, tous ces acteurs jouaient leur propre partition ou se contentaient d'une coordination relativement formelle avec un dispositif français au final peu compréhensible. Maintenant que le pilotage ou la tutelle de tous ces acteurs a été rassemblée dans nos mains, notre objectif doit être de les mettre davantage en synergie et d'en assurer le pilotage.

Il s'agit avant tout, et comme première étape, de rénover et moderniser le dispositif d'accompagnement en créant une « grande agence de l'international » par le rapprochement de l'AFII et d'Ubifrance, autour de laquelle nous devrons articuler l'ensemble du dispositif.

Il s'agit aussi de réfléchir à l'articulation de cette nouvelle agence avec les autres opérateurs et acteurs.

Ainsi, la Sopexa, structure privée qui s'occupe d'agroalimentaire dans le cadre d'une délégation de service public du ministère de l'agriculture, et le département Agrotech d'Ubifrance interviennent sur le même créneau et pourraient être rapprochés.

De même, l'action conjointe entre Ubifrance et la Banque publique d'investissement (BPI) doit être poursuivie et amplifiée.

Enfin, l'articulation entre Ubifrance et les CCI devra être organisée et coordonnée avec l'action des régions.

3°) Troisièmement, la stratégie du commerce extérieur doit reposer sur des priorités géographiques et thématiques claires et sur la concentration des moyens correspondants. Il s'agit de poursuivre l'initiative lancée par ma prédécesseure, visant à identifier dans les pays émergents les secteurs pour lesquels la demande est croissante et pour lesquels les acteurs économiques français sont bien positionnés mais ne maximisent pas leur potentiel d'exportation. Quatre secteurs avaient été identifiés : la santé, l'agroalimentaire, le numérique et les télécommunications, le développement urbain durable (électricité, assainissement, traitement des déchets, transports). J'ai identifié deux autres secteurs :

- les industries créatives et culturelles (audiovisuel, design, cinéma, jeux vidéos, mode, luxe...), dans lesquelles davantage de synergies pourraient être trouvées ;

- le tourisme, dans la mesure où de nombreux pays sont en train de constituer leur propre filière tourisme et seraient demandeurs de l'expertise française pour les accompagner.

Pour chacun de ces secteurs, nous allons définir des priorités géographiques.

4°) Quatrièmement, cette stratégie bilatérale doit être articulée avec les négociations multilatérales menées par la Commission européenne sur des accords de partenariats économiques.

Je ne vais pas revenir ici en détail sur le sujet du partenariat transatlantique mais je pourrai répondre à vos questions si vous le souhaitez. Je me limiterai à quelques commentaires sur les sujets commerciaux traités au niveau européen.

D'abord, je compte être exigeante, dans tous les négociations conduites par la Commission pour I'UE, pour que les intérêts offensifs français - et ils sont nombreux - et les lignes rouges de notre pays comme la défense de nos préférences collectives, notamment en matière de normes sanitaires et phytosanitaires, de notre droit à réguler ou du secteur audiovisuel, soient défendus.

Ensuite, la question de la transparence est pour moi essentielle, vis-à-vis des parlementaires et de l'opinion publique, et j'ai personnellement pris des initiatives, afin de communiquer davantage et remédier aux interprétations fausses que peut générer le secret entourant les négociations.

Par ailleurs, beaucoup d'attention est légitimement portée au partenariat transatlantique mais il convient de ne pas oublier la douzaine d'accords en cours de négociation plus ou moins avancée avec des partenaires clés pour la France : je pense au Canada, au Japon, ou aux négociations avec certains pays d'Asie du Sud-Est. Et il nous faut aussi être attentifs aux accords sectoriels en cours de négociation, sur les services ou les biens environnementaux par exemple.

Enfin, je serai très attentive à la question des « règles du jeu » dans le commerce mondial : la notion de réciprocité, les instruments de défense commerciale, la lutte contre la contrefaçon et la protection des indications géographiques en font partie.

Concernant la nomination de M. Philippe Varin comme représentant spécial pour l'ASEAN, je dois le voir très prochainement pour fixer avec lui sa feuille de route, en fonction des priorités sectorielles et géographiques que nous venons d'évoquer.

II - Deuxième grande composante de mon portefeuille ministériel : le tourisme

C'est un sujet qui intéresse désormais directement votre commission.

Pourquoi avoir mis la promotion du tourisme au Quai d'Orsay? Mais parce qu'il est une composante essentielle du commerce extérieur, avec une contribution positive de 12 milliards d'euros à la balance des paiements. Représentant 7 % du PIB et 2 millions d'emplois directs et indirects, il s'agit d'un secteur économique majeur. En outre, la promotion de l'image de la France contribue à renforcer l'attractivité du territoire et à attirer des jeunes talents, des étudiants, des investisseurs. S'agissant des perspectives d'avenir, l'Organisation mondiale du Tourisme prévoit que d'ici 2030, il y aura entre 800 millions et 1 milliard de touristes supplémentaires dans le monde, soit un doublement du flux actuel (1 milliard). Si la France parvenait à capter ne serait-ce que 5 % de cette croissance, cela pourrait représenter plusieurs centaines de milliers d'emplois. Pour cela, nous devons diversifier l'offre et attirer les touristes sur l'ensemble du territoire, grâce à notre patrimoine naturel et culturel. En effet, les flux sont aujourd'hui très concentrés. Nous devons aussi adapter les infrastructures à l'augmentation prévisible de la fréquentation.

Le 19 juin dernier, les Assises du tourisme ont été un grand moment pour l'ensemble du secteur. Les acteurs du tourisme l'ont vécu comme une ambition. Le tourisme est enfin considéré à sa juste place, par rapport à ce qu'il représente pour l'économie de notre pays.

Cinq axes et une trentaine de mesures ont été définis pour proposer des réponses concrètes et très pragmatiques aux attentes du secteur :

- hiérarchiser la démarche de promotion internationale des destinations autour de quelques marques fortes et visibles et de cinq pôles d'excellence thématiques qui permettront de renouveler l'image touristique de la France ;

- travailler sur chacun des maillons du parcours des touristes pour supprimer tout ce qui peut ternir l'expérience du voyageur, de la réservation de son voyage jusqu'à son retour chez lui ;

- renforcer le « sens de l'hospitalité » des Français envers les touristes, dans une logique gagnant-gagnant avec les professionnels, car c'est aussi en travaillant sur la formation et les conditions de travail des acteurs du tourisme que l'on progressera sur la qualité de l'accueil ;

- se projeter avec ambition dans le numérique, en misant sur la capacité de la France à faire émerger les leaders de demain dans le domaine du m-tourisme, c'est-à-dire du tourisme en mobilité (possibilités offertes par les smartphones et tablettes), en tirant profit de la présence abondante de touristes étrangers sur notre territoire (83 millions de visiteurs par an) et en faisant travailler ensemble les grands groupes du tourisme et les startups de la French Tech ;

- redynamiser le tourisme des Français et faciliter l'accès du plus grand nombre aux vacances.

III - Ce sujet du tourisme me conduit à évoquer plus généralement le thème de l'attractivité, qui fait partie intégrante de mes priorités.

En effet, le commerce extérieur tel qu'il est conçu traditionnellement est fondé sur une notion assez réductrice : les flux de biens traversant une frontière physique. Cela n'intègre pas le commerce des services. Cela ne mesure pas non plus, à l'heure où l'on parle de la répartition de la chaîne de valeur dans le commerce mondial, le degré réel d'internationalisation de l'économie française, qui passe par la capacité à attirer des flux (de capitaux, de services, d'étudiants, de chercheurs, de visiteurs d'affaires), des centres de décision et de production créateurs de richesses et d'emplois.

Il ne s'agit pas d'ouvrir notre pays à tous les vents ou de renoncer à notre souveraineté dans des secteurs stratégiques de notre industrie. Nous devons bien entendu défendre nos valeurs et nos intérêts dans la mondialisation. Mais à côté d'un agenda que j'appellerais « défensif », il faut aussi aller conquérir de nouvelles opportunités. Ces opportunités sont essentielles car ce sont elles qui nous permettront de créer de la croissance et de l'emploi en France. Il faut élargir notre« terrain de jeu ». Si ce n'est pour nous, faisons-le pour notre jeunesse, qui a soif d'opportunités à l'échelle du monde.

Cette ambition est facilitée par les réels atouts dont dispose notre pays, que je voudrais rapidement évoquer.

- La France est le 3ème pays d'accueil en Europe des investissements étrangers créateurs d'emplois en 2013 et le 2ème en nombre d'emplois créés. (Source Ernst&Young, 2014).

En moyenne, chaque année la France attire 650 nouveaux projets d'investissement étranger créateurs d'emploi. En 2013, c'était 693 nouveaux projets, qui ont créé près de 26 000 emplois. Nous pouvons encore faire mieux :

. Avec des outils comme Ubifrance, l'AFII, les entreprises peuvent s'appuyer sur le dispositif public pour aller à l'international.

. La BPI propose des financements spécifiques pour les entreprises à capitaux étrangers en développant des partenariats avec des banques étrangères.

. Enfin, une série de mesures a été prise pour accélérer et faciliter la délivrance des visas, notamment des visas d'affaires, depuis début 2013 avec la délivrance systématique des visas multi-entrées.

D'autres mesures sont en préparation pour faciliter l'installation des investisseurs et de leurs familles dans le cadre du futur projet de loi sur l'immigration, qui sera examiné fin 2014.

- En Europe, la France est une porte d'entrée vers l'Afrique et le Moyen-Orient, en raison de sa position géographique et de ses liens historiques.

- Nos infrastructures sont parmi les meilleures au monde (Roissy CDG est le 1er aéroport de fret en Europe, le 2ème aéroport de voyageurs ; nous possédons le 3ème réseau de trains à grande vitesse au monde) ;

- Nous sommes un grand pays de l'innovation :

. avec beaucoup d'entreprises parmi les 100 plus innovantes au monde ;

. le nombre d'installations de centres de recherche et développement a augmenté de 23 % entre 2012 et 2013 grâce à un environnement qui attire les investisseurs (crédit impôt-recherche, crédit impôt-innovation).

Je pourrais citer beaucoup d'autres atouts. Ce discours ne se veut pas un autosatisfecit : il manifeste l'envie de partager avec vous une conviction : la France doit être à l'offensive dans la mondialisation et non recroquevillée sur elle-même. Il faut lutter contre le « french bashing » et l'auto-flagellation. Je le disais déjà dans mon précédent portefeuille ministériel. Il faut avoir conscience de ses atouts et savoir les vendre.

Je ne crois pas à une France qui se referme sur elle-même. Je crois à une France sûre de ses atouts, conquérante, qui regarde vers le monde et vers l'avenir, en ayant en tête les opportunités plus que les menaces et les dangers. Le rôle de l'Etat est d'accompagner cette ambition, avec pour seule boussole la création de valeur et d'emploi.

Mon portefeuille s'articule bien avec la notion de diplomatie économique. Nous possédons un réseau diplomatique dense, le deuxième du monde après celui des Etats-Unis, nous pouvons le mobiliser autour de la défense des intérêts économiques de notre pays. Les conditions institutionnelles et organisationnelles sont désormais réunies pour faire fructifier le potentiel de développement international de notre économie.

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