Intervention de Jacques Attali

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 25 novembre 2014 : 1ère réunion
Audition de M. Jacques Attali sur son rapport « la francophonie et la francophilie moteurs de croissance durable »

Jacques Attali :

Quelles réformes administratives mener ? De nos jours, tant de personnes sont responsables, que personne ne l'est plus ! La solution idéale serait que le Premier ministre et le Président de la République établissent un programme clair, qui pourrait être emprunté en partie ou en totalité à ce rapport, que l'on se donne deux ans pour le mettre en oeuvre, comme dans une entreprise, et que l'on décide que quelqu'un - si possible un ministre de haut niveau - en ait la charge, avec autorité sur les services pour mettre en oeuvre ces propositions.

Il faut une autorité responsable : aujourd'hui, elle n'existe pas, et n'existera jamais, chacun ayant intérêt à une certaine dilution, pour reprendre la phrase du cardinal de Retz, qui reste un des trois grands principes de la conduite de la vie publique dans ce pays : « Dans la vie publique, comme dans la vie privée, on ne sort de l'ambiguïté qu'à son propre détriment. », les deux autres principes étant : « Après moi, le déluge. », et : « Il n'est pas de problème qu'une absence de solution ne finisse par résoudre. »

Par ailleurs, comment apprendre le français ? Je demeure un grand amoureux de la « Princesse de Clèves », et j'espère que l'on continuera à l'enseigner, car c'est un grand roman que l'on ne doit pas oublier. Cependant, Mme Goy-Chavent a raison : l'enseignement peut être très différent. J'ai eu tort de ne pas citer l'Alliance française, qui joue un rôle très important.

Il m'arrive souvent de citer l'exemple de cette jeune indienne passionnée de français, qui décide un jour d'aller à l'Alliance française de sa ville natale, Chennai, l'ancienne Madras, rencontre un professeur de français qui n'a qu'une passion dans la vie, Enrico Macias, apprend par coeur ses cent cinquante chansons, et devient un peu plus tard américaine, présidente mondiale de PepsiCo, jusqu'à ce qu'elle vienne un soir chez moi, chanter avec Enrico Macias ! Voilà un détour pour apprendre le français qui n'est pas banal !

C'est pourquoi la production de séries françaises - meilleures, je l'espère, que celles que vous avez évoquées - commencent à apparaître. La chaîne, transfuge de Canal Plus, « A + », destinée à l'Afrique, qui va commencer à commander des programmes en français avec une scénographie et une histoire africaine, va sans doute jouer un rôle très important dans ce domaine. Il ne faut pas l'exclure.

Le Centre national d'enseignement à distance (CNED) est un désastre - ses responsables, qui sont des personnes sérieuses, en conviennent -, à la fois à cause de la façon dont on y travaille, et de la façon dont on y enseigne. Le CNED n'a pas franchi le cap de ce qu'on appelle en français la Formation en ligne ouverte à tous (FLOT) : les cours par Internet n'existent pas de façon sophistiquée en français, et mériteraient d'être développés !

Cette envie de français n'est pas le principal problème. Il m'arrive, comme vous, de me promener à travers le monde. La passion de la France, l'admiration pour la France, l'envie de France sont immenses. Cette envie pourrait décliner si nous ne sommes pas capables d'y répondre. Nous refusons aujourd'hui des visas à des étudiants étrangers, qui ne savent même pas où se loger en arrivant à Paris ! À Londres, ou aux Etats-Unis, un étudiant étranger qui arrive à l'aéroport dispose déjà de son logement, de sa carte d'étudiant, de sa carte de bibliothèque, de son assurance. Dans notre pays, alors qu'il maîtrise difficilement notre langue, il ne bénéficie de rien de tout cela, et doit s'adresser à des organismes différents, patienter dans des files d'attente interminables. C'est incroyablement rédhibitoire !

Nous sommes une nation rurale, non une nation portuaire. Nous ne sommes donc pas une nation accueillante. Seules les nations portuaires le sont. Ce n'est que par miracle que nous sommes - paraît-il - le premier pays touristique du monde, même si on sait que les chiffres sont faux. C'est ce qu'il faut changer.

Madame Gillot, vous avez évoqué le Kazakhstan. C'est un pays parmi d'autres où la demande de France est très importante, pour des raisons géostratégiques. Il est situé entre la Russie et la Chine, et ne souhaite pas dépendre de la Russie, comme l'Ukraine. Il ne désire pas non plus dépendre de la Chine, ou des seuls Etats-Unis. Nous arrivons donc à point nommé. C'est également une demande de l'Arménie ou d'autres pays du globe.

La demande de France s'explique par le désir d'aller vers une grande puissance, mais non vers une très grande puissance, qui peut créer les conditions d'une dépendance. Nous avons donc tout pour cela. L'envie de France existe ; ce qui n'existe pas, c'est la capacité à créer les conditions pour satisfaire cette envie !

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