Intervention de Raffaele Russo

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 9 avril 2014 : 1ère réunion
Concurrence fiscale en europe — Audition conjointe de Mm. Thierry Madiès professeur d'économie à l'université de fribourg gianmarco monsellato avocat associé directeur général de la société taj olivier passet directeur des synthèses économiques de xerfi et raffaele russo chef du projet beps centre de politique et d'administration fiscales de l'ocde

Raffaele Russo, chef du projet BEPS, centre de politique et d'administration fiscales de l'OCDE :

La course au moins-disant fiscal a-t-elle des effets sur la cohésion européenne ? Sans doute. Je pense qu'elle peut aussi en avoir sur la cohésion mondiale.

Une des raisons du projet BEPS vient du fait que le système de fiscalité internationale, dans lequel nous nous trouvons, remonte à cinquante ou soixante ans, est en train de sombrer. Des changements économiques majeurs apparaissent dans l'économie, ainsi que des changements géopolitiques. Or, les règles ont été écrites lorsqu'il n'y avait pas d'ordinateurs ! Le monde était alors totalement différent : la production se situait dans un pays, la consommation dans un autre. Aujourd'hui, il existe ce qu'on appelle, en anglais, des global value chains - soit des chaînes de valeur mondiales. Votre Smartphone passe par vingt-huit pays différents avant de se retrouver entre vos mains !

Je n'aime pas placer la discussion sur le plan de la différence entre le pays source et le pays de résidence. Si on agit ainsi, les Indiens vont taxer LVMH ou n'importe quelle autre société. Je suis d'accord avec le président Marini : c'est une question de cohérence ! La France est en même temps un pays source et un pays de résidence. On ne peut donc prendre des positions différentes en fonction du fait que l'on parle de Google ou de LVMH !

Que peut-on faire ? Aujourd'hui, 2 000 milliards d'euros se trouvent aux Bermudes, et n'acquittent l'impôt ni dans le pays source, ni dans le pays de résidence ! Ce sont là des faits réels, tirés des données extraites des comptes des sociétés.

Il faut surtout réattribuer les profits aux pays sources et aux pays de résidence afin que l'on puisse les taxer et préciser ensuite, si nécessaire, peut-être dans le cadre d'un autre projet, comment partager l'imposition.

Je ne crois pas que cela fasse avancer la discussion. Elle doit avant tout porter sur les principes, et comporter des règles qui permettent d'appliquer ces derniers.

Si un architecte qui travaille en France fait un plan pour une maison en Italie, où la source du revenu se situe-t-elle, en France ou en Italie ? Il faut se poser la question afin que chacun puisse adhérer aux règles. Dans le cas contraire, 3 000 cas de prix de transfert vont être soumis aux juges en Inde, avec une insécurité juridique totale. L'espoir est que le projet BEPS débouche sur des règles plus dures, qui ne laissent pas aux Bermudes 2 000 milliards d'euros non soumis à l'impôt, et permettent aux administrations et aux contribuables de communiquer davantage.

Pourquoi les Pays-Bas sont-ils attractifs ? Est-ce dû au ruling ? Oui et non... La question des rulings est complexe. Ces derniers peuvent être vus comme un couteau : l'on peut utiliser celui-ci pour partager une belle entrecôte ou pour tuer quelqu'un !

Le ruling permet une certaine sécurité juridique, dans un domaine où, par définition, les choses sont très compliquées : les prix de transfert ne sont pas une science exacte. On doit soutenir la communication avec l'administration de façon multilatérale.

On n'a pas de problèmes avec les entreprises, américaines ou chinoises, qui s'installent aux Pays-Bas, préférant disposer d'un centre européen où centraliser toute une série d'opérations - et il y en a pas mal. La fiscalité est une des raisons, mais la logistique est également très importante. Il existe là-bas un port très important et un aéroport qui fonctionne très bien. La majorité des personnes y parlent anglais. Cela tient aussi au système juridique et au système de contentieux. C'est cet ensemble qui rend les Pays-Bas un pays attractif. Où est le problème ? 85 % des investissements directs aux Pays-Bas sont dans des sociétés sans employés, sans espace physique ! Quel ruling veut-on avoir ? C'est ce qu'il est important de porter au débat.

Je ne pense pas que le but de la France soit d'attirer des profits en matière de propriété intellectuelle pour les taxer à 16 %, mais plutôt d'intensifier la recherche et le développement ! Faire la différence entre les deux est donc selon moi fondamental !

Quant à l'économie numérique, l'OCDE a sorti un rapport sur le sujet il y a deux semaines. Une consultation publique va avoir lieu le 25 avril à ce propos. Il est plus facile de faire de l'optimisation fiscale dans le numérique, et ce pour deux raisons. En premier lieu, il s'agit de jeunes sociétés, qui ont profité de vingt ans d'expérience en matière de planification fiscale. Par ailleurs, ces sociétés ont souvent été financées pour réaliser du capital-risque. Peut-on en tirer des règles pour l'économie numérique ? Je n'en suis pas sûr.

On se focalise sur Google, sous prétexte qu'il doit payer des impôts. Le chiffre d'affaires de la publicité en ligne représente 1 % à 2 % du chiffre d'affaires du commerce électronique. Peut-on fixer des règles dans un monde où il n'existe pas de différences entre le pays de résidence et pays source ? La vraie question est de savoir où se trouve la source au niveau fiscal !

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