Intervention de Olivier Passet

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 9 avril 2014 : 1ère réunion
Concurrence fiscale en europe — Audition conjointe de Mm. Thierry Madiès professeur d'économie à l'université de fribourg gianmarco monsellato avocat associé directeur général de la société taj olivier passet directeur des synthèses économiques de xerfi et raffaele russo chef du projet beps centre de politique et d'administration fiscales de l'ocde

Olivier Passet, directeur des synthèses économiques de Xerfi :

Je voudrais revenir sur le risque de fuite en avant dans le cadre actuel. Le président Marini a dit que l'Europe fiscale n'existait pas. Il est vrai que l'on a une hétérogénéité fiscale extraordinaire, aussi bien en termes de base que de taux, dès que l'on sort du champ de la TVA. Du coup, le mot d'harmonisation n'a pas grand sens. C'est pourquoi je préfère attirer l'attention sur le mécanisme spécifique de dévaluation fiscale. Il s'agit là de pure dynamique : comment engranger les avantages d'une dévaluation au sein de l'espace européen ? C'est un phénomène qui a été intense dans la période récente, et qui peut être encadré. Il ne s'agit pas de créer un « serpent fiscal », c'est impossible. On voit bien que les dévaluations fiscales jouent sur de multiples paramètres, mais il convient plutôt de baisser la fiscalité des entreprises, d'en reporter une partie de la fiscalité sur les ménages, avec un impact macroéconomique à court terme assez important.

En 2008, deux pays, qui disposaient d'excédents de plus de 7 % de leur PIB, ont dévalué - l'Allemagne et la Suède. On va se mettre à regretter le « serpent monétaire » ! Au moins la dévaluation classique était-elle encadrée ! On n'aurait jamais envisagé une dévaluation dans ce contexte. On est dans un cadre non-coopératif. Il ne s'agit pas de dire que l'on n'a pas le droit de baisser la fiscalité, mais de vérifier si les dispositifs d'une loi de finances sont conformes à la situation conjoncturelle du pays et ne créent pas d'effets négatifs sur son environnement. On est aujourd'hui dans une jungle totale, et c'est un énorme problème ! Il ne faut pas parler d'harmonisation, celle-ci étant impossible. Peut-être y a-t-il d'importants progrès à faire avec l'Allemagne, mais il y a un risque de moins-disant.

La question de la concurrence déloyale ou excessive d'un certain nombre de pays européens - Irlande, Luxembourg, Pays-Bas - présente un risque d'empilement. Pourquoi ? Thierry Madiès a dit que les taux nominaux très faibles n'en créent pas d'avantage : ils détournent cependant de l'assiette et de la facturation.

On ne sait pas chiffrer l'impact macroéconomique, mais on soupçonne qu'il n'est pas de second ordre : on perd de l'exportation, on sous-facture les échanges invisibles au sein des groupes, on a à la fois une surestimation de nos exportations, du fait du lieu de localisation, et une sous-estimation de notre PIB. Une partie du chiffre d'affaires d'Amazon n'est ainsi pas comptabilisée.

Nos indicateurs sont aujourd'hui faussés et participent à ce sentiment d'ajustement extrêmement violent. Certains, comme David Thesmar, nous disent que notre balance n'est peut-être pas déficitaire si l'on facture à leur juste prix les échanges invisibles au sein des groupes. Il est extrêmement important de mesurer cet impact, qui fausse notre perception de la performance française.

C'est un vrai problème de mesure, d'évaluation de nos performances et d'aggravation de notre propre bilan. J'avais réalisé ce travail dans le cas américain : la moitié de leur balance des paiements est liée à ce type de phénomène.

Je voulais revenir sur le fait que les passe-droits fiscaux en faveur d'un certain nombre de grands acteurs économiques américains constituent des formes de subvention à l'exportation. Même les Américains en reviennent aujourd'hui. Cette externalisation a, au bout d'un moment, déréglé les chaînes de valeurs. Un ouvrage très intéressant de Suzanne Berger montre comment celle-ci a eu un effet boomerang : on a perturbé un certain nombre de fonctions, en particulier dans l'innovation. C'est un phénomène qui n'est pas très bien maîtrisé, et l'on se retrouve avec de la réimportation en bout de chaîne.

Même du côté américain, me semble-t-il, le fait qu'une partie de la trésorerie passe par des paradis fiscaux commence à poser problème, et oblige à réfléchit à la manière de limiter ce type de dérives.

Patrick Artus a dit : « Si nous pouvions dévaluer, c'est ce que je préconiserais aujourd'hui ». Nos évaluations du CICE sont toujours focalisées sur l'emploi. Je suis étonné que lorsqu'on simule les effets d'une mesure de dévaluation, on n'observe pas la balance des paiements ! Lorsqu'on crée rapidement des emplois dans le commerce, l'hôtellerie, la restauration, et dans un certain nombre de secteurs protégés, on relance l'économie par la consommation, avec un fort contenu d'importations.

On a décontextualisé cette mesure. Je ne suis pas complètement contre, car il ne faut surtout pas éteindre la reprise, mais tout l'impact soutient l'activité et est concentré sur 2014, 2015 et 2016. La baisse de la C3S commence l'an prochain, mais la baisse des cotisations familiales sur le créneau allant jusqu'à 3,5 SMIC, l'impact sur l'impôt sur les sociétés se produit plus tard. Je suis étonné que l'on ait retardé les choses de deux ans par rapport à l'urgence du diagnostic et à la nécessité d'une dévaluation française, face à tout ce qui s'est passé en Europe, en particulier en Allemagne !

Je conteste donc le profilage. Je pense qu'il aurait fallu avoir le courage de dire que nous devions dévaluer. Ce n'est pas la première fois que la France sort des rails de la compétitivité. On est capable de se remettre dessus ! On est dans ce type d'épisode. Les sociétés de services en ingénierie informatique (SSII), entreprises à très fort capital humain, ne bénéficient pas, aujourd'hui, du CICE ! Le secteur des services à haute qualification, qui entre dans la chaîne de l'exportation et qui est névralgique, ne bénéficie pas non plus de ces aides. Il me semble que c'est là une erreur de diagnostic !

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