Même si l'économie ne saurait constituer l'alpha et l'oméga de notre politique étrangère, nous sommes bien conscients de la nécessité de redresser notre commerce extérieur : car c'est aussi une question de souveraineté nationale et de puissance dans le concert des nations. Nous sommes d'ailleurs très concernés par les débats actuels sur le relèvement de la taxe de séjour : certes, les collectivités franciliennes ont du mal à boucler leurs budgets, mais est-ce un bon signal à donner à l'heure où le gouvernement présente un grand plan pour développer le tourisme ? Espérons que le Sénat saura remettre un peu de sagesse dans ce dossier....
Quels sont vos objectifs et vos priorités pour le commerce extérieur ? Sachez que dans cette commission, nous avons mis l'accent cette année sur le potentiel de l'aire Pacifique, et en particulier sur l'Asie du Sud-est, où il nous semble que nous avons, avec l'Indonésie notamment, un effort à faire pour rattraper notre retard et profiter d'un formidable potentiel de développement. Par ailleurs, le gouvernement vient de nommer Philippe Varin représentant spécial pour l'ASEAN : quelle est sa « feuille de route » ?
Je voulais vous interroger aussi sur le rattachement -mais peut-on vraiment parler de rattachement car j'ai cru comprendre que les personnels restaient à Bercy ?- de la direction du Tourisme au ministère des Affaires étrangères : est-ce une révolution copernicienne ? Qu'est-ce que ça change en pratique et comment le vivent les agents ? Enfin et surtout, quels gains d'efficience peut-on en attendre ? Même question pour le rapprochement entre Ubifrance et l'Agence française pour les investissements internationaux (AFII) : où en sommes-nous dans la lutte contre l'éparpillement de nos dispositifs ? « L'équipe de France à l'export » vous paraît-elle enfin rassemblée ?
Je me propose de centrer mon intervention sur mon portefeuille ministériel et la manière dont je le conçois, puisque c'est la première fois que je m'exprime devant votre commission.
Volontairement, je n'aborderai pas dans ce propos liminaire les sujets spécifiques relatifs aux Français de l'étranger, mais nous pourrons naturellement aborder ces questions lors du temps d'échanges que nous aurions ensuite.
I - D'abord, les priorités stratégiques sur le commerce extérieur.
Les chiffres du commerce extérieur français, nous le savons tous, ne sont pas à la hauteur des attentes. Le déficit de la France dépasse encore 61 milliards en 2013, dont 13 milliards d'euros hors énergie (ces statistiques concernent les biens seuls, à l'exclusion des services, ce qui constitue une limite, j'y reviendrai). Nos secteurs d'excellence (aéronautique, agroalimentaire, chimie, parfums, cosmétiques et pharmacie) ne parviennent pas à contrebalancer les secteurs déficitaires (outre l'énergie, les produits industriels, les produits informatiques et électroniques, le textile-habillement ou l'automobile). La France est par ailleurs mal orientée à l'export en termes de couple pays/produits : elle n'est pas suffisamment positionnée sur les produits porteurs dans les pays à forte croissance, où la demande est tirée par les classes moyennes.
La France souffre également d'un tissu d'exportateurs fragile, très concentré (1 % des exportateurs réalisent 70 % des exportations) et marqué par un faible nombre d'entreprises exportatrices (120 000 exportateurs contre deux fois plus en Italie et près de quatre fois plus en Allemagne) et par des exportateurs « intermittents » et peu résilients.
Au total, nos parts de marchés se sont fortement érodées au niveau mondial depuis 10 ans (3,2 % aujourd'hui contre 5 % il y a une dizaine d'années), avec une baisse marquée au sein de la zone euro, alors même que les questions de change ne se posent pas (9,1 % de parts de marché dans la zone euro contre 12,3 % en 2000).
Un grand nombre de facteurs sont en jeu : la compétitivité prix et hors-prix, le niveau de l'euro, la conjoncture européenne et mondiale ... Nous devons nous concentrer sur nos leviers d'action immédiats, avec pour objectif de mieux nous organiser et de nous renforcer pour faire de la France un pays gagnant dans la mondialisation.
1°) Nous devons d'abord aider notre appareil productif à se « remuscler » à l'export : encore trop peu d'entreprises en France sont exportatrices même si le chiffre est en augmentation depuis deux ans et il n'y a pas encore assez d'entreprises de taille intermédiaire (ETI) exportatrices et de grosses PME ayant des capacités pour conquérir de nouveaux marchés. Je viens, à cet égard, d'annoncer un dispositif d'accompagnement pour les PME exportatrices dans le secteur des médicaments.
2°) Nous devons ensuite fédérer les énergies : « l'équipe de France de l'export » ne souffre pas d'un déficit de moyens mais bien de leur dispersion.
Avec un budget global de l'ordre de 600 millions d'euros, dont 500 millions pour l'Etat, nous disposons de « troupes » nombreuses et aguerries : 1 500 agents au sein d'Ubifrance et de l'AFII dans 63 pays, 1 200 agents de l'Etat au sein du réseau de la diplomatie économique (630 relevant de la direction du Trésor et 600 relevant du MAE dont les attachés scientifiques et culturels), 8 000 « volontaires internationaux à l'étranger » (VIE), les chambres de commerce et d'industrie (CCI) avec 600 agents en France sur le soutien à l'international et 800 dans les 107 CCI françaises à l'étranger, 3 500 conseillers du commerce extérieur (CCEF), dont 900 en France et plus de 2 500 à l'étranger, environ 350 collaborateurs de la COFACE dédiés à la mission de garanties publiques, les régions, qui jouent un rôle éminent pour la stratégie d'internationalisation des entreprises et les acteurs privés d'appui à l'export (OSCI).
Jusqu'à récemment, tous ces acteurs jouaient leur propre partition ou se contentaient d'une coordination relativement formelle avec un dispositif français au final peu compréhensible. Maintenant que le pilotage ou la tutelle de tous ces acteurs a été rassemblée dans nos mains, notre objectif doit être de les mettre davantage en synergie et d'en assurer le pilotage.
Il s'agit avant tout, et comme première étape, de rénover et moderniser le dispositif d'accompagnement en créant une « grande agence de l'international » par le rapprochement de l'AFII et d'Ubifrance, autour de laquelle nous devrons articuler l'ensemble du dispositif.
Il s'agit aussi de réfléchir à l'articulation de cette nouvelle agence avec les autres opérateurs et acteurs.
Ainsi, la Sopexa, structure privée qui s'occupe d'agroalimentaire dans le cadre d'une délégation de service public du ministère de l'agriculture, et le département Agrotech d'Ubifrance interviennent sur le même créneau et pourraient être rapprochés.
De même, l'action conjointe entre Ubifrance et la Banque publique d'investissement (BPI) doit être poursuivie et amplifiée.
Enfin, l'articulation entre Ubifrance et les CCI devra être organisée et coordonnée avec l'action des régions.
3°) Troisièmement, la stratégie du commerce extérieur doit reposer sur des priorités géographiques et thématiques claires et sur la concentration des moyens correspondants. Il s'agit de poursuivre l'initiative lancée par ma prédécesseure, visant à identifier dans les pays émergents les secteurs pour lesquels la demande est croissante et pour lesquels les acteurs économiques français sont bien positionnés mais ne maximisent pas leur potentiel d'exportation. Quatre secteurs avaient été identifiés : la santé, l'agroalimentaire, le numérique et les télécommunications, le développement urbain durable (électricité, assainissement, traitement des déchets, transports). J'ai identifié deux autres secteurs :
- les industries créatives et culturelles (audiovisuel, design, cinéma, jeux vidéos, mode, luxe...), dans lesquelles davantage de synergies pourraient être trouvées ;
- le tourisme, dans la mesure où de nombreux pays sont en train de constituer leur propre filière tourisme et seraient demandeurs de l'expertise française pour les accompagner.
Pour chacun de ces secteurs, nous allons définir des priorités géographiques.
4°) Quatrièmement, cette stratégie bilatérale doit être articulée avec les négociations multilatérales menées par la Commission européenne sur des accords de partenariats économiques.
Je ne vais pas revenir ici en détail sur le sujet du partenariat transatlantique mais je pourrai répondre à vos questions si vous le souhaitez. Je me limiterai à quelques commentaires sur les sujets commerciaux traités au niveau européen.
D'abord, je compte être exigeante, dans tous les négociations conduites par la Commission pour I'UE, pour que les intérêts offensifs français - et ils sont nombreux - et les lignes rouges de notre pays comme la défense de nos préférences collectives, notamment en matière de normes sanitaires et phytosanitaires, de notre droit à réguler ou du secteur audiovisuel, soient défendus.
Ensuite, la question de la transparence est pour moi essentielle, vis-à-vis des parlementaires et de l'opinion publique, et j'ai personnellement pris des initiatives, afin de communiquer davantage et remédier aux interprétations fausses que peut générer le secret entourant les négociations.
Par ailleurs, beaucoup d'attention est légitimement portée au partenariat transatlantique mais il convient de ne pas oublier la douzaine d'accords en cours de négociation plus ou moins avancée avec des partenaires clés pour la France : je pense au Canada, au Japon, ou aux négociations avec certains pays d'Asie du Sud-Est. Et il nous faut aussi être attentifs aux accords sectoriels en cours de négociation, sur les services ou les biens environnementaux par exemple.
Enfin, je serai très attentive à la question des « règles du jeu » dans le commerce mondial : la notion de réciprocité, les instruments de défense commerciale, la lutte contre la contrefaçon et la protection des indications géographiques en font partie.
Concernant la nomination de M. Philippe Varin comme représentant spécial pour l'ASEAN, je dois le voir très prochainement pour fixer avec lui sa feuille de route, en fonction des priorités sectorielles et géographiques que nous venons d'évoquer.
II - Deuxième grande composante de mon portefeuille ministériel : le tourisme
C'est un sujet qui intéresse désormais directement votre commission.
Pourquoi avoir mis la promotion du tourisme au Quai d'Orsay? Mais parce qu'il est une composante essentielle du commerce extérieur, avec une contribution positive de 12 milliards d'euros à la balance des paiements. Représentant 7 % du PIB et 2 millions d'emplois directs et indirects, il s'agit d'un secteur économique majeur. En outre, la promotion de l'image de la France contribue à renforcer l'attractivité du territoire et à attirer des jeunes talents, des étudiants, des investisseurs. S'agissant des perspectives d'avenir, l'Organisation mondiale du Tourisme prévoit que d'ici 2030, il y aura entre 800 millions et 1 milliard de touristes supplémentaires dans le monde, soit un doublement du flux actuel (1 milliard). Si la France parvenait à capter ne serait-ce que 5 % de cette croissance, cela pourrait représenter plusieurs centaines de milliers d'emplois. Pour cela, nous devons diversifier l'offre et attirer les touristes sur l'ensemble du territoire, grâce à notre patrimoine naturel et culturel. En effet, les flux sont aujourd'hui très concentrés. Nous devons aussi adapter les infrastructures à l'augmentation prévisible de la fréquentation.
Le 19 juin dernier, les Assises du tourisme ont été un grand moment pour l'ensemble du secteur. Les acteurs du tourisme l'ont vécu comme une ambition. Le tourisme est enfin considéré à sa juste place, par rapport à ce qu'il représente pour l'économie de notre pays.
Cinq axes et une trentaine de mesures ont été définis pour proposer des réponses concrètes et très pragmatiques aux attentes du secteur :
- hiérarchiser la démarche de promotion internationale des destinations autour de quelques marques fortes et visibles et de cinq pôles d'excellence thématiques qui permettront de renouveler l'image touristique de la France ;
- travailler sur chacun des maillons du parcours des touristes pour supprimer tout ce qui peut ternir l'expérience du voyageur, de la réservation de son voyage jusqu'à son retour chez lui ;
- renforcer le « sens de l'hospitalité » des Français envers les touristes, dans une logique gagnant-gagnant avec les professionnels, car c'est aussi en travaillant sur la formation et les conditions de travail des acteurs du tourisme que l'on progressera sur la qualité de l'accueil ;
- se projeter avec ambition dans le numérique, en misant sur la capacité de la France à faire émerger les leaders de demain dans le domaine du m-tourisme, c'est-à-dire du tourisme en mobilité (possibilités offertes par les smartphones et tablettes), en tirant profit de la présence abondante de touristes étrangers sur notre territoire (83 millions de visiteurs par an) et en faisant travailler ensemble les grands groupes du tourisme et les startups de la French Tech ;
- redynamiser le tourisme des Français et faciliter l'accès du plus grand nombre aux vacances.
III - Ce sujet du tourisme me conduit à évoquer plus généralement le thème de l'attractivité, qui fait partie intégrante de mes priorités.
En effet, le commerce extérieur tel qu'il est conçu traditionnellement est fondé sur une notion assez réductrice : les flux de biens traversant une frontière physique. Cela n'intègre pas le commerce des services. Cela ne mesure pas non plus, à l'heure où l'on parle de la répartition de la chaîne de valeur dans le commerce mondial, le degré réel d'internationalisation de l'économie française, qui passe par la capacité à attirer des flux (de capitaux, de services, d'étudiants, de chercheurs, de visiteurs d'affaires), des centres de décision et de production créateurs de richesses et d'emplois.
Il ne s'agit pas d'ouvrir notre pays à tous les vents ou de renoncer à notre souveraineté dans des secteurs stratégiques de notre industrie. Nous devons bien entendu défendre nos valeurs et nos intérêts dans la mondialisation. Mais à côté d'un agenda que j'appellerais « défensif », il faut aussi aller conquérir de nouvelles opportunités. Ces opportunités sont essentielles car ce sont elles qui nous permettront de créer de la croissance et de l'emploi en France. Il faut élargir notre« terrain de jeu ». Si ce n'est pour nous, faisons-le pour notre jeunesse, qui a soif d'opportunités à l'échelle du monde.
Cette ambition est facilitée par les réels atouts dont dispose notre pays, que je voudrais rapidement évoquer.
- La France est le 3ème pays d'accueil en Europe des investissements étrangers créateurs d'emplois en 2013 et le 2ème en nombre d'emplois créés. (Source Ernst&Young, 2014).
En moyenne, chaque année la France attire 650 nouveaux projets d'investissement étranger créateurs d'emploi. En 2013, c'était 693 nouveaux projets, qui ont créé près de 26 000 emplois. Nous pouvons encore faire mieux :
. Avec des outils comme Ubifrance, l'AFII, les entreprises peuvent s'appuyer sur le dispositif public pour aller à l'international.
. La BPI propose des financements spécifiques pour les entreprises à capitaux étrangers en développant des partenariats avec des banques étrangères.
. Enfin, une série de mesures a été prise pour accélérer et faciliter la délivrance des visas, notamment des visas d'affaires, depuis début 2013 avec la délivrance systématique des visas multi-entrées.
D'autres mesures sont en préparation pour faciliter l'installation des investisseurs et de leurs familles dans le cadre du futur projet de loi sur l'immigration, qui sera examiné fin 2014.
- En Europe, la France est une porte d'entrée vers l'Afrique et le Moyen-Orient, en raison de sa position géographique et de ses liens historiques.
- Nos infrastructures sont parmi les meilleures au monde (Roissy CDG est le 1er aéroport de fret en Europe, le 2ème aéroport de voyageurs ; nous possédons le 3ème réseau de trains à grande vitesse au monde) ;
- Nous sommes un grand pays de l'innovation :
. avec beaucoup d'entreprises parmi les 100 plus innovantes au monde ;
. le nombre d'installations de centres de recherche et développement a augmenté de 23 % entre 2012 et 2013 grâce à un environnement qui attire les investisseurs (crédit impôt-recherche, crédit impôt-innovation).
Je pourrais citer beaucoup d'autres atouts. Ce discours ne se veut pas un autosatisfecit : il manifeste l'envie de partager avec vous une conviction : la France doit être à l'offensive dans la mondialisation et non recroquevillée sur elle-même. Il faut lutter contre le « french bashing » et l'auto-flagellation. Je le disais déjà dans mon précédent portefeuille ministériel. Il faut avoir conscience de ses atouts et savoir les vendre.
Je ne crois pas à une France qui se referme sur elle-même. Je crois à une France sûre de ses atouts, conquérante, qui regarde vers le monde et vers l'avenir, en ayant en tête les opportunités plus que les menaces et les dangers. Le rôle de l'Etat est d'accompagner cette ambition, avec pour seule boussole la création de valeur et d'emploi.
Mon portefeuille s'articule bien avec la notion de diplomatie économique. Nous possédons un réseau diplomatique dense, le deuxième du monde après celui des Etats-Unis, nous pouvons le mobiliser autour de la défense des intérêts économiques de notre pays. Les conditions institutionnelles et organisationnelles sont désormais réunies pour faire fructifier le potentiel de développement international de notre économie.
Dans quelques semaines je ne serai plus sénateur mais je resterai toujours président du comité régional du tourisme de Rhône-Alpes, qui est le plus important de France. Nous sommes particulièrement inquiets de l'insuffisance des moyens consacrés au développement et à la promotion du tourisme, au vu de ce qu'il rapporte à l'économie française. Ainsi, Atout France voit ses budgets revus à la baisse depuis une dizaine d'années. Comment faire pour y remédier ?
Par ailleurs, le budget d'Atout France est abondé à plus d'un tiers par les régions qui, hors Paris, accueillent 75 % des visiteurs étrangers. Comment les associer à la promotion des grandes destinations et des marques, comme vous l'avez dit lors des dernières Assisses du tourisme ?
Enfin, en ce qui concerne la polémique autour de l'augmentation de la taxe de séjour, avez-vous l'intention de présenter un projet de loi portant sur une augmentation de cette taxe, qui serait plus modérée que celle actuellement proposée ? Il me paraît envisageable d'augmenter cette taxe, notamment sur les établissements haut de gamme, à condition, bien sûr, que le produit profite aux offices du tourisme et aux comités régionaux du tourisme et non à d'autres budgets.
Dans ma région se trouve Lourdes, ville qui est visitée par 4 à 5 millions de pèlerins chaque année (8 à 9 millions certaines années), sachant qu'il y a 4 millions de touristes en plus chaque année hors pèlerinages, soit 8 millions de visiteurs par an, au minimum. Lourdes possède le deuxième parc hôtelier de France, ainsi que le deuxième aéroport charter de France. Les taxes de séjour et sur les aéroports envisagées vont à l'encontre de nos efforts en faveur du tourisme. Dans le budget modeste d'un pèlerin, toute dépense compte. Peut-être pourriez-vous chercher ces ressources ailleurs ?
Concernant le commerce extérieur, je me réjouis de la mise en place d'un dispositif d'accompagnement pour les PME exportatrices et je vous rejoins dans le constat d'une nécessaire coordination de tous les acteurs. Vous l'avez dit, la santé et le numérique sont des priorités. A ce sujet, je vous ai fait remettre un dossier sur l'e-santé, qui vient d'être labellisé par le pôle bio-cancer de Toulouse, en vue d'obtenir un financement FEI. Ce projet, dont je suis la coordinatrice pour la région Midi-Pyrénées, utilise des techniques innovantes (transfert d'images..) et intéresse le territoire français, notamment les espaces ruraux.
Enfin, en ce qui concerne l'espace méditerranéen, le Maghreb, zone du dialogue 5+5 , à propos duquel notre commission a récemment publié un rapport, ne devrait-il pas être une zone de proximité à explorer et à prendre en compte ?
Je reviens d'une mission en Asie du Sud-Est, région en pleine expansion et très peuplée, où nous avons subi une perte d'influence majeure. Ainsi, nous ne sommes que le 27e fournisseur du Vietnam, pays avec lequel nous accusons un déficit de 2 milliards d'euros dans nos échanges, cela nous paraît d'autant plus dommage que nous avons des relations historiques très fortes avec ce pays. Aujourd'hui, le français n'y est même plus parlé... Le Vietnam est-il retenu comme pays cible, en faveur duquel nous pourrions avoir une politique plus dynamique et plus efficace ?
De même pour l'Indonésie, qui est le premier pays musulman du monde, le 4e pays le plus peuplé du monde et qui connaît une expansion très forte, de l'ordre de 5 à 6 %. J'ai aussi l'impression d'un très grand retard de la France dans cette région. J'espère que la nomination de M. Varin comme représentant spécial pour l'ASEAN permettra d'agir pour y remédier. Pouvez-vous nous donner quelques éléments sur ses axes de travail ?
Enfin, je m'interroge sur le caractère restrictif de la politique des visas à destination de ces pays, dont les ressortissants ne viennent pas en France pour immigrer mais, comme touristes, pour dépenser de l'argent dans notre pays.
La difficulté à l'exportation des PME est un problème typiquement français, que l'on ne retrouve pas en Espagne, en Italie, en Allemagne, par exemple. Il est légitime de simplifier le dispositif, mais la réponse ne peut venir que de l'État. Il faut que les chefs d'entreprise s'investissent personnellement dans la conquête des marchés et qu'ils aient les moyens de le faire. Pour les accompagner, la région paraît le niveau le mieux adapté, l'Etat intervenant à une échelle trop grande pour identifier les entreprises qui sont prêtes à partir à la conquête de nouveaux marchés.
Il convient également de favoriser le développement du parrainage des petites entreprises par les grands groupes, comme cela se pratique en Allemagne, avec par exemple Volkswagen, qui emmène lors de déplacements à l'étranger des petites entreprises de mécanique. Cela aiderait les PME à s'implanter dans des pays où elles ne peuvent aller seules en raison du coût. Comment pouvez-vous encourager de telles démarches ?
A propos du tourisme tout d'abord, l'augmentation du budget d'Atout France n'est pas à l'ordre du jour. Si l'on considère les comités régionaux, les comités départementaux du tourisme, Atout France, beaucoup de moyens et d'acteurs sont consacrés au tourisme, mais sans stratégie concertée. C'est pourquoi nous souhaitons nous doter d'une stratégie forte, qui serait partagée par les différents acteurs. Les contrats de destination et les pôles d'excellence s'inscrivent dans cette démarche, qui repose sur une communication commune. Dans le cadre de la loi sur la réorganisation territoriale de l'État, un rôle de chef de file est confié aux comités régionaux du tourisme ; il faudra aussi réorganiser les compétences en fonction de cela. Mais il n'y a pas obligatoirement d'articulation entre la compétence du comité régional du tourisme et la manière dont on communique à l'international. Certaines régions, comme la Bretagne, sont, en quelque sorte, détentrices d'une marque. Mais ne n'est pas le cas de toutes. Il faut essayer de trouver des mots clés, liés aux sites, aux lieux, qui résonnent à l'international. Ainsi, la région Rhône-Alpes ne peut être une marque, en revanche, le terme « Alpes » pourrait l'être.
Sur la question de la taxe de séjour, plusieurs problèmes se posent, concernant son montant, son rendement, son mode de collecte, son assiette... Il y a un enjeu de modernisation et d'affectation. Il faut attendre le résultat des travaux parlementaires en cours pour décider une éventuelle réforme. Je souhaite qu'on le fasse de manière cohérente.
Concernant l'espace méditerranéen, j'ai eu récemment un contact avec mon homologue tunisienne à propos de la réactivation du groupe tourisme du dialogue « 5+5 ». Nous envisageons une réunion au mois de décembre, probablement à Lisbonne, sur le sujet. Nous avons l'ambition de remettre en marche ce groupe de travail dans lequel la France peut, avec la Tunisie, être une force de proposition. La France a une position de pivot à prendre, spécialement dans les domaines diplomatique, économique et politique, compte tenu de son rôle historique. Il faut saisir cette opportunité avant que d'autres ne la saisissent.
Sur la question des visas, nous avons réalisé qu'un certain nombre de pays émetteurs de touristes avaient des difficultés à obtenir des visas. Une expérimentation a été conduite en Chine au mois de mars, visant à délivrer un visa en quarante-huit heures. En avril, les demandes de visas ont augmenté de 40 %, la demande est très élastique. Il a donc été décidé d'élargir cette expérimentation à quatre ou cinq autres pays, tels les pays du Golfe, le Brésil. Les visas rapportent en effet beaucoup d'argent, et nous sommes en train d'examiner comment réaffecter une partie de cet argent au tourisme, par exemple au budget d'Atout France.
Concernant le commerce extérieur, oui, il y a un problème de lisibilité de la gouvernance. S'agissant du dossier santé, je propose que nous en parlions plus tard avec mon cabinet. Pour ce qui est de la « feuille de route » de M. Varin, elle devrait être fixée très prochainement. Le Vietnam est encore un marché petit pour la France, mais nous allons définir nos pays prioritaires dans cette zone d'Asie où la France doit reconquérir des parts de marché.
Le rôle des régions en matière d'internalisation des entreprises est affirmé de manière très claire dans la loi : elles doivent se doter d'un plan régional d'internalisation des entreprises (PRIE) ; ce sont les régions qui sont le mieux à même d'identifier les entreprises, que ce soit les primo exportatrices ou celles qui veulent augmenter leur présence à l'international, et les diriger vers les dispositifs publics d'accompagnement. Un travail est actuellement conduit avec les régions pour identifier 1 000 entreprises de croissance à fort potentiel de développement international, qu'Ubifrance devra accompagner. Ce suivi doit être fait sur plusieurs années, trois à quatre ans, car une année n'est pas suffisante. Sur le rôle de parrainage des grandes entreprises, vous prêchez une convaincue, j'avais commencé à y travailler dans mes précédentes fonctions, en y impliquant le MEDEF et l'AFEP. Il faut davantage de collaboration entre les grandes entreprises et les PME, non seulement pour l'innovation, mais aussi pour l'export.
À titre d'exemple, dans le domaine de la santé, je viens d'inaugurer un dispositif d'accompagnement dans le cadre duquel le G5, groupement professionnel rassemblant les plus grands groupes pharmaceutiques et laboratoires de recherche du secteur, s'est engagé à héberger des PME à l'international, à les faire profiter de conseils, à leur ouvrir des portes.
Un autre exemple concerne l'agroalimentaire en Chine. Les deux plus grosses entreprises françaises de grande distribution, Auchan et Carrefour, représentent à elles seules 250 points de distribution dans toute la Chine. C'est donc un débouché très important pour les entreprises d'agroalimentaire français. Nous avons monté une opération au profit des acteurs de la biscuiterie et de la chocolaterie afin d'inciter à la mise en valeur de leurs produits dans les réseaux de distribution d'Auchan et de Carrefour et leur permettre d'accéder aux clients finals. C'est par ce type d'initiative qu'on peut permettre à des PME d'accéder à des marchés.
J'ai l'impression que la politique annoncée diffère peu de la précédente et que votre action veut tout embrasser. Quelle est votre priorité pour le tourisme, d'une part, pour le commerce extérieur, d'autre part ? Je suis surpris de la nomination de M. Varin qui, en tant que PDG de Peugeot, a montré des difficultés à s'adapter à la mondialisation.
Je me félicite des mesures annoncées car il y a dans le monde du tourisme trop d'acteurs qui ne s'entendent pas, il convient d'être directif avec eux. Leur coopération peut être au contraire fructueuse, comme en Autriche, où un accord passé entre Ubifrance et la chambre de commerce a débouché sur quatre investissements créateurs d'emplois en France. Je ne sais pas si le tourisme de masse est rentable, le tourisme de qualité rapporterait peut être plus. Enfin, je signalerai le retour d'un événement « formule 1 » en Autriche, qui se déroule pendant une semaine et rencontre un certain succès.
Vous avez évoqué la fusion d'Ubifrance et de l'AFII, il faut aller plus loin dans le regroupement des acteurs et améliorer le maillage des chambres de commerce à l'étranger, qui sont très présentes dans certaines régions ou pays comme les Etats-Unis et inexistantes dans d'autres, comme le Moyen-Orient ou l'Asie centrale, où les besoins sont importants. Il faudrait également une montée en puissance du dispositif des VIE car l'objectif retenu (9 000 en 2015) est bien timide au regard du nombre déjà existant (8 268) et pourquoi pas envisager un « VIE seniors », qui permettrait de mettre à profit certaines compétences acquises par les seniors ? Par ailleurs, de quelle manière envisagez-vous d'informer et de consulter les nouveaux conseillers consulaires en matière de diplomatie économique ?
En ce qui concerne le projet d'accord de partenariat transatlantique (APT), en cas de non-respect des dispositions de ce traité, les pays signataires pourraient-ils être poursuivis devant des tribunaux arbitraux créés spécialement pour connaître des litiges entre les investisseurs et les Etats et dotés du pouvoir d'infliger des sanctions commerciales ? Dans un tel contexte, les entreprises ne seraient-elles pas en mesure de contrecarrer les politiques de santé, de protection de l'environnement ou de régulation financière mises en place par les Etats en leur réclamant des dommages et intérêts devant des tribunaux non judiciaires ?
La France est un pays forestier, mais une grande partie de notre bois est exporté en vue d'être transformé à l'étranger, avant d'être réimporté. Il faudrait que la matière bois puisse être transformée en France. Le bois transformé offre d'intéressantes perspectives à l'export ; à titre d'exemple, lors d'une visite dans les Vosges, des représentants chinois se montrés intéressés par l'acquisition de chalets en bois, il y a là un marché à prendre pour les entreprises vosgiennes mais pour pouvoir répondre à cette demande, il faudrait qu'elles soient en mesure d'investir pour moderniser leurs équipements.
Je me félicite que vous mettiez de l'ordre parmi les acteurs du tourisme à l'international. En tant que vice-présidente de la région Rhône-Alpes en charge des transports et des déplacements, j'évoquerai le projet de liaison ferroviaire Lyon-Turin qui est important et structurant : comment faire pour préparer les entreprises à la réalisation de ce projet, afin qu'il soit moteur pour la France et pour la région Rhône-Alpes ? Il pourrait être une opportunité de développement dans des secteurs tels que la mécanique, l'agroalimentaire...
Le projet de traversée centrale des Pyrénées est, du point de vue économique et stratégique, aussi important que le projet Lyon-Turin, dans la mesure où il permettrait de relier la France à la péninsule ibérique et, au-delà, au Maghreb. En ce qui concerne le bois, le pin littoral et le pin des Landes permettent aussi la construction de chalets. En matière agroalimentaire, le marché chinois vient de s'ouvrir au jambon labellisé, ce dont nous nous félicitons. En revanche, la Chine a pris une mesure de déclassement du foie gras dans une catégorie « bas morceaux », ce qui ne permet plus de l'exporter en tant que foie gras. Il faut faire en sorte qu'elle revienne sur cette mesure. Je rappelle à cette occasion que sur les 12 millions de volailles grasses produites chaque année en France, 11 millions sont produites dans les Landes.
Concernant les exportations, le diagnostic reste le même qu'avant, car cela fait dix ans que la France perd des parts de marché. Mais la différence est qu'à partir de ce diagnostic, nous prenons des mesures concrètes. À titre d'exemple, je viens de lancer un dispositif destiné à accompagner, à la fois financièrement et par du mentorat, les PME du secteur de la santé (médicaments, dispositifs médicaux..), afin de les aider à conquérir de nouveaux marchés. J'ai identifié six secteurs prioritaires dans lesquels je souhaite tout particulièrement accompagner les entreprises et pour lesquels nous allons cibler des zones géographiques prioritaires.
En matière de tourisme, alors que la France est un pays très touristique, nous n'avions jusqu'à présent pas de stratégie. Désormais, nous avons une vraie politique du tourisme fondée sur une approche marketing. Il s'agit de communiquer sur des marques, des destinations, des expériences (cyclotourisme, oenotourisme, gastronomie...) et diversifier la palette d'activités offertes aux touristes afin de les retenir et de leur donner envie de revenir. Concernant le débat tourisme de masse-tourisme de qualité, il faut savoir que l'Espagne, pays de tourisme de masse, gagne plus par touriste que la France. La France n'a pas fait le choix d'un tourisme de masse, mais elle doit tout mettre en oeuvre pour augmenter la dépense par touriste. Elle a des atouts à faire valoir. Ainsi, dans le cadre du pôle d'excellence « montagne » qui va être mis en place, nous pouvons communiquer sur la fraîcheur et l'air pur de nos montagnes en direction des pays du Golfe où il faut très chaud l'été, ou encore de la Chine, qui souffre des problèmes liés à la pollution. En ce qui concerne les grands événements sportifs, nous aurons l'occasion de faire des annonces, de même que s'agissant du tourisme d'affaire ou encore du tourisme mémoriel, ce sont des thèmes très mobilisateurs.
En ce qui concerne la gouvernance du commerce extérieur, il existe une concurrence entre Ubifrance et les chambres de commerce dans certains pays, nous avons conscience qu'il faut rationaliser ce réseau, notamment dans les pays cibles de la stratégie que nous avons définie. S'agissant des VIE, l'objectif est bien de 9 000 et je note l'idée d'un VIE seniors. Concernant les conseillers consulaires, il reviendra aux ambassadeurs de les solliciter au plan local. Pour ce qui est du secteur de la transformation du bois, le ministre de l'agriculture et moi l'avons identifié dans nos discussions comme un enjeu pour l'export. S'agissant du projet Lyon-Turin, il faut effectivement qu'on y travaille, je dois évoquer la question avec Louis Besson (président français de la commission intergouvernementale pour la liaison Lyon-Turin).
Enfin, à propos du partenariat transatlantique, il faut savoir que la France applique déjà des dispositifs de règlement des différends de ce type dans le cadre d'accords bilatéraux de protection des investissements, ce qui s'avère utile pour nos entreprises lorsque la justice commerciale n'offre pas assez de garanties dans les pays où elles sont implantées. Les négociations sur ce point sont actuellement suspendues parce que plusieurs Etats membres considèrent qu'un tel mécanisme de règlement des différends n'est pas nécessaire avec un pays comme les Etats-Unis. À la demande de la France et de l'Allemagne, la Commission européenne a lancé une consultation sur ce sujet, dont les résultats sont attendus d'ici la mi-juillet. La Commission en tirera des conclusions pour ses discussions avec les Etats-Unis. Le mécanisme de règlement des différends implique effectivement un tribunal arbitral, qui est une instance indépendante. L'enjeu de la négociation est de définir la composition et les modalités de fonctionnement de cette instance afin d'assurer son impartialité. La ligne rouge, pour nous, est que ce type de mécanisme ne doit pas remettre en cause la capacité souveraine des Etats à légiférer. Nous y veillons beaucoup, cela constitue un point dur dans les négociations.
Daniel Reiner et Jacques Gautier, en leur qualité de rapporteurs du programme 146 « Équipement des forces », et moi-même, en collaboration avec nos collègues députés, nous avons effectué un contrôle sur les prévisions de ressources exceptionnelles - les « REX » - de la loi de programmation militaire (LPM) pour les années 2014 à 2019. Ce contrôle a été entrepris sur le fondement de l'article 7 de la LPM, dont il constitue un premier cas d'application. Comme vous vous en souvenez, ces dispositions ont été introduites à l'initiative de notre commission ; elles nous permettent désormais de procéder, pour le suivi et le contrôle de l'application de la programmation militaire, à toutes les auditions et investigations « sur pièces et sur place » que nous jugeons utiles, tant auprès du ministère de la défense et des organismes qui lui sont rattachés qu'auprès des ministères chargés de l'économie et des finances.
Notre contrôle s'est déroulé en deux temps. Le 17 juin dernier, les deux Rapporteurs et moi, nous nous sommes rendus à Bercy, auprès du secrétariat d'État chargé du budget ; notre délégation a été rejointe par trois de nos collègues députés : Patricia Adam, présidente de la commission de la défense, Jean-Jacques Bridey, rapporteur pour celle-ci du programme 146, et François Cornut-Gentile, rapporteur spécial de la commission des finances pour la mission « Défense ». Nous avons auditionné le secrétaire d'État, M. Christian Eckert, et le directeur du budget, M. Denis Morin. Le 3 juillet, c'est-à-dire la semaine dernière, Daniel Reiner et Jacques Gautier se sont déplacés à Bagneux, dans les locaux de la direction générale de l'armement (DGA), où ils ont retrouvé leur homologue de l'Assemblée nationale, notre collègue Jean-Jacques Bridey précité. Ce déplacement leur a permis d'auditionner le délégué général pour l'armement, M. Laurent Collet-Billon ; ils ont évoqué avec lui la situation de plusieurs programmes d'armement, en particulier les programmes MRTT et Scorpion, mais ils ont aussi recueilli des informations actualisées sur les prévisions de REX.
Sur la forme, l'ensemble des éléments fournis par la direction du budget et par la DGA permet de répondre d'une manière globalement satisfaisante aux questions que nous leur avions soumises. Les documents qui nous ont été remis font en effet le point, de façon précise, et apparemment de façon sincère, sur l'état des informations et des réflexions du Gouvernement en matière de REX.
Sur le fond, je voudrais d'abord procéder à quelques rappels des prévisions de la LPM que nous avons votée en décembre 2013.
Comme vous le savez, la programmation militaire doit bénéficier, pour l'ensemble de la période 2014-2019, d'un financement à hauteur de 190 milliards d'euros : 183,9 milliards d'euros doivent provenir de crédits budgétaires et 6,1 milliards d'euros doivent provenir des REX. La nature de ces REX se trouve détaillée dans le rapport annexé à la LPM. Il s'agit du plan d'investissements d'avenir - le « PIA » -, financé par la cession de participations de l'État dans des entreprises publiques, des produits de cessions immobilières réalisées par le ministère de la défense, des redevances versées au titre des cessions de fréquences hertziennes déjà intervenues, du produit de la mise aux enchères de la bande de fréquences hertziennes des 700 MHz et enfin, « le cas échéant », du produit de cessions additionnelles de participations dans des entreprises publiques.
Ces ressources exceptionnelles se trouvent concentrées sur le début de la programmation, puisque 4,8 milliards d'euros, soit près de 80 % des REX, sont prévus sur les trois premières années d'exécution de la LPM, entre 2014 et 2016. En 2014, les REX sont principalement issues du PIA. En 2015 et 2016, l'essentiel doit provenir de la mise aux enchères de la bande de fréquences des 700 MHz, dont le produit devrait représenter 90 % des REX en 2015 (1,55 milliard d'euros) et 80 % en 2016 (1,02 milliard d'euros).
Or, à cet égard, notre contrôle révèle qu'il y a matière à s'inquiéter - ou, du moins, il le confirme, et étaye ainsi nos inquiétudes, car nous nous doutions bien, lorsque nous avons décidé de mener ces investigations, de la difficulté de réunir les REX conformément aux prévisions. Les Rapporteurs vont présenter en détail les résultats de ces investigations. Je voudrais d'abord en donner une vue synthétique.
Pour 2014, les informations que nous avons collectées ne paraissent justifier, du moins à ce stade, qu'une préoccupation « raisonnable ». En effet, le niveau de REX prévu par la LPM pour cette année, soit 1,77 milliard d'euros, devrait être atteint sans difficulté, et même dépassé. D'une part, on devrait disposer d'au moins 1,75 milliard d'euros pris sur le PIA, dont 1,5 milliard d'euros voté en loi de finances initiale et 250 millions d'euros inscrits dans le projet de loi de finances rectificative (PLFR) - texte voté par l'Assemblée nationale le 1er juillet et actuellement en cours d'examen au Sénat -, au titre de l'activation de la clause de sauvegarde prévue par l'article 3 de la LPM. D'autre part, les recettes de cessions immobilières du ministère de la défense d'ores et déjà réalisées aujourd'hui s'élèvent à plus de 190 millions d'euros.
Cela dit, pour cette année, notre vigilance reste de mise à l'égard de deux points au moins. Il s'agit, en premier lieu, de la difficulté que rencontre le ministère de la défense pour identifier de nouveaux projets susceptibles de bénéficier du PIA, compte tenu des critères d'éligibilité à ce programme. Or cette identification de nouveaux projets paraît représenter la condition de l'ouverture de la seconde tranche de 250 millions d'euros que devrait permettre la mise en oeuvre de la clause de sauvegarde de l'article 3 de la LPM. En second lieu, il s'agit de la régularisation budgétaire qui interviendra, comme chaque année, en fin d'exercice, et qui risque de relativiser l'excédent de REX, compte tenu notamment du financement interministériel du surcoût des opérations extérieures - les « OPEX ». Ce surcoût, en effet, est actuellement anticipé comme devant atteindre, au 31 décembre 2014, de 0,77 à 1,2 milliard d'euros, contre une provision budgétaire de 450 millions d'euros seulement en loi de finances initiale.
Mais la véritable inquiétude concerne les exercices suivants, et tout particulièrement l'année 2015. En effet, il paraît désormais certain que la mise aux enchères de la bande de fréquences hertziennes des 700 MHz, pour des raisons d'ordre technique et économique à la fois, ne pourra pas avoir lieu avant, au mieux, la fin 2015. Il manquerait donc, au moins, 1,5 milliard d'euros de REX en 2015 ; et il n'est pas assuré que cette ressource soit disponible, en 2016, au niveau prévu d'un milliard d'euros.
L'année prochaine s'annonce, de la sorte, extrêmement critique, car au défaut des REX devrait s'ajouter un report de charges de la mission « Défense » anticipé, pour la fin 2014, à hauteur de 3,3 à 3,4 milliards d'euros, dont 2,4 milliards sur le programme 146. Les objectifs capacitaires de la LPM, et ceux de notre base industrielle et technologique de défense, pourraient se trouver gravement compromis par cette situation. D'ailleurs, dans ce contexte d'incertitude, la DGA, depuis mai dernier, a déjà gelé ses engagements, notamment pour les programmes M51-3 et Barracuda ; et le lancement des programmes MRTT et Scorpion reste en attente.
Des propositions de solutions ont été avancées par le ministère de la défense. Elles consistent dans la capitalisation, à partir du produit de cessions de participations financières de l'État, d'une société « ad hoc », qui achèterait le matériel militaire en vue de le louer au ministère, suivant un mécanisme dit de « sale and lease back ». Mais ces propositions se heurtent pour le moment, vu du ministère chargé des finances, à l'inconvénient d'une dégradation de l'endettement public que le dispositif impliquerait, du fait des règles comptables d'Eurostat.
Une mission administrative, conduite par l'Inspection générale des finances (IGF) et lui associant l'Agence des participations de l'État, le Contrôle général des armées et la DGA, a été mise en place le 13 juin dernier, en vue de proposer des scénarios permettant de garantir un niveau de REX suffisant, dès 2015, qui resteraient neutres pour les comptes publics. Cette mission a émis dans son rapport d'étape, le 30 juin, un avis « très défavorable » au projet du ministère de la défense. Cependant, pour l'heure, aucune autre solution ne se fait jour. La mission doit rendre son rapport final avant le 15 juillet prochain. Il faut en espérer des propositions constructives ! Notre commission sera particulièrement vigilante pour exiger qu'une solution soit trouvée et que l'intégralité de la LPM soit respectée.
Le Président Carrère a rappelé le modus operandi de notre contrôle et il vient d'en présenter, en synthèse, les résultats. Les perspectives qui s'en dégagent - et surtout l'absence de perspectives, en tout cas en ce qui concerne l'année 2015 - ne laissent pas de préoccuper les rapporteurs du programme 146, comme elles préoccupent la DGA.
Je rappelle, en effet, que la programmation des REX sur la période 2015-2017, soit 3,9 milliards d'euros, correspond à environ 20 % de l'ensemble des crédits prévus pour les principaux programmes d'armement sur ces trois années. Que se passera-t-il si, en 2015, faute de mise aux enchères de la bande de fréquences hertziennes des 700 MHz, il manque 1,5 milliard d'euros, alors même que le report de charges, comme cela a été indiqué, fait l'objet d'une évaluation, pour la fin 2014, de 3,3 à 3,4 milliards d'euros, dont les deux tiers sur le programme destiné à l'équipement des forces ? La réponse est déjà donnée par l'attitude de prudence de la DGA, qui a stoppé ses engagements, pour les programmes M51-3 et Barracuda notamment, en attendant d'y voir plus clair. Ce gel, bien sûr, s'il devait se prolonger, comporterait des conséquences, tant pour le développement de nos capacités stratégiques que pour le maintien de l'activité des bureaux d'étude et, entre autres, celle des sous-traitants. Les petites et moyennes entreprises, à Eurosatory, se sont déjà faites l'écho, auprès de nous, des inquiétudes du secteur.
C'est pourquoi je crois que notre commission doit exprimer le maintien de la mobilisation parlementaire à cet égard, dans la perspective notamment des débats qui se tiendront à l'automne prochain sur le projet de loi de finances pour 2015 et sur le budget triennal pour les années 2015-2017. Pour l'instant, je m'attacherai à présenter en détail la situation des prévisions de REX à venir du PIA et des produits de cessions immobilières.
La LPM prévoit que le budget de la défense bénéficie d'une partie du nouveau PIA qui a été annoncé en juillet 2013 par le Premier ministre et qui est financé, notamment, par le produit de cessions de participations de l'État dans des entreprises. À cet effet, le programme 402, qui constitue la déclinaison du PIA pour la mission « Défense », a été créé par la loi de finances initiale pour 2014 et a été doté de 1,5 milliard d'euros. À cette première dotation, le PLFR en cours d'examen au Sénat prévoit d'ajouter 250 millions d'euros. Ces nouveaux crédits sont intégralement financés par un redéploiement des crédits disponibles du premier PIA.
Cette dernière mesure, comme l'a signalé le Président Carrère, constitue une mise en oeuvre de la clause de sauvegarde prévue par l'article 3 de la LPM. Je rappelle que cette disposition permet d'augmenter le montant des REX, dans la limite de 500 millions d'euros, si la soutenabilité financière de la trajectoire des investissements de la défense apparaît compromise avant la première actualisation de la programmation - une actualisation que la LPM prévoit comme devant intervenir « avant la fin de l'année 2015 ». L'activation de cette sauvegarde est consécutive aux annulations de crédits prévues par le PLFR pour la mission « Défense », à hauteur de 350 millions d'euros, au titre de l'effort de l'ensemble des ministères en faveur des finances publiques - soit 1,6 milliard d'euros, hors réduction de la charge de la dette -, dont la mission « Défense » assume ainsi le cinquième.
Pour le ministre de la défense, suivant les propos qu'il a tenus devant notre commission lors de son audition du 24 juin dernier, le principe est acquis de l'attribution de 500 millions d'euros supplémentaires à son budget. Une seconde tranche de 250 millions d'euros devrait donc être ouverte, a priori en 2014. Cependant, du point de vue de la direction du budget, tel qu'il a été exprimé lors du contrôle, cette nouvelle ouverture de crédits se trouve subordonnée à la possibilité d'une imputation sur les dépenses du PIA, par un redéploiement qui resterait sans impact, en particulier, sur le déficit et la dette publics au sens « maastrichien ».
Or cette imputation s'avère problématique, compte tenu des critères d'éligibilité au PIA. En effet, ces critères, notamment, prohibent l'autofinancement et imposent donc de recourir à des opérateurs de l'État. De ce fait, en ce qui concerne la mission « Défense », le PIA, en pratique, ne peut financer que des programmes pris en charge soit par le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), soit par le Centre national d'études spatiales (CNES). Actuellement, avec 1,5 milliard d'euros en loi de finances initiale augmentés de 250 millions d'euros dans le PLFR, l'ensemble des projets du CEA et du CNES qui pouvaient prétendre à être financés par le PIA paraît avoir déjà été couvert.
Des réflexions sont en cours, cependant. Le ministère de la défense cherche d'abord à permettre la complète application de la clause de sauvegarde, par l'ouverture de 250 millions d'euros à nouveau, d'ici la fin de l'année 2014. On prospecte également un moyen pour pallier le décalage de calendrier prévu pour l'encaissement du produit de la mise aux enchères de la bande de fréquences hertziennes des 700 MHz. Mais, pour le moment, ces réflexions paraissent peu fructueuses.
En premier lieu, la DGA tente d'identifier, au CNES et au CEA, de nouveaux programmes innovants éligibles au PIA. On a cherché du côté du projet MUSIS, qui tend à réaliser le futur système européen d'observation spatiale militaire, et qui se trouve déjà bénéficiaire du PIA. On a cherché, d'autre part, du côté des travaux sur le sous-marin nucléaire Barracuda. Ces deux éléments, s'ils venaient à être inscrits au PIA, ne représenteraient, au total, qu'un montant de 191 millions d'euros ; mais ce serait déjà cela...
En second lieu, les possibilités de réviser le statut de la DGA, en la dotant de la personnalité morale, sont actuellement à l'étude. Cette nouvelle organisation pourrait permettre à la DGA, devenue opérateur de l'État, de mettre en oeuvre elle-même les ressources du PIA. La piste fait partie de celles qu'étudie la mission pilotée par l'IGF, citée tout à l'heure par le Président Carrère. Mais la réflexion, à cet égard, semble peu avancée. À preuve, le document qui a servi de support à la présentation à Matignon, le 1er juillet dernier, du rapport d'étape de la mission : sous un intitulé « Le changement de statut de la DGA », la page est restée blanche...
En conclusion sur ce point, sauf propositions de cette mission dans son rapport attendu pour le 15 juillet prochain, il paraît peu probable que les ressources du PIA alimentent les REX au-delà des 1,75 milliard d'euros aujourd'hui prévus pour 2014.
J'en viens à présent aux recettes immobilières. Comme vous le savez, la LPM prévoit que l'intégralité du produit des cessions immobilières réalisées sur la période de 2014 à 2019 par le ministère de la défense sera reversée au budget de celui-ci.
Pour 2014, lors du vote de la loi de finances initiale, on escomptait 206 millions d'euros de recettes en la matière. Il n'y a plus guère d'inquiétude à cet égard : les ressources immobilières prévues pour le ministère de la défense, cette année, paraissent devoir être au rendez-vous au niveau attendu, et même au-delà. En effet, à la date du 17 juin dernier, lors de notre déplacement à Bercy, 192 millions d'euros étaient déjà acquis. Il faut d'ailleurs souligner que, sur ce total, 137 millions d'euros résultent de la vente de l'ensemble dit « Penthemont-Bellechasse », situé rue de Bellechasse, à Paris, dans le VIIe arrondissement. Cette opération a constitué une réussite financière, puisque le site avait été estimé à 77 millions d'euros, soit 60 millions de moins que le prix finalement réalisé. Il est vrai que le ministère, d'ici son déménagement prévu en juin 2015, devra acquitter au nouveau propriétaire un loyer de l'ordre de 6,5 millions d'euros.
Pour 2015 et 2016, en revanche, un aléa demeure si l'on considère les trois cessions majeures, toutes à Paris, qui sont envisagées. La caserne de la Pépinière, rue Laborde, dans le VIIIe arrondissement de la capitale, sera cédée sur le marché. L'hôtel de l'Artillerie, place Saint-Thomas d'Aquin, dans le VIIe arrondissement, dont l'acquisition intéresse SciencesPo, pourrait perdre de sa valeur du fait de l'obligation de réaliser des logements sociaux, comme le plan de sauvegarde et de mise en valeur de l'arrondissement, en cours d'élaboration, devrait l'imposer. Enfin, l'îlot dit « Saint-Germain », situé dans le VIIe arrondissement également, qui donne à la fois sur la rue Saint Dominique, la rue de l'Université et le boulevard Saint-Germain, et qui constitue un ensemble exceptionnel - plus de 50.000 m2 de superficie de plancher, sans compter des sous-sols qui paraissent valorisables -, fait également l'objet d'estimations variables, selon les hypothèses du taux de logements sociaux obligatoires. Du reste, la détermination du périmètre de cette cession est encore à arrêter.
La Ville de Paris, si elle donne suite à ses intentions de réaliser des logements sociaux sur ces sites, risque de faire perdre beaucoup d'argent au budget de la défense !
En tout cas, il serait optimiste de croire que toutes les REX immobilières prévues par la LPM pour 2015 et 2016 sont assurées. Les bonnes surprises, comme celle de la vente de l'ensemble « Penthemont-Bellechasse », sont toujours possibles, mais elles ne sont pas garanties ! Or les deux prochaines années, notamment 2015, on l'a dit, constituent une période critique, compte tenu de l'indisponibilité d'ores et déjà anticipée des recettes hertziennes. Mais je laisse à notre collègue Jacques Gautier le soin d'exposer cet aspect.
Comme nous le savons depuis notre vote sur la LPM 2014-2019, ce texte repose sur une trajectoire financière fragile, qui fait le pari que seront au rendez-vous, d'un côté, les REX et, d'un autre côté, les exportations d'armements. Je ne m'attarderai pas, ici, sur ce second point.
Pour ce qui concerne les REX, l'exercice 2014 ne paraît pas trop inquiétant, mais il en va tout différemment des exercices suivants, et particulièrement de 2015, pour lesquels se pose le problème du défaut annoncé des recettes liées aux fréquences hertziennes.
En la matière, comme cela a été rappelé, la LPM prévoit l'affectation au budget de la défense, d'une part, du produit des redevances versées, par les opérateurs privés, au titre des cessions déjà réalisées - ce qui concerne notamment les fréquences utilisées par la technologie « 4G » -, et, d'autre part, les recettes attendues de la mise aux enchères de la bande de fréquences des 700 MHz, aujourd'hui attribuée aux chaînes de télévision et qui devrait l'être, dans l'avenir, à la téléphonie mobile.
S'agissant des redevances des fréquences déjà cédées, l'encaissement de 11 millions d'euros a été prévu dans la loi de finances initiale pour 2014. Cette prévision est conforme au plus raisonnable scénario de déploiement des opérateurs dans les bandes « 4G », établi par l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP), soit un déploiement linéaire jusqu'au 1er janvier 2020. Cependant, la récupération de ces 11 millions d'euros reste subordonnée aux modalités de calcul des redevances dues, par les opérateurs, sur leur chiffre d'affaires lié à l'utilisation de la technologie 4G, et à celles de la perception des redevances, que doivent déterminer l'ARCEP et la direction générale de la compétitivité, de l'industrie et des services (DGCIS). Sous la même réserve, le produit des redevances hertziennes reçu au titre de REX pour l'exécution de la LPM est aujourd'hui prévu pour s'établir, en 2015, à hauteur d'une vingtaine de millions d'euros et, en 2016, d'une trentaine de millions d'euros.
S'agissant de la mise aux enchères de la bande des 700 MHz, l'avenir dépend des décisions que doit prendre la Conférence mondiale des radiocommunications programmée en novembre 2015. Dans ce cadre, deux questions fondamentales doivent être tranchées : à partir de quand l'usage des fréquences de la bande des 700 MHz sera-t-il autorisé, en Europe, pour la téléphonie mobile, et sur quelle largeur de spectre de fréquences exactement cette autorisation sera-t-elle donnée ? Une fois ces aspects réglés par la Conférence mondiale, le choix de chaque État concerné, y compris celui de la France, se trouvera encore contraint par le choix des pays frontaliers, compte tenu de possibles effets de brouillage tant que les fréquences en cause seront utilisées, dans ces pays, pour la télévision.
Les recettes de ce transfert de fréquences au secteur des télécoms, ainsi que l'a souligné le Président Carrère, constituent l'essentiel des prévisions de REX pour la mise en oeuvre de la LPM dans les années 2015 et suivantes : elles en représentent de 80 à 90 % entre 2015 et 2017 et, notamment, 1,5 milliard d'euros en 2015. Or, dans le contexte international précité, et compte tenu notamment de la nécessité technique de réaménager les fréquences aujourd'hui occupées par la télévision, l'Agence nationale des fréquences, au début de l'année 2013, a estimé que la mise aux enchères de la bande des 700 MHz, pour la réattribution de celle-ci à la téléphonie mobile, ne pourrait pas intervenir avant 2017. Le Conseil supérieur de l'audiovisuel, de même, considère que trois ans sont nécessaires pour libérer les fréquences. Une note émanant du ministère de la culture et de la communication, en juin 2013, a même retenu l'hypothèse de cette libération, par la télévision, en 2019 seulement. Les documents que nous avons recueillis font apparaître que la direction du budget était informée et consciente de ces estimations de calendrier dès le premier trimestre 2013.
À la même époque, le ministère délégué chargé de l'économie numérique, relevant du ministère du redressement productif, a envisagé une mise aux enchères de la bande des 700 MHz avant la disponibilité effective de celle-ci pour la téléphonie mobile. Mais ce projet s'est heurté à l'analyse de la direction du budget, qui a fait valoir les difficultés juridiques et techniques soulevées par une opération tendant à anticiper, d'une part, sur la décision de la Conférence mondiale de novembre 2015 et, d'autre part, sur la libération réelle des fréquences, eu égard au problème des pays frontaliers. En outre, une mise aux enchères avant que les fréquences soient disponibles ferait courir le risque de moindres recettes de cession. Dans la conjoncture économique actuelle du secteur, en cours de consolidation, il est estimé, au demeurant, que les opérateurs de téléphonie n'ont ni l'appétence, ni les moyens, d'investir dans de nouvelles fréquences.
Le lancement de la procédure d'attribution de la bande des 700 MHz n'a pas encore été décidé. La Conférence mondiale devant se tenir en novembre 2015, il faudra sans doute attendre au moins la fin de l'année 2015 pour procéder à la mise aux enchères.
En vue de remédier à ce décalage d'encaissement des produits de cessions hertziennes et à la rupture d'alimentation des REX qu'il induit en 2015 voire en 2016, le ministère de la défense, dès la préparation de la LPM, a esquissé un scénario prévoyant de mobiliser le produit de cessions de participations dans des entreprises publiques. Ce scénario tient compte du fait que la LOLF, en principe, interdit que des cessions de participations financières de l'État couvrent les dépenses de missions du budget général. Le dispositif consisterait d'abord à vendre des titres détenus par l'État puis à investir dans une société « ad hoc », également appelée « société de projet » ou « SPV » (pour « special purpose vehicle ») ; la société ainsi dotée réaliserait l'achat des équipements militaires nécessaires, et les louerait au ministère de la défense, jusqu'à ce que la disponibilité des ressources provenant de la cession de fréquences autorise le rachat des équipements par le ministère.
Ce schéma de « sale and lease back » imite des modèles de mise à disposition de matériel en usage dans le secteur privé. Il pourrait être répété sur plusieurs véhicules : ont ainsi été envisagés, à ce jour, non seulement une société d'objet général, mais aussi deux entités spécifiques, la première pour la location de frégates et la seconde pour la location d'avions A 400 M.
De la sorte, il serait possible de sécuriser le niveau des ressources prévu par la LPM pour 2015 et 2016, et donc la trajectoire de dépenses pour l'équipement des forces. Toutefois, dès le mois de mars 2013, la direction du budget s'est montrée réticente à l'égard de la proposition du ministère de la défense, pour l'essentiel dans la mesure où celle-ci, du fait des règles comptables d'Eurostat, conduirait à dégrader la dette et le déficit publics.
En effet, d'un côté, le type de société « ad hoc » envisagé, compte tenu de ses caractéristiques probables - nécessaire contrôle par l'État, activité ne s'inscrivant pas sur un marché -, devrait être considéré, en comptabilité nationale, comme relevant de la catégorie des administrations publiques (« APU »). Or la valeur totale des équipements militaires qui serait achetés par cette nouvelle administration, en vue de les louer au ministère de la défense, devrait être comptabilisée en dépense, au sens « maastrichien », alors que le produit de la cession de participations financières ayant permis la dotation de la ou des sociétés, au plan comptable, ne pourrait être traité en recette, et donc ne pourrait venir équilibrer ladite dépense.
D'un autre côté, dans la mesure où Eurostat considère que les locations d'équipement militaire constituent, au sens comptable, des locations financières, lesquelles impliquent, dès la mise à disposition des équipements en cause, la contraction d'une dette par le bailleur, la location par le ministère de la défense du matériel acquis par la ou les sociétés de projet, chaque année de location, impacterait la dette publique. Le mécanisme affecterait également la norme de dépense de l'État puisque, pour financer le loyer du matériel, une dépense budgétaire devrait être engagée à partir de la mission « Défense ». Ce dispositif, en outre, pourrait comporter le risque de renchérir les taux d'intérêt auxquels l'État français emprunte sur le marché.
La mission que conduit l'IGF se trouve désormais chargée de proposer des scénarios alternatifs pour dégager les ressources suffisantes à l'exécution de LPM, en attendant que le produit des cessions hertziennes puisse être encaissé, tout en veillant à ménager l'état de nos comptes publics. La date de création de cette mission « de crise », le 13 juin dernier, paraît d'ailleurs bien tardive, pour résoudre une difficulté majeure dont les paramètres s'avèrent identifiés depuis le premier trimestre 2013 au moins, et dont les enjeux sont clairement posés depuis le bouclage financier de la LPM... Je rappelle que le projet de cette loi a été déposé au Sénat en août 2013 et voté en décembre 2013 par le Parlement !
La mission, comme cela a été indiqué, a déjà émis un avis fortement défavorable au montage proposé par le ministère de la défense. Elle a en effet relevé les nombreuses impasses du dossier, sous les aspects juridique, comptable et économique. Je rejoins le Président de notre commission pour dire qu'il est impératif, à présent, que des contre-propositions plus constructives émanent du travail de cette mission, d'ici son rapport final attendu pour le 15 juillet prochain. Mais ne faudrait-il pas, aussi, envisager d'avancer la première actualisation de la LPM ?
Je tiens à féliciter nos collègues pour l'initiative de ce contrôle « sur pièces et sur place ». Leur travail met en lumière les incertitudes qui pèsent sur la trajectoire financière prévue par la LPM. Celles qui concernent les recettes hertziennes sont importantes ; mais celles qui touchent à l'immobilier le sont également. Sans même évoquer l'obligation de réaliser du logement social, qui déprécie la valeur des biens à vendre, il ne faut pas perdre de vue que le parc immobilier du ministère de la défense est un patrimoine en mauvais état.
Dans ce domaine, je m'interroge sur la pertinence de conserver l'hôtel de Brienne dans la propriété de l'État. Puisque la France disposera bientôt, sur le site Balard, de son « Pentagone », ne faut-il pas être plus conséquent ? Je crois qu'un ministre doit se trouver auprès de son administration, et l'hôtel de Brienne serait sans doute l'objet d'une vente profitable pour le budget de la défense.
La notion même de REX implique une certaine incertitude. De fait, on constate aujourd'hui qu'en 2015, et au-delà peut-être, le produit de la mise aux enchères de la bande de fréquences des 700 MHz ne sera pas disponible. Nous voici confrontés à nos responsabilités politiques !
Le système de « sale and lease back » proposé par le ministère de la défense en guise de parade au décalage de calendrier de l'encaissement des recettes hertziennes, c'est tout bonnement le recours à de l'endettement. Il n'y a peut-être pas d'autre solution, si l'on veut tenir les objectifs stratégiques et industriels de la LPM sur la période 2014-2019 ?
Nous savons depuis le début que la trajectoire de cette LPM est particulièrement précaire. Le rôle de notre commission me paraît être de soutenir l'équilibre financier qui a été voté avec ce texte, et d'éviter l'arrêt des programmes d'armement. Autrement, le ministre de la défense ne pourra pas garantir un format d'armée qui permette au Président de la République de mettre en oeuvre ses ambitions stratégiques pour la France. Nous ne pouvons donc pas accepter un décalage dans la programmation des ressources de la mission « Défense ». Il en va du rang de notre pays sur la scène mondiale, et du devenir de nos industries.
Pour trouver les meilleures solutions au problème du différé d'encaissement des ressources hertziennes et au manque de REX nécessaires pour la mise en oeuvre de la LPM, je pense que la mission pilotée par l'IGF devra s'appuyer sur l'analyse du Contrôle général des armées.
Il était temps que le Gouvernement se préoccupe de ce problème ! J'espère que les difficultés techniques décrites par nos collègues rapporteurs ne lui serviront pas de prétexte pour revoir à la baisse les objectifs de la LPM, d'ici à 2019...
Le coût du travail dans les entreprises françaises représente une difficulté supplémentaire. Quand le coût horaire moyen d'un employé, au sein de tel grand groupe industriel, est de 58 euros en France ou de 57 euros en Allemagne, il n'est que de 28 euros en Espagne et de 18 dollars, aux États-Unis, dans l'Alabama.
La LPM a été votée. Une difficulté se présente aujourd'hui pour l'application de cette loi : il appartient au Gouvernement d'en proposer les voies de résolution.
Je propose qu'un communiqué de presse soit diffusé, au nom de notre commission et en concertation avec nos collègues députés membres de la commission de la défense, témoignant de notre vigilance commune quant aux solutions que le Gouvernement devra, en effet, trouver, en vue d'assurer le plein respect de la LPM sur la période 2014-2019 et d'atteindre les objectifs, tant capacitaires qu'industriels, qui lui sont attachés.
La réunion est levée à 18 h 45.