Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me permets d'aborder ce débat par quelques considérations sur les conditions de travail de notre assemblée, considérations qui ne sont d'ailleurs pas sans lien avec l'examen du présent projet de loi.
Les deux sessions ordinaire et extraordinaire qui viennent de s'écouler ont vu une succession de coups de force politiques visant à court-circuiter les prérogatives des parlementaires en ne leur permettant pas d'effectuer leur travail dans de bonnes conditions.
En effet, cette boulimie gouvernementale de textes s'est accompagnée de la multiplication de projets de loi déclarés d'urgence concernant des sujets particulièrement importants, qu'il s'agisse du changement de statut et de la privatisation des grandes entreprises de service public de l'électricité et du gaz, EDF-GDF, de la privatisation de la compagnie aérienne Air France, qui avait pourtant particulièrement bien résisté à la crise du secteur, du bouleversement du champ de régulation des communications électroniques et des services de communications audiovisuelles, de la réforme de la sécurité sociale, etc., autant de textes touchant aux fondements mêmes de l'organisation et du fonctionnement de notre société.
L'encombrement du calendrier parlementaire et cette précipitation à légiférer dans des domaines des plus importants pour l'avenir de notre pays ont eu tendance à transformer le Parlement en simple chambre d'enregistrement, et ce d'autant plus que les amendements de l'opposition étaient, dans la majorité des cas, systématiquement rejetés sans réel débat de fond.
Or force est de constater que, malgré les déclarations d'intention, le Gouvernement semble vouloir poursuivre dans la même voie.
Ainsi, le fait de recourir à la procédure des ordonnances pour ouvrir la session parlementaire avec un projet de loi de simplification du droit comportant plus de soixante articles et touchant des domaines multiples, mais non des moindres, en est une parfaite illustration!
De même, la volonté de consacrer le lundi ou le vendredi, jours traditionnellement réservés au travail en circonscription, à l'examen en séance publique de textes transposant des directives européennes en est un autre exemple tout aussi parfait !
Or, nous le savons très bien, les directives européennes touchent à des questions et à des choix de sociétés si cruciaux qu'elles devraient exiger un délai suffisant, et ce compte tenu, notamment, du caractère de plus en plus technique des textes européens qui versent parfois dans l'hermétisme le plus total.
A cela s'ajoute le fait que l'on assiste de plus en plus, sur des sujets des plus graves et généralement lourds de conséquences, à des contradictions parfois rédhibitoires entre notre propre législation et le droit communautaire. Autrement dit, les directives d'inspiration fortement libérale sur le plan économique et anglo-saxonne sur le plan juridique heurtent de plein fouet notre conception de certains choix cruciaux de société.
Cette directive 98/44/CE en est tout à fait exemplaire, et ce à plusieurs égards.
En premier lieu - c'est la raison pour laquelle le gouvernement de gauche les avait préalablement retirés de son projet de loi - les articles 5 et 6 relatifs à la brevetabilité du vivant ont suscité de multiples débats et polémiques débordant les clivages politiques traditionnels tant les enjeux éthiques qu'ils comportent sont considérables.
Lors de la discussion en séance publique, notre groupe, et il n'était pas le seul, s'était fermement opposé à l'article 5. C'est ainsi que mon collègue et ami Guy Fischer s'adressait, le 8 juin dernier, à la majorité sénatoriale, en ces termes : « La brevetabilité des éléments du corps humain, notamment de son génome, mais plus largement du vivant dans sa totalité, fait toujours l'objet de notre opposition majeure à la position que vous avez prise tout au long de l'examen de ce texte. Vous êtes bien embarrassés et je vous comprends. Comment en effet pouvez-vous, comme le fit M Mattei, comme vient de le faire M Douste-Blazy, comme l'a exposé notre rapporteur - avec tout le respect que je lui dois - affirmer à la fois qu'il y a incompatibilité entre la loi française et la directive européenne, sans pour autant avoir le courage politique de revenir sur celle-ci ?
« En cela, les scientifiques vous renvoient dos à dos, mes chers collègues, en disant qu'il appartient au pouvoir politique de renégocier la directive européenne. Au lieu d 'en étudier la faisabilité, vous faites de la « haute voltige » pour éviter d'affirmer que vous n'entendez pas revenir sur une directive pourtant largement incriminée par la communauté scientifique et une grande partie des formations politiques. ».
Vous considérez, monsieur le rapporteur, que « l'hypothèse d'une renégociation de la directive devenant, au fil du temps, de moins en moins réaliste, l'obligation de transposer complètement le texte a fini par s'imposer. »
Pour notre part, nous continuons de penser que de nombreuses et graves questions demeurent posées par cette directive visant la protection des inventions biotechnologiques. Le flou, par exemple, persiste toujours entre ce qui relève de l'invention et ce qui relève de la découverte.
Enfin, loin de chercher, comme le réclamaient lors du débat sur la loi bioéthique des scientifiques patentés, à laisser ouverte la possibilité de réviser la directive, vous vous réjouissez de son adoption totale et définitive par le biais d'un texte rendu plus conforme encore à l'esprit même de la directive.
En deuxième lieu, la mise en place d'un droit européen de la brevetabilité dans le domaine des biotechnologies comporte d'énormes enjeux économiques touchant tant le secteur de la santé que celui de l'agro-industrie ou encore celui de l'industrie pharmaceutique, car, il faut le souligner, avant toute chose, le brevet confère à son détenteur le droit d'exploiter commercialement son invention.
Dès lors, qui oserait nier que le domaine des biotechnologies, celui des manipulations génétiques ayant abouti aux organismes génétiquement modifiés, les OGM, offrent d'énormes perspectives de profits, voire des rentes de monopoles, aux multinationales du secteur ?
Là encore, au nom des impératifs de compétitivité, la transposition complète et définitive de la directive se justifierait, et ce en faisant fi des enjeux et réflexions éthiques et sociétaux à la clé !
J'observe que, contrairement à l'esprit du texte déposé par le gouvernement de gauche, vous prenez soin, monsieur le rapporteur, à travers un certain nombre d'amendements, de rendre le présent projet de loi plus conforme à la directive.
Nous sommes un peu pris de court pour mesurer l'exacte portée des modifications que vous proposez. Le moins que l'on puisse dire est que vous ne laissez guère de marge de manoeuvre et de souplesse d'appréciation au législateur.
Vous justifiez cette volonté d'assurer une meilleure conformité du texte à la directive par le souci d'éviter de futurs litiges qui pourraient porter préjudice aux entreprises et aux laboratoires de biotechnologies. Tout cela est discutable et relève de choix politiquement bien différents de ceux de l'ancien gouvernement de gauche, ainsi que cela apparaîtra sans doute au cours de ce débat et lors de la deuxième lecture.
En tout cas, c'est bien un choix politique qui consiste à opter pour une certaine souplesse dans la transposition, en laissant la porte ouverte à de possibles renégociations dans des domaines où l'évolution technologique est extrêmement rapide et introduit des changements radicaux.
Enfin - et si je m'adresse si souvent à vous, monsieur le rapporteur, c'est bien parce que vous modifiez substantiellement un projet de loi déposé en novembre 2001 -vos propositions vont au-delà du contenu même de la directive, puisque vous introduisez l'exception du sélectionneur afin, précisez-vous, « d'assurer la survie des entreprises semencières européennes par une coexistence harmonieuse et équilibrée entre le droit des brevets et celui des obtentions végétales ».
Je m'interroge, pour ma part, sur le sort réservé à notre petite paysannerie, dont la survie est essentielle à l'aménagement de notre territoire. En effet, à qui profite, en définitive, l'extension de la brevetabilité sur le plan européen ?
Comme il est d'ailleurs souligné à juste titre dans le rapport, le règlement communautaire prévoyant d'exonérer les petits agriculteurs du paiement d'une rémunération au titulaire du certificat d'obtention végétale n'a jamais été introduit en droit français. Une telle discrimination positive à l'égard des petits agriculteurs - les autres devant s'acquitter d'une redevance pour bénéficier du privilège de l'agriculteur -, me semble tout à fait opportune.
Il n'en demeure pas moins que l'on ne peut que s'inquiéter de la domination et des pressions qu'exercent aujourd'hui les grandes entreprises semencières sur les agriculteurs qui produisent des semences fermières pour leur propre exploitation.
Face au développement des biotechnologies et des pratiques de sélection de nouvelles variétés, il paraît évident que les semenciers cherchent à obtenir le monopole de la reproduction des graines. Par divers moyens, ils tentent, depuis une dizaine d'années, de soumettre les agriculteurs à une obligation d'achat de leurs semences, que ce soit à travers, par exemple, des contrats de qualité qui permettent aux agriculteurs d'écouler leur production moyennant l'achat de semences ou par le biais du développement de la « brevetabilité » qui permet l'appropriation privative de la semence, ou encore parce que les semences hybrides ou à base d'OGM ne peuvent être reproduites par les agriculteurs eux-mêmes. A terme, les semences de ferme, au demeurant moins coûteuses que les semences hybrides, tout en étant de qualité comparable, sont-elles condamnées à disparaître ?
De telles questions méritent d'être posées face à l'emprise de plus en plus évidente des grands groupes semenciers mondiaux.
En conclusion, et au vu des interrogations qui demeurent, je crois qu'il aurait été nécessaire de procéder aux traditionnelles auditions concernant un projet de loi dont les enjeux économiques et sociaux sont avérés. Nous ne pouvons donc que regretter cette nouvelle précipitation et, dans l'attente d'éventuels approfondissements au cours de la navette, le groupe CRC s'abstiendra sur ce projet de loi.