La séance, suspendue à dix-neuf heures vingt-cinq, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de M. Claude Bérit-Débat.
La séance est reprise.
Nous poursuivons la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la transition énergétique pour la croissance verte.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. René Danesi.
Monsieur le président, madame la ministre, madame, monsieur les présidents de commission, monsieur le rapporteur, messieurs les rapporteurs pour avis, mes chers collègues, ce projet de loi sur la transition énergétique vise à graver dans le marbre des objectifs qui relèvent plus de l’acte de foi que du réalisme. Cela est particulièrement vrai pour la part du nucléaire dans la production d’énergie électrique.
En effet, le projet de loi initial prévoit dans l’article 1er de « réduire la part du nucléaire dans la production d’électricité à 50 % à l’horizon 2025 », et dans l’article 55 de plafonner la capacité de la production d’électricité d’origine nucléaire à 63, 2 gigawatts.
Ces objectifs gouvernementaux sont irréalistes. Le volume de la consommation électrique dépend d’un ensemble de facteurs et, en premier lieu, de la croissance économique, qu’il serait suicidaire de vouloir brider de facto.
Étrange idée également que de vouloir plafonner la capacité de production d’électricité d’origine nucléaire à son niveau actuel, c’est-à-dire de fermer en 2017 au moins deux réacteurs en parfait état de marche, au simple motif de la mise en service de l’EPR de Flamanville.
Ces objectifs sont surtout dangereux pour notre économie, et pour la qualité de vie de nos concitoyens.
Défendre lesdits objectifs, c’est ignorer que le nucléaire assure la base de notre production électrique, soit 77 % de la production en 2013, et que l’hydraulique et les centrales thermiques ne font que l’appoint.
C’est ignorer que cette production électrique est la moins chère d’Europe, à raison de 54, 4 euros par mégawatt selon la Cour des comptes, ce qui donne un avantage compétitif aux entreprises françaises – et c’est bien le seul que l’État leur donne actuellement.
C’est ignorer le poids des entreprises françaises, telles Areva et EDF, dans le secteur nucléaire mondial.
C’est ignorer que le plafonnement de la production électrique supprimerait des milliers d’emplois dans les territoires concernés par l’arrêt des réacteurs.
C’est ignorer que l’objectif de réduction de 40 % des gaz à effet de serre est contradictoire avec la réduction de la part du nucléaire, dont le bilan carbone est nul.
C’est ignorer, enfin, que les autres formes de production d’électricité, dites « renouvelables », ne sont pas en mesure de remplacer rapidement le nucléaire dans les délais fixés. Un tel « mix énergétique » est d’ailleurs infaisable sans investissements massifs sur le réseau de transport de l’électricité, …
… avec la création de lignes de 400 000 volts, ce qui nous promet des occupations de zones à défendre par les Zadistes.
Élu Alsacien, j’en viens plus précisément au problème de la centrale de Fessenheim, qui illustre parfaitement les problèmes posés par une promesse électorale hâtive.
De quoi accuse-t-on la centrale de Fessenheim ? D’être la plus âgée ! Certes, elle a été raccordée au réseau en 1977. Mais elle est parfaitement entretenue et sa sûreté n’est absolument pas en cause : 400 millions d’euros viennent d’y être investis à cet effet. Elle répond parfaitement aux exigences post-Fukushima, et elle a obtenu en 2013, de la part de l’Autorité de sûreté nucléaire, une nouvelle autorisation décennale d’exploitation.
Vouloir fermer cette centrale, c’est oublier qu’EDF n’en est pas la seule propriétaire, et qu’elle doit partager la production d’électricité avec trois compagnies privées suisses – en l’occurrence Alpiq, Axpo et BKW – et avec la compagnie allemande EnBW, propriété du Land de Bade-Wurtemberg. L’indemnisation de ces quatre compagnies, dont le droit de tirage sur la production d’électricité de Fessenheim est de 32, 5 %, est chiffrée à 1, 5 milliard d’euros. On n’en parle jamais !
Et c’est bien évidemment oublier qu’il n’y a pas de solution de remplacement valable pour alimenter l’Alsace en électricité, avec une réelle garantie de fiabilité.
Nos commissions nous proposent un texte heureusement amendé qui relève le plafond des capacités de production électrique nucléaire à 64, 85 gigawatts, qui conditionne l’objectif de réduction de 50 % du nucléaire dans la production d’électricité au maintien de l’indépendance énergétique de la France, au maintien d’un prix compétitif de l’électricité, et à l’absence d’augmentation des émissions de gaz à effet de serre, comme c’est actuellement le cas en Allemagne, devenue grande consommatrice de charbon et de lignite.
En conclusion, le vert et vertueux projet de loi présenté par le Gouvernement oublie que la fermeture accélérée des centrales nucléaires aura un coût exorbitant. L’Allemagne est en train de le constater. Mais elle peut s’offrir ce changement accéléré. On me permettra de douter que la France, elle, en ait les moyens financiers.
Applaudissements sur les travées de l'UMP. – Mme Annick Billon et M. Daniel Dubois applaudissent également.
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission, madame, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, la commission du développement durable, des infrastructures, de l’aménagement et de l’équipement du territoire a été saisie au fond de plus de la moitié des articles du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte.
Tout d’abord, l’article 1er pose les orientations et les objectifs de la politique énergétique. Nous les partageons globalement, qu’il s’agisse de renforcer l’indépendance énergétique de la France ou de réduire nos émissions de gaz à effet de serre. Les moyens pour y parvenir ont été portés eux-mêmes au rang d’objectifs, à savoir diminuer notre dépendance aux énergies fossiles et augmenter la part des énergies renouvelables dans la production énergétique. Par ailleurs, diminuer la part du nucléaire est un objectif destiné à réduire une production d’énergie à haut risque, surtout lorsqu’elle est entre les mains du marché – faut-il le dire ?
Le projet de loi décline ensuite les moyens à mettre en œuvre afin de répondre à l’urgence climatique. La commission du développement durable a ainsi travaillé sur les propositions relatives aux transports et au développement de formes de mobilité propre, et sur celles qui concernent la qualité de l’air. Elle a examiné le titre IV, relatif à l’économie circulaire et à la politique de gestion des déchets, ainsi que les dispositions ayant trait à la gestion du risque nucléaire, et les mesures en faveur des énergies renouvelables et des territoires à énergie positive.
En premier lieu, le projet de loi comporte des mesures intéressantes dans le secteur des transports, dont nous savons qu’il est le plus fort émetteur de CO2. Nous regrettons cependant la faiblesse normative de certaines dispositions. Ainsi, le chapitre Ier A, qui entend donner la priorité aux modes de transports les moins polluants « encourage » seulement les expérimentations de logistique urbaine afin de réduire les impacts environnementaux en ville des « derniers kilomètres de livraison ». L’article 9 B sur le report modal du transport routier par véhicule individuel reste de l’ordre du déclaratoire.
Le projet de loi entend également renforcer l’efficacité énergétique et les énergies renouvelables dans les transports. L’exemplarité des personnes publiques et des entreprises est à ce titre indispensable. Lors du renouvellement d’un parc de véhicules, la part de véhicules propres doit répondre à un objectif de 50 % pour l’État et ses établissements publics, et de 20 % pour les collectivités territoriales et leurs groupements. C’est une mesure qui a priori va dans le bon sens. Cependant, il faudra tenir compte de la taille et des moyens des collectivités. Dans certaines collectivités, il n’y a qu’un véhicule !
Nous partageons, ensuite, le dispositif de l’article 9 bis qui définit une stratégie nationale pour le développement des véhicules propres et leur alimentation. Il s’agit là de réduire nos importations de pétrole et nos émissions de gaz à effet de serre. La commission du développement durable a inclus dans ce dispositif les questions de diminution de la consommation des véhicules, avec la nécessité d’agir sur les reports modaux. Nous regrettons que ne soient pas abordées la question du fret ferroviaire, celle de la fermeture des lignes secondaires, l’autorisation de circulation des 44 tonnes et les questions d’urbanisme avec l’étalement urbain. Mais nous y reviendrons lors de l’examen du titre III.
Pour conclure provisoirement sur les transports, force est de constater que certaines mesures répondent à des problématiques très urbaines. Je pense en particulier à l’article 9 bis A qui prévoit la mise à disposition gratuite pour les salariés d’une flotte de vélos. Des efforts restent à faire pour que soit assurée sur l’ensemble du territoire, y compris en zone rurale, la mobilité durable, en évitant par exemple d’éloigner les salariés de leur lieu de travail.
En second lieu, concernant la pollution de l’air, et particulièrement l’exposition aux particules, nous partageons les propositions du projet de loi qui renforcent les réglementations. Ainsi, l’article 17 inscrit dans la loi la planification sur la pollution atmosphérique. Nous proposerons d’ailleurs dans ce sens un amendement visant à agir sur l’exposition des travailleurs et des usagers aux particules fines dans les transports.
Enfin, je voudrais aborder le titre IV, qui entend lutter contre les gaspillages et promouvoir l’économie circulaire. La question de la prévention et de la réduction des déchets est au cœur de ce titre. Il est important, selon nous, que l’économie circulaire soit clairement définie comme une économie de proximité, ancrée dans les territoires et garantissant des emplois pérennes. C’est dans ce sens que nous avons défendu le respect du principe de proximité, désormais inscrit dans le projet de loi. Il faut engager des actions sur l’organisation de la production, l’éco-conception, le cycle de vie des produits. L’inscription de la lutte contre l’obsolescence programmée est un premier pas.
S’agissant de la politique de gestion des déchets ménagers et assimilés, il nous faut conforter le service public en ce domaine et faire confiance aux collectivités territoriales, qui mettent en œuvre, en tenant compte de leurs problématiques locales, les projets les plus adaptés à leur territoire.
Pour conclure, sur les articles délégués au fond à la commission du développement durable, madame la ministre, nous partageons globalement les objectifs du projet de transition énergétique et de croissance verte.
Comme vous, nous sommes convaincus qu’il faut agir vite et fort. Pour cela, non seulement la transition énergétique a besoin de financements importants, mais il faut également repenser globalement les échanges économiques et agir pour consommer moins et distribuer mieux afin de répondre à l’urgence sociale et environnementale. Il n’est pas sûr que ce projet de loi réponde à lui seul à ces attentes.
Applaudissements sur les travées du groupe CRC.
M. Alain Bertrand. Monsieur le président, madame la ministre, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, tout a déjà été dit, ou presque… Ce projet de loi est très bon, excellent même – surtout dans ses ambitions !
Sourires.
Mettre en place un nouveau modèle énergétique français, plus diversifié, plus équilibré, plus sûr et plus participatif, créateur de richesses, d’emplois durables et de progrès, voilà assurément une bonne perspective, nécessaire à notre pays ; j’en accepte volontiers l’augure.
À titre personnel, je dois dire que je n’ai jamais cru au Grenelle de l’environnement. Je me suis, bien sûr, félicité des intentions exprimées dans ce cadre ; seulement, sur les centaines de mesures annoncées, il y en avait deux tout au plus qui étaient financées… Comme disait mon excellent ami Georges Frêche, recevant à Montpellier le non moins excellent M. Borloo : Borloo, il promet beaucoup, mais il donne peu ! §En tout cas, il faut éviter cet écueil.
Heureusement, madame la ministre, vous avez eu le souci louable de fournir aux territoires une boîte à outils, contenant plusieurs mesures et des appels à projets. Voilà qui change considérablement du Grenelle de l’environnement !
Reste que ce projet de loi est trop technique. Il faut s’imaginer qu’on s’adresse aux élus, et même à tous les Français, qui, en théorie, devraient l’adopter. Or il comprend un très grand nombre d’articles, traitant de sujets aussi complexes que le développement des énergies renouvelables, la promotion de la mobilité durable, l’économie circulaire, la lutte contre la précarité énergétique et la rénovation thermique. Cette complexité, je la regrette, même si je sais qu’il est très difficile de l’éviter. Le fait est que le projet de loi est technique et lourd, en plus d’être gigantesque.
M. Alain Bertrand. En vérité, connaissez-vous un Français, exception faite des passionnés, de nos collègues du groupe écologiste et de certains autres parlementaires, qui le lira entièrement ?
Sourires.
M. Alain Bertrand. J’oubliais, il est vrai, M. Courteau et les Audois : après avoir bu un excellent Corbières, ils pourraient arriver à le lire !
Nouveaux sourires.
Je rêvais, moi, d’un projet de loi qui simplifie les procédures, tout en fixant un cadre financier plus précis pour les décideurs, citoyens, entreprises et collectivités territoriales. Sur le terrain, nous avons des idées ! Seulement, un cadre financier est nécessaire à leur développement.
J’ai vu que les appels à projets avaient suscité de nombreuses réponses, par exemple dans les domaines de la méthanisation, de l’éolien et du photovoltaïque, mais aussi de la petite hydroélectricité. Moi qui suis président de fédération de pêche, je suis favorable à une génération nouvelle de petite hydroélectricité, sans nuisances et acceptable.
Je le répète : le projet de loi manque de précision et de clarté.
Si certaines dispositions, comme l’extension de l’expérimentation ou l’autorisation unique dans le domaine énergétique, vont dans le bon sens, l’ensemble du cadre administratif et réglementaire reste trop lourd, parfois trop contraignant, toujours trop compliqué, pour les entreprises et pour les collectivités territoriales, donc pour les citoyens.
Voilà dix ans que, en Lozère, j’essaie de développer un parc d’éoliennes participatif. Tout le monde conteste, manifeste : bref, c’est un foutoir complet !
J’avais pensé : je trouverai dans le projet de loi de Mme Royal les réponses dont j’ai besoin. Or je ne vois rien, à l’article 38 bis du projet de loi, qui me permette d’espérer que mon parc éolien participatif verra le jour !
En ce qui concerne la méthanisation, le projet de loi se borne à ajouter un article au code de l’environnement. En Lozère, un article est paru sur ce sujet : aussitôt, 250 manifestations se sont produites, alors que personne ne sait ce qu’est la méthanisation ! §En Allemagne, pourtant, …
M. Alain Bertrand. … cette technique est utilisée partout : toutes les fermes neuves disposent d’une cloche à méthanisation, et aussi de panneaux photovoltaïques. Or les Allemands et les autres Européens, ce sont des gens comme nous !
Rires.
Je crois donc, madame la ministre, qu’on peut encore apporter du « punch » à votre projet de loi.
Je suis attaché au problème de la cogénération car, à Mende, nous disposons d’un réseau de cogénération biomasse qui est, je crois, le plus grand de France. Or, sur ce sujet aussi, le projet de loi reste un peu vague, même si le texte de la commission prévoit un plan stratégique national destiné notamment à « développer des synergies avec la production électrique par le déploiement et l’optimisation de la cogénération à haut rendement ». Dans quelles proportions, à quel coût, avec quelles aides ? Toutes précisions qui manquent, même si nous savons que, outre l’État, de nombreux acteurs peuvent collaborer : l’Union européenne, l’ADEME et les régions.
Je crois que les territoires et les collectivités territoriales ont de fait un rôle fondamental de moteur à jouer dans la mise en œuvre de la transition énergétique. De ce point de vue, madame la ministre, on peut dire que vos appels à projets visent le cœur du sujet.
Tous les maires savent d’expérience que les bâtiments communaux comme les écoles, les centres sociaux, les édifices institutionnels ou les gymnases et méga-gymnases sont de véritables passoires thermiques.
Si leur rénovation était financée, ou si du moins on engageait un processus permettant aux élus, notamment aux présidents de communauté de communes, d’entrevoir les modalités d’un cofinancement de ce chantier, nous savons tous qu’une étape importante serait franchie, car là réside la première source d’économies énergétiques pour notre pays.
Cet exemple illustre, à mon sens, la nécessité d’une vraie stratégie financière. Je sais bien, madame la ministre, que les temps sont difficiles ; mais il faut savoir s’il s’agit d’une priorité ou non. Je crois que c’en est une pour vous, et que vous avez l’oreille du Premier ministre et du Président de la République.
Bien que le projet de loi soit bon, il manque, sur ce sujet comme sur d’autres, de pragmatisme et de bon sens. Le pragmatisme et le bon sens sont pourtant la clé de la compréhension des mesures par les élus et par les citoyens. Or, si elles sont comprises, elles susciteront un effet d’entraînement politique, qui se répandra dans tout le pays.
Prévoir, planifier au niveau local, aider financièrement, favoriser les mesures de bon sens et fixer des objectifs clairs par moyens de production : tels sont les principes que nous devons avoir à l’esprit.
Quand un élu sollicite le préfet ou le directeur régional de l’environnement, de l’aménagement et du logement au sujet d’un projet de développement éolien, il s’entend répondre : mon pauvre, le schéma régional de développement éolien ne prévoit rien de tel ! Sans compter que la moitié des élus du département sont contre le projet pour satisfaire leur électorat. Et puis, il en va de ces projets comme des autoroutes : il suffit que le tracé passe par le terrain du cousin d’un conseiller municipal pour que tout soit bloqué !
Madame la ministre, vous auriez dû fixer des objectifs de production par secteur : tant pour la méthanisation, tant pour l’éolien et tant pour la petite hydroélectricité. Ainsi, vous auriez favorisé la transition entre le nucléaire, un secteur qui nous est cher à tous et dans lequel nous devons maintenir notre avantage, et les énergies renouvelables, que nous souhaitons tous développer.
(Sourires.) – : ce projet de loi est très positif et ambitieux, mais veillez, madame la ministre, avec le concours du Sénat, à l’améliorer encore, en vue d’une plus grande simplicité !
Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'UDI-UC et du groupe socialiste, ainsi que s ur quelques travées de l'UMP.
En définitive, je suis de l’avis de Jacques Mézard et de Didier Guillaume – qui n’ont pas des points de vue tellement opposés, pour une fois §
Veuillez vous efforcer, mes chers collègues, de respecter le temps de parole qui vous est imparti.
La parole est à M. Henri Tandonnet.
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des affaires économiques, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, alors que la France accueillera, à la fin de cette année, la conférence sur le climat, les enjeux énergétiques, au niveau tant national que mondial, sont plus que jamais au centre des attentions. Annoncé comme l’un des chantiers les plus importants du quinquennat, le projet de loi dont nous avons débuté l’examen cet après-midi était donc très attendu.
Il s’inscrit dans la continuité des deux Grenelles de l’environnement, brillamment menés par Jean-Louis Borloo, n’en déplaise à notre collègue Alain Bertrand. Aussi les sénateurs du groupe UDI-UC portent-ils un regard d’ensemble assez positif sur les intentions qui ont inspiré ce projet de loi. Force est pourtant de constater que son contenu n’est pas à la hauteur des attentes des professionnels et des élus.
Une nouvelle fois, le Gouvernement a engagé la procédure accélérée, alors que ce projet de loi mérite un examen approfondi : le nombre d’amendements déposés à l’Assemblée nationale comme au Sénat témoigne de l’importance des travaux à mener sur les enjeux énergétiques. Dans ces conditions, madame la ministre, pourquoi ne pas avoir laissé la procédure législative suivre son cours normal ? Il est, d’ailleurs, encore temps de le faire : vu que nous attendons ce projet de loi depuis le début du mandat du Président de la République, je ne crois pas que quelques semaines d’examen supplémentaires poseraient problème ; je pense au contraire qu’une deuxième lecture apporterait une plus-value évidente aux réflexions engagées.
Je commencerai par dire quelques mots de la forme du projet de loi.
Il conjugue des déclarations d’objectifs dénuées d’effet immédiatement identifiable avec une multitude de petits détails techniques, parfois à la limite du domaine réglementaire et dont la portée financière et technique est difficile à appréhender. Il manque également de cohérence sur les objectifs qu’il affiche : des objectifs bien trop ambitieux compte tenu des outils et des financements mis à la disposition des acteurs de la transition. En effet, aucune traduction financière des ambitions exposées n’est présentée !
De même, en ce qui concerne l’amélioration des performances énergétiques des bâtiments, un domaine où des mesures étaient très attendues, le projet de loi ne prévoit aucun engagement financier d’envergure ni aucun chiffrage.
Certaines de ses dispositions aggravent même les contraintes administratives déjà très lourdes ; je pense en particulier au carnet numérique de suivi et d’entretien du logement, qui me semble totalement inapproprié pour le patrimoine immobilier déjà bâti. J’ai déposé sur ce sujet un amendement dont nous débattrons un jour prochain.
Nous attendons, en effet, des réponses concrètes aux dérives de la complexité normative. Madame la ministre, où est l’analyse coûts-avantages des nouvelles normes que vous souhaitez imposer ?
Près des deux tiers des 4 000 maires qui ont répondu au questionnaire sur la simplification lancé par le président Larcher à l’occasion du dernier congrès des maires ont désigné l’urbanisme, et un quart l’environnement, comme secteur prioritaire de la simplification des normes. C’est à cette attente, madame la ministre, que le Gouvernement et les parlementaires doivent répondre, en instaurant plus de souplesse et non plus de complexité.
Le temps qui m’est imparti ne me permet pas de traiter de l’ensemble des mesures que le projet de loi comporte. Je souhaite seulement souligner l’intérêt que présentent certaines d’entre elles.
Je pense en particulier au développement du recyclage et du réemploi, ainsi qu’à la valorisation des déchets. À cet égard, l’interdiction des sacs plastiques à usage unique qui, ne se dégradant pas, provoquent une importante pollution constitue une avancée très positive. J’ai déposé un amendement visant à étendre cette interdiction aux emballages de journaux et de publicité destinés à l’envoi postal à compter de 2020, échéance qui permettra une transition progressive pour les acteurs de la filière.
Les dispositions relatives aux véhicules propres méritent également d’être soutenues. En effet, la stratégie nationale pour le développement de ces véhicules constitue, à mon sens, un point fort du projet de loi. Seulement, madame la ministre, pourquoi n’avoir traité du transport que sous ce seul aspect ? De fait, les autres modes de transport sont totalement passés sous silence, ce qui est assez décevant.
Enfin, j’appuie également les mesures visant à mieux informer le public sur la filière nucléaire, filière d’excellence et outil de compétitivité auxquels le groupe centriste est très attaché. À ce propos, nous regrettons que les arbitrages financiers qui s’imposent entre le soutien à cette filière et les investissements nécessaires au développement des énergies renouvelables, qui sont considérables comme le montre la contribution au service public de l’électricité, ne soient pas inscrits dans le projet de loi.
En vérité, des choix financiers lucides devraient aujourd’hui être opérés : soutenons le mix énergétique à partir des énergies renouvelables rentables qui font leurs preuves, et laissons de côté celles qui constituent aujourd’hui un gouffre financier !
Madame la ministre, votre projet de loi est trop national et trop centralisateur.
En effet, la transition énergétique que vous proposez ne réserve aucune place aux enjeux européens. Comme nos collègues centristes de l’Assemblée nationale, nous pensons que ce n’est pas ce projet de loi qui insufflera l’élan nécessaire en faveur d’une ligne européenne forte et commune ; de ce point de vue, il représente un vrai rendez-vous manqué. Au vrai, sur quels sujets nous sommes-nous concertés avec nos voisins européens en termes de recherche, de coordination et d’échange dans les domaines de l’énergie, du transport et de l’accès aux matières premières nécessaires à notre industrie ?
Le projet de loi est également trop centralisateur et contraignant pour les acteurs locaux. Or notre groupe est convaincu que la transition énergétique se fera par les territoires : c’est pourquoi il aurait fallu donner aux collectivités territoriales une réelle compétence énergétique et intégrer au projet de loi des mesures en ce sens. À cet égard, je soutiens la démarche de ma collègue Chantal Jouanno, qui a déposé un amendement visant à faire confiance au terrain et aux collectivités territoriales en donnant à ces dernières la possibilité de procéder à des expérimentations dans l’ensemble de leur champ de compétence, afin de participer à la réalisation des objectifs fixés.
Il conviendrait aussi de desserrer l’étau imposé par la baisse des dotations de l’État, qui empêche les collectivités territoriales d’investir, faute de capacités de financement suffisantes.
En définitive, il me semble que ce projet de loi aux multiples mesures et objectifs n’est pas de nature à entraîner une réelle transition ni à lancer une dynamique permettant à la France de se fixer un cap national et de s’imposer au niveau international comme moteur incontournable d’un modèle énergétique novateur. Les sénateurs du groupe UDI-UC réservent leur vote : ils se détermineront en fonction de la discussion des amendements et des avancées qui en résulteront.
Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, ainsi qu’au banc des commissions. – M. René Danesi applaudit également.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, trois rapporteurs de l’UMP se sont exprimés au début de la discussion générale. Ces rapporteurs, madame la ministre, ont été très bienveillants à l’égard de votre texte. Méfiez-vous cependant : leur bienveillance a des jalons, peut-être même des limites.
Louis Nègre s'est exprimé avec passion, avec amour même lorsqu’il s'agit des voitures, des transports et des maisons, mais il a appelé notre attention collective sur un sujet majeur : la complexité réglementaire et administrative susceptible de découler de cet excellent catalogue d’intentions qui risquent de souffrir à l’épreuve des faits.
Ladislas Poniatowski, pour sa part, était un rapporteur apaisé, et il a voulu – avec raison – situer votre texte dans la ligne des textes précédents de votre majorité et aussi de la nôtre – au fond, une tendance commune s'est dessinée depuis « Grenelle » –, mais il est resté très ferme sur l’article 1er, ne comprenant pas la rapidité avec laquelle vous pensez pouvoir – j’ai presque envie de dire : vous prétendez pouvoir – mettre en œuvre le plafond de 50 % de la part du nucléaire dans la production d’électricité totale.
Quant à Jean-François Husson, je le cite parce c'est un rapporteur très avisé. Il vient de la commission des finances, il a regardé les chiffres et il s'est rendu compte que tout cela revenait très cher, et qu’il y avait au moins un sujet sur lequel il était bon que le Parlement reprenne la main, c’était l’importance de la CSPE.
Madame la ministre, vous le voyez, vous n’avez pas d’adversaires, mais vous avez des partenaires qui sont exigeants.
Sur un point, vous avez cependant un adversaire : moi-même. En effet, et mon intervention concernera ce seul point, je suis résolument opposé à l’article 1er, alinéa 28, et à l’article 55, alinéa 18, dispositions plafonnant respectivement la part du nucléaire dans la production électrique nationale, et d’une façon générale le volume de la production d’électricité d’origine nucléaire dans notre pays. Pourquoi cette opposition ?
Je m'exprimerai, madame la ministre, avec des sentiments très personnels. Le nucléaire, c'est une belle histoire française. Au début, il y a le général de Gaulle et un savant communiste, qui s'entendent pour créer le CEA
M. Michel Le Scouarnec opine.
J’ai moi-même vécu beaucoup d’alternances depuis que je suis parlementaire : sur l’essentiel en matière de nucléaire, nous avons gardé la ligne. Cette continuité, je l’ai vécue comme ministre de l’industrie, pour avoir eu la responsabilité de mettre en œuvre la loi de 1991 – le texte en avait été proposé par le député Christian Bataille dont je salue la fille, qui siège dans cet hémicycle –, dont personne ne voulait. Il a fallu non seulement un ministre de droite pour la mettre en œuvre, mais aussi deux départements modérés pour accueillir le seul site, ce qui prouve que le nucléaire, tout le monde est pour, à condition de ne pas toujours en assumer la responsabilité…
Or c'est exactement, madame la ministre, ce que vous allez casser à travers ce signal fort de contestation, de refus et, au fond, de rejet implicite du nucléaire ainsi donné au pays. Vous n’allez pas plus loin que 50 %, mais on plafonne inutilement au moins cela.
Les parlementaires et les sénateurs en particulier ont regardé l’excellent document de décembre 2011 de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques. Ce n’est pas un rapport de maniaque du nucléaire, c'est un rapport ouvert, qui dit qu’en effet après Fukushima, compte tenu de la sensibilité de l’opinion et parce que les technologies évoluent, on peut, à côté du nucléaire, chercher une relève. Toutefois, ce rapport propose une date – 2050, on est loin de 2025 –, retient un pourcentage ouvert – 50 % à 60 % – et, surtout, in fine n’encadre pas la production électrique.
Vous, vous avez en même temps l’idée de plafonner la part du nucléaire, de plafonner la production et, si j’ai bien compris – mais avec les 650 pages de chacun des rapports, c'est assez lourd à comprendre –, de plafonner, et si possible de réduire, la production électrique, en incitant les industriels à ne pas l’utiliser. Vous me direz, au rythme auquel ferment les usines, il risque de ne plus y avoir d’électro-intensifs en France dans quelques années.
M. Bruno Retailleau sourit.
Je reviens à un aspect plus sérieux. Vous avez donc un système contraignant qui ne peut être mis en œuvre qu’au prix de fermetures d’unités de production, ce que le rapporteur Ladislas Poniatowski a d'ailleurs évoqué d’une façon très précise avec Flamanville – mais il y a d’autres centrales concernées, je pense à Penly un jour. Si vous voulez retirer un tiers des capacités électriques, comme il y a cinquante-huit réacteurs, cela fait, à la louche, dix-neuf réacteurs à supprimer en dix ans. Faites le calcul, c'est simplement absurde. Je suis sûr, madame la ministre, que vous m'apporterez des apaisements.
On peut assurer une relève du nucléaire, mais certainement pas en organisant une débandade et, pourquoi ne pas le dire, une « casse » des installations existantes.
La mise en œuvre de ces dispositions prévues aux articles 1er et 55 n’est ni possible ni souhaitable. C'est impossible à cause du coût financier
M. le président de la commission des affaires économiques acquiesce.
Chaque centrale que vous voudrez fermer avancera les mêmes arguments, qu’il s’agisse des arguments économiques ou des arguments d’impact social sur l’emploi localement, et vous serez dans l’impossibilité d’agir.
En outre, – ce point a d'ailleurs été également évoqué – la substitution n’est pas au rendez-vous. On le voit très bien outre-Rhin, où les Allemands, suivant une tradition de discipline, d’organisation et d’efficacité, ont abandonné le nucléaire comme un seul homme : l’Allemagne est devenue le pays du lignite, du charbon, c'est-à-dire le pays de l’énergie carbonée – la plus condamnable de votre point de vue.
Vous parviendriez donc à faire exactement le contraire de ce que vous souhaitez si vous poursuiviez ce projet absurde d’encadrer pour 2025 la production nucléaire et, en fait, de démanteler un certain nombre de réacteurs dont on ne connaît ni la localisation ni le nombre exact.
Pourquoi la mise en œuvre de telles dispositions n’est-elle pas souhaitable ? Là, mon propos se fera plus grave. La France, c'est 1 % de la population mondiale. Nous avons une économie qui représente 3 % à 4 % de la production mondiale et un commerce extérieur aujourd'hui déficitaire, avec des parts de marché qui diminuent. Or nous avons manqué, ces dix dernières années, – à l’exception de la Grande-Bretagne – la plupart des grandes exportations de réacteurs nucléaires, et ce pour plusieurs raisons.
D’abord, parce l’État n’a pas fait son devoir d’actionnaire. C'est tout de même extraordinaire ! On veut du dirigisme, du volontarisme, et voilà un secteur dominé par l’État – pour EDF, pour Areva, pour la science avec le CEA – et qui arrive en désordre dans des négociations internationales où l’on estime en général que le pouvoir politique a un rôle à jouer. Mais le nucléaire, ce sont des dizaines de milliers d’emplois, le grand carénage, ce sont 100 000 emplois directs et indirects qui pourraient être mobilisés extrêmement rapidement…
Ou bien l’on choisit le chômage §et la poursuite de préoccupations de type idéologique, ou bien l’on choisit le travail. Si on choisit le travail, on choisit le nucléaire, car il y a des demandes immédiates, des besoins immédiats, des capacités immédiates ainsi qu’un savoir-faire qui doit être entretenu.
Comment croyez-vous que l’on puisse vendre des centrales nucléaires à l’étranger ? Et d’ailleurs, quelles centrales ? Il faut en effet diversifier l’offre, ce qui suppose d’investir et de soutenir avec le marché national les centrales que l’on pourrait vendre à l’extérieur.
Cette diversification, nous ne l’avons pas faite, l’État ne l’a pas faite – c'est du moins ce que je constate. Mais si nous annonçons la fin du nucléaire dans notre pays, …
… il est évident que l’abandon du nucléaire ne nous rendra plus crédibles à l’extérieur.
Je voudrais terminer en évoquant l’idée de justice, cher collège Didier Guillaume ! Dans les années quatre-vingt, le frère du milliardaire Jimmy Goldsmith – qui était à l’époque propriétaire de l’Express et qui est décédé depuis – fut l’un des pionniers de l’écologie en Grande-Bretagne et dans le monde. Son frère en France mena une croisade fondée sur le prix excessif de l’électricité nucléaire payée par les Français. De fait, entre 1970 et 1990, les Français ont payé l’électricité plutôt plus cher que ceux qui – comme les Allemands – fonctionnaient à l’énergie thermique, parce qu’ils investissaient.
M. Gérard Longuet. Aujourd'hui, au moment où les consommateurs pourraient récupérer les fruits d’un investissement qu’ils ont financé par le biais de leurs factures – l’État n’a rien apporté –, on va leur en retirer le bénéfice pour satisfaire des préoccupations politiques
M. Ronan Dantec le conteste.
Voilà les raisons pour lesquelles, madame la ministre, avec conviction – et dans la limite des sept minutes qui m'étaient imparties –, je ne peux en aucun cas voter les articles 1er et 55 tels qu’ils avaient été adoptés par l’Assemblée nationale, et sans doute tels que vous aurez à cœur de les défendre, ce qui créera alors un fossé entre nous !
Applaudissements sur les travées de l'UMP et sur de nombreuses travées de l'UDI-UC. – M. le président de la commission des affaires économiques et M. le rapporteur applaudissent également.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, une chose me paraît certaine : le XXIe siècle ne saurait être la répétition du précédent, au cours duquel la consommation d’énergie a été multipliée par deux avec abondance d’émissions de gaz à effet de serre.
Alors, parce que notre pays fait face à des défis climatiques et énergétiques sans précédent, parce que la lutte contre le réchauffement climatique est non seulement une cause planétaire, européenne, nationale, mais peut être aussi un nouveau levier de sortie de crise et de croissance durable et solidaire, je tiens à saluer, d’emblée, l’esprit ambitieux de ce texte, son audace et sa force.
C'est une belle opportunité historique de s'orienter vers un autre modèle énergétique, plus participatif, plus sobre, plus équilibré. C'est aussi une belle opportunité de lutte contre l’écolo-scepticisme qui se développe depuis le sommet de Copenhague, en réaffirmant que non, l’environnement, ça ne commence pas à bien faire...
Oui, la transition énergétique est à la fois une nécessité et une formidable opportunité pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre, réduire nos importations d’énergies fossiles ainsi que cette facture énergétique de quelque 69 milliards d’euros. Ne vaut-il pas mieux consacrer des dizaines de milliards à nos territoires plutôt qu’aux pays producteurs d’hydrocarbures ?
Oui, c’est une belle opportunité d’améliorer notre compétitivité, de créer des emplois non délocalisables et des filières nouvelles, d’améliorer le pouvoir d’achat des ménages et de lutter contre la précarité énergétique qui frappe huit millions de nos compatriotes.
Oui, madame la ministre, ce texte est de première importance, et je vous en félicite, car il nous donne, d’une certaine manière, rendez-vous avec l’histoire. La France doit avoir pour ambition de devenir une grande puissance écologique, un modèle et une référence.
Ce texte le permet en conciliant économie et écologie. Il peut aussi, dans le même temps, porter la transition énergétique comme un projet de relance de la dynamique de construction européenne. Bref, la France, par son exemplarité en ce domaine, peut contribuer à assurer le succès de l’ordre de mobilisation mondiale des nations contre le changement climatique qui doit être signé à Paris.
Mes chers collègues, est-ce si exagéré de considérer que le sort du monde se joue en partie dans la capacité des pays à se mobiliser dans la lutte contre le changement climatique ? Qui n’a déjà constaté que les catastrophes climatiques survenues partout sur la planète démontrent largement la vulnérabilité des sociétés humaines devant la force de la nature, lorsque ces sociétés sont construites dans le déni de l’environnement ?
Oui, les sirènes de l’urgence climatique sont de plus en plus stridentes ! On dit que la planète terre est en danger… Non, la Terre, elle en a vu d’autres depuis quatre milliards et demi d’années. En fait, ce qui est en danger, c’est la biodiversité, et peut-être même l’humanité. Voilà pourquoi nous devons passer d’une société fondée sur une consommation abondante d’énergies fossiles à une société plus sobre et écologiquement plus responsable.
Il n’y a pas de meilleure réponse à la raréfaction des ressources naturelles ! Il n’y a pas de meilleure réponse dans cet environnement mondial tourmenté au plan climatique ! Il n’y a pas de meilleure réponse dans ce monde plein d’incertitudes géopolitiques – je pense notamment au Moyen-Orient et à l’Ukraine ! Il n’y a pas de meilleure réponse, enfin, face à cette précarité énergétique qui touche 13 % des Françaises et des Français !
Car une politique sociale-écologique consiste à articuler enjeux sociaux et défis environnementaux.
Oui, il y a bien urgence climatique, comme on l’a dit avant moi, il y a bien urgence sociale, et il y a bien urgence économique !
L’article 60 crée le chèque énergie, qui profitera à tous les consommateurs d’énergie en situation de précarité énergétique – y compris ceux qui se chauffent au fioul ou au bois, qui avaient été oubliés. C’est une avancée importante. Toutefois, nous proposerons, par voie d’amendement, d’en améliorer l’application.
Cela dit, je crois fortement en l’idée selon laquelle la plus grande marge de manœuvre que nous ayons pour améliorer le pouvoir d’achat des ménages et lutter contre la précarité énergétique se situe dans les économies d’énergie, et donc dans la rénovation thermique des millions de logements passoires.
M. Jacques-Bernard Magner opine.
Force est de le constater, nous avons en France un immense gisement d’énergie. Je veux parler du gisement des économies d’énergie.
Je reste persuadé que, dans ce domaine, nous disposons d’énormes marges de progression, car, en matière d’efficacité énergétique, nous sortons depuis peu de la préhistoire. Je vous félicite, madame la ministre, d’avoir fait de la rénovation thermique des bâtiments une priorité. Il y a là vraiment une urgence écologique, économique et sociale. Je pense à la lutte contre les logements passoires, à la crise du bâtiment, au droit de chacun à un logement décent. Les outils pour atteindre ces objectifs sont bien là, démultipliés.
Toutefois, il m’est arrivé d’entendre dire que l’objectif d’une réduction de 50 % de la consommation d’énergie d’ici à 2050 serait susceptible de nuire à la compétitivité et à la croissance. C’est tout simplement le contraire, car il ne s’agit en aucun cas de restrictions, mais bien d’efficacité énergétique et de maîtrise de l’énergie.
L’efficacité énergétique, c’est consommer mieux, en consommant moins et en produisant autant ou plus.
Même préoccupation en ce qui concerne les gaz à effet de serre ou la réduction de la consommation des énergies fossiles. Le secteur transports sera notamment traité par mon collègue Jean-Jacques Filleul.
« L’avenir de l’automobile, c’est l’électricité », affirmait Thomas Edison. Il s’adressait à un certain Henry Ford, que nous connaissons bien. Ainsi, quatre-vingt-cinq ans plus tard, nous lui donnons raison !
Vous avez eu raison de le souligner, le système linéaire de notre économie, qui consiste à extraire, fabriquer, consommer puis jeter, a atteint ses limites. Voilà pourquoi il était temps de promouvoir l’économie circulaire.
Mes chers collègues, permettez-moi de revenir sur un point qui a fait débat en commission des affaires économiques et qui fera débat ici même, à savoir l’objectif affiché par le texte initial, qui fixe la part du nucléaire dans le bouquet énergétique à 50 % à l’horizon 2025. C’est un objectif ambitieux et mobilisateur, qui doit requérir l’action des acteurs publics.
En revanche, je ne suis pas certain que l’objectif de ramener la part du nucléaire à 50 % « à terme », c'est-à-dire aux calendes grecques, soit particulièrement mobilisateur. Pourtant, le texte issu des travaux de la commission reconnaît d’une certaine manière qu’un rééquilibrage à 50 % est souhaitable.
La volonté de réduire la part du nucléaire à 50 % en 2025 est motivée par la nécessité d’amorcer sa décroissance, afin de rééquilibrer plus rapidement le bouquet énergétique.
Notre groupe considère que notre modèle de transition est celui d’une complémentarité entre le nucléaire, d’une part, et les énergies renouvelables, d’autre part.
En fait, il s’agit d’étaler dans le temps les investissements, nécessaires mais colossaux, dans les centrales, tout en encourageant les recours aux énergies renouvelables. En effet, même si l’on prolonge la vie des centrales jusqu’à 40, 50 ou 60 ans, il faudra bien les changer un jour ! Nous aurons moins de difficultés si nous sommes dépendants du nucléaire à 50 % plutôt qu’à 78 %.
Une telle volonté n’est pas contradictoire avec celle de maintenir l’excellence de la filière nucléaire, …
… en achevant Flamanville, en soutenant les exportations, ou en travaillant, comme le fait le CEA, pour la quatrième génération, celle des réacteurs à neutrons rapides.
À cet égard, l’amendement présenté par le Gouvernement nous satisfait. Il répond à la crainte que la baisse de la part du nucléaire ne puisse être compensée par les seules énergies renouvelables. Il précise que la baisse du nucléaire accompagne la montée en puissance des énergies renouvelables et il rétablit l’horizon de 2025, qui fixe un cap ambitieux pour mobiliser l’ensemble des acteurs. Nous le soutiendrons.
L’objectif de 50 % à l’horizon 2025 est-il possible ou impossible ? Nelson Mandela disait : « Cela paraît toujours impossible jusqu’à ce que ce soit fait. » Justement, ce texte vise à renforcer le soutien aux énergies renouvelables, victimes par le passé de « vents contraires », à savoir l’absence d’un cadre prévisible et stable ou la multiplication des recours juridiques de ses opposants, vent debout contre les éoliennes, notamment.
J’en suis convaincu, les énergies renouvelables et les nouvelles technologies de l’énergie offrent l’opportunité d’une nouvelle révolution industrielle et sociétale. La première révolution industrielle s’est appuyée sur le charbon ; la deuxième, c’est l’alliance de la communication électrique avec le moteur fonctionnant au pétrole. Nul doute que la troisième révolution industrielle alliera la technologie d’internet et les énergies renouvelables.
Or ce texte lève bien des freins au développement des énergies renouvelables, libère les initiatives en faveur des nouvelles technologies de l’énergie, et favorise le financement participatif des collectivités et des habitants, pour donner à ces énergies un véritable essor.
Mes chers collègues, évitons que les débats conflictuels sur le nucléaire ou les gaz de schiste occultent l’existence d’énergies vraiment consensuelles à portée de main. Avant d’aller chercher des gaz de schiste à 1 000 ou 2 000 mètres sous terre, commençons par valoriser les énergies dont on connaît l’existence, là, sur terre, à portée de main, qui se trouvent dans une matière organique abondante et accessible.
Alors n’hésitons pas, en ce domaine, « à faire feu de tout bois » !
Et je ne pense pas seulement à la biomasse, énergie stockable et non intermittente, ou à la forêt, véritable puits de carbone, qui séquestre 12% des 540 millions de tonnes de CO2 que nous produisons chaque année.
Avant de terminer, je voudrais simplement vous poser une question, madame la ministre.
Aujourd’hui, les producteurs d’énergies renouvelables intermittentes sont les seuls à ne pas appliquer le statut national des industries électriques et gazières, qui constitue la réglementation sociale des producteurs d’électricité.
Or le programme éolien offshore va donner une dimension industrielle à ce type d’énergie.
Pouvez-vous m’indiquer s’il est dans les intentions du Gouvernement de veiller à ce que ce statut soit appliqué aux personnels travaillant pour l’exploitation des éoliennes offshore ?
J’en termine.
Certes, la transition énergétique aura un coût, mais ne rien faire coûterait mille fois plus à nos sociétés. Cette législation est d’avant-garde. Ce texte créera un élan, celui d’une écologie positive.
« Le futur n’attend pas », ai-je pu lire quelque part. Alors, mes chers collègues, inventons-le maintenant, avec vous, madame la ministre !
Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. Ronan Dantec applaudit également.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ce projet de loi relatif à la transition énergétique fera date dans l’histoire de notre pays. Évidemment, nous aurons l’éternelle querelle entre les partisans du tout-nucléaire et ceux qui souhaitent le réduire, voire en sortir. Je sais que nous resterons sur un désaccord sur ce sujet. Heureusement, beaucoup de points de convergence se font jour par ailleurs s’agissant de ce projet de loi.
Le point clé de cette transition énergétique, ce sont les économies d’énergies. L’électricité la moins chère, c’est celle que l’on ne consomme pas, …
… on le dit souvent, et il faut le redire encore.
J’ajouterai simplement quelques mots, pour compléter l’excellente présentation, par mon collègue Ronan Dantec, des positionnements écologiques de notre groupe.
Nous avons de grands défis à relever, notamment dans le domaine du bâtiment, avec 500 000 logements par an à construire et autant à rénover d’ici à 2017.
Ce chantier est immense. Outre le fait d’être vertueux pour le climat, il doit permettre une véritable relance durable de l’activité du bâtiment, avec le maintien et la création d’emplois associés, durables et non délocalisables.
J’évoquerai une fois encore l’activité agricole. §L’agriculture intensive est aujourd’hui responsable de 20 % des émissions de gaz à effet de serre :…
… engrais et intrants chimiques, surlabours, monoculture, tassement et stérilisation des sols, concentration d’élevages intensifs, importation de soja à 80 % transgénique d’Amérique du Sud… autant de pratiques qui contribuent au dérèglement climatique.
Par effet « boomerang », l’agriculture sera évidemment une des principales activités à subir les conséquences des changements climatiques, s’il n’y a pas de transition agricole.
À l’inverse, des activités agricoles adaptées, qui protègent la vie des sols en en reconstituant l’humus, qui préservent des prairies permanentes, qui pratiquent la polyculture, permettent aux sols et aux productions agricoles d’être de formidables puits de carbone.
À l’échelle mondiale, on estime par exemple qu’une augmentation relative des stocks de carbone des sols de 4 ‰ par an permettrait de compenser l’ensemble des émissions de gaz à effet de serre de la planète. C’est un levier formidable, que nous devons mesurer et dont nous devons tirer parti.
Aussi, l’agriculture familiale, en France comme partout dans le monde, doit être préservée comme garante des sols vivants, …
Je regrette, cette agriculture peut et doit nourrir la planète !
L’agriculture familiale joue un triple rôle : elle produit une alimentation de qualité, respecte la biodiversité et préserve les équilibres climatiques.
Il faudra nécessairement reconnaître et rémunérer les services environnementaux rendus par une agriculture respectueuse de la planète.
Ce que vous dites est irresponsable !
J’évoquerai brièvement d’autres amendements que je défendrai au cours de la discussion de ce texte.
L’un d’entre eux concerne la transition vers les agrocarburants dits « avancés » de deuxième génération, qui visent à remplacer ceux de première génération. Alors que 800 millions d’êtres humains ne mangent pas à leur faim, il est insensé de sacrifier des millions d’hectares de terre nourricière, en particulier dans les pays du sud, pour faire rouler nos voitures.
M. Gérard Longuet s’exclame. – Mme Marie-Noëlle Lienemann ainsi que MM. Thani Mohamed Soilihi et Ronan Dantec applaudissent.
S’agissant de la méthanisation, il convient selon nous d’interdire l’utilisation de cultures dédiées pour alimenter les digesteurs, et ce pour les mêmes raisons.
Enfin, nous voulons interdire les pesticides sur les voiries des collectivités territoriales, afin de compléter la loi portant mon nom, qui ne concerne que les espaces naturels. Certaines collectivités l’ont déjà fait, notamment des départements alors qu’ils gèrent des milliers de kilomètres de routes. En effet, interdire le traitement des espaces naturels et autoriser le traitement des espaces imperméabilisés que sont les voiries, cela ne tient pas !
Nous accueillerons à Paris à la fin de l’année la conférence mondiale sur le climat. La France doit montrer l’exemple dans ce domaine
M. Gérard Longuet s’exclame.
, et dégager des pistes originales pour maintenir un équilibre atmosphérique vivable pour nos enfants et les générations futures. Madame la ministre, vous avez un rôle essentiel à jouer dans ce cap de la fin de l’année 2015 aux yeux de la France et du monde.
Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et sur plusieurs travées du groupe socialiste.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, sur l’initiative du président Larcher, le bureau du Sénat a confié en novembre 2014 à la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation une mission d’évaluation et de simplification des normes applicables aux collectivités territoriales. Le bureau a ainsi voulu que, sans empiéter sur l’examen au fond effectué par les commissions permanentes, nous formulions une réponse concrète et efficace à l’exaspération des élus locaux à l’égard d’un phénomène étouffant pour l’initiative locale, à savoir la prolifération dans notre ordonnancement juridique de normes inapplicables, inextricables ou inabordables, autrement dit la complexité administrative.
Notre première saisine porte sur le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte. C’est une excellente entrée en matière, l’énergie étant un champ de compétence traditionnel et important des collectivités territoriales. La délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation monte donc au créneau de la simplification, avec l’actif concours de mon excellent collègue des Deux-Sèvres, M. Philippe Mouiller.
Il ne s’agit pas de vider de toute sa substance ce texte ni de remettre en cause l’excellent travail de nos deux rapporteurs, Ladislas Poniatowski et Louis Nègre ; il s’agit d’être réaliste et pragmatique.
Dans l’exposé des motifs du projet de loi, il est question d’un texte « qui opte pour la clarté, la simplicité et la stabilité des règles », d’un projet de loi « d’incitation qui préfère lever des obstacles plutôt qu’alourdir des contraintes ». La lecture du projet de loi, tout du moins de ses dispositions applicables aux collectivités territoriales, montre malheureusement tout le contraire de ce qui est inscrit dans l’exposé des motifs : elle atteste une complexité non maîtrisée impliquant tout de suite et plus encore à terme une augmentation significative du niveau des contraintes de tous ordres qui pèsent sur les collectivités territoriales.
Votre texte, madame la ministre, associe en effet à des déclarations d’objectifs dont la portée juridique est floue un semis de petites dispositions modificatrices dont l’impact technique et financier est tout aussi difficile à appréhender. D’ailleurs, le Conseil national d’évaluation des normes vous a transmis la même analyse.
Ce faisant, le projet de loi surajoute des obligations nouvelles à d’autres obligations déjà existantes, ne bouleversant rien, mais compliquant tout. La majesté des grands énoncés juxtaposée à l’empilement lilliputien des dispositifs : voilà le premier marqueur du projet de loi !
Je disais que ce projet de loi complique ; j’ajoute qu’il renchérit. Largement indifférent à l’analyse coûts-avantages des normes qu’il crée, il est en effet emblématique du comportement assez schizophrénique d’un État qui impose de nouvelles contraintes coûteuses tout en appelant à la baisse de la dépense locale et en diminuant ses propres concours.
Ajoutons que le projet de loi est emblématique d’une autre cause majeure de la complexité, qui est l’uniformité centralisatrice de la norme étatique. Que signifient, par exemple, les obligations d’isolation imposées apparemment de manière identique d’un bout à l’autre du territoire sans que, comme il semble à la lecture du texte, la profonde diversité des climats soit prise en compte ?
On ne peut en rester là. On ne le peut d’autant moins que les élus locaux nous adressent sur l’inflation et la complexité normatives des messages dénués d’équivoque. Le questionnaire sur la simplification lancé par le président Gérard Larcher à l’occasion du congrès des maires de 2014 a permis de bien identifier et hiérarchiser leurs attentes. Deux tiers des plus de 4 000 répondants ont désigné l’urbanisme et un quart ont désigné l’environnement comme les secteurs prioritaires de la simplification des normes.
Les élus attendent clairement le Sénat sur le terrain de la simplification. Notre assemblée doit en être le moteur. Ce terrain est en grande partie celui de l’environnement et celui du droit de la construction.
Nous avons le devoir de tenir compte de ces attentes en examinant le projet de loi relatif à la transition énergétique. Alors, comment faire pour être plus efficace en termes de simplification ? La question est véritablement centrale, parce que la simplification est une opération à la fois technique et politique et met en œuvre, en fonction de ces deux critères, une vaste gamme de méthodes allant de la simplification radicale à ce que j’appellerai la simplification chirurgicale.
Nous avons choisi le minimalisme, plus approprié, pour une entrée en matière. Ce minimalisme, c’est ce que j’appelais à l’instant la frappe chirurgicale. Celle-ci appelle la précision. C’est pourquoi nous avons identifié six thématiques de simplification en fonction desquelles il nous a été possible de repérer la complexité à laquelle il faut s’attaquer en priorité. Je pense en particulier aux dispositions imposant de nouvelles obligations aux collectivités territoriales et à celles dont le coût sera probablement excessif par rapport aux avantages que l’on en attend.
Voici quelques exemples : l’article 5 prévoit une obligation de réaliser des travaux d’isolation ou d’étude à l’occasion de travaux de ravalement de façades ;…
… l’article 9 renforce l’obligation d’achat de 20 % de véhicules propres ; l’article 18 porte sur les plans de déplacements urbains et les plans locaux d’urbanisme.
C’est principalement sur ces deux terrains que nous avons essayé de progresser, palliant par l’intelligence territoriale les insuffisances des études d’impact, notamment en matière financière. Nous avons ainsi pu nous faire une idée assez juste, me semble-t-il, des problèmes que pose le projet de loi du point de vue qui nous intéresse, et nous espérons remplir par nos propositions – une vingtaine d’amendements – la mission qui nous a été confiée, celle de la simplification des normes.
Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.
Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte est un texte important et innovateur. Dans la droite ligne du Grenelle de l’environnement, il traduit une volonté politique forte : tendre vers un nouveau mode de production et de croissance. Il a par nature fonction et capacité à révolutionner les comportements, du producteur aux consommateurs, en passant par tous les acteurs, au service d’une croissance plus économe en énergies, à réduire les émissions de gaz à effet de serre, en accord avec les nouvelles exigences qui découlent du changement climatique.
La transition énergétique et écologique est l’occasion de renouer avec une croissance durable, riche en emplois et en nouveaux métiers. Elle est fondée sur des investissements innovants de nature à transformer en profondeur nos modes de production et de consommation. Elle a aussi pour ambition d’accroître le pouvoir d’achat des ménages en réduisant leur facture énergétique.
La commission du développement durable, chargée d’examiner au fond les titres III et IV, qui traitent des transports et des déchets, s’est engagée sans retenue dans l’amélioration du projet de loi. N’oublions pas que l’un des objectifs de ce texte consiste aussi à s’attaquer aux inégalités environnementales, par exemple en matière d’exposition aux polluants à l’origine d’inégalités de santé, et à apporter des réponses à la précarité énergétique. La création du chèque énergie est une de ces réponses.
Tendre vers un nouveau modèle de développement implique la mobilisation et la participation des citoyens aux politiques à travers des projets ancrés dans les territoires et une meilleure responsabilité sociale et environnementale de l’ensemble des acteurs.
La transition énergétique touche à de nombreux secteurs et nécessite d’engager de grands chantiers : dans le secteur du bâtiment, la rénovation thermique ; dans celui des transports, la lutte contre la pollution de l’air. Le troisième grand chantier est celui de l’économie circulaire, la réduction des déchets à la source, la lutte contre le gaspillage. N’oublions pas non plus le développement des énergies renouvelables, en s’appuyant sur des filières industrielles solides, compétitives et créatrices d’emplois.
Avant d’aborder plus précisément les titres III et IV, je tiens à féliciter le rapporteur pour avis de la commission du développement durable, notre collègue Louis Nègre. Son engagement sur ce texte, reconnu par l’ensemble des membres de la commission, dont je crois pouvoir me faire l’interprète, n’a d’égal que sa volonté de servir le texte. Les échanges au sein de notre commission ont été constructifs, l’objectif étant de parvenir à un texte équilibré répondant à l’intérêt général. J’espère que c’est également dans cet état d’esprit serein que se dérouleront nos débats en séance publique.
S’il est un domaine où la transition énergétique représente un défi environnemental permanent, c’est bien celui des transports. Il s’agit d’un secteur au carrefour d’enjeux multiples, très consommateur en énergies fossiles et premier émetteur de gaz à effet de serre. Ses externalités polluantes sont importantes et souvent méconnues : 32 % de la consommation finale d’énergie, 26 % des émissions de gaz à effet de serre, 59 % des émissions nationales de particules d’azote et 19 % des émissions de particules fines, dont l’impact très néfaste sur la santé ne fait plus de doute. D’où la place consacrée au développement du véhicule électrique dans le projet de loi initial.
Le texte s’est depuis lors enrichi et conduit résolument le secteur des transports vers une mobilité décarbonée en développant les « véhicules propres » et en fixant un objectif ambitieux de 7 millions de points de charge pour les véhicules électriques. Il s’attache également à promouvoir les mobilités douces, comme le vélo, et donne un nouveau souffle au covoiturage. Il amorce surtout une nouvelle étape dans la lutte contre le fléau de la pollution de l’air.
S’agissant de la définition du véhicule propre, le texte n’exclut aucune motorisation ou aucun carburant a priori et se fonde exclusivement sur les niveaux d’émissions de gaz à effet de serre et de rejets de polluants atmosphériques. Cette sage définition, qui a l’avantage de ne pas figer une liste de technologies et d’encourager l’innovation, comporte cependant une limite méthodologique : la difficulté à mesurer les rejets polluants. L’abrasion, dont la problématique est encore mal connue, semble aussi être une source majeure d’émission de particules fines.
Concernant le parc des véhicules diesel anciens, il n’y a là en revanche ni doute ni controverse technologique : il est impératif d’accélérer la conversion de ce parc. Aussi la prime prévue à cet effet par l’article 13 constitue-t-elle un premier pas ; à cet égard, madame la ministre, je veux saluer les mesures que vous venez d’annoncer : sur la feuille de route écologique pour 2015, ce sont là des pas décisifs, y compris en tenant compte des véhicules d’occasion. L’enjeu de la qualité de l’air justifie ces mesures d’urgence. Pour autant, si nous privilégions les centres urbains les plus importants, n’oublions pas la mobilité en zone rurale.
S’agissant de l’éco-diagnostic des véhicules, la commission du développement durable a choisi de l’intégrer dans le contrôle technique. Cette idée est, je le crois, pertinente, car elle permet de ne pas multiplier les contrôles. Cependant, madame la ministre, pouvez-vous nous rassurer quant à l’impact de cette mesure ? Nous ne souhaitons pas qu’elle conduise indirectement à entraver la circulation des véhicules des ménages les plus modestes.
J’en viens maintenant au titre IV du projet de loi, sur lequel la commission du développement durable a produit un travail remarquable.
Ce titre se fixe comme objectifs la lutte contre les gaspillages et la promotion de l’économie circulaire, de la conception des produits à leur recyclage. Ce modèle d’excellence environnementale passe par une consommation sobre et responsable de nos ressources naturelles, une politique ambitieuse et – souhaitons-le – efficace de prévention, de gestion et de valorisation de nos déchets. C’est un enjeu majeur pour notre pays.
En 2010, 355 millions de tonnes de déchets ont été produites. Je n’insiste pas sur les chiffres, chacun ici les connaît. Ils sont en constante augmentation. Nous sommes bien face à une grave question de société : que faisons-nous de ces déchets ? Comment les valoriser ? Comment les réduire ? Le projet de loi apporte fort heureusement des réponses à ces questions.
Avant d’en venir au texte, je veux souligner les démarches volontaristes déjà engagées par votre ministère : l’appel à projets « territoires zéro gaspillage zéro déchet » ou encore le nouveau programme national de prévention des déchets 2014-2020, qui a été présenté en septembre 2014.
J’en viens maintenant aux grandes trajectoires du titre IV. Elles sont inscrites à l’article 19, qui décline des objectifs chiffrés pour les dix années à venir en matière de production, de tri et de valorisation des déchets.
Sans prétendre être exhaustif, je me permets de rappeler quelques chiffres qui démontrent la volonté du Gouvernement en la matière : réduire de 10 % les déchets ménagers et assimilés par habitant à l’horizon de 2020 ; généraliser le tri à la source des déchets organiques d’ici à 2025 ; valoriser, sous forme de matière, 70 % des déchets du secteur du bâtiment et des travaux publics à l’horizon de 2020. Ces dates sont significatives.
Les débats en commission ont considérablement enrichi ce titre. Le groupe socialiste est particulièrement satisfait de l’adoption de la majorité de ses amendements, qui portent notamment sur l’objectif de réduction de 50 % des quantités de produits manufacturés non recyclables mis sur le marché, ainsi que sur la gouvernance des éco-organismes, afin qu’elle soit vraiment confiée aux producteurs eux-mêmes.
Nous aborderons également, au cours des débats, des mesures devenues emblématiques de ce titre. Je pense notamment à l’interdiction des sacs en plastique à usage unique et des sujets qui nous ont occupés en commission comme l’avenir du tri mécano-biologique, la compétence obligatoire donnée au maire à l’égard des véhicules abandonnés sur la voie et le domaine publics, ou l’obligation de reprise des déchets des professionnels du bâtiment par les distributeurs, ou encore la définition et les moyens de lutte contre l’obsolescence programmée.
Je ne développerai pas davantage ces sujets, puisque notre collègue Gérard Miquel, dont la compétence est bien connue, …
… sera bien plus à même de le faire.
Madame la ministre, je suis persuadé que l’adoption du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte entraînera non seulement une mutation économique structurelle, le développement d’innovations technologiques, et donc le déploiement de nouvelles activités, mais aussi des opportunités d’investissements porteurs d’avenir et signes d’espoir pour notre pays.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE et de l’UDI-UC.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il est des politiques publiques dont les enjeux sont plus faciles à circonscrire que d’autres, des politiques publiques pour lesquelles le législateur distingue la ligne d’horizon.
La politique publique dite de « transition énergétique » est assurément de ce type. Un défi majeur l’attend. Ce défi dont tous les autres procèdent, c’est celui de la « décarbonisation » de notre société.
Pourquoi ce défi et pas un autre ? Trois considérations doivent emporter notre décision.
Décarboner, d’autres l’ont dit avant moi, c’est répondre à l’urgence du changement climatique auquel les émissions de C02 contribuent.
Décarboner, c’est aussi limiter le recours aux énergies fossiles que nous importons en intégralité pour une facture considérable de plusieurs dizaines de milliards d’euros.
Décarboner, c’est enfin s’émanciper des incertitudes géopolitiques et des préoccupations liées à l’accessibilité des matières premières.
Malheureusement, le projet de loi que nous examinons aujourd’hui ignore ce besoin de recentrer l’action publique autour de ce simple et pourtant indépassable défi de la « décarbonisation ». Au lieu de cela, le texte du Gouvernement déploie cette politique publique en lui attribuant sept fonctions, huit outils et sept objectifs chiffrés : autant de vœux pieux !
En procédant ainsi, on rend la loi illisible pour nos concitoyens, on les inonde d’informations, puis d’objectifs, parfois difficilement conciliables ; enfin, on les déresponsabilise. Ce n’est pas de cette manière que l’on suscite leur adhésion, au contraire. Ce sont d’objectifs clairs qu’ont besoin nos concitoyens, d’objectifs vérifiables.
Pour cette raison, je tiens à saluer le travail de nos rapporteurs, qui ont dû s’emparer d’un article 1er symbole d’une loi que beaucoup qualifient de « loi bavarde ». Je pense en particulier à l’amendement du rapporteur Ladislas Poniatowski sur les objectifs chiffrés de la politique énergétique, amendement qui tend à placer la réduction des gaz à effet de serre comme clef de voûte de notre politique énergétique. Voilà qui est de nature à donner du sens à l’action publique !
Il eût été en effet beaucoup plus simple, madame la ministre, de construire ces objectifs autour des engagements européens de la France, engagements posés à l’occasion de l’examen du paquet énergie-climat pour 2030 et qui reprennent, tout en les actualisant, ceux du paquet énergie-climat pour 2020, qui avait été adopté en 2008. Ces engagements se déclinent autour de deux objectifs contraignants : la réduction des gaz à effet de serre à hauteur de 40 % et l’augmentation de la part des énergies renouvelables à hauteur de 27 %. Ces objectifs se suffisent à eux-mêmes.
Pour cette raison encore, je souscris à la logique qui a conduit le rapporteur pour avis, Louis Nègre, à rappeler que l’objectif principal de notre politique énergétique s’intègre clairement aux « engagements pris dans le cadre de l’Union européenne ». Malgré cet objectif simple, le Gouvernement a préféré l’inflation législative et l’effet d’annonce des 50 % de nucléaire à l’horizon de 2025.
À ce sujet, je voudrais d’abord évoquer la légèreté qui a présidé à l’inscription de cet objectif en tête du code de l’énergie. Sur quelles bases macroéconomiques le Gouvernement a-t-il fondé sa décision ? Sur quels scenarii de croissance d’ici aux années 2030 ? Quelle croissance démographique est-elle retenue ? Quid de notre production industrielle ?
Dans l’étude d’impact, deux tableaux nous sont sobrement présentés : il y a d’abord le scénario de « référence », un scénario au fil de l’eau ; il y a ensuite le « scénario de transition énergétique », qui tend à prouver qu’il nous sera possible de passer de 73 % à 50 % de nucléaire tout en diminuant par près de deux nos émissions de CO2, et tout cela dans un contexte de croissance économique.
Là encore, le Gouvernement ne fournit pas d’explication sur les liens de causalité entre chaque phénomène que sont, je le rappelle, la croissance économique, la consommation énergétique, la répartition entre consommation fossile et électrique et, enfin, les émissions de CO2. Comment le Gouvernement évalue-t-il nos besoins énergétiques à l’horizon de 2030 ? On ne le sait pas ! On nous annonce simplement une baisse de la consommation d’énergie fossile de 33 %. Viendra-t-elle du logement ou des transports ? Nous ne disposons d’aucun élément à ce sujet.
Par ailleurs, un troisième scénario aurait dû être étudié au vu de la récente et forte baisse des cours du pétrole. Aucune disposition du texte ne traite des conséquences de cette baisse.
Autre question : l’électricité va-t-elle gagner du terrain sur les produits pétroliers et le gaz ? Si oui, dans quelle mesure ? Aucune référence à cette éventuelle substitution des énergies fossiles par l’électricité n’est mentionnée, lacune étonnante pour un projet de loi de transition énergétique et son étude d’impact.
Enfin, et je serais tentée de dire, bien sûr, on ne trouve aucune référence aux pics de consommation dont la hausse structurelle aurait dû être prise en compte et faire l’objet d’un travail ciblé. Vous n’évoquez pas la fragilité de notre système de transport d’électricité.
Quant au défi principal des énergies renouvelables, leur caractère intermittent mérite de vraies réponses sur leur intégration dans notre bouquet énergétique.
Toujours en matière de bouquet énergétique, il est étonnant de constater que le tableau dit « scénario de transition énergétique » mentionne une production électrique d’origine nucléaire de 29 millions de tonnes équivalent pétrole en 2020, son niveau actuel, pour descendre brutalement à 20 millions de TEP en 2030. Dans ces conditions, la promesse de 50 % de nucléaire semble s’éloigner, y compris aux yeux de ceux qui ont écrit l’étude d’impact.
Pour conclure sur cette étude d’impact, comment ne pas s’interroger sur l’absence d’évaluation financière du titre Ier ? Quel est le coût de ces 45 % d’énergies renouvelables dans le mix énergétique ? Selon l’étude d’impact, il est nul, car celle-ci prévoit que la facture énergétique avoisinera toujours les 6, 8 % du revenu des ménages ; réponse non étayée que j’ai personnellement du mal à croire.
Là encore, le projet de loi est une occasion ratée de faire toute la lumière sur le coût réel de la transition énergétique. En effet, le développement des énergies renouvelables, des capacités de stockage, des dispositifs d’effacement, de nos réseaux de transport et de distribution, sans oublier le coût du démantèlement des centrales nucléaires doivent être évalués, car nous souhaitons tous prendre ce chemin de la transition énergétique, non de manière incantatoire, mais en se donnant les moyens de faire face aux charges financières afférentes.
En matière d’approximations financières, le Gouvernement a donc récidivé après le feuilleton de l’écotaxe. Ma collègue Marie-Hélène Des Esgaulx avait alors dénoncé avec justesse le caractère arbitraire et irrégulier de la décision visant à suspendre sa mise en place.
Pour revenir à notre texte, je souhaiterais aborder le projet de loi sous l’angle des rénovations énergétiques, élément central d’une politique de transition énergétique.
En la matière, votre action se révèle pour l’instant un échec. §J’en veux pour preuve les promesses du Président de la République, que j’ai entendues de vive voix à l’occasion de la première conférence environnementale en 2012, de rénover 500 000 logements par an pendant toute la durée de son mandat, c’est-à-dire jusqu’en 2017. Je ne crois pas que ce projet de loi puisse constituer le levier d’une politique publique ambitieuse en la matière.
Prenons l’exemple de l’article 3. Déroger aux règles d’urbanisme qui font obstacle aux travaux de rénovation énergétique, oui ! Toutefois, le faire au mépris des prérogatives du maire en matière de délivrance de permis de construire n’est pas acceptable. L’amendement de M. le rapporteur visant à réécrire cet article a donc été salvateur. J’aurais également pu citer les articles 4, 5 et 6, de faible portée.
Pourtant, un vrai travail de rationalisation était possible, notamment en ce qui concerne les aides à la rénovation énergétique. La somme des dispositifs en vigueur, entre le tiers financement, l’éco-prêt à taux zéro, le crédit d’impôt en faveur de la rénovation énergétique et bientôt le chèque énergie pour ne citer qu’eux, n’est pas de nature à rendre l’action publique intelligible.
Pour conclure mon exposé, je dirai que ce texte déçoit davantage par ses absences que par son contenu.
Or ce sont sans doute ces absences qui vous poussent à défendre avec tant d’acharnement la baisse annoncée de la part du nucléaire dans notre bouquet énergétique, …
… le symbole politique palliatif à une véritable politique publique, le symbole médiatique en l’absence d’une vraie politique écologique.
Tels sont les éléments dont mes collègues du groupe UMP et moi-même souhaitions vous faire part sur ce texte. Au demeurant, madame la ministre, vous le savez aussi, vous pouvez compter sur le Sénat, …
Mme Fabienne Keller. … avec le concours efficace de nos rapporteurs, pour mener un travail constructif nous permettant de trouver des pistes en vue d’une véritable politique publique de la transition énergétique.
Applaudissements sur les travées de l'UMP, ainsi que sur plusieurs travées de l'UDI-UC. – Exclamations sur certaines travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.
Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, la transition énergétique est un beau défi qui se pose à nous et qui pourrait bien constituer l’une des étapes marquantes de notre histoire, au même titre que les révolutions industrielles d’hier qui ont fait la force de notre modèle de développement. Selon l’orientation que nous lui donnerons, elle sera porteuse d’avenir à travers les nouveaux métiers qui émergeront en son cœur et les nouvelles pratiques de production ou, à l’inverse, se révélera insatisfaisante, voire manquée, si nous nous cantonnons à des mesures prescriptives et dogmatiques.
L’énergie est un défi mondial, au cœur des crispations diplomatiques et des convoitises. Nous pouvons ainsi nous réjouir que la France souhaite être pionnière en la matière.
J’axerai mon propos sur la nécessité de croiser l’ambition environnementale et la préservation de la compétitivité de nos entreprises, alors que les défis de l’emploi et de la reconquête industrielle se posent à nous avec acuité. En effet, je veux dire mon inquiétude face à différentes dispositions du projet de loi qui risquent de gager les effets positifs que doit produire la transition énergétique sur la compétitivité de notre économie.
En premier lieu, je souhaite mettre en garde contre les mesures d’affichage. Les objectifs chiffrés énoncés dans l’article 1er assignés à notre politique énergétique, à savoir « porter le rythme annuel de baisse de l’intensité énergétique finale à 2, 5 % d’ici à 2030, en poursuivant un objectif de réduction de la consommation énergétique finale de 50 % en 2050 par rapport à l’année de référence 2012 », ne sont pas de nature à assurer la reconquête industrielle dont notre pays a besoin. Au contraire, ces dispositions tendent à poursuivre un objectif de décroissance qui va à l’encontre des logiques de marché internationales actuelles et qui risque de placer nos entreprises dans une situation de distorsion de concurrence mortifère. La population mondiale passera de 7, 3 milliards d’habitants aujourd’hui à 9, 5 milliards en 2050. Peut-on imaginer que la France se tienne à l’écart de cette croissance et des besoins nouveaux qui apparaîtront alors ?
Je déplore, madame la ministre, le procès d’intention qui est fait au monde économique par le projet de loi. J’ajoute que la référence à l’année 2012 n’est pas pertinente. Selon les chiffres de l’INSEE, le nombre d’emplois dans le secteur industriel français a baissé de 9 % par an de 1975 à 2014. Selon l’INSEE toujours, la part du secteur industriel dans le PIB est passée de 30 % à 19 % sur la même période. Enfin, dans le même temps, la production énergétique est passée de 45 millions tonnes équivalent pétrole, ou TEP, à 29 millions de TEP. Dès lors, prendre l’année 2012 pour référence semble pénalisant. Les entreprises du milieu industriel ont besoin de reconquête si elles veulent redevenir sources d’emplois. L’industrie doit être à nouveau la pierre angulaire de notre richesse nationale.
En deuxième lieu, je crains de voir apparaître de nouvelles mesures synonymes de lourdeurs administratives pour les entreprises, alors qu’une vraie simplification de la vie des entreprises et de la vie des Français s’impose. Après son examen à l’Assemblée nationale, le présent texte est passé de 64 articles à 173, lesquels nécessitent près de 100 mesures réglementaires. Quelle est la lisibilité pour les entreprises dans ces conditions ?
En troisième lieu, je regrette que la dimension communautaire soit absente du projet de loi. On veut l’Europe, la France fait partie de la zone euro ; pourtant, aucune disposition n’en fait mention. Une transition énergétique réussie ne se fera pas sans l’Europe, madame la ministre ; la France ne pourra pas non plus mener seule la transition énergétique qui s’impose à l’Europe et au monde, parce qu’elle veut être exemplaire. Ce faisant, elle risquerait en effet de plomber son économie, prise en tenaille par les distorsions de concurrence sur le continent.
Cela étant, je tiens à souligner les impacts positifs que la politique de transition énergétique pourrait avoir sur nos entreprises, si nous prenons le parti de la raison et du bon sens économique. La production de l’énergie est avant tout une source de richesse et d’emplois sur nos territoires. Je partage votre propos sur ce point, madame la ministre.
La transition énergétique doit être l’occasion d’exploiter nos ressources, tout en les préservant : les ressources forestières, avec la biomasse ; les ressources agricoles, avec la méthanisation ; les ressources maritimes, bien sûr. Soyons ambitieux, mes chers collègues, et ne soyons pas timides !
Notre ambition en matière de transition énergétique doit croiser notre volonté dans le domaine économique, notre conception du rôle de la France au sein de l’Union européenne et dans un monde qui, à horizon de 2050, comptera 9, 5 milliards d’habitants. Cette ambition, madame la ministre, doit aussi être acceptée par la population ; elle doit se conjuguer avec la nécessaire reconquête industrielle, avec la création d’emplois, avec la préservation de notre modèle social, avec la richesse et la diversité territoriale de la France. C’est ainsi que la transition énergétique peut se trouver enrichie du travail de notre assemblée, le Sénat.
Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UDI-UC. – M. Alain Bertrand applaudit également.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, ma réponse sera brève puisque nous allons bientôt aborder l’examen des articles, au cours duquel tous les sujets évoqués cet après-midi reviendront en discussion. J’aurai donc l’occasion de répondre de façon très précise, très technique et très détaillée à l’ensemble des observations formulées.
Je voudrais avant tout remercier les orateurs qui se sont exprimés, ainsi que les rapporteurs et les présidents des commissions, lesquelles ont consacré énormément de temps – plus de 55 heures chacune – à l’examen du texte. Un travail considérable a donc été fourni.
Je tiens également à souligner l’engagement de chacun, qui témoigne de convictions très marquées. Si je ne les partage pas nécessairement, je les respecte toutes. Le sujet le plus sensible, on l’a bien vu, a trait au bouquet énergétique et à la place du nucléaire ; nous y reviendrons dans quelques instants. À ce titre, je ne partage ni le point de vue selon lequel il faudrait sortir du nucléaire – cela ne paraît pas réaliste – ni celui selon lequel il faudrait passer au tout-nucléaire, car tel n’est pas l’intérêt des entreprises.
Le marché mondial de l’énergie change à toute vitesse. Nous avons besoin de définir ensemble ce que peut être l’intérêt majeur de nos grands industriels de l’énergie, ainsi que de toutes les petites et moyennes entreprises de ce secteur. Je veux donner deux exemples pour illustrer mon propos.
Je reviens d’Inde, où j’ai pu rencontrer le Premier ministre. Ce pays qui, vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, produit beaucoup de charbon s’engage aujourd’hui dans une mutation énergétique accélérée. Il s’est fixé un objectif de production de 100 gigawatts d’énergie photovoltaïque. Des marchés considérables sont donc à conquérir. J’indique que l’Inde s’est également fixé l’objectif de multiplier par six sa production d’énergie nucléaire.
Ma conviction profonde, c’est que nos énergéticiens seront d’autant plus puissants sur les marchés mondiaux que nous contribuerons à les engager sur la voie du bouquet – du « mix » – énergétique ; s’ils doivent être toujours aussi performants dans leur métier historique, ils doivent pouvoir emprunter avec force détermination et efficacité industrielle le chemin des énergies renouvelables. Il s’agit en effet d’un domaine industriel où la compétitivité mondiale évolue ; la France doit donc absolument rattraper son retard, voire prendre de l’avance, le marché étant particulièrement prometteur.
J’observe par ailleurs que la France a perdu plusieurs grands marchés nucléaires. Ma conviction, c’est que la France peut les reconquérir, y compris dans le domaine de l’énergie nucléaire, si elle est capable d’offrir dans le même temps des compétences en matière d’énergies renouvelables et d’efficacité énergétique. C’est d’ailleurs pourquoi, et j’y reviendrai dans nos discussions sur l’article 1er, nos grands opérateurs évoluant dans le domaine nucléaire – EDF, AREVA, le Commissariat à l’énergie atomique – s’engagent sur la voie des énergies renouvelables. C’est ainsi que le Commissariat à l’énergie atomique s’appelle en réalité « Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives » et qu’EDF a remporté en Chine un marché très important de centrale photovoltaïque, alors que le groupe perdait des marchés dans le domaine du nucléaire.
Le Gouvernement et la représentation nationale ont donc la responsabilité de penser l’avenir énergétique et de positionner nos entreprises afin qu’elles soient les plus puissantes possibles.
Je ne partage pas les propos de M. le rapporteur sur la place du nucléaire dans la production d’électricité ; nous y reviendrons, car j’aurai à défendre l’amendement tendant à réintroduire l’horizon de 2025 dans la loi. Je ne partage pas plus votre position, monsieur Longuet, en faveur du tout-nucléaire, mais j’approuve une de vos affirmations : nous devons absolument faire en sorte que nos entreprises se rapprochent, qu’elles travaillent ensemble, qu’elles jouent en équipe sur la scène internationale. Je m’y emploie d’ailleurs tous les jours.
Comme vous le savez, les dirigeants de nos grands acteurs dans ce domaine – EDF, AREVA, le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives – viennent de changer. Je crois pouvoir vous dire – c’est une bonne nouvelle – qu’ils sont en train de s’atteler à cette tâche ; ils veulent être des partenaires et jouer collectif, sur la scène française comme internationale. J’espère à ce titre que des rapprochements se feront avec GDF-Suez, afin que notre politique en matière de bouquet énergétique soit puissante et puisse faire face à la montée des appels d’offres et aux mutations énergétiques qui ont lieu dans tous les domaines. Tous les pays du monde, en effet, s’engagent aujourd’hui dans la transition énergétique.
Je veux évoquer un deuxième exemple à l’appui de mon propos. J’étais il y a quelques jours à Abou Dhabi, où se tenait le Sommet mondial des énergies de l’avenir. Qu’un pays producteur de pétrole organise un sommet mondial des énergies renouvelables doit nous inciter à réfléchir !
Pour préparer l’après-pétrole, les pays producteurs investissent massivement dans les énergies renouvelables. Si nous n’accélérons pas ce processus en France, si nous ne poussons pas sur cette voie nos entreprises, au premier rang desquelles EDF, AREVA, GDF, mais aussi le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives et tous les autres opérateurs et sous-traitants, nous allons perdre ces marchés et prendre du retard. Notre responsabilité est donc de réfléchir à l’horizon que nous devons fixer pour ces entreprises, afin que leurs investissements soient sécurisés.
Pour préparer l’après-pétrole, je le répète, les pays producteurs investissent massivement dans les énergies renouvelables, en créant notamment des villes entièrement autonomes en énergie. En Inde aussi un projet de 100 « smart cities », des villes à énergie positive, a été lancé. Il s’agit donc d’un marché mondial considérable, auquel la France est appelée est participer. Elle dispose d’ailleurs des technologies pour ce faire. Nous avons été les premiers à maîtriser les énergies éolienne et solaire. À cause du choix en faveur du tout-nucléaire, nous avons malheureusement perdu l’avance que nous avions dans le développement de quelques-unes de ces technologies.
Notre défi, dans le même temps, est de rester les meilleurs dans le domaine de l’énergie nucléaire. J’en profite pour répondre à Didier Guillaume sur ce sujet ; sur 58 réacteurs nucléaires, 37 auront au moins quarante ans en 2025. Selon les décisions rendues par l’Autorité de sûreté nucléaire, certains réacteurs devront donc fermer, d’autres verront leur activité prolonger et de nouveaux seront construits.
Dès lors, vous avez raison de le souligner, monsieur le rapporteur, l’horizon de 2025 est très proche, mais surtout pour ce qui concerne la réalité des faits, qui impose de prendre une décision. Puisque la représentation nationale se saisit de la question de l’énergie, elle aura à donner son avis sur le sujet, à débattre en toute transparence et à contribuer à la prise de décision la plus judicieuse possible.
Ces différents exemples me permettent de vous montrer, mesdames, messieurs les sénateurs, pourquoi le présent projet de loi fait le choix de ne pas opposer les énergies les unes aux autres. Il convient en effet que la France soit forte dans chacune de ses spécialités et qu’elle se positionne sur son territoire comme à l’international, grâce à une offre de services de mix énergétique. Cela lui permettra de reconquérir les marchés du nucléaire – la demande existe – qu’elle perd face aux Coréens, aux Russes ou encore aux Américains, lesquels se positionnent également en Inde.
Nous serons d’autant plus forts que nos entreprises pourront proposer une offre de services énergétiques dans le domaine du nucléaire comme dans celui des énergies renouvelables. Tous les pays du monde ont renoncé à faire un choix exclusif : ils cherchent tous à se constituer un bouquet énergétique. Nous sommes un des rares pays à pouvoir maîtriser l’ensemble de ces technologies. C’est la raison pour laquelle nous avons l’ardente obligation d’encourager la mutation de ces entreprises et de ne pas les laisser croire qu’elles peuvent, sans rien faire, ou en se repliant sur l’illusion du tout-nucléaire, conquérir les marchés de demain.
Dans le même temps, il faut assumer, je l’ai dit, que l’énergie nucléaire nous donne suffisamment de sécurité pour réussir la transition énergétique et inventer notre nouveau modèle énergétique. Elle permet à nos entreprises d’être plus fortes, de conquérir les marchés mondiaux, qui connaissent une forte accélération, une forte montée en puissance.
Tel est le défi que je vous propose de relever. Je serai bien sûr très à l’écoute des arguments qui seront échangés au cours de nos débats. Les règles que nous allons mettre en place intéressent en effet plusieurs centaines de milliers d’entreprises sur tout le territoire. Je pense naturellement aux entreprises du BTP, qui sont concernées par les dispositions relatives à l’efficacité énergétique des bâtiments et la construction des bâtiments à énergie renouvelable. Les entreprises et les artisans de ce secteur attendent des règles claires pour pouvoir avancer. Je pense également aux entreprises du secteur des énergies renouvelables, à celles du secteur de l’énergie nucléaire, sans oublier celles évoluant dans le domaine du traitement des déchets ou de l’économie circulaire. Je pense enfin à toutes les entreprises et start-up du secteur des compteurs ou circuits intelligents et du smart grid.
Nous sommes en train de débattre de chances nouvelles avec des enjeux absolument majeurs. Nous avons, me semble-t-il, une très lourde, mais une magnifique responsabilité. Il est assez rare que le Parlement débatte de textes comme celui-ci. L’enjeu n’est pas seulement national ; de tels débats ont lieu dans le monde entier. À mon sens, c’est un moment parlementaire très important.
J’ai entendu un certain nombre de caricatures. Je m’efforcerai de ne pas polémiquer. Je rappelle simplement qu’il y avait 238 objectifs dans le Grenelle de l’environnement.
Et certains osent dire que, avec une dizaine d’objectifs seulement, ce texte en contient encore trop ! J’ai voulu que l’ensemble soit le plus simple, le plus ramassé et le plus cohérent possible.
La gauche a voté le Grenelle de l’environnement. Il y avait pourtant des reproches à formuler : le projet de loi était très ambitieux, avec plus de 400 textes réglementaires à adopter ; tous ne sont pas parus à ce jour… Mais la gauche a fait le choix de voter le Grenelle, pour engager le pays dans la transition écologique. Car même si l’ensemble n’était pas parfait, il fallait se mettre d’accord sur l’essentiel, définir les objectifs et avancer.
Surtout, nous stabilisons les règles. Je le rappelle, lorsque les tarifs du photovoltaïque ont évolué, des entreprises qui avaient investi ont brutalement fait faillite.
Comme vous l’avez tous souligné, il faut, et c’est une préoccupation constante, des règles simples, pragmatiques, compréhensibles, claires, mais surtout stables.
Quand les entreprises ont des doutes sur la clarté et la stabilité des règles, elles investissent moins. Il leur faut de la visibilité, à dix ou quinze ans. Certes, à l’échelle du retour sur investissement, dix ou quinze ans, c’est effectivement très court, mais nous avons une responsabilité. Nous devons fixer un horizon de stabilité pour favoriser les investissements, faciliter les accords d’entreprise, aider à la définition des positionnements industriels et donner confiance aux acteurs économiques. Ceux-ci ont besoin de pouvoir calculer simplement le retour sur investissement, apprécier la durée d’amortissement et évaluer la compétitivité des entreprises.
Je souhaite donc l’adoption d’un texte le plus consensuel possible. Les entreprises doivent avoir le sentiment que les règles sont stabilisées et que les choix de la représentation nationale leur ouvrent de nouvelles perspectives.
Le présent projet de loi offre également des possibilités d’adaptation au fur et à mesure. La programmation pluriannuelle de l’énergie permettra de mesurer régulièrement la montée en puissance de telle ou telle énergie. On pourra ainsi procéder le cas échéant à des réajustements, selon les résultats acquis, le montant des investissements ou le niveau de la production et de la consommation. C’est donc un texte pragmatique. Nous ne gravons pas des objectifs dans le marbre à l’horizon de 2025, 2030 ou 2050. Nous fixons simplement un cap. Les mesures d’ajustement seront débattues au Parlement, dans les commissions, en fonction des résultats économiques et des investissements.
Ce projet de loi est passionnant à construire. En effet, et de nombreux intervenants l’ont souligné, la transition énergétique s’effectuera d’abord dans les territoires, lorsque toutes les mairies auront les moyens financiers d’investir pour réaliser les travaux d’isolation sur les équipements publics municipaux. Or, et je le démontrerai au cours du débat, ces moyens existent. Ils ne sont peut-être pas exorbitants, mais ils sont disponibles. Je pense en particulier à la ligne de crédit ouverte à la Caisse des dépôts et consignations pour les collectivités territoriales ; il faut s’en saisir. Beaucoup de maires en ignorent l’existence. Ce dispositif, au taux de 1, 75 % remboursable en quarante ans sans apport initial, permet aux mairies et aux communautés de communes de faire travailler les entreprises du bâtiment de leur territoire.
Le Fonds national de la transition énergétique et de la croissance permettra aussi aux territoires d’effectuer les travaux nécessaires, qu’il s’agisse de la performance énergétique, de la construction de bâtiments à énergie positive, du traitement des déchets ou de l’installation des énergies renouvelables.
Avec les tarifs de rachat, la politique énergétique permet de construire des installations de production d’énergies renouvelables. La commission a donné une part plus importante à l’utilisation de la biomasse. Cela faisait effectivement partie des compléments qu’il était indispensable d’apporter au texte adopté par l’Assemblée nationale.
Les interventions des différents orateurs, toutes sensibilités politiques confondues, traduisent une prise de conscience de la nécessité d’accélérer la transition énergétique. Nous le voyons bien à l’échelle de la planète : ceux qui accéléreront la transition énergétique seront les gagnants de cette grande mutation ; ceux qui freineront des quatre fers et miseront sur le statu quo pour préparer l’avenir en seront les perdants ! Pour ma part, je souhaite, et je sais que vous partagez ce souhait, que la France soit la grande gagnante de la transition énergétique et que nos entreprises puissent en être les premières bénéficiaires.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
Titre Ier
Définir les objectifs communs pour réussir la transition énergétique, renforcer l’indépendance énergétique et la compétitivité économique de la France et lutter contre le changement climatique
L'amendement n° 491, présenté par MM. Bosino et Le Scouarnec, Mme Didier, M. Vergès, Mme Assassi, M. Abate, Mme Beaufils, MM. Billout et Bocquet, Mmes Cohen, Cukierman, David et Demessine, MM. Favier et Foucaud, Mme Gonthier-Maurin, M. P. Laurent, Mme Prunaud et M. Watrin, est ainsi libellé :
Avant l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Un rapport contradictoire portant sur les conséquences sociales, environnementales et économiques, notamment sur l’évolution des prix et des tarifs des énergies, du processus d’ouverture à la concurrence du secteur de l’énergie est présenté au Parlement par le Gouvernement avant le 30 juin 2015.
La parole est à M. Jean-Pierre Bosino.
Nous avons eu à plusieurs reprises l’occasion d’aborder les conséquences néfastes de l’ouverture à la concurrence du secteur de l’énergie. Comme l’expliquait en 2007 Marcel Boiteux, ancien directeur d’EDF, « il ne s’agit plus d’ouvrir à la concurrence pour faire baisser les prix, mais d’élever les prix pour permettre la concurrence ».
Au cours des dix ans ayant suivi l’ouverture à la concurrence des entreprises EDF et GDF, le prix de l’électricité et du gaz ont augmenté respectivement de 22 % et 66 %. Pour notre part, nous pensons que cette hausse des tarifs est directement imputable à la concurrence libre et non faussée. Au demeurant, aucune étude ne s’est encore penchée sur les effets sociaux, environnementaux ou économiques de la libéralisation. Cet amendement vise à remédier à un tel déficit d’information et de transparence en prévoyant la remise d’un rapport contradictoire contenant tous ces éléments d’analyse.
La libéralisation a causé une complexification importante du droit de l’énergie. Elle a ainsi contribué à rendre ce secteur énergétique beaucoup moins lisible. Les opérateurs et entreprises privés ont, eux, su tirer profit de la situation et jouer sur la complexité croissante pour optimiser leur rentabilité. Or pour que le législateur soit à même de légiférer efficacement, et dans l’esprit de responsabilité qu’évoquait Mme la ministre, la transparence et la lisibilité sont des éléments indispensables. L’adoption de cet amendement y contribuera.
Une telle exigence n’a jamais été satisfaite par le Gouvernement : à ce jour, aucun rapport sur les effets de l’ouverture à la concurrence des marchés de l’énergie n’a été publié. Certes, des rapports sur le coût de l’électricité existent. Toutefois, ce que nous souhaitons, c’est une analyse globale des effets des impératifs européens en termes législatifs, techniques, financiers et humains.
De nombreux autres amendements visent à la remise de rapports, en plus de ceux qui sont déjà prévus dans le texte du Gouvernement. Pour ma part, je ne suis pas un fanatique de la multiplication des rapports.
Sur le fond, vous indiquez que l’ouverture du marché a provoqué la hausse des tarifs de l’électricité.
Or si l’ouverture à la concurrence a par définition conduit à une multiplication des offres tarifaires par rapport aux situations monopolistiques antérieures, il est inexact de lui imputer la hausse des prix de l’énergie. Cette dernière résulte, pour l’électricité, d’un rattrapage des prix après de nombreuses années où leur augmentation avait été inférieure à l’inflation, pour le gaz, d’une hausse liée aux circonstances géopolitiques et, enfin, pour toutes les énergies, de l’augmentation des taxes, augmentation due aux différents gouvernements, mon cher collègue…
Comme toute évolution, l’ouverture à la concurrence a pu être déstabilisatrice. Cependant, les Français s’en satisfont manifestement : ils sont de plus en plus nombreux à avoir changé de fournisseur ! C’était notamment vrai pour le gaz jusqu’à il y a deux ans ; c’est désormais vrai aussi pour l’électricité.
La commission a donc émis un avis défavorable.
Le Gouvernement émet également un avis défavorable.
D’abord, de nombreuses études sont déjà parues sur le sujet ; nous pourrons vous les communiquer, monsieur le sénateur. De ce point de vue, l’amendement me paraît donc satisfait.
Ensuite, l’ouverture à la concurrence du secteur de l’énergie n’est pas le seul facteur déterminant en la matière.
Enfin, il me semble plus utile pour la transition énergétique de concentrer les forces des services du ministère sur la rédaction des décrets d’application – M. Nègre y faisait référence précédemment – à laquelle je suis d’ailleurs tout à fait prête à associer vos rapporteurs.
L’examen de ce premier amendement me donne l’occasion de formuler quelques observations.
Ce projet de loi avait au départ une ambition : tuer le nucléaire ! C’est ainsi que nous avions compris l’accord électoral entre le parti socialiste et les Verts.
Depuis lors, la situation a quelque peu évolué : le Gouvernement a écouté les différents acteurs, et le réalisme l’a progressivement emporté.
Cela étant, dans son intervention, Mme la ministre a surtout parlé de l’électricité. Or la part de l’électricité dans la consommation d’énergie en France ne représente que 24 %.
Le reste, c’est de l’énergie carbonée.
Limiter toute la réflexion à 24 % de l’énergie consommée, même si l’électricité est, il est vrai, à 70 % ou 75 % d’origine nucléaire, c’est réduire le débat !
Le Gouvernement prétend « tourner le dos au tout-nucléaire ». Or le tout-nucléaire n’a jamais existé en France.
Regardez les chiffres : dans la consommation d’énergie, le nucléaire, c’est trois quarts de 24 % !
Je le dis ici : nous ne sommes pas porteurs d’une politique qui aurait été mise en place pendant des années par les gouvernements que nous soutenions et qui aurait visé à faire du tout-nucléaire. Nous sommes favorables à un bouquet, à un mix énergétique dans lequel le nucléaire doit continuer à avoir une place. Si vous tenez à parler de tout-nucléaire pour la France, il faut alors parler de tout-charbon pour l’Allemagne, car c’est l’alternative qui se présente aujourd'hui à nous !
Telles sont les clarifications que je souhaitais apporter, de façon à remettre l’ensemble du dossier de l’énergie à sa juste place.
Applaudissements sur les travées de l'UMP.
L'amendement n'est pas adopté.
L'amendement n° 492, présenté par MM. Bosino et Le Scouarnec, Mme Didier, M. Vergès, Mme Assassi, M. Abate, Mme Beaufils, MM. Billout et Bocquet, Mmes Cohen, Cukierman, David et Demessine, MM. Favier et Foucaud, Mme Gonthier-Maurin, M. P. Laurent, Mme Prunaud et M. Watrin, est ainsi libellé :
Avant l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
La loi n° 2010-1488 du 7 décembre 2010 portant nouvelle organisation du marché de l’électricité est abrogée.
La parole est à M. Jean-Pierre Bosino.
La loi portant nouvelle organisation du marché de l’électricité, dite « loi NOME », avait pour objet une ouverture réelle et effective du marché de l’électricité à une concurrence pérenne, tout en protégeant les consommateurs français contre une hausse importante et rapide des prix de détail, grâce au maintien partiel des tarifs réglementés. Elle a en fait été un élément de déstructuration du marché de l’énergie, en particulier de l’électricité – il ne sert à rien de le nier. Elle symbolise l’injection d’une concurrence forcée dans des secteurs naturellement non concurrentiels.
Là où devrait s’imposer une réflexion sur une politique tarifaire solidaire et sur une politique d’investissement de long terme, c’est la déréglementation, la concurrence au profit de la hausse des prix qui ont prévalu et continuent de prévaloir malgré des résultats déplorables.
L’obligation faite à EDF de vendre une partie de sa production d’électricité d’origine nucléaire aux opérateurs privés, la spéculation sur l’effacement à travers le marché de capacité, le dessaisissement des prérogatives du ministre de l’énergie en matière de fixation des tarifs du gaz et de l’électricité au profit de la Commission de régulation de l’énergie, toutes ces mesures prévues par la loi NOME ont considérablement affaibli le service public de l’énergie, entraînant pour tous les consommateurs un renchérissement de leur facture énergétique et exposant les populations les plus fragiles à la précarité énergétique.
La loi NOME, c’est également la réduction des investissements nécessaires à la maintenance et à la sûreté des installations, des réseaux de transport et de distribution électrique, mais aussi du réseau gazier.
Enfin, avec la libéralisation du marché de l’énergie, la complexité technique et économique de ce secteur, qui était internalisée et rationalisée par le monopole d’État, s’est déportée sur un système politique qui ne sait plus ni maîtriser la complexité industrielle ni dégager l’intérêt général de long terme. Nous sommes passés d’un service public de l’énergie géré efficacement, dans le souci de l’intérêt général de long terme, par un tout petit nombre de grandes entreprises publiques à un dispositif d’une complexité grandissante marqué par son manque d’efficience économique et sociale.
L’État ne semble plus avoir la capacité de définir des objectifs simples, clairs et constants. Pour les sénateurs du groupe CRC, la politique énergétique de demain doit être dégagée des logiques marchandes et relever de la maîtrise publique, tant dans la gouvernance que dans la propriété des outils de production, des installations et des réseaux du secteur énergétique.
La loi NOME est en contradiction avec ces principes fondamentaux. C’est pourquoi nous en proposons l’abrogation.
En proposant d’abroger la loi NOME, les auteurs de cet amendement sont tout à fait cohérents avec la position qu’ils défendent depuis toujours. Ils se sont en effet opposés à ce texte dès le début de son examen.
Pour ma part, je suis favorable à la loi NOME, qui permet d’assurer aux fournisseurs alternatifs un droit d’accès régulé à l’électricité nucléaire historique, de préserver le parc nucléaire historique d’EDF en sécurisant ses engagements à long terme pour le démantèlement et la gestion des déchets et en lui permettant de réaliser les investissements nécessaires à l’allongement de la durée d’exploitation des réacteurs, de maintenir des prix compétitifs en France pour les consommateurs finals, la France bénéficiant aujourd’hui encore d’une électricité parmi les moins chères en Europe. Enfin, si la loi NOME a prévu la suppression des tarifs réglementés pour les gros consommateurs, elle a aussi préservé le maintien des tarifs réglementés pour les petits consommateurs d’électricité ou de gaz.
Malgré tous les griefs que vous avez contre elle, cette loi a des aspects positifs. Voilà pourquoi la commission est défavorable à cet amendement.
L'amendement n'est pas adopté.
I. – L’article L. 100-1 du code de l’énergie est ainsi rédigé :
« Art. L. 100 -1. – La politique énergétique :
« 1° A
Supprimé
« 1° Favorise l’émergence d’une économie compétitive et riche en emplois grâce à la mobilisation de toutes les filières industrielles, notamment celles de la croissance verte qui se définit comme un mode de développement économique respectueux de l’environnement, à la fois sobre et efficace en énergie et en consommation de ressources et de carbone, et garant de la compétitivité des entreprises ;
« 2° Assure la sécurité d’approvisionnement et réduit la dépendance aux importations ;
« 3° Maintient un prix de l’énergie compétitif et attractif au plan international et permet de maîtriser les dépenses en énergie des consommateurs ;
« 4° Préserve la santé humaine et l’environnement, en particulier en luttant contre l’aggravation de l’effet de serre et contre les risques industriels majeurs, en réduisant l’exposition des citoyens à la pollution de l’air et en garantissant la sûreté nucléaire ;
« 5° Garantit la cohésion sociale et territoriale en assurant un droit d’accès de tous à l’énergie sans coût excessif au regard des ressources des ménages ;
« 6° Lutte contre la précarité énergétique ;
« 7° Contribue à la mise en place d’une politique énergétique européenne. »
II. – L’article L. 100-2 du code de l’énergie est ainsi rédigé :
« Art. L. 100 -2. – Pour atteindre les objectifs définis à l’article L. 100-1, l’État, en cohérence avec les collectivités territoriales et leurs groupements et en mobilisant les entreprises, les associations et les citoyens, veille, en particulier, à :
« 1° Maîtriser la demande d’énergie et favoriser l’efficacité et la sobriété énergétiques ;
« 2° Garantir aux personnes les plus démunies l’accès à l’énergie, bien de première nécessité, ainsi qu’aux services énergétiques ;
« 3° Diversifier les sources d’approvisionnement énergétique, réduire le recours aux énergies fossiles, diversifier de manière équilibrée les sources de production d’énergie et augmenter la part des énergies renouvelables dans la consommation d’énergie finale ;
« 3° bis Procéder à un élargissement progressif de la part carbone dans les taxes intérieures de consommation sur les énergies fossiles, cette augmentation étant compensée, à due concurrence, par un allègement de la fiscalité pesant sur d’autres produits, travaux ou revenus ;
« 4° Assurer l’information de tous et la transparence, notamment sur les coûts et les prix de l’énergie ainsi que sur son contenu carbone ;
« 5° Développer la recherche et favoriser l’innovation dans le domaine de l’énergie, notamment en donnant un élan nouveau à la physique du bâtiment ;
« 5° bis Renforcer la formation aux problématiques et aux technologies de l’énergie de tous les professionnels impliqués dans les actions d’économie d’énergie, notamment par l’apprentissage ;
« 6° Assurer des moyens de transport et de stockage de l’énergie adaptés aux besoins.
« Pour concourir à la réalisation de ces objectifs, l’État, les collectivités territoriales et leurs groupements, les entreprises, les associations et les citoyens associent leurs efforts pour développer des territoires à énergie positive. Est dénommé “territoire à énergie positive” un territoire qui s’engage dans une démarche permettant d’atteindre au moins l’équilibre entre la consommation et la production d’énergie à l’échelle locale en réduisant autant que possible les besoins d’énergie. Un territoire à énergie positive doit favoriser l’efficacité énergétique, la réduction des émissions de gaz à effet de serre et la diminution de la consommation des énergies fossiles et viser le déploiement d’énergies renouvelables dans son approvisionnement. »
III. – L’article L. 100-4 du code de l’énergie est ainsi rédigé :
« Art. L. 100 -4. – I. – La politique énergétique nationale a pour objectif principal de réduire les émissions de gaz à effet de serre de 40 % entre 1990 et 2030, conformément aux engagements pris dans le cadre de l’Union européenne, et de diviser par quatre les émissions de gaz à effet de serre entre 1990 et 2050. La trajectoire est précisée dans les budgets carbone mentionnés à l’article L. 222-1 A du code de l’environnement. À cette fin, elle vise à :
« 1°
Supprimé
« 2° Porter le rythme annuel de baisse de l’intensité énergétique finale à 2, 5 % d’ici à 2030, en poursuivant un objectif de réduction de la consommation énergétique finale de 50 % en 2050 par rapport à l’année de référence 2012. Cette dynamique soutient le développement d’une économie efficace en énergie, notamment dans les secteurs du bâtiment, des transports et de l’économie circulaire, et préserve la compétitivité et le développement du secteur industriel ;
« 3° Réduire la consommation énergétique primaire des énergies fossiles de 30 % en 2030 par rapport à l’année de référence 2012 en modulant cet objectif par énergie fossile en fonction du facteur d’émissions de gaz à effet de serre de chacune ;
« 4° Porter la part des énergies renouvelables à 23 % de la consommation finale brute d’énergie en 2020 et à 32 % de cette consommation en 2030 ; à cette date, cet objectif est décliné en 40 % de la production d’électricité, 38 % de la consommation finale de chaleur, 15 % de la consommation finale de carburants et 10 % de la consommation de gaz ;
« 5° Réduire la part du nucléaire dans la production d’électricité sous réserve de préserver l’indépendance énergétique de la France, de maintenir un prix de l’électricité compétitif et de ne pas conduire à une hausse des émissions de gaz à effet de serre de cette production, cette réduction intervenant à mesure des décisions de mise à l’arrêt définitif des installations prises en application de l’article L. 593-23 du code de l’environnement ou à la demande de l’exploitant, et en visant à terme un objectif de réduction de cette part à 50 % ;
« 6° Disposer d’un parc immobilier dont l’ensemble des bâtiments sont rénovés en fonction des normes “bâtiment basse consommation” ou assimilé, à l’horizon 2050, en menant une politique de rénovation thermique des logements dont au moins la moitié est occupée par des ménages aux revenus modestes ;
« 7° Parvenir à l’autonomie énergétique dans les départements d’outre-mer en 2030, avec, comme objectif intermédiaire, 30 % d’énergies renouvelables à Mayotte et 50 % d’énergies renouvelables à La Réunion, en Martinique, en Guadeloupe et en Guyane en 2020.
« II. – L’atteinte des objectifs définis au I du présent article fait l’objet d’un rapport au Parlement déposé dans les six mois suivant l’échéance d’une période de la programmation pluriannuelle de l’énergie mentionnée à l’article L. 141-3 du présent code. Le rapport et l’évaluation des politiques publiques engagées en application du présent titre peuvent conduire, au regard du développement des énergies renouvelables et de la compétitivité de l’économie, à la révision des objectifs de long terme définis au I. »
IV. –
Non modifié
V. –
Non modifié
VI. – Le II de l’article 22 de la loi n° 2009-967 du 3 août 2009 précitée est ainsi modifié :
1° À la deuxième phrase du cinquième alinéa, la référence : « 10 de la loi n° 2005-781 du 13 juillet 2005 de programme fixant les orientations de la politique énergétique » est remplacée par la référence : « L. 144-1 du code de l’énergie » ;
2° La dernière phrase du cinquième alinéa et la seconde phrase du sixième alinéa sont supprimées.
On ne peut pas reprocher à quelqu’un de vouloir devenir vertueux, surtout quand il n’a plus le choix... Gaz à effet de serre, changement climatique, coût de l’énergie et ses conséquences sur les populations les plus démunies, chamboulement environnemental, impact indéniable sur la santé humaine de certains produits, process et développement industriels, sans parler de la mauvaise conscience que nous avons tous de jouer aux apprentis sorciers avec notre monde : tout cela nous incite, nous conduit, nous oblige à imaginer et à construire l’avenir autrement.
L’article 1er du projet de loi relatif à la transition énergétique vise simplement à afficher une volonté et à affirmer une prise de conscience.
Oui, il affiche une volonté ! Or, en français, quand on veut afficher une volonté, on utilise des verbes comme maîtriser, garantir, diversifier, procéder, assurer, développer, renforcer, parvenir... J’arrête là l’énumération, et je vous renvoie au texte.
Oui, il affirme aussi une prise de conscience ! Nous sommes conscients que nous sommes devenus des « consommateurs fous », d’innovation, de technologie. C’est un concept de société, c’est une nouvelle façon de vivre, certains parlent même d’un nouvel art de vivre – encore faudrait-il définir le mot « art »… Bref, dans notre société, on ne peut pas faire autrement que de consommer et d’être « branché », au sens littéral et physique du terme.
Oui, notre nouveau fonctionnement sociétal nous conduit à être énergivores, outrageusement énergivores ! Certains diront que ce n’est pas un défaut, que cela fait « tourner la machine ». Certes, mais quand on a conscience que la machine nous fait cadeau d’effets secondaires peu désirables et potentiellement dangereux, on est en devoir d’inventer un autre type de machine.
Nous sommes à une période de l’évolution humaine où il nous faut abandonner une partie du modèle qui a prévalu durant les deux siècles précédents pour inventer une partie du modèle du siècle futur, sachant que nous devrons être plus conscients, plus raisonnables, plus vertueux.
Vouloir être vertueux, c’est une qualité pour un être humain. Pourquoi pas pour une nation, pour un État ou pour un gouvernement ?
Bien sûr, dans cet article, il aurait été plus commode de faire figurer des objectifs sans chiffres et sans dates, en d’autres termes faire un listing de bonnes intentions. Mais nous savons tous à quoi peuvent servir les bonnes intentions… Voilà pourquoi il faut de temps en temps avoir le courage de dire, d’afficher, d’assumer et ne pas avoir honte d’être ambitieux. On ne peut pas reprocher à quelqu’un d’être ambitieux, surtout quand il n’a plus le choix.
Sans les chiffres, sans les objectifs, sans les repères, il est difficile d’expliquer, de mobiliser, d’avancer... Il est compliqué d’expliquer l’urgence de la situation. Comment dire aux gens que la banquise fond, que le climat change, que nous avons perdu 99, 9 % de la biodiversité depuis l’apparition de la vie sur Terre. Nos ressources s’épuisent et l’énergie pourrait devenir un produit de luxe. Si nous présentions les choses ainsi à nos concitoyens, ils nous répondraient : soit, mais qu’attendez-vous pour agir, vous, les élus ?
Difficile de mobiliser sans des dates butoirs, car les gens, les décideurs, les collectivités, tous vous répondront : on a le temps, on verra cela plus tard, on a d’autres chats à fouetter, et de toute façon on n’a plus d’argent. Ces arguments, nous, élus, les avons utilisés maintes et maintes fois, quelles que soient nos responsabilités.
Il est difficile d’avancer sans des objectifs, sans des chiffres, sans un tableau de bord... Or nous savons tous qu’il est très difficile d’élaborer un tableau de bord dans le cadre des politiques publiques, et ce pour diverses raisons, quelquefois peu avouables…
Alors, oui, il faut expliquer mobiliser et avancer ! Oui, il faut diminuer de 30 % la consommation d’énergie fossile pour 2030 ! Ça va être dur, mais c’est faisable ! Oui, il ne sera pas évident de passer à 32 % d’énergies renouvelables en 2030, mais c’est réalisable !
Oui, avoir un parc immobilier entièrement rénové en 2050, c’est presque un pari insensé, pour lequel il faudra mobiliser tout le monde, mais c’est possible !
Oui, enfin, pour atteindre 50 % de nucléaire en 2025, il faudra être volontariste, avoir le cuir dur et promouvoir les autres énergies, mais c’est envisageable !
Avons-nous vraiment le choix ?
Au cours des débats à l’Assemblée nationale, nous avons entendu certains mots comme « irréalisable », « impossible », « utopie ». Nous les entendrons peut-être aussi ici. Permettez-moi simplement de rappeler en cet instant que depuis que le monde est monde, l’utopie a toujours été la meilleure des piles à combustible.
Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.
M. Hervé Poher. Comme le disait Oscar Wilde, « le progrès n’est que l’accomplissement des utopies ». L’article 1er nous demande de viser haut et d’avoir ce courage !
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.
Je salue la rédaction proposée par notre rapporteur Ladislas Poniatowski et votée par la commission pour l’article 1er. Il s’agit d’un bon point d’équilibre, qui répond au principe de réalité tout en évitant de tomber dans un double piège.
Le premier, c’est la caricature. Se fixer une part de 50 % de nucléaire dans le bouquet énergétique, c’est reconnaître la réalité de la montée en puissance des énergies renouvelables et, par conséquent, la baisse tendancielle du poids du nucléaire. Le texte de la commission évite donc le piège du tout-nucléaire.
Par ailleurs, sur l’ensemble des travées, un certain nombre d’élus, de droite comme de gauche, ont pris des positions courageuses dans leur territoire. Quand il s’agit d’accueillir de grandes plateformes pour l’éolien offshore, le bénéfice va à la nation tout entière, mais les critiques, bien souvent, sont réservées aux seuls élus locaux… Madame la ministre, nous montrons quotidiennement par des actes concrets sur nos territoires que nous sommes nous aussi, élus locaux, engagés positivement dans la transition énergétique.
Le deuxième piège évité est celui que le Gouvernement nous proposait, à savoir celui de l’incohérence et de l’erreur. L’incohérence, parce que 50 % de nucléaire à l’horizon de 2025, c’est une fiction, c’est matériellement impossible. Il suffit de lire attentivement l’étude d’impact pour s’en convaincre. À cet égard, j’informe Hervé Poher, qui est intervenu avant moi avec force, que l’étymologie grecque nous apprend que le terme « utopie » s’utilise pour désigner un lieu qui n’existe pas.
Sourires sur les travées de l'UMP.
Beaucoup disent qu’il faut de l’ambition ; ayons collectivement de l’ambition, mais ayons aussi un comportement cohérent et conséquent. Comme l’a demandé le rapporteur, dès lors que vous fixez l’objectif de 50 % en 2025, il faut répondre à deux questions.
Un tel objectif implique de fermer, dans les dix ans à venir, vingt réacteurs sur cinquante-huit. Lesquels ? C’est la première question. Peut-être ne pouvez pas préciser quels seront ces vingt réacteurs – ce serait se projeter trop loin –, mais au moins pourriez-vous nous en indiquer déjà cinq ou dix. Assumer d’emblée la conséquence de l’ambition, tel est l’objet de la politique.
Seconde question : par quoi remplace-t-on l’énergie produite grâce au nucléaire, 140 térawattheures sur 550 ? Nous attendons, madame la ministre, des réponses à ces deux questions.
C’est une fiction, je le répète, mais c’est aussi selon nous une triple erreur.
C’est d’abord une erreur écologique, Fabienne Keller nous en a fait la démonstration. C’est grâce au nucléaire que la France dispose d’une énergie décarbonée. La production de CO2 en France est de 5, 6 tonnes par habitant, alors qu’elle est de 9, 1 tonnes en Allemagne et de 17, 6 tonnes aux États-Unis…
C’est ensuite une erreur économique, comme plusieurs intervenants l’ont montré, puisque les Français paient leur électricité presque moitié moins cher que les Allemands. Et si nos industriels disposent d’un avantage comparatif vis-à-vis de l’Allemagne, c’est bien aussi grâce à l’énergie nucléaire puisqu’ils acquittent des tarifs inférieurs de 40 % à ceux que paient les industriels allemands ! C’est une donnée qu’on ne peut pas passer sous silence, qu’on ne peut pas en tout cas, de quelque bord politique que l’on soit, balayer d’un revers de main.
C’est enfin une erreur géostratégique en termes de souveraineté, dans un monde qui n’a jamais été aussi dangereux. Nous avons chaque jour un certain nombre d’exemples des menaces qui pèsent sur nos approvisionnements. Or les approvisionnements d’uranium représentent entre 600 millions et 900 millions d’euros par an, contre 60 milliards d’euros pour l’ensemble des produits pétroliers, le charbon, etc. Là encore, les ordres de grandeur ne sont absolument pas les mêmes.
Oui, nous pensons – et je tiens encore une fois à saluer la rédaction de notre rapporteur, qui est à la fois équilibrée et ambitieuse et ne cherche pas à tromper les Français – que l’objectif de 50 % en 2025 est une aberration, une fiction !
M. Bruno Retailleau. La vocation du Sénat, mes chers collègues, n’est pas d’apporter une caution à ce qui ne constituait à l’origine qu’un accord préélectoral entre le parti socialiste et le parti écologiste, comme l’a souligné Jean-Claude Lenoir.
Applaudissements sur les travées de l’UMP. – Exclamations sur les travées du groupe écologiste.
L’article 1er définit les objectifs fondamentaux du projet de loi. Selon moi, il constitue le point cardinal de ce texte. Mais, au fond, de quoi cet article se compose-t-il vraiment ? Quelles en sont les répercussions ? Les avez-vous suffisamment analysées, madame la ministre ?
Certes, on y trouve bien une série d’objectifs mais n’y figure aucune prévision, aucun chiffre, aucune norme d’encadrement. Je déplore l’absence flagrante d’une étude d’impact chiffrée pourtant indispensable, car l’article 1er énumère une série d’intentions qui peuvent s’annoncer lourdes de conséquences tant sur l’activité des Français que sur celle de nos entreprises.
Quand le Gouvernement se fixe l’objectif de réduire la part du nucléaire à 50 %, quelles en sont les conséquences concrètes directes ? Combien de réacteurs faudra-t-il arrêter ? Combien, surtout, cela va-t-il coûter ? La facture sera très lourde. Qui va payer ? EDF ? L’État ? Quel sera l’impact sur le prix de l’électricité ? Nos concitoyens bénéficient encore, grâce au nucléaire, d’une énergie parmi les moins chères d’Europe. En l’état actuel de l’économie, ce point est tout sauf un détail. Quid de la compétitivité de nos entreprises ?
Oui, madame la ministre, mes chers collègues, moi, je suis inquiète ! Comme l’a très bien dit le rapporteur pour avis de la commission des finances, Jean-François Husson, nul ne peut prétendre ici que la transition énergétique n’aura pas de coût.
Au fond, nous connaissons tous les enjeux de la transition énergétique et, pour ma part, j’approuve la nécessité d’aller vers un modèle écologique plus sobre. Cependant, ce n’est pas nouveau : dès 2007, notre formation politique avait initié le Grenelle de l’environnement.
Qu’est-ce qui a changé depuis lors ? Avons-nous vraiment besoin d’une nouvelle loi, qui n’est même pas une loi de programmation, pour tendre vers cet objectif ? Il n’est nul besoin d’une loi pour énoncer de grands principes ou pour inscrire des priorités, quand ce ne sont pas seulement de très bons sentiments.
J’ai l’impression que, faute de moyens, on se contente de fixer des objectifs et de renvoyer à la prochaine loi de finances la question qui fâche. C’est pourquoi j’ai cosigné l’amendement de Jean-François Husson par lequel il demande au Gouvernement de faire le point sur le coût réel de la transition énergétique par une diminution du nucléaire. J’ai d’ailleurs du mal à croire que nous soyons obligés aujourd’hui de quémander ces informations, alors qu’elles sont si importantes pour permettre au Parlement de se décider de manière éclairée.
Pour moi, soit ce texte dicte des objectifs, non chiffrés, je le répète, soit ce sont de belles paroles, ce qui il conduira irrémédiablement à la déception. Les mesures prévues – cela a été dit avant moi – sont d’importance inégale, mais, surtout, je n’identifie pas une vraie stratégie énergétique cohérente et financée.
(Exclamations sur les travées du groupe socialiste.) Eh oui ! Et le fait de voter des principes dans la loi, mes chers collègues, ne débloquera pas les financements – cela n’a jamais marché –, cela ne suffira pas ! Ce projet aurait mérité de se focaliser sur les objectifs que notre pays est capable de financer.
Applaudissements sur les travées de l’UMP.
En conclusion, j’aurais aimé un texte de loi à la fois plus sobre, plus efficace ; j’aurais aimé moins de paroles, plus d’actions. Pour l’instant, c’est la politique de l’autruche qui prévaut. §
À mon tour, je voudrais indiquer qu’il ne suffit pas d’afficher de grands principes ou des objectifs louables. Vouloir réduire la part du nucléaire dans la production d’électricité à 50 % en 2025 soulève effectivement beaucoup de questions et appelle pour le moins un souci de cohérence qui fait défaut, me semble-t-il, dans le projet de loi, en particulier dans cet article 1er.
Aujourd’hui, la production d’électricité de la France est assurée à 90 % par ses centrales hydrauliques et nucléaires, qui n’émettent pas de CO2. Pour autant, la singularité du nucléaire nous oblige à réduire cette forte dépendance à l’égard d’une seule filière en nous appuyant sur les énergies renouvelables.
Concernant l’article 1er, j’ai le sentiment que les conséquences du plafonnement, dans toutes ces dimensions, n’ont pas été véritablement évaluées. La commission des affaires économiques n’a d’ailleurs pas manqué de relever ce manque de cohérence aux conséquences fâcheuses, en particulier l’absence d’études d’impact économiques.
Autrement dit, dans ce domaine comme dans d’autres, les bons sentiments ne suffisent pas. Une telle réduction de la part du nucléaire peut nous conduire à recourir aux énergies fossiles très polluantes, l’exemple allemand est là pour nous le rappeler.
M. Ronan Dantec proteste.
On peut également regretter que le projet de loi ne donne la priorité qu’au développement de l’éolien et du photovoltaïque, technologies très coûteuses et intermittentes.
Enfin, je rappelle que l’objectif de 2030 ne semble accessible que si un début de moyens de stockage de l’électricité à grande échelle est disponible. C’est la seule façon d’éviter que l’intermittence de ces sources d’énergie ne conduise à utiliser les combustibles fossiles lorsqu’elles ne fournissent pas l’énergie demandée. C’est d’ailleurs ce que vient très opportunément de rappeler l’Académie des sciences en indiquant que « l’offre intermittente d’électricité d’origine renouvelable a nécessité l’ouverture de nouvelles capacités de production thermique à charbon ainsi que le développement de l’exploitation du lignite conduisant à des émissions accrues de CO2 et surtout de polluants […]. Ce constat devrait nous inciter à introduire de façon prudente et progressive des énergies qui ne sont ni contrôlables ni distribuables en fonction des besoins ».
Sur le plan économique, enfin, cet article, couplé à l’article 55 prévoyant le plafonnement de la capacité nucléaire, va à contre-courant de la volonté de redressement de l’économie puisqu’il vise à arrêter de fait des centrales nucléaires indépendamment de toute justification technique et dont le coût de production est très inférieur aux moyens de remplacement.
Bossuet, resté fameux pour ses sermons et ses oraisons funèbres, et qui aurait d’ailleurs pu trouver sa place parmi les sept sculptures qui nous surplombent et nous observent, avait l’habitude de dire que « Dieu se rit des hommes qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes ». La cause, c’est le plafonnement sans autre forme d’évaluation. Les effets, cela risque d’être une augmentation importante du prix de l’électricité, la fragilisation d’une filière industrielle et plus généralement de la compétitivité de notre économie et, au final, un affaiblissement de notre indépendance énergétique. C’est pourquoi la position de la commission des affaires économiques prévoyant de « caler » la réduction de la part du nucléaire sur la fin de vie de nos centrales les plus anciennes me paraît tout à fait pertinente.
Permettez-moi un dernier mot sur la forme du débat.
À l’ouverture de cette discussion, madame la ministre, vous avez fait distribuer une plaquette de communication, estampillée par votre ministère, intitulée La transition énergétique, mode d’emploi. Quelle ne fut pas ma surprise d’y voir figurer noir sur blanc les dispositions dont précisément nous nous apprêtons à discuter ce soir. Par exemple, concernant la diversification des sources énergétiques, je lis, à la page 23 : « La loi permet de diversifier les sources d’énergie pour ramener la part du nucléaire à 50 % de la production d’électricité à l’horizon 2025. La capacité nucléaire installée est plafonnée à 63, 2 GW ». Or c’est précisément l’objet de la discussion parlementaire qui s’ouvre.
alors même que, dans vos propos liminaires, vous affirmiez vouloir « bâtir ensemble les convergences les plus constructives ». Malheureusement, tout cela n’y participe pas…
M. François Bonhomme. C’est donc pour moi un facteur supplémentaire qui ne facilite pas la recherche d’objectifs partagés et plus encore des conditions nécessaires pour y parvenir.
Applaudissements sur les travées de l'UMP.
Madame la ministre, mes chers collègues, je vous propose de prolonger cette séance jusqu’à minuit trente, afin d’aller plus avant dans l’examen de ce texte.
Il n’y a pas d’opposition ?...
Il en est ainsi décidé.
La parole est à M. Roland Courteau, sur l’article.
Je m’exprimerai non pas sur le nucléaire, l’ayant déjà largement fait précédemment à la tribune, mais sur l’alinéa 27 de l’article 1er, qui a trait aux énergies renouvelables.
Je suis persuadé que les énergies renouvelables sont l’avenir. Elles font l’objet d’une compétition mondiale qui est aussi une compétition économique dont nous ne devons pas être absents. Nous étions pionniers dans les années soixante-dix, vous l’avez rappelé, madame la ministre, dans l’éolien et le solaire. Depuis lors, nous avons été largement dépassés.
Nous devons dire « oui » au patriotisme écologique en favorisant l’essor de filières industrielles créatrices d’emplois sur notre territoire. C’est dans le domaine des énergies renouvelables que nous disposons de la plus grande marge de progrès possible, avec des bénéfices écologiques, économiques et sociaux qui seront autant d’effets de levier et d’effets de relance.
La France peut et doit figurer au premier rang en ce domaine. Une rupture technologique dans le domaine du stockage de l’électricité pourrait d’ailleurs enclencher une conversion massive de notre système énergétique. Bref, avec ce titre Ier, nous sommes au cœur de la transition énergétique.
Ce qui a le plus manqué dans la durée aux énergies renouvelables par le passé, c’est un cadre prévisible et stable, notamment sur les mécanismes de soutien, pour lesquels nous avions besoin de visibilité. Il convenait donc d’en finir avec l’imprévisibilité de ces mécanismes et de définir un modèle de développement stable. C'est ce que prévoit le projet de loi. Il faut le reconnaître, le non-financement des mesures décidées lors du Grenelle de l’environnement nous a handicapés, et je ne pense pas seulement au boulet que représentent les 5 milliards d’euros de dette au titre de la CSPE.
La complexité de l’encadrement réglementaire a constitué un autre frein. Pourquoi fallait-il de huit à neuf années pour réaliser un projet éolien en France, contre trois ou quatre seulement en Allemagne ? La multiplication des recours n’est sûrement pas étrangère à cette situation…
Le développement d’énergies renouvelables propres et inépuisables à long terme forme avec les économies d’énergie les deux piliers essentiels de la transition énergétique. Toutes les énergies renouvelables doivent être mobilisées : l’éolien, y compris le petit éolien, le solaire, la biomasse, la géothermie, les énergies marines. Plus les sources seront nombreuses, diversifiées et locales, mieux cela vaudra ! Nous avons des atouts considérables dans l’Hexagone et en outre-mer pour devenir l’un des leaders mondiaux en ce domaine.
Le présent texte va lancer un mouvement qui ne peut que s’accélérer grâce aux dispositions qu’il contient. Voilà donc une belle opportunité de créer des emplois non délocalisables, de protéger la santé des Français, de lutter contre les gaz à effet de serre, tout en allégeant notre facture énergétique, en stimulant l’innovation et en favorisant une production décentralisée.
Madame la ministre, je terminerai mon propos en vous posant une question. Aujourd’hui, j’y insiste, les producteurs d’énergies renouvelables intermittentes sont les seuls à ne pas appliquer le statut national des industries électriques et gazières, qui constitue la réglementation sociale des producteurs d’électricité. Or le programme éolien offshore va donner une dimension industrielle à ce type d’énergie créatrice de nombreux emplois. Pouvez-vous m’indiquer s’il est dans les intentions du Gouvernement d’appliquer ce statut aux personnels travaillant pour l’exploitation des éoliennes offshore ?
L’article 1er du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte, sur lequel nous devrons nous prononcer, constitue, à bien des égards, un article fondateur et totalement novateur, car il détermine le renouveau de la politique énergétique dont notre pays a tant besoin.
Cet article se fonde sur un volontarisme politique dont on ne peut que se féliciter, puisqu’il tend à une utilisation plus rationnelle et plus efficace de nos sources d’énergie, en y associant tous les acteurs concernés : l’État, les collectivités territoriales, le secteur associatif, voire chacun de nos concitoyens. Il s’agit non seulement de basculer résolument vers un mode de production plus économe en matière de consommation énergétique, moins émetteur de gaz à effet de serre, mais aussi de renouer avec une croissance écologique et durable, à la fois ambitieuse et créatrice d’emplois.
Pour ce qui concerne les outre-mer, compte tenu de leurs caractéristiques géographiques et environnementales particulières, ainsi que de la richesse de leur diversité, la future politique énergétique prônée par l’article 1er du projet de loi devra promouvoir un nouveau modèle de développement durable spécifique. Celui-ci aura le mérite, appréciable, de respecter l’environnement, de se combiner à une diminution des consommations en énergie, en eau et autres ressources naturelles, sans compromettre les besoins des générations futures.
Étant donné notre positionnement géostratégique, nous devons établir un rapport gagnant-gagnant, quels que soient nos statuts. Les outre-mer représentent 97 % de la surface maritime de la France et la placent en deuxième position mondiale pour ce qui est de la biodiversité. Dès lors, la dynamique de transition énergétique en outre-mer a trois objectifs.
En premier lieu, elle vise à diminuer l’empreinte carbone de nos territoires en réaffirmant la nécessité de poursuivre l’objectif de diminution des gaz à effet de serre tel qu’il est déjà défini dans le Grenelle de l’environnement.
En deuxième lieu, elle tend à créer de l’activité par le biais des filières énergétiques renouvelables. Le Grenelle de l’environnement avait fixé des objectifs clairs : l’autosuffisance en 2030, avec un objectif intermédiaire de 50 % d’énergies renouvelables en 2020. S’agissant du photovoltaïque, le système de défiscalisation a malheureusement été supprimé et le tarif de rachat par EDF a baissé. La commission Baroin souhaitait que l’on ramène ce tarif à 0, 20 euro, mais aucune décision concrète n’a depuis été prise. L’examen de ce projet de loi est donc l’occasion d’obtenir du Gouvernement l’engagement d’une mise en place, dans les meilleurs délais, d’un tarif de rachat attractif, seul moyen de relancer la filière.
Madame la ministre, je souhaiterais également recevoir une confirmation claire s’agissant de l’accès des équipements photovoltaïques au crédit d’impôt développement durable.
En ce qui concerne la biomasse, nous attendons davantage de précisions sur le tarif de rachat des matières de deuxième génération, comme les herbes à éléphant et les copeaux de bois, qui seront importées. Alors que les unités prévues pour fonctionner avec de la biomasse devaient brûler du charbon importé en quantités importantes, l’intervention énergique du conseil régional de la Martinique a permis de remplacer ce combustible polluant par de la biomasse.
Dans le domaine de la géothermie, nous préconisons un développement en interconnexion avec la Dominique pour ce qui concerne la Guadeloupe et la Martinique. Notons que le coût des forages est extrêmement élevé. Là aussi, la mutation énergétique a un prix ; or le texte ne prévoit pas de moyens pour accompagner les régions et les collectivités d’outre-mer.
L’éolien, enfin, fait l’objet d’un tarif de rachat. La filière essaie de redémarrer selon les choix que chacun a faits localement.
En troisième lieu, la transition énergétique en outre-mer n’aurait pas de sens sans la concrétisation des opportunités d’emplois qu’elle induit et la sécurisation de l’approvisionnement en énergie des ménages. Ainsi, concernant la rénovation thermique des bâtiments, rappelons que le confort thermique représente l’essentiel de la consommation des bâtiments dans l’habitat comme dans le tertiaire. La définition et le déploiement de la réglementation thermique martiniquaise sont une source d’activités majeure pour le secteur du BTP local, mais aussi potentiellement pour l’industrie locale. Une réglementation française caribéenne et les labels associés seront également des opportunités majeures pour l’export de nos savoir-faire intellectuels et techniques et de nos produits industriels vers le bassin caribéen.
Mais le succès de cette transition pour une croissance verte dépend également du mode de gouvernance adopté.
M. Maurice Antiste. Notre souhait, madame la ministre – je sais que c’est aussi le vôtre –, est de faire de la Martinique un lieu privilégié de démonstrations et d’expérimentations technologiques, institutionnelles, financières et réglementaires. Les résultats et retours d’expérience de ces démonstrations, au-delà de leur intérêt et nécessité évidents pour la Martinique, seront autant de solutions éprouvées, à la disposition du pays tout entier, de ses collectivités, de ses entreprises et de tous ceux qui ont à cœur de construire ensemble une irréversible mutation écologique redonnant sens à un développement économique harmonieux de nos territoires.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.
À Mayotte, l’électricité est arrivée assez tard, en 1977, et le réseau n’a couvert l’ensemble du territoire qu’à compter de 1990. Aujourd’hui, la production électrique dans le département est assurée par EDM, Électricité de Mayotte, une société anonyme d’économie mixte, détenue à 50, 01 % par le conseil général, à 24, 99 % par EDF, à 24, 99 % par SAUR International et à 0, 01 % par l’État.
Alors même que Mayotte est une île au potentiel solaire considérable, une île aux richesses naturelles exceptionnelles qu’il convient de préserver, l’approvisionnement énergétique repose à 99 % sur les énergies fossiles.
La mise en place de nouvelles sources de production qui répondraient à la croissance démographique et économique actuelle et à venir doit être encouragée. En effet, ce territoire a connu, entre 2003 et 2004, une progression de 30 % de sa consommation électrique. Cette croissance exponentielle a rendu d’autant plus importante la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre et la mutation vers les énergies renouvelables, peu coûteuses et non polluantes. Parmi ces énergies nouvelles, le photovoltaïque représente une technique intéressante, car la capacité solaire de l’île est immense. Sa proximité avec l’équateur lui confère 200 heures d’ensoleillement de plus que La Réunion. Cette technique s’est développée ces dernières années, mais la part du photovoltaïque dans le mix énergétique reste extrêmement faible, de l’ordre de 5, 8 %.
L’article 56 de la loi du 3 août 2009 fixait comme objectif de parvenir, dans les départements d’outre-mer, à une autosuffisance énergétique dès 2030 et prévoyait également un objectif intermédiaire de 50 % d’énergies renouvelables dans la consommation finale en 2020, à l’exception de l’île de Mayotte pour laquelle cet objectif ne s’élevait qu’à 30 %. L’article 1er du projet de loi propose de reprendre ces dispositions.
Qu’il s’agisse du Grenelle 1 ou du texte dont nous débattons aujourd’hui, aucune explication n’a permis de justifier cette différence de traitement. Je défendrai un amendement qui tend à élargir cet objectif de 50 % à l’ensemble des départements d’outre-mer, afin d’encourager Mayotte à rattraper son retard. D’autres sources d’énergies pourraient d’ailleurs être développées pour faire face à la demande, comme le biogaz – 60 % des déchets de Mayotte sont biodégradables – et la micro-hydraulique.
Enfin, madame la ministre, je profite du temps de parole qui m’est alloué pour vous demander également de me préciser où en est le projet Opéra, pour Opération pilote énergies renouvelables, destiné à sécuriser le réseau électrique autonome de Mayotte, lancé conjointement par l’Institut national de l’énergie solaire, les sociétés EDM et Sunzil. Il consiste à disposer de batteries géantes pouvant injecter jusqu’à 3 mégawatts dans le réseau électrique, pour prendre le relais du soleil lorsqu’il disparaît, le temps que la centrale thermique se remette en route. Il est vrai qu’en période d’été austral, l’intermittence du photovoltaïque engendre des difficultés de stabilisation du réseau.
De manière anecdotique, je terminerais en rappelant à nos collègues de l’Assemblée nationale que Mayotte est bel et bien un département et une région d’outre-mer, ou DROM, contrairement à ce que le rapport d’information de la délégation aux outre-mer, intitulé Les outre-mer face au défi de la mutation énergétique et écologique, mentionne à la page 46.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.
Pour donner l’illusion qu’une nouvelle politique publique énergétique est en marche, le Gouvernement nous a gratifiés de deux dispositions au caractère purement incantatoire. La première porte sur le plafonnement du parc nucléaire à son niveau actuel, soit 63, 2 gigawatts, ramené avec prudence par notre rapporteur à 64, 8 gigawatts. La seconde, surtout, fixe l’objectif de réduction de la part du nucléaire dans le bouquet énergétique à 50 % en 2025. Là encore, notre rapporteur a cherché à moduler cet objectif avec tact. Néanmoins, je m’interroge sur la volonté gouvernementale de faire cohabiter, sur un même pied d’égalité, l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre et celui de réduction de la part du nucléaire dans notre mix énergétique.
Nous le savons tous, et le Gouvernement ne l’ignore pas, le nucléaire est le principal atout dont nous disposons pour lutter contre ces émissions. En effet, si la France n’émet que 5, 6 tonnes de CO2 par habitant contre 9, 1 tonnes pour l’Allemagne, c’est justement grâce au nucléaire.
En ce qui concerne la compétitivité et le pouvoir d’achat de nos concitoyens, là encore, c’est le nucléaire qui nous permet de fournir une électricité à 15 centimes d’euros le kilowattheure contre 20 centimes pour la moyenne européenne ou 30 centimes pour l’Allemagne. Et combien coûte le combustible nucléaire que nous importons et qui permet de produire 77 % de notre électricité ? Entre 500 millions et 1 milliard d’euros ! Avec cette somme, nous produisons le tiers de nos besoins énergétiques finaux.
Par comparaison, les importations de produits pétroliers ont coûté 52 milliards d’euros, les importations de gaz, 14, 2 milliards d’euros et les importations de charbon, 1, 9 milliard d’euros. Vous trouverez ces chiffres dans le rapport Panorama énergies-climat 2014, disponible sur le site du ministère de l’écologie, du développement durable et de l'énergie.
Ainsi, le nucléaire est un atout incontournable pour notre souveraineté, notre compétitivité et la préservation de notre environnement. Pour ces raisons, cette volonté de réduire le nucléaire à 50 % en 2025 est une tromperie.
Vous ne pourrez pas fermer vingt de nos cinquante-huit réacteurs en dix ans. Vous éprouvez déjà les plus grandes difficultés à supprimer la centrale de Fessenheim, de telle sorte que plus personne ne peut vous croire. D’ailleurs, c’est en cinq ans que vous envisagez de fermer les réacteurs, puisque votre étude d’impact précise que ces fermetures interviendront entre 2020 et 2025.
En admettant que vous fermiez vingt réacteurs, au mépris des bassins industriels, je poserai la même question que mon collègue Bruno Retailleau : par quoi les remplacerez-vous ? Où trouverez-vous les térawattheures manquants ? Pas dans l’hydroélectrique en tout cas : le potentiel français y est désormais très faible.
Dans la biomasse ? Oui, dans une certaine mesure, mais ne faites pas croire que cette source de production électrique peut être indéfiniment développée : ce n’est pas le cas, notamment à cause de rejets de polluants atmosphériques.
Dans le photovoltaïque et l’éolien offshore peut-être ? Pourquoi pas, mais à très long terme ! Au reste, songez au coût de ces sources de production électrique…
Dans l’éolien terrestre alors ? C’est sans doute la seule solution qui ne soit pas infinitésimale à l’heure actuelle. Mais combien d’espaces, combien de terres faudra-t-il mobiliser ?
Dans ces conditions, il est clair que votre objectif de réduction est une tromperie. Pour ma part, je refuse d’en être complice !
Applaudissements sur les travées de l'UMP. – Exclamations sur les travées du groupe socialiste.
Puisque nous allons débattre ensemble très longuement, il serait dommage que nous partions sur des fictions. À cet égard, je vais essayer d’apporter quelques rectificatifs à ce que certains ont pu dire.
Parmi ces fictions, il en est une de nature à ravir les membres de mon groupe : c’est l’idée que la France changerait aujourd'hui de paradigme énergétique, au travers du présent projet de loi, uniquement grâce au poids politique des écologistes. Nous remercions ceux qui nous rendent ce bel hommage. Néanmoins, soyons modestes : ce n’est pas tout à fait la réalité. On oublie de dire qu’il y a eu un an de débats, …
… auxquels ont participé les entreprises, les ONG, les syndicats, les collectivités territoriales, les parlementaires et qu’à l’issue de ces débats les scénarios de diversification énergétique, portés par des ultra-écolos radicaux, comme GDF ou l’ADEME, se sont imposés comme étant les plus crédibles, tandis que le scénario dit « du tout-nucléaire », qui était défendu par l'Union française de l'électricité, l’UFE, ne permettait pas de respecter les grands objectifs, notamment celui de réduction des gaz à effet de serre.
Telle est la réalité de ce qui s’est passé l’année dernière. Et cette année de débats, auxquels beaucoup de personnes ont participé, ce n’est pas de la fiction !
Parmi ces fictions, il y a bien évidemment aussi l’idée – le slogan, pourrais-je dire – que le nucléaire « c’est pas cher ». Pourtant, dans un article publié le 19 janvier dernier, autrement dit tout récemment, le journal Les Échos – que je lis, entre autres feuilles de chou écolos– rappelle qu’aujourd'hui le prix du mégawattheure sur le marché de gros européen de l’électricité s’élève à 37 euros, quand le prix de l’accès régulé à l'électricité nucléaire historique – ou « prix ARENH » – du mégawattheure sorti des centrales nucléaires françaises est de 42 euros.
Dans le même temps, EDF dit vouloir vendre le mégawattheure à 55 euros pour coller à la réalité de nos coûts de production du nucléaire. D’ailleurs, ce chiffre recoupe tout à fait celui de la commission d’enquête qui avait été créée, au Sénat, sur le coût réel de l’électricité, dont M. Desessard était le rapporteur et M. Poniatowski le président. Au reste, il n’intègre ni l’assurance, ni les frais inhérents à la recherche, ni la totalité des coûts du démantèlement.
Les graphiques qui illustrent l’article du journal Les Échos montrent même que le prix de marché est moins cher en Allemagne qu’en France. Dès lors, il n’est pas vrai que le nucléaire n’est pas cher en France et qu’il est plus cher ailleurs, notamment en Allemagne et dans le reste de l’Europe. C’est une jolie fiction, qui ne correspond pas à la réalité des marchés. Je pensais que des libéraux comme vous le sauraient…
Nous devons essayer de comprendre d’où vient cette fiction française.
Gérard Longuet a évoqué avec nostalgie un axe gaullo-communiste. Marcel Boiteux a, lui aussi, été sorti de l’histoire. Mes chers collègues, ce monde n’existe plus ! Cette réalité, c’était celle des années cinquante et soixante – peut-être encore du début des années soixante-dix, si l’on tient compte du plan Messmer. Elle a disparu voilà déjà très longtemps !
La réalité du monde d’aujourd'hui, comme Mme la ministre l’a dit très fortement et très précisément, sur la base de chiffres émanant de l’Agence internationale de l’énergie – encore des super-écolos… –, c’est 1 200 milliards d’euros d’investissements dans les énergies renouvelables dans le monde d’ici à 2020, alors que, pour le nucléaire, cet investissement doit être de l’ordre d’une centaine de milliards d’euros.
Autrement dit, nous mettons toute la puissance industrielle française, y compris la recherche et le développement, sur un secteur marginal à l’échelle internationale.
Par conséquent, nous perdons des emplois. Nous perdons des parts de marché.
Si nous ne bougeons pas, si nous n’engageons pas la transition énergétique, le déclin de la France est assuré.
Certains disent que le nucléaire marche et appellent à ne toucher à rien, comme si les centrales pouvaient continuer à vivre quatre-vingts ans sans que rien ne bouge. On sait très bien qu’il faudra investir entre 1 milliard et 1, 5 milliard d’euros par tranche pour prolonger les centrales de plus de quarante ans, montant à multiplier par le nombre de tranches qui, justement, atteindront les quarante ans entre 2020 et 2025. Nous n’en avons pas les moyens !
Si nous ne mobilisons pas l’argent privé sur les énergies renouvelables avant cette date, nous irons au-devant de problèmes extrêmement importants. C’est pourquoi le projet de loi crée, enfin, de la planification en la matière, retenant, à raison, l’échéance de 2025, puisque, comme l’a dit Mme la ministre, c’est à cette date que deux tiers des tranches nucléaires atteindront quarante ans. Dès lors, contester cette date clé, c’est tout simplement ne pas regarder la réalité énergétique de la France. C’est faire preuve d’autisme !
Cela étant posé, on peut discuter d’un certain nombre d’éléments, comme les problèmes liés à la taxe carbone, etc.
M. Ronan Dantec. En tout état de cause, de tous les discours tenus aujourd'hui, c’est le nôtre qui me semble le plus rationnel.
Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, ainsi que sur quelques travées du groupe socialiste.
Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd’hui, à quatorze heures trente et le soir :
Suite du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la transition énergétique pour la croissance verte (n° 16, 2014-2015) ;
Rapport de M. Ladislas Poniatowski, fait au nom de la commission des affaires économiques (n° 263, 2014-2015) ;
Texte de la commission (n° 264 rectifié, 2014-2015) ;
Avis de M. Jean-François Husson, fait au nom de la commission des finances (n° 236, 2014-2015) ;
Avis de Mme Françoise Férat, fait au nom de la commission de la culture (n° 237, 2014-2015) ;
Avis de M. Louis Nègre, fait au nom de la commission du développement durable (n° 244, 2014-2015).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
La séance est levée le mercredi 11 février 2015, à zéro heure vingt-cinq.