Intervention de Thierry Madiès

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 9 avril 2014 : 1ère réunion
Concurrence fiscale en europe — Audition conjointe de Mm. Thierry Madiès professeur d'économie à l'université de fribourg gianmarco monsellato avocat associé directeur général de la société taj olivier passet directeur des synthèses économiques de xerfi et raffaele russo chef du projet beps centre de politique et d'administration fiscales de l'ocde

Thierry Madiès, professeur d'économie à l'Université de Fribourg :

La Suisse s'apprête à supprimer les régimes cantonaux de holding. Ce statut tout à fait intéressant permettait de faire remonter la propriété intellectuelle, alors que ce n'était pas l'objet de ces sociétés de participation. La crainte est que la suppression de ces régimes fiscaux conduise, au sein des cantons, à une désescalade fiscale des taux faciaux d'impôt sur les sociétés - une forme de concurrence en face à face plus brutale, en quelque sorte... Il faut donc veiller que la suppression des niches fiscales ne conduise pas à cet état de fait. En France, le taux d'impôt sur les sociétés est tellement élevé que cette question, à mon sens, ne se pose même pas.

Je me demande si, face à l'incertitude sur le contentieux ex post, il ne vaut mieux pas des règles ex ante plus transparentes - même si ce n'est pas toujours le cas pour le ruling. On parle du taux de l'impôt sur les sociétés, mais le plus important, c'est la sécurité juridique et fiscale des entreprises - et même des pouvoirs publics !

On peut baisser l'imposition des entreprises, faire toutes les annonces que l'on veut, sans lisibilité fiscale, on ne crée que des effets d'aubaine. Le CICE est une mesure dont on peut discuter, mais lorsqu'on prend des mesures comportant de telles incidences budgétaires et que l'on envoie des signaux incohérents, on crée des effets d'aubaine très importants en faveur d'une mesure très coûteuse. On l'observe dans tous les pays...

On pourrait se contenter de taux d'imposition plus élevés si la sécurité et la lisibilité fiscales étaient plus fortes. C'est la marque de fabrique des Pays-Bas en Europe, de la Suisse, et pour une moindre part du Luxembourg - alors que sa fiscalité est paradoxalement plus avantageuse.

On a beaucoup parlé de concurrence fiscale mais, en réalité, les Américains pratiquent un autre type de concurrence, la concurrence par comparaison - la « yardstick competition ». On a l'impression qu'en Europe, les bases sont mobiles. Il est vrai qu'elles le sont plus qu'elles ne l'ont été et que les investissements directs étrangers sont plus sensibles à la fiscalité, mais on observe des comportements stratégiques de mimétisme qui ne sont pas forcément assis sur l'idée que les bases sont mobiles. C'est coûteux en termes budgétaires. On regarde ce que fait le voisin, et on s'en sert comme benchmark. Cela ne veut pas nécessairement dire que la fiscalité a un impact important sur certaines bases. Il en existe qui sont mobiles mais, lorsqu'on regarde l'impôt sur le revenu et ses taux d'imposition marginaux, on s'aperçoit qu'il existe des interactions stratégiques et des comportements mimétiques très forts.

On pourrait estimer que les contribuables individuels qui ont les taux marginaux les plus élevés sont aussi les plus mobiles, ceci constituant une concurrence fiscale. C'est totalement faux ! Soit leurs entreprises prennent en charge l'écart de fiscalité sous forme de salaires plus élevés, soit ils pratiquent eux-mêmes une forme d'optimisation fiscale. Certains comportements mimétiques ne sont pas forcément assis sur une mobilité des bases imposables. C'est ce que l'on appelle la concurrence par comparaison, qui se développe fortement. En termes de recettes fiscales, c'est plus ennuyeux...

Je crois qu'il existe bien plus de la concurrence par comparaison - dans la tête des gouvernants, en quelque sorte - que de la concurrence fiscale résultant de la mobilité des bases imposables.

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