La commission procède à l'examen en nouvelle lecture du rapport de M. Philippe Dominati, et élabore le texte de la commission sur le projet de loi n° 240 (2014-2015), adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture après engagement de la procédure accélérée, autorisant l'approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Principauté d'Andorre en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales en matière d'impôts sur le revenu.
Nous nous réunissons aujourd'hui pour examiner en nouvelle lecture le projet de loi autorisant l'approbation de la convention fiscale du 2 avril 2013 entre la France et Andorre. Pour mémoire, le texte a été adopté par l'Assemblée nationale le 8 décembre 2014, mais rejeté par le Sénat le 18 décembre 2014. Malheureusement, la commission mixte paritaire du 15 janvier 2015 a échoué, alors que les arguments techniques des uns auraient pu convaincre les autres.
Je voudrais dire quelques mots sur les raisons qui nous conduisent à maintenir notre position. Nous ne remettons pas en question les efforts entrepris par la principauté d'Andorre pour moderniser son système fiscal, efforts qui ont notamment conduit à l'instauration d'un impôt sur le revenu à compter du 1er janvier 2015. De même, nous ne remettons pas en cause, pour l'essentiel, le contenu de la convention fiscale. Les modalités d'élimination des doubles impositions sont tout à fait conformes aux derniers standards internationaux, et ne s'en distinguent que par l'ajout de clauses anti-abus relativement exigeantes.
Le seul élément problématique de cette convention - mais il est de taille - concerne le d du 1 de l'article 25, qui permet à la France d'instituer une imposition des personnes physiques à raison de leur nationalité, et non pas à raison de leur résidence ou de l'origine de leurs revenus. Ce point est parfaitement dérogatoire par rapport à notre droit interne, par rapport aux standards internationaux, et par rapport aux autres conventions signées par la France. Nous avons bien entendu le Gouvernement, qui assure que cette clause, négociée dans un contexte bien particulier, n'a pas vocation à s'appliquer, qu'elle est aujourd'hui « sans effet juridique », et qu'il n'existe « aucun projet » d'instaurer un tel impôt sur la nationalité.
Toutefois, alors que l'engagement d'un Gouvernement vaut pour le présent, une convention fiscale peut rester en vigueur des dizaines d'années - et la question d'un impôt lié à la nationalité revient très régulièrement dans le débat public, comme par exemple à l'occasion de la campagne présidentielle de 2012. Les Gouvernements passent, mais les textes demeurent. L'inquiétude de nos compatriotes Français de l'étranger est donc bien légitime. Et elle pourrait bientôt faire écho à l'inquiétude des autres partenaires de la France, avec lesquels nous négocions actuellement de nouvelles conventions fiscales.
Nous ne sommes pas hostiles à l'idée d'un débat sur le sujet d'un impôt lié à la nationalité. Mais il doit s'agir d'un débat national, et non d'une discussion au détour de l'approbation d'une convention fiscale. En attendant, nous estimons que si cette clause n'a pas vocation à s'appliquer, la négociation d'un avenant tendant à la supprimer est préférable à un engagement verbal. Cette négociation peut être rapide. Notre volonté n'est nullement de compliquer les choses, mais au contraire de les simplifier et de les stabiliser pour l'avenir.
Enfin, je voudrais rappeler que nous sommes ici dans notre rôle. La discussion des conventions fiscales par le Parlement ne doit pas rester un exercice purement formel. La Constitution nous donne le pouvoir d'examiner au fond les stipulations de ces accords : c'est ce que nous faisons ici.
Je comprends tout à fait la position du rapporteur. Peut-être pourrait-il nous rappeler le contexte particulier des négociations de cet accord, qu'invoque le Gouvernement pour justifier ses particularités.
Les négociations pour cette convention fiscale ont été lancées à l'occasion d'une visite du président de la République, Nicolas Sarkozy, il y a quelques années. À l'époque, la principauté ne disposait pas de système d'imposition directe des revenus, ni d'outils statistiques pour identifier les résidents français en Andorre. Les choses sont différentes aujourd'hui : Andorre s'est engagée à mettre en oeuvre l'échange de renseignements fiscaux, et a institué un impôt direct sur le revenu, en vigueur depuis le 1er janvier 2015. La Principauté d'Andorre remplit donc toutes les conditions pour la signature d'une convention fiscale « normale ». Plus rien ne justifie la clause sur l'imposition en fonction de la nationalité. Le ministre a d'ailleurs précisé en séance publique que celle-ci était sans objet, et qu'elle ne serait pas appliquée. Il aurait été plus facile et plus naturel de signer un avenant afin de modifier la convention - ceci d'autant plus que l'approche des élections andorranes, au premier trimestre de cette année, aurait pu hâter les négociations. Je ne mets pas en cause la bonne volonté du Gouvernement ; je vois plutôt dans le maintien de cette clause l'influence de « l'administration de Bercy ».
La position du groupe écologiste est celle d'une abstention bienveillante. La question pour nous n'est pas tant celle du d du 1 de l'article 25, mais plutôt celle, plus générale, de l'énergie que dépense la France à traiter avec des « États confettis » ou avec des paradis fiscaux au sein même de l'Europe - on le voit avec les affaires « LuxLeaks » et « SwissLeaks », et les États-Unis font la même chose avec le Delaware. En matière d'harmonisation fiscale, nous sommes donc très loin du compte, alors qu'il s'agit d'un objectif essentiel. Prétendre que nous faisons le maximum avec une convention fiscale de ce genre relève de la rhétorique mal placée. Je voudrais par ailleurs dire que la principauté d'Andorre, qui est avant tout un supermarché de cigarettes et d'alcool à bas prix, s'oppose d'une certaine manière à toutes les politiques de santé publique menées au niveau national. La signature du présent accord revient à donner une sorte de blanc-seing à une situation d'exception. Je choisis toutefois de m'abstenir par bienveillance.
En matière de conventions fiscales, nous n'avons pas le pouvoir d'amender le texte, mais il nous appartient tout de même de l'approuver ou de le refuser. Or ce texte n'est pas anodin, car il contient une disposition problématique. Le Gouvernement explique que cet élément est tellement novateur qu'il n'a même pas vocation à s'appliquer : comment comprendre une telle position ? Dans ce cas, allons au bout de la logique : rejetons cet accord et négocions un avenant. Nous pourrons ensuite approuver le nouveau texte. Le Parlement n'est pas là pour être une simple chambre d'enregistrement : nous sommes ici dans notre rôle.
Je voudrais revenir, comme en première lecture, sur le problème d'équité entre les entreprises françaises et les entreprises espagnoles exportant en Andorre, au regard notamment du régime de la TVA et de l'impôt sur les sociétés. Ce problème est-il aujourd'hui réglé ? Le rapporteur dispose-t-il d'éléments que nous pourrions transmettre aux entreprises concernées ?
Comme les autres conventions fiscales, la convention franco-andorrane ne traite pas de la TVA, dans la mesure où les exportations en sont exonérées : il n'y a donc pas de problème particulier pour les entreprises françaises.
Je voudrais par ailleurs rappeler le texte de l'article litigieux : « la France peut imposer les personnes physiques de nationalité française résidentes d'Andorre comme si la présente convention n'existait pas ». Il me semble qu'il s'agit d'une rédaction bien curieuse.
La commission n'adopte pas de texte sur le projet de loi n° 240 (2014-2015), adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture après engagement de la procédure accélérée, autorisant l'approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Principauté d'Andorre en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales en matière d'impôts sur le revenu.
En conséquence, et en application de l'article 42, alinéa premier, de la Constitution, la discussion portera en séance sur le texte adopté par l'Assemblée nationale, en nouvelle lecture.
La commission propose au Sénat de ne pas adopter le projet de loi autorisant l'approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Principauté d'Andorre en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales en matière d'impôts sur le revenu.
Le Président de la République a fait connaître hier qu'il proposait de désigner Patrick de Cambourg aux fonctions de président de l'Autorité des normes comptables (ANC). Il s'agit d'une désignation sur laquelle nous devons nous prononcer en application de l'article 13 de la Constitution.
Pour ouvrir la possibilité que le nouveau président prenne ses fonctions début mars, il nous faut entendre ce candidat dès la semaine prochaine, mercredi 18 février.
Puisque notre ordre du jour du matin est déjà chargé, il faudrait organiser cette audition en début d'après-midi, en tenant compte du fait qu'il est déconseillé de réunir les commissions pendant les séances publiques. En l'occurrence, le Sénat siégera ce jour-là à 14 h 30 pour poursuivre l'examen du projet de loi relatif à la transition énergétique. Seriez-vous prêts à vous réunir dès 13 h 30 de manière à avoir achevé l'audition à 14 h 30 et à procéder au dépouillement, qui doit être simultané à l'Assemblée nationale et au Sénat, avant le début des questions au Gouvernement à l'Assemblée nationale ?
Ce calendrier nous prend de court. Il est incroyable que nous soyons saisis à ce point dans l'urgence. Les échéances sont prévisibles et nous devrions être saisis des propositions de désignation dans des délais plus convenables.
Il s'agit de l'Autorité des normes comptables, qui est un organisme important...
Il est important puisque les modifications apportées aux normes comptables peuvent avoir une incidence sur les assiettes fiscales et donc, de manière indirecte, sur les recettes de l'État. Cette audition n'est donc pas anodine et nous devons savoir quelles sont les intentions du futur président de l'ANC, en particulier en matière d'information du Parlement et de coordination aux niveaux européen et international.
Soumettre au Parlement certaines désignations a constitué un progrès de la réforme constitutionnelle de 2008, mais nous devons être en mesure de préparer ces auditions, voire de nous coordonner avec les députés. En l'espèce, les conditions dans lesquelles nous travaillons sont insatisfaisantes.
Tous les sujets se valent mais nous ne devrions pas nous interdire de réunir la commission pendant toutes les séances publiques du Sénat, et réserver cette restriction aux « grands » projets de loi tels que celui relatif à la nouvelle organisation territoriale de la République ou celui portant sur la transition énergétique.
Je relaierai vos légitimes protestations mais il faudra nous habituer à nous réunir le plus possible en dehors des heures de séance. Cela fait partie des réformes qui vont dans le bon sens. J'observe néanmoins que vous ne vous opposez pas à cet horaire et je vous remercie par avance pour votre disponibilité.
Il en est ainsi décidé.
La commission procède ensuite à l'audition de M. Michel Aujean, associé au sein du cabinet d'avocats Taj, en charge du pôle prospective fiscale et stratégie d'entreprise, de Mme Mélanie Joder, sous-directrice de la synthèse des finances publiques à la direction du budget, de M. Bruno Rousselet, chef du service de la gestion fiscale à la direction générale des finances publiques et de M. Olivier Sivieude, chef du service du contrôle fiscal à la direction générale des finances publiques.
La question des écarts, et de l'explication de ces écarts, entre les prévisions et les réalisations en matière de recettes fiscales revient de plus en plus fréquemment dans nos débats. Le rapporteur général y a souvent insisté lors de la dernière session budgétaire.
De fait, l'écart entre prévisions initiales et réalisations s'est élevé à 6,5 milliards d'euros en 2012, 14,6 milliards d'euros en 2013 et 10,1 milliards d'euros en 2014. Depuis 2011, l'élasticité des recettes est également toujours inférieure en exécution aux données retenues dans les lois de finances.
Trois impôts concentrent l'essentiel des écarts : l'impôt sur le revenu (IR), l'impôt sur les sociétés (IS) et la taxe sur la valeur ajoutée (TVA).
Lorsque de tels écarts se renouvellent, la question se pose de savoir s'il serait possible d'améliorer nos méthodes pour mieux anticiper l'évolution de nos recettes fiscales.
Mais nous devons également nous interroger sur notre capacité à comprendre l'évolution du rendement des impôts a posteriori. Je me souviens de notre surprise lorsque nous avions entendu, il y a bientôt deux ans, la Cour des comptes nous confesser, lors de la présentation de son analyse de l'exécution 2012, qu'elle avait étudié le rendement de la TVA avec toutes les grilles de lecture possibles et qu'il subsistait un écart aux prévisions d'1,3 milliard d'euros qu'elle ne parvenait pas à expliquer. Elle invitait l'administration à effectuer des études complémentaires et a elle-même présenté un référé sur les recettes fiscales il y a un an.
Notre audition d'aujourd'hui vise donc à déterminer s'il est plus difficile aujourd'hui qu'hier de comprendre comment évoluent nos impôts et pour quelles raisons. Il nous faudra aborder les rôles respectifs de la conjoncture économique et des comportements ou des stratégies des contribuables.
Ces questions ne sont pas seulement techniques et nous savons bien que certains font l'hypothèse selon laquelle, au-delà d'un certain seuil, l'augmentation des taux conduit à une réduction et non à une augmentation du produit des impôts.
L'analyse des comportements des agents pourra aussi nous conduire à nous intéresser aux contribuables qui franchissent la limite entre optimisation et fraude fiscale, ce qui explique la présence parmi nous d'Olivier Sivieude, chef du service du contrôle fiscal que nous avons sollicité hier et qui pourra, en tant que de besoin, répondre à vos questions.
Pour lancer le débat, je donnerai successivement la parole à Mélanie Joder, sous-directrice chargée de la synthèse des finances publiques à la direction du budget, puis à Bruno Rousselet, chef du service de la gestion fiscale, de la direction générale des finances publiques et enfin à Michel Aujean, associé au sein du cabinet d'avocats Taj, chargé du pôle prospective fiscale et stratégie d'entreprise.
Je vous rappelle, avant de donner la parole à nos invités après une brève intervention du rapporteur général, que cette audition est ouverte à la presse.
Une semaine après l'audition de Didier Migaud, président du Conseil des prélèvements obligatoires, nous poursuivons nos auditions relatives à la fiscalité, et notamment l'impôt sur le revenu. On s'étonne souvent de l'écart constaté entre les prévisions et les recettes constatées. Cet écart peut s'expliquer par des prévisions de croissance optimistes, par des difficultés à mesurer les facteurs conjoncturels influant sur les recettes ou bien encore à un changement de comportement des acteurs économiques face à une modification de la législation fiscale - ainsi, l'imposition au barème des revenus du capital n'est-elle sans doute pas étrangère à la baisse de rendement de l'impôt sur le revenu.
Si le ministère des finances a répondu au questionnaire circonstancié que nous lui avions adressé, j'insiste sur la nécessité de travailler sur des données les plus récentes possibles. Nous souhaitons non pas seulement effectuer un travail purement historique mais également produire des analyses au plus près de l'actualité. Nous aimerions en savoir plus sur les méthodes d'élaboration des prévisions de recettes, sur la manière dont elles président à la construction du budget, ainsi que sur les grandes évolutions, les écarts constatés entre prévision et exécution et leurs possibles causes - Michèle André a rappelé que cet écart dépassait 10 milliards en 2014.
Je donne à présent la parole à Mélanie Joder afin qu'elle nous présente la méthodologie des travaux de prévision qui sont conduits pour construire les projets de loi de finances qui nous sont soumis.
La prévision des recettes fiscales, qui fait intervenir plusieurs directions du ministère des finances, est un exercice complexe mais crucial. Complexe, dès lors qu'il prend en compte de multiples facteurs macroéconomiques qui peuvent évoluer en cours d'année, le chiffrage des mesures nouvelles et une analyse spécifique de l'évolution des assiettes fiscales. Crucial, dans la mesure où, indispensable à la bonne gouvernance des finances publiques, il garantit la sincérité des lois de finances.
Cette complexité rend nécessaire l'échange continu d'informations et la confrontation régulière des prévisions entre directions du ministère des finances, afin de parvenir à la meilleure estimation possible, laquelle est ensuite arrêtée par le Gouvernement dans le projet de loi de finances. Cette coordination vise à renforcer la qualité des prévisions.
Dans ce contexte, la direction du budget joue un rôle de coordonnateur, responsable de la préparation des projets de finances et de finances rectificative dans les calendriers fixés par le Gouvernement et de production de l'ensemble des documents qui leur sont annexés.
Pour la préparation des lois de finances, la direction du budget veille ainsi au calendrier, à la confrontation des prévisions des directions, à l'organisation du débat et des arbitrages puis à la production des annexes chiffrées des lois de finances. Pour ce faire, elle prépare les deux réunions d'arbitrage qui réunissent l'ensemble des directions concernées que sont la direction du Trésor, la direction générale des finances publiques, la direction de la législation fiscale, la direction des douanes et la direction de la sécurité sociale. Ces réunions se tiennent deux fois par an, sous la direction du cabinet du ministre en charge du budget.
En cours de débat parlementaire, elle assure le suivi des débats et des amendements ayant des incidences en recettes, ainsi que celui de l'article d'équilibre des lois de finances.
Elle effectue, enfin, des prévisions de recettes à législation constante, sur la base des modèles macroéconomiques existants.
La direction du budget assure par ailleurs le suivi de la gestion des recettes fiscales. Elle est responsable de la publication de la situation mensuelle budgétaire (SMB), et de l'organisation de réunions interdirectionnelles mensuelles de suivi des recettes fiscales.
Quelles évolutions sont intervenues à la suite de la transmission au ministre des finances du référé de la Cour des comptes sur les prévisions des recettes fiscales de l'État ? Dans son référé, la Cour des comptes a formulé plusieurs propositions très utiles à l'amélioration du processus de prévision des recettes fiscales de l'État. La Cour a mis en évidence le fait que des écarts importants peuvent exister entre prévision et exécution, mais néanmoins qu'il n'y a pas de biais systématique ni à la hausse ni à la baisse, d'après les calculs faits par la Cour sur les dix dernières années, en mettant de côté l'année 2009, exceptionnelle du fait de la crise économique. Sur la durée d'un cycle économique, les prévisions sont donc en moyenne équilibrées : le ministère des finances se trompe à la hausse ou à la baisse. En revanche, les années où les écarts les plus importants sont observables sont les années de retournement économique. La difficulté à anticiper ces points d'inflexion dans l'évolution de la croissance économique, qui existe dans la plupart des pays européens, explique largement ces écarts.
Trois sources d'incertitude peuvent notamment se présenter. En premier lieu, l'incertitude inhérente aux prévisions macroéconomiques : la prévision de croissance du produit intérieur brut (PIB), mais aussi, à croissance donnée, la composition de cette croissance, qui joue sur les bases fiscales.
En deuxième lieu, les incertitudes tenant aux modèles de prévision des impôts. Les assiettes macroéconomiques peuvent être plus ou moins proches des assiettes fiscales : elles sont très proches dans le cas de la TVA, beaucoup moins pour l'impôt sur les sociétés. C'est sur ce dernier que les prévisions sont les moins précises, du fait de la mécanique très particulière de cet impôt. Plus généralement, quel que soit l'impôt considéré, des écarts liés à la déformation de la structure des assiettes peuvent exister.
En troisième lieu, l'incertitude dans le chiffrage des mesures nouvelles : des effets comportementaux difficilement prévisibles liés à la mise en place de nouveaux dispositifs peuvent notamment avoir un impact qui n'était pas anticipé sur les recettes, même si ces changements de comportement sont bien pris en compte lorsque les services du ministère des finances évaluent l'évolution spontanée des différentes recettes.
Depuis le référé de la Cour des comptes, les documents budgétaires ont par ailleurs été revus et enrichis afin d'améliorer la qualité de l'information publique. Ainsi, le tome I de l'annexe « Voies et Moyens » au projet de loi de finances pour 2015 présente des retours sur les écarts entre prévision et exécution constatés en 2013 pour les principaux impôts, et notamment pour l'impôt sur le revenu. De même, le rapport économique, social et financier (RESF) annexé à ce même projet de loi de finances présente un encadré complet sur l'écart à la prévision de l'impôt sur le revenu 2013. Un effort particulier d'explication avait déjà été fait dans le RESF annexé au projet de loi de finances pour 2014, avec un encadré revenant sur la moins-value de TVA observée en 2012.
Concernant la présentation des méthodes de prévisions des impôts, les recommandations de la Cour des comptes ont également été suivies, et continueront à l'être : le « Voies et moyens » annexé au projet de loi de finances pour 2015 intègre des encadrés méthodologiques qui détaillent les méthodes de prévision et les facteurs d'évolution pour les principaux impôts.
Ces éléments viennent s'ajouter aux analyses traditionnellement effectuées dans le « Voies et moyens » et le RESF annexés au projet de loi de finances pour une année donnée : retour sur l'exécution de la pénultième année et ses déterminants, assorti d'une analyse de la prévision révisée pour l'année immédiatement antérieure et de la prévision pour l'année à venir. Dans la même optique, le RESF revient sur des éléments de l'exécution et présente les prévisions de recettes et leurs fondements macroéconomiques.
Les services de la direction du budget échangent fréquemment avec la représentation nationale et tout particulièrement les commissions des finances. Ils sont également en lien régulier avec la Cour des comptes et le Haut Conseil des finances publiques.
Le Haut Conseil des finances publiques joue un rôle très important de validation de la crédibilité des hypothèses macroéconomiques. Les échanges fournis de cet organisme indépendant avec le ministère des finances, la discussion des hypothèses macroéconomiques, ont apporté une transparence accrue. Ils ont évidemment une incidence majeure sur les prévisions de recettes. Chaque échéance parlementaire, depuis le programme de stabilité jusqu'au collectif budgétaire de fin d'année, donne lieu à des échanges nourris. Cela signifie que quatre à cinq fois dans l'année, nous confrontons nos prévisions, notamment le cadrage macro-économique, avec le Haut Conseil.
Les prévisions macro-économiques ont évidemment un impact majeur sur les recettes attendues. Le rôle du Haut Conseil, cependant, n'est pas de se prononcer sur la crédibilité des prévisions de recettes. Il veille, d'une part, à la cohérence de la trajectoire de retour à l'équilibre des finances publiques avec les engagements européens de la France, d'autre part à la cohérence entre l'article liminaire de chaque loi de finances et la trajectoire de référence, c'est-à-dire la loi de programmation des finances publiques.
Toutefois, pour exercer cette mission, il se prononce, au-delà des hypothèses macro-économiques, sur la cohérence d'ensemble entre le scénario économique et les prévisions de recettes fiscales.
À titre d'exemple, concernant le projet de loi de finances pour 2014, le Haut conseil, tout en validant globalement l'hypothèse de croissance du Gouvernement, qu'il qualifiait de « plausible », avait invité celui-ci à faire preuve de prudence sur les recettes. Cet avis a été pris en compte dans le programme de stabilité, qui revoyait à la baisse de 0,1 point l'élasticité des prélèvements obligatoires. Tant en 2013 qu'en 2014, il soulignait également des encaissements en cours d'année « compatibles » ou « en ligne » avec la prévision proposée pour l'année considérée.
Je vous remercie de cet exposé et donne à présent la parole à Bruno Rousselet afin qu'il expose les enjeux liés à l'exploitation, par la direction générale des finances publiques, des données déclaratives et à la prise en compte des comportements des contribuables.
La direction générale des finances publiques a en effet en charge, en tant que gestionnaire de l'impôt, la collecte des données en provenance des contribuables, qu'elle met à la disposition des autres directions et de l'Insee, et qui fondent la plupart des prévisions de recettes. À l'information ainsi collectée, nous apportons une plus-value, qui tient à notre rôle de gestionnaire. Ainsi, s'agissant des données relatives à l'impôt sur le revenu, nous pouvons dire, en fonction du rythme de dépôt des déclarations, du rythme des émissions, nous pouvons qualifier une évolution constatée de réelle ou indiquer qu'elle ne procède que d'un artefact administratif.
Comme les autres directions, nous élaborons des prévisions. L'exercice peut être plus ou moins complexe. Évaluer, à législation constante, le rendement de l'impôt sur le revenu, qui tient aux évolutions macro-économiques ainsi qu'à celle des revenus catégoriels ne l'est pas trop. En revanche, il est plus difficile d'évaluer le rendement de mesures nouvelles, en particulier quand rien ne les raccroche au système déclaratif en cours - il nous faut alors, avec la direction du Trésor, aller puiser dans d'autres données, à caractère économique et social.
Étant également en première ligne en matière de suivi du contentieux et de contrôle, nous sommes en mesure de fournir au ministère une information précise sur le dernier état de tel ou tel contentieux susceptible d'avoir une influence sur les chiffres macro-économiques.
Comment observons-nous les comportements des usagers, pour en tirer le meilleur parti possible au service de la prévision ? Nos chiffres proviennent du déclaratif, du contrôle, ainsi que des occasions de contacts avec les usagers, que nous nous employons à mettre à profit. Les données déclaratives nous permettent d'établir chaque année le nombre de contribuables à l'impôt sur le revenu - qui dépend aussi des évolutions sociétales, des modifications dans la composition des foyers, ainsi que des départs de contribuables hors de France, et de leur retour - et que nous intégrons, de manière dynamique, aux prévisions. Même chose pour les données du contrôle, qui participent tant à la prévision qu'à l'élaboration de la loi, puisqu'elles peuvent amener le législateur à corriger la législation existante. Les contacts avec les usagers sont aussi un indicateur. Ainsi, une progression des demandes en recours gracieux ou d'étalement, pouvant jouer à la marge sur le taux de recouvrement, mérite d'être intégrée aux prévisions.
Nous portons une attention particulière à l'exécution. Plus l'écart est fort avec les prévisions, plus notre attention est en alerte. Le rendement constaté de l'impôt sur le revenu de 2013, sur les revenus de 2012, en offre une illustration. Les difficultés observées sont, selon l'analyse détaillée que nous avons menée, liées au fait que l'on inaugurait alors le basculement des revenus des capitaux mobiliers dans le barème et aux effets liés au prélèvement obligatoire à titre d'avance. Ce fut un exercice difficile, dont nous n'avons pas maîtrisé tous les paramètres. Notre indicateur d'évolution des revenus s'est trouvé pris en défaut : si la prévision globale était juste, la distribution entre hauts et bas revenus, qui a eu un impact sur l'impôt du fait de la progressivité du barème, nous a surpris. C'est dire que nous nous efforçons, et d'autant plus que l'écart constaté est important - ce qui n'est pas le cas cette année au regard de la masse totale collectée - de comprendre ce qui s'est produit.
Je donne à présent la parole à Michel Aujean, dont je rappelle qu'il a longtemps été directeur des analyses et des politiques fiscales à la Commission européenne, et qui va intervenir pour nous livrer son analyse des mutations du comportement des contribuables face à l'impôt qui pourraient expliquer les évolutions des recettes fiscales au cours des dernières années.
Je vous remercie de votre invitation. N'étant pas spécialiste des méthodes d'élaboration des prévisions de recettes, je m'attacherai, dans mon propos, aux politiques fiscales comparées. Qu'en est-il du système fiscal français ? Les évolutions dans les comportements peuvent-elles avoir une valeur explicative et sont-elles liées à la conception même de notre système fiscal ? Telles sont les questions auxquelles je m'efforcerai de répondre.
Notre fiscalité indirecte est élevée. Représentant plus de 15 % du PIB, elle nous place au cinquième rang en Europe. On pourrait penser que c'est une bonne chose, puisque l'OCDE estime qu'il faut avoir une fiscalité indirecte élevée et une fiscalité directe plus faible pour engranger les bénéfices de la croissance économique. Mais à y regarder de plus près, on constate que nos recettes de TVA sont médiocres. Les rapports de la Commission européenne, de l'OCDE, du FMI, soulignent, de fait, la faible efficacité de notre dispositif. Le VAT gap, soit l'écart entre la recette théorique que notre structure de taux de TVA devrait rapporter et la recette effectivement collectée, serait en France, selon la Commission européenne, de 25 milliards d'euros. Je tempère d'emblée cette observation en relevant qu'un tel calcul reste purement mécanique et ne permet en rien d'expliquer le phénomène. Il n'en reste pas moins que cet écart, qui représente 18 % de la recette, nous place en position moyenne en Europe. Autre indicateur, le policy gap, soit l'écart entre la recette effective et la recette théorique que l'on obtiendrait si tout était taxé au taux de droit commun de 20 % : en France, la recette effective représente 50 % environ de cette recette théorique. Même si celle-ci reste de l'ordre de l'hypothèse pure, le ratio n'en traduit pas moins l'influence de certaines caractéristiques de notre système, auxquelles on peut imputer l'écart souvent constaté entre les prévisions et le constat.
Nos droits d'accises - tabac, alcool, produits pétroliers -, modestes, nous placent, sur le fondement des comptes nationaux pour 2012, au vingt-cinquième rang en Europe sur vingt-sept États-membres, tandis que nos taxes environnementales nous classent à la vingt-sixième place.
À l'opposé, les impôts pesant sur la production, qui représentent 4,5 % du PIB, soit deux fois la recette de l'impôt sur les sociétés, nous placent presque en première position. C'est une situation que les représentants des entreprises dénoncent dans toutes les enceintes et qui affecte directement le volume des profits imposables, avec un impact tant sur la quantité que sur la prévisibilité de l'impôt sur les sociétés.
J'en viens à présent à notre fiscalité directe. Alors qu'elle est très inférieure à la moyenne communautaire, il peut paraître paradoxal de constater qu'au cours des dernières années, les citoyens ont pris de plus en plus de distance avec le principe du consentement à l'impôt, que nous croyions pourtant bien établi en France.
S'agissant de l'impôt sur les sociétés, la situation est paradoxale. Alors qu'à 38 %, son taux nominal complet est le plus élevé de l'Union européenne, son rendement, avec une recette qui plafonne à 2,3 % du PIB - soit un peu en dessous de sa tendance de long terme, de l'ordre de 2,5 % à 2,7 % -, reste médiocre. Une telle situation s'explique par le cumul de trois facteurs. Tout d'abord, alors que le taux a baissé dans presque tous les pays de l'Union européenne - un tiers en moyenne en quinze ans -, il a augmenté en France. Ensuite, alors que, dans la plupart des pays de l'Union, l'assiette a été élargie pour compenser la baisse du taux, celle-ci est restée relativement stable en France. Enfin, on a assisté, en France, à un phénomène de « sociétarisation » : de plus en plus d'entreprises individuelles sont devenues sociétaires. Si les recettes d'impôt sur les sociétés en ont été légèrement augmentées, c'est au prix d'une diminution de celles de l'impôt sur le revenu des entrepreneurs individuels.
Notre recette d'impôt sur le revenu est la plus faible de l'Union européenne et de l'OCDE, avec une recette s'établissant à 3,5 % du PIB. Nous nous classons ainsi au vingt-huitième rang des pays de l'Union européenne, quand l'Allemagne est à 8,8 %, et le Danemark à 24 %, soit huit fois plus qu'en France. Or, l'impôt sur le revenu est, à proprement parler, le seul impôt progressif de notre système fiscal. La contribution sociale généralisée (CSG), légèrement progressive, vient combler l'écart, et nous fait remonter à la quatorzième place. Mais des questions ne s'en posent pas moins.
À cela s'ajoutent les cotisations sociales. À 17 % du PIB, contre 12 % en moyenne européenne, nous figurons en première ligne. Elles pèsent pour 11,6 % sur les employeurs et pour 4,2 % sur les employés, ce qui, là encore, nous singularise.
Il en résulte un taux d'imposition implicite - soit le calcul, ex post, du taux effectif d'imposition, en rapportant l'ensemble des recettes d'un impôt donné à l'ensemble de son assiette - parmi les plus élevés de l'Union européenne. Le taux d'imposition implicite sur le travail est ainsi, en France, de 39,5 %, contre 36 % en moyenne dans l'Union européenne, tandis que le taux d'imposition implicite sur le capital atteint presque 47 %, soit dix points de plus que le pays qui se classe juste après nous, l'Italie.
Il apparaît donc opportun de se poser la question de l'impact qu'une telle situation peut avoir sur les comportements des contribuables. Les économistes plaident souvent, même s'il reste des irréductibles pour penser le contraire, pour un système à assiette large et à taux bas. C'est l'inverse qui prévaut en France. Un rapport récent de l'Institut Messine, think tank de la Compagnie nationale des commissaires aux comptes des entreprises, montre que le système fiscal français est conçu moins comme un instrument de collecte de recettes que d'orientation de l'économie. Fait de mesures fiscales incitatives, les fameuses niches, et de dispositifs punitifs qui, les uns comme les autres, atteignent rarement leur but, il fonctionne au détriment de la fonction première de l'impôt, autrement dit de sa capacité de collecte.
Il ressort d'un sondage que nous avons mené, il y a deux ans, auprès de cinq cent directeurs fiscaux, que les entreprises recherchent, avant tout, la sécurité fiscale : 80 % des directeurs interrogés le déclarent. Ils affirment aussi préférer un système à assiette large et à taux faible plutôt qu'un système à assiette étroite et à taux élevé, en dépit de la faculté de faire usage de niches attachées à ce dernier. Ils demandent, en second lieu, une stabilité de la norme. On sait, hélas, le nombre des travaux qui relèvent combien elle est instable dans notre pays. Or, l'incertitude sur la norme suscite contentieux et optimisation. D'autant que les États voisins offrent un certain nombre de dispositifs qui permettent, souvent légalement, de réduire la facture fiscale. Ainsi du système des intérêts notionnels en Belgique, soit la faculté de déduire, au même titre que sont déduits les intérêts d'emprunt, une part du revenu des capitaux propres, qui immunise de l'impôt le stock de capital existant. Dans un article de janvier 2013 du journal Le Soir, on apprend ainsi que l'entreprise Arcelor Mittal Finances, entre 2008 et 2011, a pu, des 5,8 milliards d'euros d'impôt théoriquement attachés à ses profits, déduire 5,6 milliards d'euros au titre des intérêts notionnels, pour ne payer, in fine, que 200 millions d'euros. La Belgique, poursuit l'auteur de l'article, n'en a pas pour autant perdu de recettes, puisque celles-ci viennent des profits qui n'ont pas été imposés dans les pays voisins. Si j'ai cité cet exemple, ce n'est pas pour stigmatiser une entreprise, mais pour vous montrer à quel point la concurrence fiscale que nous livrent nos voisins, qu'on la qualifie d'excessive ou de dommageable, pèse sur notre capacité de collecte.
Quant au consentement à l'impôt, il est, pour les personnes physiques, largement déterminé par leur sentiment de la justice fiscale. Le respect de la règle tient à la foi que l'on met dans son respect par autrui. Je vous renvoie au constat que dresse le récent rapport du Conseil des prélèvements obligatoires, « Impôt sur le revenu, CSG : quelles réformes ? », qui relève que nombre Français déclarent avoir pris leurs distances avec le principe du consentement à l'impôt. Nous sommes certes le pays où l'impôt sur le revenu est le plus faible de toute l'Europe, mais n'oublions pas qu'à la différence de la CSG, relativement indolore parce qu'invisible, à laquelle il vient s'ajouter, il touche le revenu de façon visible. Et comme, de surcroît, il a eu tendance à augmenter ces dernières années, la collecte en devient de plus en plus problématique.
S'agissant des prévisions de recettes, la question de l'élasticité a été évoquée, mais il en est une autre : celle des niches fiscales et de leur évolution. Dans quelle mesure pose-t-elle problème dans les prévisions ? Les propos que nous venons d'entendre montrent combien la dépense fiscale finit par miner en profondeur la recette. Estime-t-on, à Bercy, qu'il s'agit là d'une difficulté durable ou au contraire que nous avons la capacité de sortir progressivement de ce schéma ? Au vu des difficultés que nous rencontrons pour obtenir une information détaillée et complète sur chacune de ces niches, je m'interroge sur la possibilité de porter une appréciation globale sur celles-ci.
L'écart entre les prévisions et l'exécution pour 2014 dépasse 10 milliards d'euros. C'est considérable. J'aurais aimé disposer d'un document fournissant le détail par impôt. J'aurais également aimé savoir plus précisément comment s'articulent l'échange et la remontée de l'information. Alors que les directions départementales produisent des tableaux de bord précis, je n'ai pas le sentiment que beaucoup remontent pour fournir des données agrégées. Il serait bon que nous puissions examiner ces tableaux de bord, qui contiennent des informations telles que les déclarations annuelles de données sociales, précieuses pour effectuer des recoupements.
Le regroupement des services départementaux déconcentrés de la direction générale des finances publiques a-t-il fait gagner en efficacité ? En matière de contentieux, où en est la lutte contre la fraude fiscale ? Vous avez évoqué les difficultés de recouvrement de l'impôt sur le revenu, mais qu'en est-il des impôts revenant à l'ensemble des collectivités territoriales ?
Je vous remercie de ces éclairages utiles. Ils donnent le sentiment que l'on peut difficilement faire mieux en matière de chiffrage : nos méthodes pour expliquer les écarts semblent assez performantes, mais il reste un trou noir qu'en dépit de la qualité de nos modèles mathématiques, on ne parvient pas à éclairer.
Michel Aujean a soulevé la question de la progressivité de l'impôt. Je veux ici faire observer que la TVA, qui n'est pas un impôt progressif, n'en joue pas moins un rôle redistributif, contrairement aux idées reçues. Si 50 % de la recette théorique obtenue au taux de droit commun ne rentre pas, c'est précisément en raison de notre politique de taux minorés, sur les biens de première nécessité, notamment.
Vous avez relevé, ensuite, que notre fiscalité environnementale nous classait au vingt-sixième rang en Europe. Il faut cependant nuancer. Pour avoir étudié le sujet, j'ai constaté que beaucoup de pays classent comme environnementale une fiscalité qui n'est pas née avec cette vocation. C'est ainsi que le Danemark a créé, en 1911, une fiscalité sur l'automobile parce que sa possession était un signe de richesse - rien à voir, autrement dit, avec la pollution. Ceci pour souligner qu'il convient d'être prudents dans les comparaisons. La France n'est pas aussi mauvaise élève qu'on le croit.
Vous avez également souligné que nous avons augmenté le taux de l'impôt sur les sociétés, quand les autres pays le baissaient. Mais c'est oublier nos niches fiscales, par l'effet desquelles certaines sociétés du CAC 40 ne sont imposées qu'à 8 %.
Vous avez déploré, enfin, le rendement médiocre de l'impôt sur le revenu. Mais se pose, là encore, la question des niches. Il serait utile de disposer d'un travail de simulation précis, pour chaque dépense fiscale, afin d'appréhender l'effet, à défaut de suppression, d'une éventuelle modification de certains curseurs. Cela nous aiderait grandement dans notre réflexion sur le projet de loi de finances.
Mélanie Joder a rappelé que les prévisions de recettes sont étroitement déterminées par les prévisions de croissance du PIB. Pour les écologistes, c'est là une question centrale. Les hypothèses de croissance sur lesquelles reposent nos économies sont condamnées, à terme, du fait de leur coût environnemental et de la raréfaction des matières premières. Or, il me semble que les prévisions de Bercy n'intègrent pas l'évolution du coût des principales d'entre ces matières premières. Je m'étonne, de même, de constater que les prévisions de croissance à moyen terme soient très souvent établies, par convention, à 2 %. C'est le cas dans le projet de loi de programmation des finances publiques, pour les années 2018-2019. Alors que la croissance est en diminution constante depuis cinquante ans, une réflexion est-elle engagée sur son évolution à moyen et long terme ?
Un mot, pour finir, sur la fiscalité environnementale : la mesure de son efficacité mériterait d'être mise en regard du coût de la fiscalité anti-environnementale, qui atteint quelque 20 milliards d'euros par an en France. François Marc ne m'en voudra pas de le contredire, mais à l'heure où nous discutons d'un projet de loi relatif à la transition énergétique, il importe de se rendre compte que la situation est beaucoup plus grave que ce que mesurent nos indicateurs.
Tous les angles d'approche qui nous ont été présentés m'ont intéressé, mais comme fiscaliste, j'ai été particulièrement sensible aux propos de Michel Aujean, qui montrent combien la fiscalité est une matière vivante, qui influe sur les comportements et dont les performances varient selon le rôle qu'on lui assigne. Vous avez indiqué que le VAT gap serait, en France, de 25 milliards d'euros : sait-on faire le distinguo entre ce qui tient à l'optimisation, à la fraude, à l'érosion des bases - que l'on voit s'évaporer vers d'autres cieux avec le développement de l'économie numérique ?
L'écart entre prévision et réalisation tient aussi, pour partie, au travail effectué par les services. A-t-on idée des conséquences de leur restructuration ? J'ai par exemple observé, sur le terrain, qu'avec la diminution du nombre de fonctionnaires, certains services, occupés par la restitution de crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), n'ont plus le temps de mener des contrôles sur la TVA déductible.
Une question, enfin, à Olivier Sivieude. Quel a été l'effet des mesures adoptées par le Parlement sur le nombre et le résultat des contrôles, notamment en ce qui concerne l'impôt sur les sociétés et la TVA ?
On observe, au fil des réunions du G20 et de l'OCDE, que l'on s'achemine vers une harmonisation du cadre fiscal international. Cela vous ouvre-t-il d'ores et déjà des perspectives ? À quelle échéance espérez-vous pouvoir intégrer des évolutions ? Où en est-on de la lutte contre la fraude à la TVA ? Et aux certificats carbone ? Que peut-on espérer en termes de recouvrement, sachant que plusieurs dizaines de milliards d'euros sont en jeu ?
Comme Vincent Delahaye, les écarts abyssaux entre prévisions et résultats me préoccupent. Nous aimerions avoir l'explication des écarts de 15 milliards d'euros puis 10 milliards d'euros observés en 2013 et 2014. Cela représente une différence de moitié avec ce qui était espéré ! Mélanie Joder a évoqué des effets comportementaux : nous aimerions avoir plus de détails. Il importe que nous travaillions à comprendre, ensemble, ces nouveaux comportements, qui conduisent à une évaporation des recettes. Cette situation est-elle imputable à la structure de notre système, caractérisé par une assiette étroite et des taux élevés ?
Bruno Rousselet a évoqué tout à l'heure les effets des retards de paiement et des demandes d'étalement des contribuables, tout en relevant qu'ils restaient marginaux sur le taux de recouvrement. Peut-on cependant en savoir plus sur leur évolution, car j'ai le sentiment que la situation économique met un certain nombre d'acteurs en difficulté ?
Je reste un peu sur ma faim. Je comprends bien combien difficile est l'exercice de la prévision, mais j'aurais aimé en savoir plus sur le processus qui y préside. J'ai peine à penser que vous ne fournissez qu'un seul chiffre. Je suppose que vous établissez tout de même plusieurs hypothèses, et que le choix final est imputable à la décision de l'exécutif ?
La réforme de l'administration fiscale produit tous ses effets sur le terrain. C'est ainsi que l'on voit arriver, dans des postes touchant à la gestion des collectivités territoriales, d'anciens inspecteurs des impôts qui se trouvent un peu démunis pour faire face à leurs nouvelles tâches. Quant aux effectifs de contrôle, qu'il suffise de dire qu'alors qu'une entreprise était autrefois susceptible d'être contrôlée tous les dix ans, le chiffre est tombé à vingt ans. On considère généralement que la réforme est un succès, mais je constate que l'armature, sur le terrain, est bien faible. Ceci m'a d'ailleurs été confirmé par les travaux de la commission d'enquête sur le crédit impôt recherche (CIR) que j'ai l'honneur de présider. Les services expliquent qu'ils ne sont pas outillés pour juger de la pertinence des projets soumis au contrôle, lequel devrait être mené avec des représentants du ministère de la recherche. On a le sentiment qu'en l'état, il suffit à un projet d'être bien présenté fiscalement pour être agréé.
On en est arrivés, dans ce pays, à un niveau d'imposition qui nous place dans une situation délicate. Dans cette situation, comme s'étonner que l'on observe des effets sur les comportements ? On connaît les courbes qu'ont produites les économistes sur le sujet. Mesurer l'élasticité est bel et bon, mais ne faudrait-il pas aller plus loin, et redéployer l'ensemble de notre système fiscal ? Ce sont tout de même 10 milliards d'euros qui ont manqué à l'appel en 2014 !
Une question à Olivier Sivieude. La révélation, par la presse, de l'identité de contribuables impliqués dans l'affaire HSBC a suscité l'émotion mais quels sont les éléments véritablement nouveaux issus des articles récents ? On sait que vous êtes en possession de la fameuse liste HSBC depuis plusieurs années. Quel bilan pouvez-vous en tirer ? A-t-elle pu donner lieu à des recouvrements ? Comment la direction générale des finances publiques et l'autorité judiciaire coordonnent-elles leur action ?
L'affaire SwissLeaks a en effet pour origine une liste de détenteurs de comptes HSBC communiquée par un lanceur d'alerte - pour le dire plus exactement, l'information nous est venue dans le cadre d'une perquisition. Je veux dire avant toute chose que jeter des noms en pâture à la presse n'est pas très glorieux, et que l'administration fiscale n'en est pas à l'origine.
Cette liste nous a été très précieuse et nous a permis d'agir efficacement, grâce à l'aide du législateur. Dans la mesure où la loi nous interdisait, à l'époque, de faire usage d'une information dérobée, nous avons d'abord procédé en proposant aux contribuables concernés de régulariser leur situation moyennant pénalités. Dans un deuxième temps, soit à partir du moment où le législateur a autorisé d'exploiter ce type d'information, nous avons pu taxer à 60 % - grâce à un texte adopté en 2013 - ceux qui restaient dans la dénégation. Ceci pour dire que les Français présents sur cette liste ont fait l'objet d'une procédure fiscale. Le rappel de pénalités s'élève, à ce jour, à 300 millions d'euros et plus de cent plaintes pour fraude fiscale ont été déposées.
L'effet indirect est également très positif. Ceux qui ont encore des comptes dissimulés à l'étranger savent qu'ils ne sont plus à l'abri. La loi protège désormais les lanceurs d'alerte et les banques elles-mêmes font l'objet de procédures judiciaires pour blanchiment de fraude fiscale. Cette double pression a conduit à des déclarations massives via le dispositif dérogatoire de régularisation mis en place en septembre 2013. Ce qui nous a permis d'encaisser 1,9 milliard d'euros en 2014, la prévision pour 2015 dépassant les 2 milliards d'euros.
L'effet conjugué de l'action du législateur et de la coordination entre administrations fiscale et judiciaire a ainsi porté ses fruits. À comparer notre action à celle d'autres États, on peut considérer que la France n'a pas à rougir - ce qui ne signifie pas qu'il faut s'arrêter là.
La question a été posée de l'impact de la fraude sur les recettes. En matière d'évaluation, il faut être très modeste. Par définition, le fraudeur ne déclare pas le montant de sa fraude. Un exemple illustrera la difficulté de l'exercice. Il existe aujourd'hui des logiciels de caisse qui permettent aux commerçants de dissimuler une part de leurs recettes en liquide. Nous procédons certes à des contrôles, mais l'impact global sur le budget de l'État reste difficile à évaluer.
Elle n'est pas sanctionnée. La loi vise les éditeurs, mais encore faut-il démontrer que leur logiciel est à l'origine de la fraude, auquel cas, ils encourent une amende équivalant à 15,5 % des ventes. La fraude persiste, mais nous entendons vous soumettre quelques idées pour lutter contre ce type de pratiques.
Le taux effectif d'impôt sur les sociétés qu'acquittent certaines grandes entreprises internationales est, en effet, très en deçà du taux français. Mais quand une société est implantée dans trois États, dont deux ont un taux d'impôt sur les sociétés très inférieur à celui de la France, le taux global de son impôt est inévitablement inférieur au taux français. A contrario, je puis vous dire que le taux le plus élevé enregistré est acquitté par une grande entreprise pétrolière du CAC 40, tout simplement parce qu'elle est implantée dans des pays où les taux sont élevés.
Quant à la fraude à la TVA, le chiffre de 25 milliards d'euros avancé par la Commission européenne est de nature macro-économique. Il n'enregistre qu'un manque à gagner, sans que ne soit précisément défini ce qui relève de la fraude, puisqu'il inclut, par exemple, les montants de TVA qui n'ont pas été acquittés par des entreprises en difficulté. Encore une fois, méfions-nous des chiffres que l'on brandit.
Procédons-nous à davantage de contrôles ? Nous ne les avons pas augmentés, mais nous avons sanctuarisé le nombre de vérificateurs. Il ne s'agit pas tant de contrôler plus que de mieux contrôler, de mieux programmer les contrôles, d'utiliser les outils que nous a donnés le législateur - perquisitions, police fiscale, accès à la comptabilité, droit de communication -, de décloisonner l'action, avec les administrations étrangères, mais aussi en interne, avec les autres administrations, avec la justice, la police.
Au niveau européen et international, certains progrès sont déjà acquis. L'assistance administrative internationale a beaucoup progressé. Et la liste noire des États non coopératifs a amené de plus en plus d'États à engager la coopération. Sans parler de l'échange automatique d'informations, qui signera bientôt la fin du secret bancaire.
Vous savez aussi que la France prend une part très active aux travaux menés par l'OCDE, qui portent sur des questions majeures comme celle des transferts indus de bénéfices à l'étranger, celle des redevances, celle des charges financières hybrides, celle des transferts de fonctions, celle du « treaty shopping », c'est-à-dire de l'exploitation, par certaines entreprises, des conventions internationales, et d'autres sujets encore. Ces travaux portent sur quinze points cruciaux, et ils avancent bien. Leur concrétisation interviendra en 2016 au plus tard.
Pour contrer le carrousel sur les certificats carbone, nous travaillons à détecter la fraude le plus en amont possible. Il est difficile de la brider par la réglementation, puisqu'elle est inhérente à la réglementation européenne même. Mais pour la repérer au plus tôt, nous avons mis en place un dispositif de repérage européen, Eurofisc. J'ajoute qu'en France, existe une task force des administrations fiscales travaillant sur la TVA, qui permet d'échanger au plus vite les signalements. À quoi s'ajoute le data mining, soit un travail de croisement de fichiers qui facilite le repérage des fraudeurs, dans le respect, bien entendu, du cadre imposé par la Commission nationale informatique et libertés (CNIL).
Un mot sur le crédit d'impôt recherche. Le principe veut que les entreprises qui font de la recherche y soient éligibles, mais les critères de définition des dépenses de recherche ne sont pas évidents.
Quand on n'est pas spécialiste de la recherche, il est impossible de trancher. Le ministère de la recherche met donc des experts à disposition de l'administration fiscale, mais leur nombre est limité au regard de l'enjeu, considérable - pas moins de 5 milliards d'euros. Nous devons donc cibler les contrôles.
Vous voyez qu'en matière de lutte contre la fraude, nous sommes déterminés. Nous avons fait des progrès considérables, notamment grâce à l'action du législateur.
Il me semble que des résistances persistent en matière de croisement des fichiers. Je suis étonné de constater que l'administration fiscale n'ait pas systématiquement connaissance des revenus sociaux des foyers. Pour savoir ce que perçoit une famille, elle doit interroger la Caisse d'allocations familiales (CAF). Y a-t-il donc un obstacle juridique au croisement ? Il permettrait pourtant des contrôles de cohérence pertinents. Dans mon département, des cas de fraude ont été constatés. On s'aperçoit, en détectant des entreprises douteuses de restauration ou de réparation automobile qui n'ont pas acquitté leur TVA, que les entrepreneurs en cause sont bénéficiaires du RSA.
Pour nous être penchés, avec Philippe Dallier, sur la question des douanes, nous nous interrogeons sur les moyens consacrés à la lutte contre la fraude à la TVA dans le e-commerce. Comment lutter, également, contre les dépôts de bilan et les faillites plus ou moins frauduleuses de sociétés éphémères qui, en particulier dans certains secteurs, disparaissent en laissant des ardoises de TVA ? La réponse passe-t-elle par l'auto-liquidation de la TVA ? Par l'interdiction d'exercer ?
Le e-commerce est une vraie préoccupation. Nous avons été alertés ces derniers mois, et c'est une chose inédite, par de grandes sociétés françaises qui souffrent de la concurrence que leur livrent, sur Internet, des sociétés localisées à l'étranger. La réponse n'est pas facile, d'autant que selon le cas, ces affaires relèvent tantôt de nos services, tantôt des douanes. Cependant, le Parlement a adopté, fin 2014, une mesure qui nous est précieuse et qui nous permet d'user auprès des plates-formes d'un droit de communication sans avoir à désigner nommément l'identité des personnes visées, qui opèrent bien souvent sous pseudonyme. Il manque encore à cette disposition le décret en Conseil d'État qui la rendra opérationnelle, mais elle nous donnera, en 2015, la possibilité d'agir.
C'est principalement dans le bâtiment que l'on trouve les entreprises éphémères que vous avez évoquées. Et cela tient à un régime fiscal particulier, celui du régime simplifié de TVA, qui permet de ne déposer sa déclaration qu'après un an et demi d'exercice. L'entreprise peut ainsi, pendant tout ce temps, facturer la TVA sur ses chantiers, déduite par le commanditaire, sans la reverser. Au terme de cette période, on s'aperçoit bien souvent que l'entreprise a disparu dans la nature. La loi de finances pour 2014 a entendu remédier à cette situation, en obligeant les entreprises du bâtiment à souscrire au régime normal durant les deux premières années de leur activité. La situation devrait donc s'améliorer en 2015.
Il est vrai que la CNIL s'est toujours montrée rétive au croisement des fichiers sociaux dans la sphère fiscale. Cela étant, nous avons, avec son aval, trouvé des méthodes de substitution, via des pointages entre identifiants sociaux et fiscaux. Nous envoyons ainsi chaque année à la CAF une information sur 16 millions de déclarants, sur laquelle elles peuvent ainsi fonder leurs décisions de prestations. Nous avons, de même, une convention qui veut qu'en cas de contrôle, c'est-à-dire de détection ex post d'une activité, nous transmettions l'information à la CAF, pour qu'elle en tire les conséquences. Reste, il est vrai, un problème de décalage : le temps court de la prescription, qui prévaut dans la sphère sociale, s'accommode mal du caractère tardif de l'information qui lui est ainsi délivrée. Bien souvent, quand cette information lui parvient, il n'est plus temps de redresser sur les premières années, déjà prescrites. J'ajoute qu'il n'est pas sûr qu'elle dispose des mêmes moyens que les nôtres pour utiliser au mieux l'information reçue.
Ma question visait plutôt le flux inverse : l'administration fiscale a-t-elle systématiquement connaissance des prestations servies aux foyers ?
Le flux ne se fait pas dans ce sens.
Nous entretenons d'excellentes relations avec la sphère sociale, à laquelle nous pouvons demander l'information. Mais en matière de data mining, nous nous centrons, pour l'heure, sur les entreprises. Les particuliers viendront dans une phase ultérieure.
Cela pourrait se faire localement et permettrait des contrôles de cohérence.
Nous avons bien compris que la doctrine du ministère est de ne pas prendre en compte les évolutions de comportement des contribuables pour chiffrer le coût, ou le rendement, des mesures nouvelles, aux motifs que ces changements sont déjà intégrés au scénario macro-économique et qu'ils sont trop difficiles à estimer de façon isolée. Les modifications de comportement des contribuables sont-elles cependant analysées et prises en compte a posteriori ? Connaissez-vous des exemples de pays qui, au contraire, tiennent compte des évolutions des comportements des contribuables pour chiffrer le coût des mesures nouvelles ?
Plusieurs parmi vous ont soulevé la question de l'efficacité de la direction générale des finances publiques. Je ne vais pas paraphraser ce qu'en a dit la Cour des comptes mais je puis dire, au regard des questions qui nous occupent aujourd'hui, quelle influence a eu la réforme. Grâce à la restructuration, notre approche se tient désormais au plus près du contribuable, pour lequel déclaration, recouvrement et contentieux sont un tout. Il a désormais, face à lui, un seul service, qui peut réagir de façon plus dynamique et apporter des réponses plus précises. L'articulation désormais plus fine entre les difficultés du contribuable et ses demandes d'étalement voire de remise gracieuse nous met mieux en mesure de l'aider à régler sa dette. S'agissant des chiffres, que l'on retrouve dans les rapports de performance du programme 156 et du programme 200, il font apparaître que le civisme fiscal reste vivant : le taux de dépôt à bonne date des déclarations reste à 98 % ou 98,5 %, en hausse régulière, tandis qu'à l'autre bout de la chaîne, les résultats du recouvrement restent également de même niveau, tant pour ce qui est du paiement à l'échéance que du recouvrement forcé par voie de saisie sur salaire.
S'agissant des dépenses fiscales, il est vrai que l'art est difficile. L'évaluation d'une dépense fiscale à législation constante reste relativement aisée : on fait le pari de la stabilité. Je pense par exemple aux dons aux oeuvres d'utilité publique. Il arrive certes des surprises, comme ce fut le cas de l'exécution 2013, où nous avons constaté un écart de 200 millions d'euros qui n'était pas attendu. En revanche, quand intervient une mesure nouvelle, on ne peut tabler sur la stabilité des comportements, puisqu'elle est bien souvent destinée à les orienter. Je pense, par exemple, aux dépenses visant à améliorer les performances environnementales de l'habitation principale. Il n'est pas simple d'évaluer, ex ante, l'appétence qu'elles susciteront chez le contribuable pour les fenêtres à double vitrage ou les chaudières à biomasse. Nous nous fondons sur des données de marché et nous nous efforçons d'utiliser au mieux l'information que nous recueillons ex post.
Nous essayons d'améliorer l'évaluation de la dépense fiscale. Depuis deux ans, nous organisons avec chaque ministère une conférence sur le sujet, au moment de la procédure budgétaire. C'est un exercice essentiel, sachant que les crédits d'impôt, qui représentent une part importante de la dépense fiscale, sont désormais comptabilisés par l'INSEE et Eurostat dans les dépenses publiques. Nous devons donc en tenir compte dans le pilotage de la trajectoire des finances publiques. Nous demandons aux ministères de constituer, en amont de cette rencontre, un dossier d'évaluation et nous dialoguons pour obtenir des arbitrages, afin d'éviter que des décisions de dépenses budgétaires ne suscitent ensuite un phénomène bien connu de rattrapage sur les dépenses fiscales, ce qui n'a pas de sens en termes de solde public. Nous entendons progresser encore dans cette démarche, qui a déjà bien fonctionné l'année dernière.
Vous avez contribué, Monsieur Aujean, aux premiers travaux qui ont conduit à la présentation par la Commission européenne du projet d'assiette commune consolidée de l'impôt sur les sociétés (ACCIS). Pourquoi pensez-vous que ce projet ne prospère pas et sa mise en oeuvre serait-elle de nature, selon vous, à stabiliser en France, ou à rapatrier en France, des recettes d'impôt sur les sociétés ?
Permettez-moi tout d'abord de revenir sur la question de la fiscalité environnementale. Les services de la Commission européenne publient annuellement un rapport sur les prélèvements obligatoires intitulé Tendances fiscales. Celui d'il y a deux ans comportait un chapitre introductif sur la fiscalité environnementale, qui faisait apparaître combien elle reste faible en France. Au point que lors du semestre européen, qui est l'occasion de faire des recommandations aux États membres, la Commission demandait à la France de s'améliorer en ce domaine. Preuve qu'il nous reste du pain sur la planche.
En ce qui concerne l'impôt sur les sociétés acquitté par les grandes entreprises multinationales, Olivier Sivieude a largement répondu. Dans une enquête que nous avons menée auprès de 500 directeurs fiscaux d'entreprise, nous leur demandions quel était leur taux effectif d'imposition : il est de 20 % en moyenne, chiffre plus élevé que celui qui a été ici cité.
Voilà trois ans que la Commission européenne s'est engagée dans le calcul du VAT gap. C'est le début d'une expérience intéressante. La semaine dernière, une réunion a eu lieu entre les experts des États membres, ceux de la Commission et le consultant chargé des évaluations, sur la méthode. Il est vrai qu'elle est mécanique, et ne donne pas d'explication sur les causes, qui tiennent cumulativement à la fraude, à une mauvaise application des règles, à l'évitement, aux faillites ou à l'insolvabilité. Il serait bon que les États membres se penchent sur ces chiffres pour trouver les moyens de distinguer.
S'agissant des fraudes à la TVA et aux certificats carbone, on sait, ainsi que l'a rappelé Olivier Sivieude, que c'est la législation européenne qui les a permises. Dès lors qu'une transaction n'est pas taxée à son point de départ, ce qui est le cas de la TVA intracommunautaire, on peut faire du « carrousel ». La solution est théoriquement simple : supprimer l'exonération des livraisons intracommunautaires. Mais les points de vue sur la question divergent de façon assez virulente. Les entreprises, qui étaient autrefois favorables à l'idée, le sont moins, car ce serait renoncer à l'avantage financier qu'il y a pour elles à ne pas payer de TVA au moment de la facturation.
Quant au CIR, je souhaite indiquer que le cabinet de conseil Taj, pour lequel je travaille, a recruté des ingénieurs afin de sécuriser les demandes de CIR des entreprises, qui n'entendent pas s'engager en prenant le risque d'une remise en cause en cas de contrôle. Nous avons en quelque sorte, essayé de trouver le moyen de labelliser les « distributeurs de CIR », si je puis m'exprimer ainsi, à travers une pratique correspondant aux normes et avec toute la transparence nécessaire.
La présidente m'a interrogé sur le projet ACCIS. Je suis convaincu que passer par une assiette commune consolidée assortie d'un système de répartition plutôt que par les prix de transfert, source de détournements possibles, est la meilleure solution pour tout le monde. Cette proposition, adoptée en 2011 par la Commission européenne, n'a jamais pu accéder à l'échelon du débat politique. La faute en est à la présidence tournante du Conseil européen, mais il appartient aussi au commissaire en charge de la fiscalité de travailler à convaincre. Les travaux de la Cour des comptes ainsi que le livre vert sur la convergence France-Allemagne voient dans la convergence de la fiscalité des sociétés un préalable à l'ACCIS. On n'avancera pas si la France et l'Allemagne ne poussent pas conjointement en ce sens. Si elles s'y déterminent, d'autres États membres auront tôt fait de les rejoindre. L'Espagne et l'Italie ont toujours été demandeurs. L'Autriche, le Benelux suivront aussi.
Nous aurons l'occasion de revenir sur ces questions à Berlin, où les présidents et les rapporteurs généraux de nos deux assemblées se rendront dans quelques jours.
Un mot pour répondre à Vincent Delahaye. Nous transmettons aux commissions des finances une situation hebdomadaire. Il s'agit là d'un tableau de bord qui permet de suivre la situation au fil de l'eau. Je précise également à André Gattolin que le coût des matières premières entre dans nos prévisions. C'est un élément d'appréciation essentiel, ainsi que le montre la chute actuelle du prix du pétrole, dont nous discutons de près avec le Haut Conseil des finances publiques. Nos collègues de la direction du Trésor conduisent également des discussions, sur le tendanciel de croissance et la croissance potentielle, avec la Commission européenne. C'est un travail important et complexe, ainsi qu'en témoignent les divergences de vues entre les économistes.