Intervention de Xavier Timbeau

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 28 mai 2014 : 1ère réunion
Risque de déflation dans la zone euro — Audition conjointe de Mm. Michel Aglietta professeur émérite à l'université paris x nanterre anton brender directeur des études économiques de candriam et professeur associé honoraire à l'université paris-dauphine renaud lassus chef du service des politiques macroéconomiques et des affaires européennes de la direction générale du trésor et xavier timbeau directeur du département analyse et prévision de l'observatoire français des conjonctures économiques ofce

Xavier Timbeau, directeur du département analyse et prévision de l'Observatoire français des conjonctures économiques :

Nous avons bien identifié les facteurs fondamentaux du risque de déflation : la hausse du taux de change effectif réel de l'euro, la faiblesse de la demande - aussi des agents publics que privés - qui se traduit par un chômage élevé qui pèse sur les revenus. L'une des explications de cette faiblesse de la demande peut résider dans le ralentissement possible de la croissance potentielle - soit parce qu'elle était initialement surestimée, soit par ce qu'elle est confrontée à des effets d'hystérèse touchant le capital humain, les infrastructures publiques, les dépenses de recherche et développement (R&D), etc. Ce ralentissement de la croissance potentielle rend plus difficile les ajustements et renforce les risques de déflation.

Les dépenses d'innovation des entreprises en subissent les conséquences : le manque de demande entraîne à moyen terme le défaut de l'offre. Ce mécanisme inscrit le risque de déflation dans le moyen terme.

La comparaison entre le Japon et l'Europe semble se faire à l'avantage de la seconde : seuls les Pays-Bas sont aujourd'hui dans une situation aussi grave que celle qu'a connue le Japon, sans doute parce que le système bancaire de ce pays a beaucoup étalé le réajustement - ce qui a accentué les difficultés - et parce qu'il a opté pour des politiques de demande malheureuses. Mais le Japon a rapidement bénéficié d'un environnement mondial croissant et son taux de change a baissé. Or, aujourd'hui, la situation est bien différente car elle est globale : le risque de déflation concerne la zone euro, mais aussi les États-Unis et le Japon. Le caractère global de ce risque complique la situation en raison d'un recours possible à des mécanismes non coopératifs : fermeture du commerce extérieur, guerre des monnaies, etc. Les circonstances favorables dont avait bénéficié le Japon vont nous manquer.

Les États-Unis et l'Europe présentent des différences très importantes : le système bancaire européen est très fragmenté, de même que ses marchés du travail. L'Espagne a quasiment accompli son ajustement, sauf sur son taux de chômage : la baisse des revenus risque d'être plus rapide que l'ajustement des dettes... Son problème est donc loin d'être réglé, de même que celui des Pays-Bas. Ces différents pays, soumis à ces situations de déflation localisées ne disposent pas d'instruments de rééquilibrage à travers le secteur bancaire ou le marché du travail. Toutefois, l'ouverture des frontières constitue un canal de diffusion des pressions déflationnistes ; à titre d'exemple, dans le Sud-Ouest de la France, les entreprises de BTP pourraient subir une concurrence sévère des entreprises espagnoles, dont les coûts salariaux sont beaucoup plus bas.

Une autre forme de fragmentation touche les marché du travail européens : on a favorisé l'émergence de marchés du travail duaux ; l'Allemagne en est un cas d'école, mais la France en est un autre : une fraction du marché du travail subit des concurrences très fortes et un chômage très élevé, tandis qu'une autre y est beaucoup moins exposée, et bénéficie des baisses de prix dans le secteur des services. Cela peut provoquer une déflation rampante, presque invisible : qui s'intéresse aux indices salariaux moyens des moins qualifiés en Europe ?

À cette fragmentation économique s'ajoute une fragmentation politique : il n'y a pas de possibilité de transfert par une assurance chômage ou une assurance santé, ni par des dépenses d'éducation ou d'infrastructures. C'est un facteur d'aggravation des divergences internes à l'Europe.

Elles s'aggravent enfin de l'impossibilité pour la BCE d'alléger les dettes de certains agents en rachetant leurs actifs, comme le fait la banque centrale américaine. Elle ne pourra guère conduire de politiques spécifiques par pays - or c'est précisément ce qu'il faudrait aujourd'hui.

Ces éléments nous incitent à penser que le risque de déflation est plutôt supérieur dans la zone euro à ce qu'il est ailleurs, et à ce qu'il était au Japon dans les années 1990.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion