Intervention de Fabienne Keller

Réunion du 10 février 2015 à 21h30
Transition énergétique — Discussion générale

Photo de Fabienne KellerFabienne Keller :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il est des politiques publiques dont les enjeux sont plus faciles à circonscrire que d’autres, des politiques publiques pour lesquelles le législateur distingue la ligne d’horizon.

La politique publique dite de « transition énergétique » est assurément de ce type. Un défi majeur l’attend. Ce défi dont tous les autres procèdent, c’est celui de la « décarbonisation » de notre société.

Pourquoi ce défi et pas un autre ? Trois considérations doivent emporter notre décision.

Décarboner, d’autres l’ont dit avant moi, c’est répondre à l’urgence du changement climatique auquel les émissions de C02 contribuent.

Décarboner, c’est aussi limiter le recours aux énergies fossiles que nous importons en intégralité pour une facture considérable de plusieurs dizaines de milliards d’euros.

Décarboner, c’est enfin s’émanciper des incertitudes géopolitiques et des préoccupations liées à l’accessibilité des matières premières.

Malheureusement, le projet de loi que nous examinons aujourd’hui ignore ce besoin de recentrer l’action publique autour de ce simple et pourtant indépassable défi de la « décarbonisation ». Au lieu de cela, le texte du Gouvernement déploie cette politique publique en lui attribuant sept fonctions, huit outils et sept objectifs chiffrés : autant de vœux pieux !

En procédant ainsi, on rend la loi illisible pour nos concitoyens, on les inonde d’informations, puis d’objectifs, parfois difficilement conciliables ; enfin, on les déresponsabilise. Ce n’est pas de cette manière que l’on suscite leur adhésion, au contraire. Ce sont d’objectifs clairs qu’ont besoin nos concitoyens, d’objectifs vérifiables.

Pour cette raison, je tiens à saluer le travail de nos rapporteurs, qui ont dû s’emparer d’un article 1er symbole d’une loi que beaucoup qualifient de « loi bavarde ». Je pense en particulier à l’amendement du rapporteur Ladislas Poniatowski sur les objectifs chiffrés de la politique énergétique, amendement qui tend à placer la réduction des gaz à effet de serre comme clef de voûte de notre politique énergétique. Voilà qui est de nature à donner du sens à l’action publique !

Il eût été en effet beaucoup plus simple, madame la ministre, de construire ces objectifs autour des engagements européens de la France, engagements posés à l’occasion de l’examen du paquet énergie-climat pour 2030 et qui reprennent, tout en les actualisant, ceux du paquet énergie-climat pour 2020, qui avait été adopté en 2008. Ces engagements se déclinent autour de deux objectifs contraignants : la réduction des gaz à effet de serre à hauteur de 40 % et l’augmentation de la part des énergies renouvelables à hauteur de 27 %. Ces objectifs se suffisent à eux-mêmes.

Pour cette raison encore, je souscris à la logique qui a conduit le rapporteur pour avis, Louis Nègre, à rappeler que l’objectif principal de notre politique énergétique s’intègre clairement aux « engagements pris dans le cadre de l’Union européenne ». Malgré cet objectif simple, le Gouvernement a préféré l’inflation législative et l’effet d’annonce des 50 % de nucléaire à l’horizon de 2025.

À ce sujet, je voudrais d’abord évoquer la légèreté qui a présidé à l’inscription de cet objectif en tête du code de l’énergie. Sur quelles bases macroéconomiques le Gouvernement a-t-il fondé sa décision ? Sur quels scenarii de croissance d’ici aux années 2030 ? Quelle croissance démographique est-elle retenue ? Quid de notre production industrielle ?

Dans l’étude d’impact, deux tableaux nous sont sobrement présentés : il y a d’abord le scénario de « référence », un scénario au fil de l’eau ; il y a ensuite le « scénario de transition énergétique », qui tend à prouver qu’il nous sera possible de passer de 73 % à 50 % de nucléaire tout en diminuant par près de deux nos émissions de CO2, et tout cela dans un contexte de croissance économique.

Là encore, le Gouvernement ne fournit pas d’explication sur les liens de causalité entre chaque phénomène que sont, je le rappelle, la croissance économique, la consommation énergétique, la répartition entre consommation fossile et électrique et, enfin, les émissions de CO2. Comment le Gouvernement évalue-t-il nos besoins énergétiques à l’horizon de 2030 ? On ne le sait pas ! On nous annonce simplement une baisse de la consommation d’énergie fossile de 33 %. Viendra-t-elle du logement ou des transports ? Nous ne disposons d’aucun élément à ce sujet.

Par ailleurs, un troisième scénario aurait dû être étudié au vu de la récente et forte baisse des cours du pétrole. Aucune disposition du texte ne traite des conséquences de cette baisse.

Autre question : l’électricité va-t-elle gagner du terrain sur les produits pétroliers et le gaz ? Si oui, dans quelle mesure ? Aucune référence à cette éventuelle substitution des énergies fossiles par l’électricité n’est mentionnée, lacune étonnante pour un projet de loi de transition énergétique et son étude d’impact.

Enfin, et je serais tentée de dire, bien sûr, on ne trouve aucune référence aux pics de consommation dont la hausse structurelle aurait dû être prise en compte et faire l’objet d’un travail ciblé. Vous n’évoquez pas la fragilité de notre système de transport d’électricité.

Quant au défi principal des énergies renouvelables, leur caractère intermittent mérite de vraies réponses sur leur intégration dans notre bouquet énergétique.

Toujours en matière de bouquet énergétique, il est étonnant de constater que le tableau dit « scénario de transition énergétique » mentionne une production électrique d’origine nucléaire de 29 millions de tonnes équivalent pétrole en 2020, son niveau actuel, pour descendre brutalement à 20 millions de TEP en 2030. Dans ces conditions, la promesse de 50 % de nucléaire semble s’éloigner, y compris aux yeux de ceux qui ont écrit l’étude d’impact.

Pour conclure sur cette étude d’impact, comment ne pas s’interroger sur l’absence d’évaluation financière du titre Ier ? Quel est le coût de ces 45 % d’énergies renouvelables dans le mix énergétique ? Selon l’étude d’impact, il est nul, car celle-ci prévoit que la facture énergétique avoisinera toujours les 6, 8 % du revenu des ménages ; réponse non étayée que j’ai personnellement du mal à croire.

Là encore, le projet de loi est une occasion ratée de faire toute la lumière sur le coût réel de la transition énergétique. En effet, le développement des énergies renouvelables, des capacités de stockage, des dispositifs d’effacement, de nos réseaux de transport et de distribution, sans oublier le coût du démantèlement des centrales nucléaires doivent être évalués, car nous souhaitons tous prendre ce chemin de la transition énergétique, non de manière incantatoire, mais en se donnant les moyens de faire face aux charges financières afférentes.

En matière d’approximations financières, le Gouvernement a donc récidivé après le feuilleton de l’écotaxe. Ma collègue Marie-Hélène Des Esgaulx avait alors dénoncé avec justesse le caractère arbitraire et irrégulier de la décision visant à suspendre sa mise en place.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion