Intervention de Algirdas Semeta

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 10 avril 2014 : 1ère réunion
Audition de M. Algirdas Semeta commissaire chargé de la fiscalité et de l'union douanière des statistiques de l'audit et de la lutte antifraude

Algirdas Semeta, des statistiques, de l'audit et de la lutte antifraude :

commissaire européen chargé de la fiscalité et de l'union douanière, des statistiques, de l'audit et de la lutte antifraude. - Je remercie le Sénat français de m'avoir invité à ce moment si important pour la politique européenne, quelques semaines avant les élections pour le Parlement européen. La fiscalité est depuis ces dernières années au coeur de l'agenda politique européen, ce qui a permis de relancer les progrès et le consensus - chose que l'on n'aurait pu imaginer il y a encore quelques années. Je ne prétends pas que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes ; la règle de l'unanimité ralentit les progrès. Mais chacun sait qu'une approche isolationniste serait une menace pour notre souveraineté fiscale. Nous partageons les mêmes objectifs - une croissance économique plus forte - et nous devons donc partager la même approche. Il faut donc une plus grande coordination fiscale, et même une plus grande harmonisation fiscale dans certains domaines.

Quels ont été les progrès réalisés ? Quels obstacles restent à surmonter ? L'amélioration de notre compétitivité appelle la construction d'un environnement plus favorable aux affaires en Europe : personne ne doute que les investisseurs ont besoin de plus de stabilité et de sécurité juridique, de moins d'obstacles administratifs et de coûts de mise en conformité. L'amélioration de l'environnement fiscal a donc été l'une de mes priorités absolues. Dans certains secteurs, comme la TVA, l'harmonisation fiscale est la meilleure façon d'y parvenir, car elle évite les distorsions entre les entreprises et entre les États membres. Depuis 2010, nous avons fait beaucoup pour créer un système de TVA plus simple, plus robuste et plus efficace. Notre nouveau système électronique de facturation de la TVA peut permettre aux entreprises d'économiser 18 milliards d'euros par an ; la déclaration standard de TVA que je propose éliminera un obstacle majeur au commerce transfrontalier ; à partir de 2015, les services électroniques, de diffusion et de télécommunications bénéficieront d'un « mini-guichet » unique ; d'ici la fin de son mandat, la Commission adoptera un livre blanc sur la mise en place, à terme, d'un régime de TVA définitif et harmonisé. La situation actuelle est source de complications administratives pour les entreprises, tandis que la prolifération d'exemptions et de taux réduits différents d'un État membre à l'autre compromet les recettes fiscales dans leur ensemble. La disparité et la complexité des règles de TVA représentent un véritable cauchemar pour les entreprises. Les États devraient trouver d'autres moyens que la réduction des taux de TVA - dont l'efficacité est douteuse - pour poursuivre leurs importants objectifs sociaux.

La proposition d'assiette commune consolidée d'impôt sur les sociétés (ACCIS) peut également être un instrument clé pour la compétitivité. Elle réduirait les coûts des PME et leur permettrait de voir au-delà de leur marché domestique. Les efforts conjoints de la France et de l'Allemagne sont à cet égard exemplaires, et pourraient préfigurer un accord en vue d'une directive européenne.

La taxe sur les transactions financières (TTF) pourrait elle aussi contribuer à un environnement plus stable ; elle pourrait remédier à l'éclatement des règles nationales et répondre aux attentes des citoyens en faveur d'une plus taxation plus juste.

Bien sûr, l'ACCIS, la TTF mais aussi la proposition de directive sur la taxation des émissions de CO2 au sein de l'Union européenne n'ont pas encore fait l'objet d'un accord, et je ne suis pas optimiste au point de croire que ce sera le cas d'ici la fin de mon mandat. Mais je compte sur l'implication des États membres pour réaliser des progrès, et particulièrement sur la France, qui a toujours joué un rôle persuasif et décisif dans le domaine de la fiscalité.

La règle de l'unanimité en matière de fiscalité fait que les décisions sont prises au rythme de celui qui avance le plus lentement. Il faut se demander si cela est tenable à l'avenir, dans un contexte d'intégration économique de plus en plus poussée. Nous avons vu avec la coopération renforcée sur la taxe sur les transactions financières qu'il existe des moyens, pour les États membres les plus ambitieux, de contourner cet obstacle et de réaliser des progrès. Il me semble qu'il est important de mettre en cohérence la politique fiscale et l'Union monétaire : les progrès de l'une doivent accompagner les approfondissements de l'autre, afin d'éviter une intégration « à la carte ».

La lutte contre les barrières fiscales afin de faciliter le commerce constitue une part essentielle de la politique fiscale de l'Union européenne. Mais nous ne perdons pas de vue la fonction plus traditionnelle de l'impôt : produire des recettes. En cette période de budgets contraints, les États membres doivent compter sur la solidarité de leurs partenaires, au sein de l'Union européenne comme au niveau international, pour collecter l'impôt à son juste niveau.

Les règles de coopération administrative ont été considérablement modernisées au cours des dernières années afin d'assurer une taxation juste et efficace. Pourtant, des milliards d'euros sont perdus chaque année du fait de l'évasion fiscale, mais aussi du fait de la concurrence fiscale qui génère des tensions entre les États membres. L'Union européenne est à l'origine des progrès très importants qui ont eu lieu dans ce domaine, et je remercie la France pour le soutien constant qu'elle a apporté à nos efforts. Notre ambitieux plan d'action contre la fraude et l'évasion fiscales prouve que l'Union européenne peut continuer à donner le ton au niveau mondial en matière de bonne gouvernance fiscale. Cela nous a permis de pousser les avancées internationales en la matière, et nous assistons maintenant, grâce au travail de l'OCDE, à un véritable bouleversement de l'environnement fiscal mondial. En février 2014, les ministres des finances du G20 ont approuvé un nouveau standard d'échange automatique d'informations qui devrait mener à une transparence sans précédent au niveau mondial. Au niveau européen, après des années de négociations et grâce à nos amis luxembourgeois et autrichiens, la directive épargne révisée a finalement été adoptée. Je remercie la France pour l'impulsion qu'elle a donnée sur ces dossiers.

En ce qui concerne l'impôt sur les sociétés, nous avons préparé le terrain pour le projet de l'OCDE « Base Erosion and Profit Shifting » (BEPS), qui vise à établir un lien plus fort entre le lieu de taxation et le lieu de production.

Il reste des choses à faire, et j'espère que nous pourrons parvenir à un accord sur les points suivants dans les prochains mois : premièrement, la révision de la directive sur la coopération administrative qui vise à généraliser l'échange automatique d'informations à tous les types de revenus, en cohérence avec le standard global de l'OCDE ; deuxièmement, la révision de la directive mère-fille, qui vise à combler les failles permettant la « double non-imposition » des bénéfices ; troisièmement, la taxation de l'économie numérique afin de garantir aux Etats des recettes justes et pérennes. La France a déjà conduit d'importantes analyses sur ce sujet, et déjà proposé des réponses. J'ai donc rassemblé un groupe d'experts de haut niveau, qui présentera cet été un rapport servant de base aux initiatives futures de la Commission européenne pour que les sociétés numériques prospèrent en Europe tout en payant leur juste part de l'impôt.

Enfin, la Commission européenne continuera à utiliser tous les instruments à sa disposition - règles relatives aux aides d'État et codes de conduite - afin que les États se comportent loyalement les uns avec les autres. Alors que l'Union essaie de relancer sa croissance et sa compétitivité dans un effort collectif, il n'est pas acceptable qu'un État membre porte atteinte à la capacité d'un autre État membre à collecter l'impôt par des pratiques fiscales agressives. Le caractère équitable de la concurrence fiscale est l'un des sujets centraux des prochaines années. La concurrence entre l'Union et le reste du monde doit se fonder sur nos mérites et non sur des régimes fiscaux déloyaux.

L'accord ACCIS sera un pas important dans la lutte contre l'érosion des bases fiscales au niveau de l'Union européenne. Dans le plan d'action que j'ai présenté en 2012, il était rappelé que les États membres devaient davantage utiliser les outils à leur disposition au sein de l'Union pour combattre la concurrence fiscale. Il nous faut également des outils communs avec nos partenaires internationaux pour que les entreprises des pays tiers ne puissent utiliser les failles de notre système fiscal. La Commission européenne poursuit ainsi ses négociations avec la Suisse, le Lichtenstein, Monaco, Andorre et Saint-Marin sur l'échange automatique d'informations. J'espère que la négociation aboutira avant la fin de cette année. Notre dialogue progresse également sur la question de l'impôt sur les sociétés avec la Suisse, qui s'est engagée à supprimer certains régimes nocifs à la fois au niveau fédéral et au niveau cantonal.

Tout le travail que nous accomplissons à l'échelle de l'Union européenne doit être soutenu par des mesures complémentaires au niveau national, qui demeurent indispensables. La fiscalité constitue ainsi un élément crucial du semestre européen, qui ouvre la voie à des progrès plus rapides que ceux que permet la procédure habituelle. Des réformes positives ont d'ores et déjà été lancées dans plusieurs États membres. La France lance actuellement un important programme de réformes en faveur de la croissance et de la compétitivité qui vont dans la bonne direction, et dont nous nous réjouissons de voir bientôt les détails précisés dans le programme national de réforme (PNR). Bien sûr, la réforme fiscale ne se fera pas en un jour ; mais le semestre européen est un instrument précieux et innovant à cet égard.

À l'avenir, il faudra poursuivre et renforcer la coopération entre les États membres. L'examen réciproque, l'assistance mutuelle et l'échange des meilleures pratiques amélioreront la qualité et la stabilité des systèmes fiscaux, pour le plus grand bénéfice de la croissance, de l'emploi et de l'investissement dans la perspective de la stratégie « Europe 2020 ». Le chemin sera long, mais nous avons fait les premiers pas. Avançons maintenant vers l'avenir.

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