Intervention de Gianmarco Monsellato

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 9 avril 2014 : 1ère réunion
Concurrence fiscale en europe — Audition conjointe de Mm. Thierry Madiès professeur d'économie à l'université de fribourg gianmarco monsellato avocat associé directeur général de la société taj olivier passet directeur des synthèses économiques de xerfi et raffaele russo chef du projet beps centre de politique et d'administration fiscales de l'ocde

Gianmarco Monsellato, avocat associé, directeur général de la société Taj :

Comment la coopération renforcée fonctionne-t-elle ? Il faut qu'au moins neuf décident, entre eux, d'appliquer une règle du droit communautaire. Sous la dernière présidence française de l'Union européenne, neuf pays se sont mis d'accord, dont la France, pour avancer sur la question de l'ACCIS. La France a écarté ce projet au dernier moment pour favoriser la TVA sur la restauration. C'est un choix politique... Je suis peut-être trop optimiste, mais je pense que ce n'est pas impossible, même si j'ai bien en tête les difficultés sur la manière dont fonctionne la coopération renforcée.

Quant aux paradis fiscaux, pour un groupe français, il n'y aucune échappatoire. Si cette dernière y détient une filiale ou y fait transiter un flux, elle est taxée en France. Il n'y a donc aucun intérêt à se trouver dans les paradis fiscaux. Cependant, beaucoup de groupes français y ont des filiales ou de succursales...

Prenons les banques. On fait des affaires avec de l'argent - et il y en a dans les paradis fiscaux ! On ne fait pas affaire avec un Chinois sans passer pas par les Îles Vierges britanniques. On peut être seul et vertueux dans un monde de vices, cela ne sert à rien ! De toute façon, les entreprises françaises seront taxées en France sur les résultats réalisés sur les Îles Vierges britanniques. Pas les Chinois...

Parfois aussi, beaucoup de banques sont installées au Luxembourg pour y monter un fonds d'investissement, car cela ne demande qu'une journée. En France, cela nécessite trois mois. Il n'y a donc aucun intérêt fiscal, pour les Français, à avoir une filiale dans un paradis fiscal. Ce n'est pas le cas des Américains...

Je parle là de l'économie légitime. Pour ce qui est de l'économie souterraine, en France, on refuse de la regarder. Il n'est pourtant qu'à considérer l'occupation des biens immobiliers, par rapport aux impôts qui sont payés... Il existe donc bel et bien une économie souterraine, comme dans tout pays - même en Allemagne. Les paradis fiscaux sont certes un vecteur fiscal pour l'économie souterraine qui, elle, ne déclare pas ses bénéfices - mais ce n'est pas de celle-là dont on parle aujourd'hui.

Il ne faut toutefois pas se tromper : si le projet BEPS parvient à faire taxer les masses d'argent qui se trouvent dans les paradis fiscaux, ce sera un one-shot, cet argent finissant par être taxé lorsqu'il parvient à l'actionnaire final, dans le cadre de l'économie légitime. Pour les groupes français, cela ne changera rien.

Le grand public - et même quelque fois le Parlement - verse parfois dans une confusion dangereuse entre optimisation et évasion. L'optimisation consiste, par exemple, à placer son épargne sur l'assurance-vie, moins taxée. C'est un choix intelligent et assumé. Quand un groupe veut installer une centrale de trésorerie en Europe, il choisit la Belgique, celle-ci présentant un avantage très fort, contrairement à la France : il s'agit d'une optimisation.

L'évasion n'étant pas un terme défini juridiquement, je lui préfère celui de fraude. La fraude consiste à retirer un avantage sans respecter la loi. Le défaut de déclaration de revenu est ainsi une fraude caractérisée. Parmi les groupes français, grands ou plus petits, ou les groupes européens légitimes, il n'y a pas de fraude. Si c'est le cas, elle n'est pas connue du management. Les règles comptables sont en effet telles que, si l'on prend un risque trop important, il est repris en comptabilité.

En Europe, on incite beaucoup à recourir à l'optimisation légale. La concurrence fiscale dommageable, c'est celle que pratiquent les autres : quand on la pratique soi-même, elle est toujours saine ! Il est intéressant de regarder comment les Allemands ou les Italiens considèrent nos propres régimes fiscaux de faveur...

Enfin, s'agissant de la stabilité, Français et Italiens estiment que la fiscalité n'est pas un outil économique, mais un outil politique ou moral. On considère l'impôt comme une sanction. On taxe davantage les grands groupes, les hauts salaires, et certains comportements, mais on oublie que la fiscalité est essentiellement un outil économique pour lever de l'argent, afin de financer une action publique qui, elle, répond à des valeurs. La fiscalité - au risque de vous choquer - n'a pas de valeur : elle doit être rentable !

Comment taxer intelligemment l'économie pour corriger ensuite les inégalités ? Il faut faire des choix ! Aujourd'hui, une fiscalité, au motif qu'elle est morale, n'est pas rentable. Elle ne donne donc pas les moyens de permettre une action publique.

La TVA applique un taux de 5 % aux produits alimentaires. On trouve cela normal : c'est stupide ! Ce taux réduit s'applique à tout le monde, y compris à ceux qui disposent de moyens élevés. Les Danois, qui ne sont pas des chantres du libéralisme, payent tous 22 %, y compris sur les produits alimentaires. C'est l'aide publique aux ménages défavorisés qui compense le coût fiscal. C'est un système plus intelligent.

Quant à l'économie numérique - ou plutôt l'économie moderne - la réponse figure dans la jurisprudence administrative : dès lors qu'il existe un cycle complet d'activité qui génère la vente de manière significative, on est taxable en France.

Aujourd'hui, le problème ne vient pas tant du fait que la loi est obsolète en Europe, mais que le contrôle fiscal est appliqué de façon beaucoup trop juridique, pas assez économique, et ne prend pas la peine de réfléchir aux enjeux économiques. Plus de 50 % des redressements fiscaux ne sont jamais recouvrés, grâce à un recours contentieux. Je m'en félicite en tant qu'avocat !

J'ai souvent demandé à Bercy - en pure perte - combien coûte à l'économie française les procédures amiables et les arbitrages. Si vous pouviez faire usage de votre autorité pour obtenir ce renseignement, ce serait intéressant. En cas de double imposition, soit on abandonne celle-ci, ce qui n'est normalement pas possible en Europe, soit l'un des deux pays renonce au redressement, ou accorde un crédit d'impôt. La France est-elle perdante ou gagnante ? Je n'en sais rien, mais ce serait une donnée intéressante à connaître. Si nous sommes perdants, il y a des gains budgétaires faciles à réaliser en affectant un peu plus de fonctionnaires à une force de frappe plus importante face aux autres pays lorsqu'on négocie...

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