Intervention de Philippe Errera

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 22 octobre 2014 : 1ère réunion
Loi de finances pour 2015 — Mission « défense » programme « environnement et prospective de la politique » - Audition de M. Philippe Errera directeur des affaires stratégiques du ministère de la défense

Philippe Errera, directeur des affaires stratégiques au ministère de la défense :

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les sénateurs, c'est toujours un privilège pour le directeur chargé des affaires stratégiques (DAS) de s'exprimer devant votre commission, en particulier dans le cadre de ses fonctions de responsable du programme 144 « Environnement et prospective de la politique de défense ». Ce programme, comme vous le savez, traduit en termes d'organisation budgétaire toute l'importance donnée à la fonction stratégique « connaissance et anticipation ».

Quelles sont les priorités fixées par le Livre blanc de 2013, s'agissant notamment de la fonction « connaissance et anticipation », et par la LPM ? Comme le souligne le Livre blanc, « la fonction connaissance et anticipation a une importance particulière parce qu'une capacité d'appréciation autonome des situations est la condition de décisions libres et souveraines ». Cette fonction stratégique recouvre notamment le renseignement et la prospective, soit les deux grandes missions du programme 144.

La LPM accorde des crédits élevés à ces deux missions, en particulier pour les études amont et le renforcement des services de renseignement dépendant du programme 144, la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) et la direction de la protection et de la sécurité de la défense (DPSD).

En ce qui concerne la prospective, la LPM permet le maintien d'un effort substantiel en matière de recherche et technologie à travers les ressources consacrées aux études amont, dotées en moyenne de 730 millions d'euros par an sur la période 2014-2019. Ces ressources traduisent notre volonté de garantir l'effort de recherche et de consolider la base industrielle et technologique de défense française. Le Gouvernement entend ainsi maintenir à un niveau élevé les moyens dévolus à la maîtrise des capacités technologiques et industrielles, qui constituent l'un des fondements essentiels de notre autonomie stratégique.

Ensuite, pour le renseignement, la LPM affiche également la priorité donnée aux moyens du développement de nos capacités de recueil, de traitement et de diffusion du renseignement.

Cette priorité se traduit également par un renforcement des moyens et des crédits affectés au programme 146 « Equipement des forces », tels que les drones, et au programme 178 « Préparation et emploi des forces », pour la direction du renseignement militaire (DRM).

Au-delà de l'architecture budgétaire, un effort d'investissement majeur est requis dans plusieurs domaines, en particulier pour le renforcement des ressources humaines des services de renseignement, l'amélioration des capacités techniques de recueil et l'accroissement des moyens d'exploitation et d'analyse. Les capacités de maîtrise et de traitement de l'information sont ainsi développées et les effectifs renforcés, en termes quantitatifs mais aussi qualitatifs, puisque le niveau de compétence des agents est ajusté aux besoins induits par la mise en oeuvre de ces équipements et l'analyse de flux d'informations accrus.

Malgré le contexte de contraintes budgétaires, les priorités du ministère ont été préservées en matière de connaissance et d'anticipation : le programme 144, cette année, en témoigne.

Je voudrais à présent résumer les grandes masses financières du programme 144 inscrites au PLF 2015.

L'effort est maintenu pour 2015. Le titre 2 étant transféré au programme 212, le programme 144 se voit doté, en crédits hors titre 2, de 1 350 millions d'euros en autorisation d'engagement (AE) et de près de 1 334 millions d'euros en crédits de paiement (CP), soit une augmentation de 1,28 % et de 0,08 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2014.

Le programme 144 se compose de trois actions : l'action 3 consacrée à la recherche et à l'exploitation du renseignement intéressant la sécurité de la France, l'action 7 consacrée à la prospective de défense, et l'action 8 consacrée aux relations internationales et à la diplomatie de défense.

En ce qui concerne l'action 3, les crédits s'élèvent, en AE, à 280,6 millions d'euros, et en CP, à 268,4 millions d'euros soit, respectivement, 20,8 % et 20,1 % des crédits du programme 144. Cette action se décompose en deux sous-actions :

- l'action 3-1, d'une part, qui concerne le renseignement extérieur et qui reçoit les dotations suivantes : 270 millions d'euros en AE, et 257,7 millions d'euros en CP ;

- l'action 3-2, d'autre part, qui concerne le renseignement de sécurité et de défense, est dotée de 10,7 millions d'euros en AE et en CP.

S'agissant de l'action 7, consacrée à la prospective de défense, les crédits s'élèvent, en AE, à 1 034 millions d'euros et, en CP, à 1 030 millions d'euros, soit respectivement 76,6 % et 77,2 % des crédits du programme 144. Cette action se décompose en quatre sous-actions :

- l'action 7-1, consacrée à l'analyse stratégique - 6 millions d'euros d'AE et de CP - et destinée plus spécifiquement aux études prospectives et stratégiques commandées à des instituts de recherche ;

- l'action 7-2 qui concerne la prospective des systèmes de forces - 20,8 millions d'euros d'AE et de CP - et concrètement la conduite des études opérationnelles et technico-opérationnelles pilotées par l'état-major des armées ;

- l'action 7-3 consacrée aux études amont qui reçoit 742,9 millions d'euros en AE et 738,9 millions d'euros en CP. Ces crédits ne sont plus répartis par systèmes de force mais, désormais, par domaines sectoriels ;

- l'action 7-4, consacrée à la gestion des moyens et subventions - 264,2 millions d'euros d'AE et de CP - qui recouvre les subventions octroyées aux opérateurs participant à des études et des recherches en matière de défense, à l'instar de l'ONERA.

Enfin, l'action 8, consacrée aux relations internationales et à la diplomatie de défense, a évolué dans son périmètre et dans son libellé, au gré des réformes en cours de la fonction « relations internationales ». Ses crédits sont de 35,4 millions d'euros en AE et CP, soit respectivement 2,6 % et 2,7 % des crédits du programme 144. Ils correspondent aux crédits des actions de coopération et d'influence internationales ainsi qu'aux crédits d'activité de la nouvelle DGRIS.

Je souhaite revenir plus en détail sur deux sujets importants, qui relèvent du programme 144, à savoir les études amont et la recherche stratégique, cette dernière relevant directement de la responsabilité de la DAS.

Premièrement, les études amont sont essentielles à la maîtrise des compétences industrielles et technologiques nécessaires à la réalisation des opérations d'armement. Les études amont sont des recherches et études appliquées, attachées à la satisfaction d'un besoin militaire prévisible et qui contribuent à constituer, maîtriser, entretenir ou développer la base industrielle et technologique de défense (BITD) et l'expertise technique étatique nécessaires à la réalisation des opérations d'armement.

Un triple objectif est poursuivi : élaborer, d'une part, des technologies nécessaires au développement et à l'évolution des systèmes pour lesquels une autonomie nationale totale ou partielle est requise ; disposer, d'autre part, des compétences industrielles et étatiques permettant de réaliser les programmes futurs, dans un cadre national ou en coopération ; enfin, susciter et accompagner l'innovation dans les domaines intéressant la défense, au moyen de dispositifs de recherche coordonnés avec l'agence nationale pour la recherche (ANR) ou favorisant la compétitivité et l'accès au marché de la défense des PME/PMI et les entreprises de taille intermédiaire, en lien avec la direction générale des entreprises.

Une nouvelle gouvernance des études amont est conduite depuis cette année : cette gouvernance est désormais fondée sur une segmentation de la recherche scientifique et technologique par agrégats sectoriels présentant une cohérence en termes d'objectifs capacitaires, industriels et technologiques, détaillés dans le document d'orientation 2014-2019 de la Science et Technologie (DOST), fruit d'un important travail collectif au sein du ministère, piloté par la DGA. Le budget des études amont a été renforcé d'environ 100 millions d'euros en 2013 et il s'est ensuite maintenu à ce niveau. Au-delà du maintien, il convient de souligner l'effort sans précédent réalisé depuis 2012 et qui s'élève à près de 17 %.

Dans le cadre contraint qui est le sien, la LPM maintient un effort substantiel de recherche et technologie à travers les ressources consacrées aux études amont, lesquelles seront de 730 millions d'euros par an en moyenne sur la période 2014-2019 ; ce budget est sanctuarisé.

Ces efforts financiers bénéficieront en particulier à plusieurs domaines comme la préparation du renouvellement des deux composantes de la dissuasion, la conception des futurs aéronefs de combat en coopération franco-britannique (programme FCAS DP) et la préparation des évolutions de l'avion Rafale, la rationalisation de l'industrie franco-britannique des systèmes de missiles, la montée en puissance de la cybersécurité, ainsi qu'à la coopération avec la recherche civile, notamment le soutien aux PME-PMI-ETI innovantes au moyen des dispositifs du Pacte-défense PME.

Voici quelques thématiques d'études amont, qui ont des retombées sur le secteur civil, actuellement conduites : le domaine aéronautique, les avions et drones de combat, les hélicoptères ainsi que les avions de transport. Les enjeux principaux sont la préparation du système de combat aérien futur ainsi que celle des prochains standards du Rafale et du Tigre. On peut aussi mentionner le démonstrateur technologique de drone de combat aérien NEURON et le projet de démonstration du système de combat aérien futur DEMON.

Les études du domaine de l'information et du renseignement portent en particulier sur les technologies de recueil et de traitement des images, de guerre électronique, d'exploitation et de traitement des données de renseignement, ainsi que sur les technologies relatives aux moyens de communication. L'étude en cours sur le démonstrateur spatial du programme ELINT en fournit un exemple pertinent.

Les études du domaine naval visent à préparer les futurs systèmes navals et les évolutions majeures des plateformes en service. Le domaine recouvre aussi les études relatives à la lutte sous la mer et au-dessus de la surface, ainsi que celles relatives à la survivabilité des bâtiments. Le démonstrateur SLAMF/ESPADON a pour objet de valider un concept d'emploi d'un drone de surface et de robots sous-marins pour la détection de mines.

Les études du domaine terrestre concernent essentiellement l'architecture et les capteurs des futurs systèmes complexes, leur fonctionnement en réseau, la protection du combattant et des véhicules, ainsi que les munitions. On peut citer, en guise d'illustration, le projet pour l'étude du futur système de combat de contact (MGCS) conduite en coopération avec l'Allemagne.

Le domaine innovation et technologies transverses a vocation à renforcer les synergies autour des technologies duales et à participer au financement des projets innovants des PME ou des laboratoires de recherche académique. Par ailleurs, le domaine couvre les expérimentations de technologies ou de produits existants, en conditions représentatives d'une utilisation militaire, à l'instar des travaux sur les composants en nitrure de gallium qui visent à développer et pérenniser une source européenne de composants hyperfréquence ultraperformants.

Enfin, le ministère de la défense fait traditionnellement appel à une recherche stratégique externalisée, par le canal des instituts de recherche, afin de répondre aux besoins d'expertise des différents organismes du ministère. Les champs d'investigation de ces études portent sur les domaines politico-militaires, géopolitiques, économiques et sociaux. Ces études permettent également de conduire des veilles thématiques ou géographiques, d'organiser des séminaires fermés ou publics, ou encore de solliciter une expertise étrangère.

A ce titre, après la réforme de gestion conduite en 2009, qui avait contribué à la mise en place d'un meilleur « suivi qualité », à la valorisation des productions ainsi qu'à l'amélioration du dialogue de gestion interne, le dispositif de soutien à la recherche stratégique mis en oeuvre par la DAS sera révisé en profondeur en 2015. Cette évolution répond au constat fait par le Livre blanc de 2013 sur la fragilité structurelle croissante du champ de la recherche stratégique national. A cette fin, les contrats d'études seront réorientés au profit de contrats pluriannuels plus spécialisés, permettant un investissement financier moyen plus important de l'ordre de quelques centaines de milliers d'euros par an et par contrat, contre 50 000 en moyenne pour les contrats actuels, afin de gagner en efficacité dans les domaines jugés prioritaires.

Cette nouvelle politique s'accompagnera de la mise en oeuvre d'un partenariat fort avec le champ universitaire, comme cela a été acté par le ministre en mai dernier. Ce partenariat devrait se traduire par l'élaboration d'une cartographie des pôles d'expertise universitaires et conduire au développement de la connaissance mutuelle des domaines d'expertise et des dispositifs de financement. Il devrait par ailleurs aboutir à la création de mesures spécifiques de soutien de filières d'expertise, comme le financement d'allocations postdoctorales et la création de chaires spécialisées. La France est en effet profondément handicapée par l'inexistence d'une filière « relations internationales » comme d'une filière « défense et stratégie » dans son système universitaire, contrairement à la situation constatée chez nos principaux partenaires.

Pour finir, il me semble important de vous présenter un état des lieux de la réforme de la gouvernance de la fonction « relations internationales et stratégie » du ministère de la défense, qui se traduit principalement par la création de la direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS). En 2013, le ministre de la défense a décidé, afin de garantir une meilleure cohérence des composantes de l'action internationale du ministère de la défense et d'en supprimer les doublons, de créer une direction générale d'administration centrale chargée de piloter l'action internationale et les affaires stratégiques du ministère de la défense.

La DGRIS sera constituée à partir de l'actuelle délégation aux affaires stratégiques (DAS) du ministère, à laquelle elle se substitue, ainsi que d'éléments transférés de l'état-major des armées (EMA), de la direction générale de l'armement (DGA) et, dans une moindre mesure, du secrétariat général pour l'administration (SGA).

Le chef d'état-major des armées (CEMA) et le délégué général pour l'armement (DGA) conserveront chacun sous leur autorité hiérarchique les équipes spécialisées leur permettant de réaliser le volet international de leur mission qui n'est pas détachable de leurs attributions. Il s'agit, pour le DGA, des activités internationales ayant un impact direct sur la conduite des coopérations en matière d'armement et du soutien aux exportations d'armement (SOUTEX) et, pour le CEMA, de la coopération internationale liée à l'activité opérationnelle des forces et à la garantie de leur sécurité.

Les missions et l'organisation de la DGRIS ont été définies au premier semestre de cette année, après un processus d'audit fonctionnel et en étroite coordination avec l'EMA et la DGA. Elles ont été validées lors d'un comité exécutif ministériel présidé par le ministre le 3 avril 2014. Un comité de pilotage suit ainsi les modalités de la mise en oeuvre de la réforme dans toutes ses dimensions pratiques.

Présenté aux instances de concertation internes du ministère le 29 septembre dernier, le projet de décret portant organisation de la future DGRIS est actuellement à Matignon. La création de la DGRIS doit ainsi permettre de doter le ministère de la défense d'un outil assurant la cohérence de son action en matière internationale, dans le cadre des décisions et orientations fixées par le ministre en matière internationale.

Cette future direction générale se verra dotée de compétences dépassant le strict champ des relations internationales, puisqu'elle pilotera également les travaux de prospective stratégique et coordonnera les travaux nécessaires à la préparation du Livre blanc et à son actualisation régulière.

Aux termes du projet de décret, ses missions seraient les suivantes :

- premièrement, piloter et coordonner l'action internationale du ministère en matière de relations bilatérales avec les Etats étrangers, valider les plans de coopération et en superviser le déroulement ;

- deuxièmement, contribuer à la définition des positions de la France au sein des organisations internationales traitant des questions de défense, coordonner, valider et adresser les instructions du ministre destinées aux représentations militaires et de la défense auprès de ces organisations internationales et de promouvoir les positions françaises ;

- troisièmement, définir la stratégie d'influence internationale du ministère de la défense ;

- quatrièmement, élaborer des études et des propositions en matière de stratégie de défense ;

- cinquièmement, suivre la planification de défense et de veiller, en liaison avec le chef d'état-major des armées, le délégué général pour l'armement et le secrétaire général pour l'administration, à l'articulation entre la stratégie de défense et ses évolutions et la programmation militaire élaborée par le chef d'état-major des armées ;

- sixièmement, piloter et coordonner l'action du ministère dans le domaine de la lutte contre la prolifération, de la maîtrise des armements et du désarmement ;

- septièmement, proposer les orientations en matière de contrôle des exportations de matériels de guerre et assimilés et de biens à double usage et coordonner les travaux du ministère dans ce domaine ;

- huitièmement et enfin, représenter le ministère auprès des autres départements ministériels pour les questions touchant à l'action internationale de défense, à l'exception des activités opérationnelles, de la conduite des coopérations en matière d'armement et du soutien aux opérations d'exportation.

Je pourrai, si vous le souhaitez, revenir devant votre commission vous présenter cette future direction générale dès qu'elle sera opérationnelle.

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