Intervention de Jacques Legendre

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 25 novembre 2014 : 1ère réunion
Audition de M. Jacques Attali sur son rapport « la francophonie et la francophilie moteurs de croissance durable »

Photo de Jacques LegendreJacques Legendre :

C'est avec grand plaisir que nous écoutons M. Attali nous dire qu'il n'entre pas dans ce présupposé merveilleux selon lequel nous serions en marche vers les 700 millions de francophones ! Certes, la population africaine se développe, mais si ses systèmes éducatifs demeurent en l'état, l'Afrique ne comptera jamais 700 millions de francophones ! Il faut le préciser, car notre responsabilité est pour partie engagée. Je vous remercie donc de le souligner.

Vous avez soulevé beaucoup de problèmes, et vous nous donnez d'ailleurs une sorte de leçon : on connaît l'éternelle légèreté française qui consiste à ne pas prendre au sérieux des sujets qui sont parmi les plus graves. Pour un homme politique, parler de francophonie est redoutable : on passe pour un « ringard », un colonialiste « attardé », et on n'a pas l'impression de se projeter dans l'avenir !

Vous avez insisté sur la nécessité de vivre en français en France : vous avez raison. Cela relève de l'enseignement du français et de la maîtrise par les jeunes de notre langue dans certains secteurs désavantagés ou difficiles. Il existe cependant également des Français qui ne peuvent plus utiliser leur langue, en France, sur leur lieu de travail. Cette situation se développe, certaines entreprises ayant décidé, en France, de faire de l'anglais la langue véhiculaire de leur société. Cela peut même être un moyen de sélection des dirigeants ! Trouvez-vous cela normal ? Que peut-on faire pour rappeler qu'en France, la langue nationale et la langue d'usage restent bien le français ?

Par ailleurs, vous avez appelé de vos voeux le développement de groupes privés d'écoles françaises. L'Etat ne peut tout faire, vous avez raison, et ce recours peut être utile. Certains de ces groupes se développent déjà : j'en ai un très bel exemple dans ma région, le Nord-Pas-de-Calais, où une très grande école de commerce privée est en train d'essaimer dans le monde entier. Bien qu'elle soit installée à Lille, elle a décidé que la langue d'enseignement serait l'anglais !

Je le conçois pour des étudiants étrangers, à qui il peut être utile de dispenser un enseignement sans barrière de langue, dans la langue qu'ils maîtrisent déjà - en espérant qu'ils maîtriseront aussi le français -, mais tout de même ! Cette tendance se développe de plus en plus.

Lors de l'examen de la loi relative à l'enseignement supérieur et à la recherche, dite loi Fioraso, on a essayé, vaille que vaille, d'encadrer le recours à une langue autre que le français dans l'enseignement supérieur.

Il faut être conscient des conséquences que cela peut avoir sur les étudiants africains. Je revois cette jeune étudiante nigérienne, particulièrement brillante, venue étudier dans une grande université française, qui s'est vue imposer des cours d'économie en langue anglaise ! Elle m'a confié qu'elle ignorait, lorsqu'elle a choisi de suivre sa scolarité en français au Niger, que sa difficulté, une fois à Paris, serait de maîtriser suffisamment l'anglais pour suivre les cours d'une université française.

Cela pose, pour les pays africains, le problème de savoir s'ils doivent continuer à garder le français comme langue d'accès à la modernité, ou s'ils doivent passer à une autre langue. Il est clair que la connaissance de deux langues, comme le français et l'anglais, est nécessaire dans un certain nombre de pays, mais que peut-on faire pour avoir, en France, une politique cohérente, et cesser de traiter trop légèrement un sujet qui engage l'avenir ?

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