Il peut y avoir, comme au XIXe siècle, une déflation de productivité : si la hausse de la productivité est plus rapide que celle des salaires réels, il y a déflation. Toutefois, le phénomène que nous connaissons actuellement est totalement différent. Le risque de déflation auquel nous sommes confrontés est lié à la crise financière. Il s'agit d'une déflation des bilans, caractéristique de l'apurement de la crise, qui se produit aujourd'hui. Elle résulte de la gigantesque mésallocation de capital qui a notamment conduit aux crises immobilières espagnole et américaine, avant de contaminer toutes les économies développées. Les pertes des organismes financiers ne sont absorbées que très lentement, et plus difficilement en Europe qu'ailleurs, parce que nous n'avons toujours pas d'union bancaire.
Ces pertes affectent également le secteur non financier, qui doit se désendetter en même temps que le secteur financier ; cela implique que le rendement du capital y est très bas : le rendement marginal de l'épargne investie dans le secteur productif est toujours négatif. La demande globale restera très faible tant que ces pertes n'auront pas été complètement absorbées.
On peut alors imaginer deux scénarios : selon le premier, optimiste, la croissance potentielle n'a pas été atteinte, le profil conjoncturel est retardé et l'écart de production devrait se refermer progressivement ; d'où l'intérêt d'une politique monétaire en faveur d'un niveau d'inflation plus élevé, afin d'abaisser le taux réel de marché, et ce jusqu'à ce que l'on retrouve de bonnes conditions d'investissement. Mais - et c'est la vision plus pessimiste - la faiblesse prolongée de la demande peut contaminer l'offre et compromettre les capacités de production, en entraînant un chômage de longue durée et une moindre qualité des candidats à l'emploi. Dès lors, le progrès technique incorporé au capital baisse et celui-ci devient moins productif par rapport aux techniques contemporaines possibles. L'innovation s'en trouve handicapée, faute de dépenses suffisantes en recherche et développement (R&D). L'esprit d'entreprise faiblit : le taux de start-up - soit de firmes de moins d'un an - aux États-Unis par rapport au total des firmes est inférieur depuis 2010-2011 à celui des faillites. C'est certainement bien pire en Europe. La possibilité de la reprise est compromise dès lors que la croissance potentielle elle-même est mise en cause. Le problème des politiques économiques est alors différent : il faut trouver les vecteurs d'un relèvement de la croissance potentielle, donc d'une relance du progrès technique. Beaucoup pensent que c'est autour de l'environnement et du changement climatique qu'il faut chercher les grands progrès de productivité et les projets d'investissement de l'avenir.
Dans ces conditions, et quelle que soit la source de l'innovation, il faudrait faire le contraire de ce qui a été fait jusqu'ici : engager un programme d'investissements publics au niveau européen - financé par l'épargne du secteur privé - pour mettre en oeuvre une politique comparable à ce qu'a été le New Deal des années 1930 aux États-Unis, en créant notamment un fonds de développement doté d'un capital initial public qui émettrait des titres.
Si la croissance potentielle n'est plus ce qu'elle était, le marché est pris au piège et il faut une impulsion de grande ampleur du secteur public ; en dépit de son importance, la politique monétaire ne saurait suffire face à une telle situation.