Intervention de Michel Aujean

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 11 février 2015 : 1ère réunion
Audition conjointe sur les évolutions des recettes fiscales et leurs déterminants de M. Michel Aujean associé au sein du cabinet d'avocats taj en charge du pôle prospective fiscale et stratégie d'entreprise Mme Mélanie Joder sous-directrice de la synthèse des finances publiques 1ère sous-direction de la direction du budget et M. Bruno Rousselet chef du service de la gestion fiscale de la direction générale des finances publiques et de M. Olivier Sivieude chef du service du contrôle fiscal à la direction générale des finances publiques

Michel Aujean, associé du cabinet d'avocats Taj, en charge du pôle prospective fiscale et stratégie d'entreprise :

Je vous remercie de votre invitation. N'étant pas spécialiste des méthodes d'élaboration des prévisions de recettes, je m'attacherai, dans mon propos, aux politiques fiscales comparées. Qu'en est-il du système fiscal français ? Les évolutions dans les comportements peuvent-elles avoir une valeur explicative et sont-elles liées à la conception même de notre système fiscal ? Telles sont les questions auxquelles je m'efforcerai de répondre.

Notre fiscalité indirecte est élevée. Représentant plus de 15 % du PIB, elle nous place au cinquième rang en Europe. On pourrait penser que c'est une bonne chose, puisque l'OCDE estime qu'il faut avoir une fiscalité indirecte élevée et une fiscalité directe plus faible pour engranger les bénéfices de la croissance économique. Mais à y regarder de plus près, on constate que nos recettes de TVA sont médiocres. Les rapports de la Commission européenne, de l'OCDE, du FMI, soulignent, de fait, la faible efficacité de notre dispositif. Le VAT gap, soit l'écart entre la recette théorique que notre structure de taux de TVA devrait rapporter et la recette effectivement collectée, serait en France, selon la Commission européenne, de 25 milliards d'euros. Je tempère d'emblée cette observation en relevant qu'un tel calcul reste purement mécanique et ne permet en rien d'expliquer le phénomène. Il n'en reste pas moins que cet écart, qui représente 18 % de la recette, nous place en position moyenne en Europe. Autre indicateur, le policy gap, soit l'écart entre la recette effective et la recette théorique que l'on obtiendrait si tout était taxé au taux de droit commun de 20 % : en France, la recette effective représente 50 % environ de cette recette théorique. Même si celle-ci reste de l'ordre de l'hypothèse pure, le ratio n'en traduit pas moins l'influence de certaines caractéristiques de notre système, auxquelles on peut imputer l'écart souvent constaté entre les prévisions et le constat.

Nos droits d'accises - tabac, alcool, produits pétroliers -, modestes, nous placent, sur le fondement des comptes nationaux pour 2012, au vingt-cinquième rang en Europe sur vingt-sept États-membres, tandis que nos taxes environnementales nous classent à la vingt-sixième place.

À l'opposé, les impôts pesant sur la production, qui représentent 4,5 % du PIB, soit deux fois la recette de l'impôt sur les sociétés, nous placent presque en première position. C'est une situation que les représentants des entreprises dénoncent dans toutes les enceintes et qui affecte directement le volume des profits imposables, avec un impact tant sur la quantité que sur la prévisibilité de l'impôt sur les sociétés.

J'en viens à présent à notre fiscalité directe. Alors qu'elle est très inférieure à la moyenne communautaire, il peut paraître paradoxal de constater qu'au cours des dernières années, les citoyens ont pris de plus en plus de distance avec le principe du consentement à l'impôt, que nous croyions pourtant bien établi en France.

S'agissant de l'impôt sur les sociétés, la situation est paradoxale. Alors qu'à 38 %, son taux nominal complet est le plus élevé de l'Union européenne, son rendement, avec une recette qui plafonne à 2,3 % du PIB - soit un peu en dessous de sa tendance de long terme, de l'ordre de 2,5 % à 2,7 % -, reste médiocre. Une telle situation s'explique par le cumul de trois facteurs. Tout d'abord, alors que le taux a baissé dans presque tous les pays de l'Union européenne - un tiers en moyenne en quinze ans -, il a augmenté en France. Ensuite, alors que, dans la plupart des pays de l'Union, l'assiette a été élargie pour compenser la baisse du taux, celle-ci est restée relativement stable en France. Enfin, on a assisté, en France, à un phénomène de « sociétarisation » : de plus en plus d'entreprises individuelles sont devenues sociétaires. Si les recettes d'impôt sur les sociétés en ont été légèrement augmentées, c'est au prix d'une diminution de celles de l'impôt sur le revenu des entrepreneurs individuels.

Notre recette d'impôt sur le revenu est la plus faible de l'Union européenne et de l'OCDE, avec une recette s'établissant à 3,5 % du PIB. Nous nous classons ainsi au vingt-huitième rang des pays de l'Union européenne, quand l'Allemagne est à 8,8 %, et le Danemark à 24 %, soit huit fois plus qu'en France. Or, l'impôt sur le revenu est, à proprement parler, le seul impôt progressif de notre système fiscal. La contribution sociale généralisée (CSG), légèrement progressive, vient combler l'écart, et nous fait remonter à la quatorzième place. Mais des questions ne s'en posent pas moins.

À cela s'ajoutent les cotisations sociales. À 17 % du PIB, contre 12 % en moyenne européenne, nous figurons en première ligne. Elles pèsent pour 11,6 % sur les employeurs et pour 4,2 % sur les employés, ce qui, là encore, nous singularise.

Il en résulte un taux d'imposition implicite - soit le calcul, ex post, du taux effectif d'imposition, en rapportant l'ensemble des recettes d'un impôt donné à l'ensemble de son assiette - parmi les plus élevés de l'Union européenne. Le taux d'imposition implicite sur le travail est ainsi, en France, de 39,5 %, contre 36 % en moyenne dans l'Union européenne, tandis que le taux d'imposition implicite sur le capital atteint presque 47 %, soit dix points de plus que le pays qui se classe juste après nous, l'Italie.

Il apparaît donc opportun de se poser la question de l'impact qu'une telle situation peut avoir sur les comportements des contribuables. Les économistes plaident souvent, même s'il reste des irréductibles pour penser le contraire, pour un système à assiette large et à taux bas. C'est l'inverse qui prévaut en France. Un rapport récent de l'Institut Messine, think tank de la Compagnie nationale des commissaires aux comptes des entreprises, montre que le système fiscal français est conçu moins comme un instrument de collecte de recettes que d'orientation de l'économie. Fait de mesures fiscales incitatives, les fameuses niches, et de dispositifs punitifs qui, les uns comme les autres, atteignent rarement leur but, il fonctionne au détriment de la fonction première de l'impôt, autrement dit de sa capacité de collecte.

Il ressort d'un sondage que nous avons mené, il y a deux ans, auprès de cinq cent directeurs fiscaux, que les entreprises recherchent, avant tout, la sécurité fiscale : 80 % des directeurs interrogés le déclarent. Ils affirment aussi préférer un système à assiette large et à taux faible plutôt qu'un système à assiette étroite et à taux élevé, en dépit de la faculté de faire usage de niches attachées à ce dernier. Ils demandent, en second lieu, une stabilité de la norme. On sait, hélas, le nombre des travaux qui relèvent combien elle est instable dans notre pays. Or, l'incertitude sur la norme suscite contentieux et optimisation. D'autant que les États voisins offrent un certain nombre de dispositifs qui permettent, souvent légalement, de réduire la facture fiscale. Ainsi du système des intérêts notionnels en Belgique, soit la faculté de déduire, au même titre que sont déduits les intérêts d'emprunt, une part du revenu des capitaux propres, qui immunise de l'impôt le stock de capital existant. Dans un article de janvier 2013 du journal Le Soir, on apprend ainsi que l'entreprise Arcelor Mittal Finances, entre 2008 et 2011, a pu, des 5,8 milliards d'euros d'impôt théoriquement attachés à ses profits, déduire 5,6 milliards d'euros au titre des intérêts notionnels, pour ne payer, in fine, que 200 millions d'euros. La Belgique, poursuit l'auteur de l'article, n'en a pas pour autant perdu de recettes, puisque celles-ci viennent des profits qui n'ont pas été imposés dans les pays voisins. Si j'ai cité cet exemple, ce n'est pas pour stigmatiser une entreprise, mais pour vous montrer à quel point la concurrence fiscale que nous livrent nos voisins, qu'on la qualifie d'excessive ou de dommageable, pèse sur notre capacité de collecte.

Quant au consentement à l'impôt, il est, pour les personnes physiques, largement déterminé par leur sentiment de la justice fiscale. Le respect de la règle tient à la foi que l'on met dans son respect par autrui. Je vous renvoie au constat que dresse le récent rapport du Conseil des prélèvements obligatoires, « Impôt sur le revenu, CSG : quelles réformes ? », qui relève que nombre Français déclarent avoir pris leurs distances avec le principe du consentement à l'impôt. Nous sommes certes le pays où l'impôt sur le revenu est le plus faible de toute l'Europe, mais n'oublions pas qu'à la différence de la CSG, relativement indolore parce qu'invisible, à laquelle il vient s'ajouter, il touche le revenu de façon visible. Et comme, de surcroît, il a eu tendance à augmenter ces dernières années, la collecte en devient de plus en plus problématique.

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