Intervention de Jean-Louis Carrère

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 8 juillet 2014 : 1ère réunion
Programmation militaire pour les années 2014 à 2019 — Compte rendu du contrôle sur pièces et sur place sur les prévisions de ressources exceptionnelles de la loi n° 2013-1168 du 18 décembre 2013

Photo de Jean-Louis CarrèreJean-Louis Carrère, président :

Daniel Reiner et Jacques Gautier, en leur qualité de rapporteurs du programme 146 « Équipement des forces », et moi-même, en collaboration avec nos collègues députés, nous avons effectué un contrôle sur les prévisions de ressources exceptionnelles - les « REX » - de la loi de programmation militaire (LPM) pour les années 2014 à 2019. Ce contrôle a été entrepris sur le fondement de l'article 7 de la LPM, dont il constitue un premier cas d'application. Comme vous vous en souvenez, ces dispositions ont été introduites à l'initiative de notre commission ; elles nous permettent désormais de procéder, pour le suivi et le contrôle de l'application de la programmation militaire, à toutes les auditions et investigations « sur pièces et sur place » que nous jugeons utiles, tant auprès du ministère de la défense et des organismes qui lui sont rattachés qu'auprès des ministères chargés de l'économie et des finances.

Notre contrôle s'est déroulé en deux temps. Le 17 juin dernier, les deux Rapporteurs et moi, nous nous sommes rendus à Bercy, auprès du secrétariat d'État chargé du budget ; notre délégation a été rejointe par trois de nos collègues députés : Patricia Adam, présidente de la commission de la défense, Jean-Jacques Bridey, rapporteur pour celle-ci du programme 146, et François Cornut-Gentile, rapporteur spécial de la commission des finances pour la mission « Défense ». Nous avons auditionné le secrétaire d'État, M. Christian Eckert, et le directeur du budget, M. Denis Morin. Le 3 juillet, c'est-à-dire la semaine dernière, Daniel Reiner et Jacques Gautier se sont déplacés à Bagneux, dans les locaux de la direction générale de l'armement (DGA), où ils ont retrouvé leur homologue de l'Assemblée nationale, notre collègue Jean-Jacques Bridey précité. Ce déplacement leur a permis d'auditionner le délégué général pour l'armement, M. Laurent Collet-Billon ; ils ont évoqué avec lui la situation de plusieurs programmes d'armement, en particulier les programmes MRTT et Scorpion, mais ils ont aussi recueilli des informations actualisées sur les prévisions de REX.

Sur la forme, l'ensemble des éléments fournis par la direction du budget et par la DGA permet de répondre d'une manière globalement satisfaisante aux questions que nous leur avions soumises. Les documents qui nous ont été remis font en effet le point, de façon précise, et apparemment de façon sincère, sur l'état des informations et des réflexions du Gouvernement en matière de REX.

Sur le fond, je voudrais d'abord procéder à quelques rappels des prévisions de la LPM que nous avons votée en décembre 2013.

Comme vous le savez, la programmation militaire doit bénéficier, pour l'ensemble de la période 2014-2019, d'un financement à hauteur de 190 milliards d'euros : 183,9 milliards d'euros doivent provenir de crédits budgétaires et 6,1 milliards d'euros doivent provenir des REX. La nature de ces REX se trouve détaillée dans le rapport annexé à la LPM. Il s'agit du plan d'investissements d'avenir - le « PIA » -, financé par la cession de participations de l'État dans des entreprises publiques, des produits de cessions immobilières réalisées par le ministère de la défense, des redevances versées au titre des cessions de fréquences hertziennes déjà intervenues, du produit de la mise aux enchères de la bande de fréquences hertziennes des 700 MHz et enfin, « le cas échéant », du produit de cessions additionnelles de participations dans des entreprises publiques.

Ces ressources exceptionnelles se trouvent concentrées sur le début de la programmation, puisque 4,8 milliards d'euros, soit près de 80 % des REX, sont prévus sur les trois premières années d'exécution de la LPM, entre 2014 et 2016. En 2014, les REX sont principalement issues du PIA. En 2015 et 2016, l'essentiel doit provenir de la mise aux enchères de la bande de fréquences des 700 MHz, dont le produit devrait représenter 90 % des REX en 2015 (1,55 milliard d'euros) et 80 % en 2016 (1,02 milliard d'euros).

Or, à cet égard, notre contrôle révèle qu'il y a matière à s'inquiéter - ou, du moins, il le confirme, et étaye ainsi nos inquiétudes, car nous nous doutions bien, lorsque nous avons décidé de mener ces investigations, de la difficulté de réunir les REX conformément aux prévisions. Les Rapporteurs vont présenter en détail les résultats de ces investigations. Je voudrais d'abord en donner une vue synthétique.

Pour 2014, les informations que nous avons collectées ne paraissent justifier, du moins à ce stade, qu'une préoccupation « raisonnable ». En effet, le niveau de REX prévu par la LPM pour cette année, soit 1,77 milliard d'euros, devrait être atteint sans difficulté, et même dépassé. D'une part, on devrait disposer d'au moins 1,75 milliard d'euros pris sur le PIA, dont 1,5 milliard d'euros voté en loi de finances initiale et 250 millions d'euros inscrits dans le projet de loi de finances rectificative (PLFR) - texte voté par l'Assemblée nationale le 1er juillet et actuellement en cours d'examen au Sénat -, au titre de l'activation de la clause de sauvegarde prévue par l'article 3 de la LPM. D'autre part, les recettes de cessions immobilières du ministère de la défense d'ores et déjà réalisées aujourd'hui s'élèvent à plus de 190 millions d'euros.

Cela dit, pour cette année, notre vigilance reste de mise à l'égard de deux points au moins. Il s'agit, en premier lieu, de la difficulté que rencontre le ministère de la défense pour identifier de nouveaux projets susceptibles de bénéficier du PIA, compte tenu des critères d'éligibilité à ce programme. Or cette identification de nouveaux projets paraît représenter la condition de l'ouverture de la seconde tranche de 250 millions d'euros que devrait permettre la mise en oeuvre de la clause de sauvegarde de l'article 3 de la LPM. En second lieu, il s'agit de la régularisation budgétaire qui interviendra, comme chaque année, en fin d'exercice, et qui risque de relativiser l'excédent de REX, compte tenu notamment du financement interministériel du surcoût des opérations extérieures - les « OPEX ». Ce surcoût, en effet, est actuellement anticipé comme devant atteindre, au 31 décembre 2014, de 0,77 à 1,2 milliard d'euros, contre une provision budgétaire de 450 millions d'euros seulement en loi de finances initiale.

Mais la véritable inquiétude concerne les exercices suivants, et tout particulièrement l'année 2015. En effet, il paraît désormais certain que la mise aux enchères de la bande de fréquences hertziennes des 700 MHz, pour des raisons d'ordre technique et économique à la fois, ne pourra pas avoir lieu avant, au mieux, la fin 2015. Il manquerait donc, au moins, 1,5 milliard d'euros de REX en 2015 ; et il n'est pas assuré que cette ressource soit disponible, en 2016, au niveau prévu d'un milliard d'euros.

L'année prochaine s'annonce, de la sorte, extrêmement critique, car au défaut des REX devrait s'ajouter un report de charges de la mission « Défense » anticipé, pour la fin 2014, à hauteur de 3,3 à 3,4 milliards d'euros, dont 2,4 milliards sur le programme 146. Les objectifs capacitaires de la LPM, et ceux de notre base industrielle et technologique de défense, pourraient se trouver gravement compromis par cette situation. D'ailleurs, dans ce contexte d'incertitude, la DGA, depuis mai dernier, a déjà gelé ses engagements, notamment pour les programmes M51-3 et Barracuda ; et le lancement des programmes MRTT et Scorpion reste en attente.

Des propositions de solutions ont été avancées par le ministère de la défense. Elles consistent dans la capitalisation, à partir du produit de cessions de participations financières de l'État, d'une société « ad hoc », qui achèterait le matériel militaire en vue de le louer au ministère, suivant un mécanisme dit de « sale and lease back ». Mais ces propositions se heurtent pour le moment, vu du ministère chargé des finances, à l'inconvénient d'une dégradation de l'endettement public que le dispositif impliquerait, du fait des règles comptables d'Eurostat.

Une mission administrative, conduite par l'Inspection générale des finances (IGF) et lui associant l'Agence des participations de l'État, le Contrôle général des armées et la DGA, a été mise en place le 13 juin dernier, en vue de proposer des scénarios permettant de garantir un niveau de REX suffisant, dès 2015, qui resteraient neutres pour les comptes publics. Cette mission a émis dans son rapport d'étape, le 30 juin, un avis « très défavorable » au projet du ministère de la défense. Cependant, pour l'heure, aucune autre solution ne se fait jour. La mission doit rendre son rapport final avant le 15 juillet prochain. Il faut en espérer des propositions constructives ! Notre commission sera particulièrement vigilante pour exiger qu'une solution soit trouvée et que l'intégralité de la LPM soit respectée.

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