Intervention de Olivier Passet

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 9 avril 2014 : 1ère réunion
Concurrence fiscale en europe — Audition conjointe de Mm. Thierry Madiès professeur d'économie à l'université de fribourg gianmarco monsellato avocat associé directeur général de la société taj olivier passet directeur des synthèses économiques de xerfi et raffaele russo chef du projet beps centre de politique et d'administration fiscales de l'ocde

Olivier Passet, directeur des synthèses économiques de Xerfi :

Non, la concurrence ne s'est pas intensifiée : elle a été intense de 2000 à 2008, avec l'arrivée de l'euro et une phase extrêmement forte de baisse d'imposition, en particulier de l'impôt sur les sociétés, dans l'ensemble des pays européens. Elle s'est éventuellement intensifiée parce que le contexte de baisse de prix, notamment sur la production, ou de faible inflation, crée une tension : les petites variations de coût sont aujourd'hui très difficiles à obtenir. Ce contexte intensifie la concurrence entre les pays : les salaires étant rigides, la fiscalité devient un instrument clef.

Si la concurrence ne s'est pas intensifiée, en revanche, l'outil que constitue la dévaluation fiscale a été utilisé de manière intense durant toute la période 2008-2014. Dans pratiquement tous les pays européens, les entreprises ont été épargnées dans le cadre des ajustements budgétaires et des efforts de consolidation. La plus grande partie a pesé sur les ménages. Dans une dizaine de pays européens, il a été procédé à une légère baisse des cotisations employeurs. Dans treize à quatorze pays sont intervenues des diminutions du taux d'impôt sur les sociétés, de l'ordre de 2 % en moyenne, avec un écart qui s'est considérablement creusé.

L'essentiel de l'ajustement vient en fait de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), dont on observe une hausse dans une vingtaine de pays. Le report de la fiscalité s'est donc opéré des entreprises vers les ménages, et c'est ce contexte qui est problématique pour la France.

J'évoquais les cotisations employeurs et le coût des facteurs. Le problème, pour la France, me semble-t-il, vient des charges portant sur les travailleurs qualifiés. Pour la majorité des économistes, ce n'est cependant pas problématique, celui-ci pouvant être reporté sur le salaire net. Tel n'est pas mon sentiment. Il faut en effet introduire la notion d'hétérogénéité entre petites et moyennes entreprises (PME) et grandes entreprises. Les PME ne choisissent pas aujourd'hui les salaires : ce sont des price takers. Aussi, l'écart de cotisations sur les travailleurs qualifiés est pénalisant. Je pense que nos modèles, de ce point de vue, ne reproduisent pas la réalité, ni ne traduisent le problème spécifique des PME.

J'ai indiqué que la crise économique avait favorisé des « dévaluations fiscales », qui ne se confondent pas avec la « concurrence fiscale ». La dévaluation consiste à utiliser, à court et moyen termes, l'outil de la fiscalité pour baisser immédiatement les coûts des entreprises, et déclencher l'équivalent d'une dévaluation. La portée à long terme est discutable ; à court terme, elle produit des effets extrêmement profonds qui sont sous-estimés. Contrairement à une dévaluation classique, celle-ci va porter sur l'ensemble des marchés, aussi bien extra-européens qu'européens - ce que ne produit pas l'euro.

La portée d'une dévaluation fiscale est donc extrêmement forte et, de ce point de vue, le fait que beaucoup de pays l'aient pratiqué est problématique pour la France, qui s'est lancée avec retard dans cette stratégie. Selon le discours prononcé hier par le Premier ministre, les mesures véritablement destinées à améliorer la compétitivité, qui vont plutôt peser sur les facteurs les plus qualifiés, ne seront mises en oeuvre qu'à partir de 2016. Il faut discuter de la baisse des charges et du profil de cette baisse. L'usage de la dévaluation crée un contexte assez mouvant, qui amène à s'interroger sur l'efficacité du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE).

Concernant le paysage fiscal, il s'est dessiné durant la période 2008-2014 une dépression fiscale qui est passée d'Ouest en Est. La centralité, l'accès au marché créent des avantages qui permettent une fiscalité plus élevée - tels sont les enseignements de l'économie géographique. Les grands pays ne sont pas obligatoirement amenés à s'ajuster s'ils disposent d'investissements publics efficaces. En Europe, le taux d'impôt sur les sociétés, qui oscille entre 30 et 40 % pour la partie Sud, passe à 20 % à l'Est. L'avantage se situe du côté de l'Allemagne, qui offre un double privilège : le pivot économique de l'Europe bénéficie non seulement d'avantages géographiques, mais a également aligné sa fiscalité des sociétés sur celle des pays de sa périphérie immédiate - les pays d'Europe centrale et orientale (PECO) - qui affiche un taux moyen d'impôt sur les sociétés de 20 % environ. L'Allemagne et son hinterland constituent ainsi une zone de dépression fiscale.

Cette concurrence s'intensifie-t-elle ? J'ai récemment écrit que c'était en effet le cas, et que le Sud entrait dans la partie. Des signaux sont parvenus du Portugal l'an dernier, avec une baisse assez massive du taux d'impôt sur les sociétés de 31,5 % à 17-19 % à l'horizon 2018. Le Premier ministre espagnol a, par ailleurs, fait des annonces sur la cotisation unique. Il semble donc qu'à peine sortis de l'eau, les pays retardataires vis-à-vis des opérations de dévaluation fiscale sont eux-mêmes entrés dans de telles stratégies.

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