Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation

Réunion du 10 avril 2014 : 1ère réunion

Résumé de la réunion

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La réunion

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La commission procède à l'audition de M. Algirdas Semeta, commissaire chargé de la fiscalité et de l'union douanière, des statistiques, de l'audit et de la lutte antifraude, conjointement avec la commission des affaires européennes.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Marini

La commission des finances et la commission des affaires européennes poursuivent leur cycle d'auditions des membres de la Commission européenne sortante ; il s'agit d'un bon moment pour dresser le bilan des actions conduites, comme cela a été le cas avec Joaquin Almunia sur la politique de la concurrence et le sera en juin 2014 avec Michel Barnier sur le marché intérieur et les services financiers. Aujourd'hui, nous sommes au coeur des préoccupations les plus sensibles et les plus concrètes de nos commissions respectives, puisque nous avons le plaisir de recevoir Algirdas Semeta, commissaire chargé de la fiscalité et de l'union douanière, des statistiques, de l'audit et de la lutte antifraude. Algirdas Semeta fut tout au long de son mandat un commissaire extrêmement attentif aux travaux des Assemblées parlementaires : comme nous l'avions constaté lorsqu'il nous avait reçus à Bruxelles lors de notre séminaire de travail en 2011, la Commission européenne lit attentivement les rapports de notre commission des finances.

Vous pouvez vous prévaloir de l'un des très rares succès européens du moment, le bouclage de la négociation sur la directive Épargne, après six ans de discussion et en dépit du handicap structurel que représente la règle de l'unanimité. Vous avez aussi fait évoluer Eurostat, devenu, si je puis dire grâce à la crise, un véritable outil de connaissance mutuelle des comptes publics des différents États, et une autorité susceptible d'exercer sa vigilance et d'exprimer une « jurisprudence » en la matière, conformément aux voeux que notre commission avait émis.

Vous pourrez vous exprimer sur de nombreux sujets. La commission des finances a notamment tenu hier, le 9 avril 2014, une audition sur la concurrence fiscale. Notre attention a également été appelée sur la pratique des rulings par certains pays européens, consistant à donner une appréciation a priori sur des situations fiscales individuelles. Comment ces pratiques se combinent-elles avec les règles relatives aux aides d'État ? Des procédures sont-elles en cours, notamment avec des États ou territoires tels que l'Irlande, le Luxembourg, la Belgique, les Pays-Bas ou encore Gibraltar ? Ce sujet est également important dans le cadre de nos relations avec la Suisse.

Debut de section - PermalienPhoto de Richard Yung

Je me réjouis que nos deux commissions puissent rencontrer des commissaires européens et vous prie d'excuser l'absence du président de la commission des affaires européennes Simon Sutour, qui a été dans l'obligation de rejoindre son département. J'évoquerai quelques sujets complémentaires : l'avancée du projet de taxe sur les transactions financières, en coopération renforcée ; l'échange automatique d'informations en matière fiscale, avec des pays tiers mais aussi entre les États membres de l'Union eux-mêmes ; la taxation de l'énergie, dossier suivi par notre collègue Bernadette Bourzai et pour lequel vous avez proposé de réformer la directive de 2003. Que devient le projet d'une assiette consolidée pour l'impôt sur les sociétés, où l'on ne constate pas de progrès ? Enfin, qu'adviendra-t-il de l'octroi de mer, dont le statut devrait être brièvement prolongé après son échéance prévue le 1er juillet 2014 ?

Debut de section - Permalien
Algirdas Semeta, des statistiques, de l'audit et de la lutte antifraude

commissaire européen chargé de la fiscalité et de l'union douanière, des statistiques, de l'audit et de la lutte antifraude. - Je remercie le Sénat français de m'avoir invité à ce moment si important pour la politique européenne, quelques semaines avant les élections pour le Parlement européen. La fiscalité est depuis ces dernières années au coeur de l'agenda politique européen, ce qui a permis de relancer les progrès et le consensus - chose que l'on n'aurait pu imaginer il y a encore quelques années. Je ne prétends pas que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes ; la règle de l'unanimité ralentit les progrès. Mais chacun sait qu'une approche isolationniste serait une menace pour notre souveraineté fiscale. Nous partageons les mêmes objectifs - une croissance économique plus forte - et nous devons donc partager la même approche. Il faut donc une plus grande coordination fiscale, et même une plus grande harmonisation fiscale dans certains domaines.

Quels ont été les progrès réalisés ? Quels obstacles restent à surmonter ? L'amélioration de notre compétitivité appelle la construction d'un environnement plus favorable aux affaires en Europe : personne ne doute que les investisseurs ont besoin de plus de stabilité et de sécurité juridique, de moins d'obstacles administratifs et de coûts de mise en conformité. L'amélioration de l'environnement fiscal a donc été l'une de mes priorités absolues. Dans certains secteurs, comme la TVA, l'harmonisation fiscale est la meilleure façon d'y parvenir, car elle évite les distorsions entre les entreprises et entre les États membres. Depuis 2010, nous avons fait beaucoup pour créer un système de TVA plus simple, plus robuste et plus efficace. Notre nouveau système électronique de facturation de la TVA peut permettre aux entreprises d'économiser 18 milliards d'euros par an ; la déclaration standard de TVA que je propose éliminera un obstacle majeur au commerce transfrontalier ; à partir de 2015, les services électroniques, de diffusion et de télécommunications bénéficieront d'un « mini-guichet » unique ; d'ici la fin de son mandat, la Commission adoptera un livre blanc sur la mise en place, à terme, d'un régime de TVA définitif et harmonisé. La situation actuelle est source de complications administratives pour les entreprises, tandis que la prolifération d'exemptions et de taux réduits différents d'un État membre à l'autre compromet les recettes fiscales dans leur ensemble. La disparité et la complexité des règles de TVA représentent un véritable cauchemar pour les entreprises. Les États devraient trouver d'autres moyens que la réduction des taux de TVA - dont l'efficacité est douteuse - pour poursuivre leurs importants objectifs sociaux.

La proposition d'assiette commune consolidée d'impôt sur les sociétés (ACCIS) peut également être un instrument clé pour la compétitivité. Elle réduirait les coûts des PME et leur permettrait de voir au-delà de leur marché domestique. Les efforts conjoints de la France et de l'Allemagne sont à cet égard exemplaires, et pourraient préfigurer un accord en vue d'une directive européenne.

La taxe sur les transactions financières (TTF) pourrait elle aussi contribuer à un environnement plus stable ; elle pourrait remédier à l'éclatement des règles nationales et répondre aux attentes des citoyens en faveur d'une plus taxation plus juste.

Bien sûr, l'ACCIS, la TTF mais aussi la proposition de directive sur la taxation des émissions de CO2 au sein de l'Union européenne n'ont pas encore fait l'objet d'un accord, et je ne suis pas optimiste au point de croire que ce sera le cas d'ici la fin de mon mandat. Mais je compte sur l'implication des États membres pour réaliser des progrès, et particulièrement sur la France, qui a toujours joué un rôle persuasif et décisif dans le domaine de la fiscalité.

La règle de l'unanimité en matière de fiscalité fait que les décisions sont prises au rythme de celui qui avance le plus lentement. Il faut se demander si cela est tenable à l'avenir, dans un contexte d'intégration économique de plus en plus poussée. Nous avons vu avec la coopération renforcée sur la taxe sur les transactions financières qu'il existe des moyens, pour les États membres les plus ambitieux, de contourner cet obstacle et de réaliser des progrès. Il me semble qu'il est important de mettre en cohérence la politique fiscale et l'Union monétaire : les progrès de l'une doivent accompagner les approfondissements de l'autre, afin d'éviter une intégration « à la carte ».

La lutte contre les barrières fiscales afin de faciliter le commerce constitue une part essentielle de la politique fiscale de l'Union européenne. Mais nous ne perdons pas de vue la fonction plus traditionnelle de l'impôt : produire des recettes. En cette période de budgets contraints, les États membres doivent compter sur la solidarité de leurs partenaires, au sein de l'Union européenne comme au niveau international, pour collecter l'impôt à son juste niveau.

Les règles de coopération administrative ont été considérablement modernisées au cours des dernières années afin d'assurer une taxation juste et efficace. Pourtant, des milliards d'euros sont perdus chaque année du fait de l'évasion fiscale, mais aussi du fait de la concurrence fiscale qui génère des tensions entre les États membres. L'Union européenne est à l'origine des progrès très importants qui ont eu lieu dans ce domaine, et je remercie la France pour le soutien constant qu'elle a apporté à nos efforts. Notre ambitieux plan d'action contre la fraude et l'évasion fiscales prouve que l'Union européenne peut continuer à donner le ton au niveau mondial en matière de bonne gouvernance fiscale. Cela nous a permis de pousser les avancées internationales en la matière, et nous assistons maintenant, grâce au travail de l'OCDE, à un véritable bouleversement de l'environnement fiscal mondial. En février 2014, les ministres des finances du G20 ont approuvé un nouveau standard d'échange automatique d'informations qui devrait mener à une transparence sans précédent au niveau mondial. Au niveau européen, après des années de négociations et grâce à nos amis luxembourgeois et autrichiens, la directive épargne révisée a finalement été adoptée. Je remercie la France pour l'impulsion qu'elle a donnée sur ces dossiers.

En ce qui concerne l'impôt sur les sociétés, nous avons préparé le terrain pour le projet de l'OCDE « Base Erosion and Profit Shifting » (BEPS), qui vise à établir un lien plus fort entre le lieu de taxation et le lieu de production.

Il reste des choses à faire, et j'espère que nous pourrons parvenir à un accord sur les points suivants dans les prochains mois : premièrement, la révision de la directive sur la coopération administrative qui vise à généraliser l'échange automatique d'informations à tous les types de revenus, en cohérence avec le standard global de l'OCDE ; deuxièmement, la révision de la directive mère-fille, qui vise à combler les failles permettant la « double non-imposition » des bénéfices ; troisièmement, la taxation de l'économie numérique afin de garantir aux Etats des recettes justes et pérennes. La France a déjà conduit d'importantes analyses sur ce sujet, et déjà proposé des réponses. J'ai donc rassemblé un groupe d'experts de haut niveau, qui présentera cet été un rapport servant de base aux initiatives futures de la Commission européenne pour que les sociétés numériques prospèrent en Europe tout en payant leur juste part de l'impôt.

Enfin, la Commission européenne continuera à utiliser tous les instruments à sa disposition - règles relatives aux aides d'État et codes de conduite - afin que les États se comportent loyalement les uns avec les autres. Alors que l'Union essaie de relancer sa croissance et sa compétitivité dans un effort collectif, il n'est pas acceptable qu'un État membre porte atteinte à la capacité d'un autre État membre à collecter l'impôt par des pratiques fiscales agressives. Le caractère équitable de la concurrence fiscale est l'un des sujets centraux des prochaines années. La concurrence entre l'Union et le reste du monde doit se fonder sur nos mérites et non sur des régimes fiscaux déloyaux.

L'accord ACCIS sera un pas important dans la lutte contre l'érosion des bases fiscales au niveau de l'Union européenne. Dans le plan d'action que j'ai présenté en 2012, il était rappelé que les États membres devaient davantage utiliser les outils à leur disposition au sein de l'Union pour combattre la concurrence fiscale. Il nous faut également des outils communs avec nos partenaires internationaux pour que les entreprises des pays tiers ne puissent utiliser les failles de notre système fiscal. La Commission européenne poursuit ainsi ses négociations avec la Suisse, le Lichtenstein, Monaco, Andorre et Saint-Marin sur l'échange automatique d'informations. J'espère que la négociation aboutira avant la fin de cette année. Notre dialogue progresse également sur la question de l'impôt sur les sociétés avec la Suisse, qui s'est engagée à supprimer certains régimes nocifs à la fois au niveau fédéral et au niveau cantonal.

Tout le travail que nous accomplissons à l'échelle de l'Union européenne doit être soutenu par des mesures complémentaires au niveau national, qui demeurent indispensables. La fiscalité constitue ainsi un élément crucial du semestre européen, qui ouvre la voie à des progrès plus rapides que ceux que permet la procédure habituelle. Des réformes positives ont d'ores et déjà été lancées dans plusieurs États membres. La France lance actuellement un important programme de réformes en faveur de la croissance et de la compétitivité qui vont dans la bonne direction, et dont nous nous réjouissons de voir bientôt les détails précisés dans le programme national de réforme (PNR). Bien sûr, la réforme fiscale ne se fera pas en un jour ; mais le semestre européen est un instrument précieux et innovant à cet égard.

À l'avenir, il faudra poursuivre et renforcer la coopération entre les États membres. L'examen réciproque, l'assistance mutuelle et l'échange des meilleures pratiques amélioreront la qualité et la stabilité des systèmes fiscaux, pour le plus grand bénéfice de la croissance, de l'emploi et de l'investissement dans la perspective de la stratégie « Europe 2020 ». Le chemin sera long, mais nous avons fait les premiers pas. Avançons maintenant vers l'avenir.

Debut de section - PermalienPhoto de François Marc

La règle de l'unanimité suscite des inquiétudes sur le cheminement très long qu'elle implique pour les prises de décision : les recommandations du Conseil aux États membres dans le cadre du semestre européen pourraient-elles être un moyen de la contourner, et de promouvoir ainsi une harmonisation plus souple ?

Sous la pression de certains pays, d'importants progrès sur la directive épargne ont été réalisés ces dernières années ; après l'accord du 24 mars 2014 sur la révision de la directive, quelles seront les étapes jusqu'à l'entrée en vigueur ? Est-il réaliste d'espérer un accord sur la directive sur la coopération administrative d'ici fin 2014, comme annoncé récemment ? Au total, quand l'échange automatique d'informations entrera-t-il en vigueur dans l'Union européenne ? Ne peut-on pas craindre que la norme américaine FATCA (Foreign Account Tax Compliance Act) et la norme internationale de l'OCDE soient appliquées avant la norme européenne, ce qui nous placerait dans une situation de suivisme tout à fait regrettable ? Au fond, la voie bilatérale classique en matière d'échange automatique n'est-elle pas finalement la meilleure ?

L'ACCIS est en négociation depuis près de quinze ans : le projet d'assiette commune d'impôt sur les sociétés est-il définitivement abandonné ? A-t-il encore un sens, compte tenu du lancement du projet BEPS par l'OCDE ?

Enfin, parviendrons-nous à mettre en place une taxe sur les transactions financières ambitieuse couvrant le maximum de produits ? Est-il raisonnable de vouloir taxer les obligations souveraines ? La coopération renforcée à onze États membres dans ce domaine ne risque-t-elle pas de provoquer un déplacement massif de capitaux vers la place de Londres ?

Debut de section - Permalien
Algirdas Semeta, des statistiques, de l'audit et de la lutte antifraude

La règle de l'unanimité est très préoccupante ; je souhaite à titre personnel qu'elle soit sur la table lors de la prochaine révision du traité, puisqu'il est nécessaire d'en passer par là. Vous avez raison, les recommandations du Conseil dans le cadre du semestre européen sont un excellent outil pour assurer une meilleure convergence fiscale ; presque chaque État membre a ainsi reçu des recommandations spécifiques sur la base de nos propositions. Il s'agit de soft law, mais il est essentiel que les États membres l'appliquent, et la Commission y sera très attentive.

En ce qui concerne la directive épargne, les États membres sont parvenus à un accord. Nous devons maintenant utiliser la directive sur la coopération administrative pour aligner notre système d'échange automatique d'informations sur le standard global qu'est en train d'élaborer l'OCDE. Nous travaillons pour l'instant en parallèle, et comptons adopter la directive révisée immédiatement après le standard de l'OCDE, dont les détails devraient être connus en septembre 2014. La mise en oeuvre se fera par une transposition relevant de la responsabilité des États membres, qui estiment que l'échange automatique d'informations sera complètement opérationnel en 2017. La France fait partie des pays les plus avancés, mais tous les États sont impliqués et il ne devrait pas y avoir de problèmes. Nous devons veiller à ce que les États-Unis accordent aux États membres de l'Union européenne une réciprocité absolue et le même niveau de détail des informations échangées. Au total, nous devrions continuer à être meneurs sur le sujet.

Vous avez mentionné les quinze années de négociation de l'ACCIS ; mais la proposition a été formellement déposée en 2011, il y a seulement trois ans. J'aimerais voir des progrès rapides sur le sujet, mais les États membres estiment qu'il leur faut du temps eu égard à la complexité du sujet. Un point positif : le Président de la République française et le Président du Conseil italien estiment tous les deux qu'il s'agit d'une question prioritaire pour l'Union. Nous pouvons espérer aller jusqu'au Conseil ECOFIN, mais la suite se fera probablement sur la base d'une coopération renforcée, car il est difficile d'imaginer que le Royaume-Uni puisse s'associer à cette initiative.

Nous soutenons les progrès de l'OCDE sur le projet BEPS. On ne peut imaginer que le projet ACCIS puisse en lui-même servir de base au projet BEPS, mais nous travaillons toutefois sur une meilleure prise en compte des actifs immatériels, sur les dispositifs anti-abus, sur la question de l'établissement stable, sur les pratiques fiscales nuisibles. Le calendrier est serré, mais l'OCDE s'est engagée à livrer des documents en septembre 2014, puis le reste en 2015.

Comme je l'ai dit ce matin au Medef, il ne faut pas craindre que la taxe sur les transactions financières provoque un transfert d'activité hors de la zone : en fait, les grands centres financiers dans le monde pratiquent déjà une forme de taxe sur les transactions financières, comme en Grande-Bretagne (le stamp duty), en Suisse, à Hong-Kong, à Singapour ou à Taïwan. Nous envisageons bien sûr la création de zones tampons pour garantir que les transactions ne soient pas déplacées vers des pays qui n'auraient pas ce type d'impôts. Je me félicite des échanges réguliers entre les ministres de l'ECOFIN qui représentent les onze États membres engagés sur ce sujet ; cela laisse augurer un accord dans un futur proche sur une telle taxe, qui a le soutien des deux tiers des citoyens européens. Or c'est le rôle des dirigeants politiques d'être à l'écoute des citoyens.

Debut de section - PermalienPhoto de Albéric de Montgolfier

L'année dernière, la Commission a évalué à 32 milliards d'euros les pertes de TVA pour la France, dues notamment à la fraude ; en réponse à l'une de mes questions, le ministre du budget a rabaissé ce chiffre à environ 10 milliards d'euros. Comment la Commission est-elle parvenue à ce chiffre, et quelles en sont les principales explications ?

Vous nous aviez dit il y a trois ans à Bruxelles qu'une procédure d'enquête avait été lancée par la Commission au sujet d'un régime de défiscalisation français dans l'immobilier - le régime Périssol, me semble-t-il. La Commission se demandait si le fait de réserver ces régimes aux Français était contraire au principe de mouvement des capitaux. Où en est cette procédure ? Qu'en est-il des nouveaux régimes de défiscalisation immobilière ?

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Dallier

Ma question concerne la TVA sur le commerce en ligne. Nous nous sommes rendus avec Albéric de Montgolfier à l'aéroport de Roissy Charles-de-Gaulle afin de regarder de près comment les paquets arrivant de pays extra-communautaires étaient contrôlés, et notamment si la valeur déclarée était correcte. Dans l'immense majorité des cas, la valeur déclarée est fausse, ce qui constitue une première forme de fraude. Par ailleurs, nous avons cherché à savoir quelles garanties pouvait avoir l'État sur le reversement de la TVA collectée par des sites de vente en ligne hors de France, qui lui échappe souvent. Serait-il possible d'envisager que la TVA soit prélevée directement, au moment où l'achat en ligne est conclu, plutôt que reversée a posteriori avec les risques qui ont été mentionnés ?

Debut de section - PermalienPhoto de Richard Yung

Je ne crois pas que la fiscalité fasse partie des négociations commerciales actuelles entre les États-Unis et l'Union européenne. L'un des experts présent à la table ronde d'hier sur la concurrence fiscale a souligné un point frappant : les États-Unis encouragent leurs grandes entreprises comme Yahoo ou Google à s'installer fiscalement en Irlande ou encore aux Pays-Bas, où les taux sont très faibles, et à réinvestir ensuite leurs profits plutôt que de les rapatrier ; ils leur appliquent alors une franchise fiscale qui constitue une forme de dumping fiscal. La Commission ne devrait-elle pas se saisir de cette question ?

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Marini

La presse a annoncé que la Commission européenne lançait des enquêtes pour de possibles infractions aux règle sur les aides d'État, à propos de régimes fiscaux faussant la concurrence, de rulings ou de lettres de confort adressées par des administrations fiscales à des entreprises. Cinq territoires sont concernés : l'Irlande, le Luxembourg, la Belgique, les Pays-Bas et Gibraltar. Pourriez-vous nous en dire plus sur les procédures en cours ?

Ma deuxième question porte sur la TVA, dont nous n'oublions pas qu'il est l'un des impôts les plus productifs. La TVA sur les services électroniques devrait entrer dans une phase de transition à partir du 1er janvier 2015, date à laquelle elle sera recouvrée au taux de l'État de résidence du consommateur final, mais dont les recettes, perçues au moyen du « guichet unique », seront partagées avec l'État membre du siège du prestataire jusqu'au 1er janvier 2019. Que répondez-vous aux inquiétudes - qui ne semblent pas totalement théoriques - sur le respect du délai imparti, notamment par le Luxembourg, pour qui les recettes représentent 700 millions d'euros par an ? La date du 1er janvier 2015 sera-t-elle tenue, et selon quelles modalités ?

Enfin, le groupe de réflexion ad hoc sur la fiscalité du numérique a-t-il été créé pour noyer le poisson ou doit-on y voir une intention réelle de s'attaquer à ce problème ?

Debut de section - Permalien
Algirdas Semeta, des statistiques, de l'audit et de la lutte antifraude

En ce qui concerne la TVA, les écarts ou pertes sont estimés à 193 milliards d'euros à l'échelle de l'Union européenne. Ces pertes ne résultent sans doute pas toutes de fraudes, il peut également s'agir de faillites ou d'autres facteurs. Mais la fraude en est une cause majeure. Un effort est donc nécessaire, et même si des avancées sont possibles au niveau de l'Union européenne, c'est aux États membres de réaliser l'essentiel de cet effort. Certains États membres ont pris en ce sens des mesures efficaces : le Portugal, par exemple, a complétement réformé et informatisé son système de collecte de TVA, de manière à rendre immédiatement disponibles les données de chaque opérateur. Il est ainsi possible d'en faire un audit automatique. Il y a donc au moins un bon élève parmi les États européens, dont l'exemple pourrait être utile aux autres. Une évolution est également possible au niveau de l'Union, notamment par l'extension du mécanisme de réaction rapide et du système d'auto-liquidation, efficace contre le phénomène proprement européen qu'est la fraude « carrousel ».

J'en viens à votre question spécifique touchant le commerce électronique et la TVA. Comme je l'ai dit, nous travaillons à élaborer un régime de TVA définitif, qui porte notamment sur la manière dont la TVA devra être payée. Nous allons par ailleurs publier un livre blanc sur le sujet. Il se produit parfois des ruptures de la chaîne de paiement. On y remédiera, je le répète, par l'instauration d'un régime de TVA définitif. L'enjeu porte sur 900 milliards d'euros de recettes fiscales pour les États membres : nous n'avons tout simplement pas le droit à l'erreur dans nos propositions.

Le « mini-guichet » unique entrera bien en vigueur, comme prévu, en janvier 2015. Il ne me semble pas qu'une période de transition ait été prévue. Le Luxembourg se prépare activement à cette évolution afin de ne pas perdre de recettes.

Pour ce qui est des rulings, nous nous efforçons d'utiliser tous les instruments de lutte contre l'évasion et l'optimisation fiscales à notre disposition afin de garantir le respect des règles de concurrence. Je travaille en bonne intelligence avec mon collègue Joaquin Almunia. Il a demandé les informations concernant les règles fiscales en vigueur dans chacun des pays et territoires que vous avez cités ; n'ayant pas reçu suffisamment d'informations du Luxembourg, il a posé ces questions une nouvelle fois. Nous en sommes encore à l'étape préliminaire de la procédure d'infraction ; nous recueillons toutes les informations possibles en la matière. Nos experts vont évaluer les règlementations fiscales spécifiques à chaque pays, et des décisions seront prises sur la base de ces évaluations. Nous analysons également le problème des « patent boxes », ces régimes fiscaux favorables pour les droits de propriété intellectuelle, au regard des règles sur les aides d'État. Comme vous le voyez, la commission a commencé à passer en revue toutes les questions fiscales, en s'appuyant sur tous les instruments à sa disposition.

Sur le problème de l'économie numérique, oui, nous sommes très sérieux ; nous disposons pour cela d'un groupe d'experts de haut niveau, où la France est représentée par Pierre Collin. J'en attends des recommandations très constructives, sur la base desquelles nous ferons des propositions.

Cela m'amène à la question de M. Yung. En effet, aux États-Unis, les bénéfices non rapatriés ne sont pas soumis à l'impôt. Nous ne pouvons pas changer les lois américaines, pas plus que les Américains ne peuvent changer les nôtres ; mais il s'agit bien d'une sorte de subvention indirecte pour les entreprises à chercher des investissements hors des États-Unis pour éviter d'être imposées aux États-Unis. Un autre problème majeur tient à la difficulté de contrôler les accords sur l'imposition entre les pays membres de l'Union et des pays tiers ; certains de ces accords permettent aux dividendes d'échapper à l'impôt. Le règlement de ce type de problèmes fait partie du travail de l'Union européenne et de celui de l'OCDE.

Vous avez abordé la question de l'allégement d'impôt français en faveur de l'investissement immobilier. Il s'agit en fait des investissements immobiliers de résidents français dont le traitement fiscal serait différent de celui appliqué aux non-résidents français, ou d'investissements faits par des Français hors de France. Le traitement fiscal est donc différent selon que l'on est en France ou ailleurs. Selon la Commission européenne, il s'agit là d'une violation des règles du traité concernant la libre circulation des capitaux. C'est pourquoi nous avons décidé de lancer une procédure d'infraction à ce sujet, qui en est actuellement au stade de la saisine de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE).

Vous avez également soulevé le problème de l'octroi de mer. Le régime actuel est en vigueur jusqu'au 1er juillet 2014, et la Commission a proposé de le prolonger temporairement jusqu'au 1er janvier 2015. Le Conseil a été saisi de cette proposition et doit prendre une décision. De nombreux produits sont couverts par ce régime, qui comprend de nombreux taux ; il convient de distinguer entre les produits pour lesquels ce régime est justifié, et ceux pour lesquels il ne l'est pas. Nous devons donc collecter un grand nombre d'informations afin de décider s'il est opportun de proroger cette dérogation à titre transitoire ou non.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Frécon

Vous avez parlé d'un livre blanc concernant le régime de TVA définitif. Pouvez-vous nous préciser la date de sa publication ?

Debut de section - Permalien
Algirdas Semeta, des statistiques, de l'audit et de la lutte antifraude

Nous sommes dans une phase transitoire qui dure depuis plus de vingt ans. Notre intention est de publier ce livre blanc avant l'été, et au plus tard en septembre ou octobre 2014.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Marini

Merci pour cette audition très intéressante, sur des sujets structurels que nous continuerons à suivre. Je me félicite de la coopération fructueuse entre la France et la Commission.

Debut de section - Permalien
Algirdas Semeta, des statistiques, de l'audit et de la lutte antifraude

Nous nous réjouissons par avance de futures coopérations entre la Commission européenne et le Sénat. La discussion avec les parlementaires nationaux, issus de la chambre haute comme de la chambre basse, est très importante, et toujours d'un grand intérêt pour comprendre les véritables préoccupations des États membres.

La réunion est levée à 17 h 30.