Intervention de Bernardino León

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 19 février 2014 : 1ère réunion
Audition de M. Bernardino León représentant spécial de l'union européenne pour la méditerranée du sud

Bernardino León, représentant spécial de l'Union européenne pour la Méditerranée du Sud :

Certains en Europe veulent donner beaucoup d'importance aux partenaires de l'Est. Je comprends l'importance de l'Ukraine et du rôle que l'Europe y joue, mais cela me paraît compatible avec l'intérêt porté au développement du Sud.

Mais aussi, ces principes ont une répercussion stratégique d'une importance énorme. J'ai été personnellement déçu de voir la réaction des Européens par rapport à l'intervention de la France au Mali, car indéniablement, ce qui s'y déroulait risquait de déstabiliser le Sahel, et constituait une menace pour les pays au Maghreb, pour les printemps arabes et pour la Méditerranée et donc une menace pour l'Europe elle-même.

Face à cette situation, insister sur les processus qui marchent comme le 5+5 est une bonne idée pour un dialogue et une coopération efficaces. J'aurais une seule observation : le 5+5 n'inclut pas l'élément politique qui me paraît fondamental aujourd'hui. Des pays comme l'Algérie, qui ont des sociétés civiles assez dynamiques, le rôle des femmes, des médias... qui sont des atouts pour la démocratie, pour des raisons diverses ne développent pas des institutions démocratiques. La place de l'armée, des services de renseignement et du parti historique reste dominante. On devrait chercher à inclure l'élément politique dans le forum 5+5.

Je constate également que la région est en balance entre démocratie et géopolitique qui marche de façon graduelle de l'Ouest à l'Est. En Tunisie, la démocratie compte pour 90% et la géopolitique pour 10%. Cela permet de savoir où concentrer nos efforts d'autant que, l'élément géopolitique influent, c'est l'Europe. A mesure qu'on s'éloigne de la Tunisie vers l'Est, l'importance de la géopolitique monte et l'élément démocratique s'estompe : en Libye, c'est 50%-50%, en Égypte, 60% de géopolitique avec une présence très forte des Turcs, des Qataris, des Saoudiens, des Émiratis, ce qui complique le jeu et 40% pour l'élément démocratique. En Syrie, la proportion est 90% géopolitique et 10% pour l'élément démocratique. En fait la guerre civile est aussi un affrontement entre l'Arabie saoudite et l'Iran. Il faut expliquer à nos partenaires européens qu'il y a un enjeu géopolitique dans cette zone et que si l'Europe ne s'implique pas, ce sont d'autres pays qui exerceront une influence dominante. Pour les Allemands et les Scandinaves, c'est aussi important.

Pour répondre à M. Cambon, le Maroc, effectivement, est unique. Il y a eu des réformes car le roi Hassan en 1998 a décidé de commencer les réformes. Il avait invité M. Youssoufi à former le gouvernement, alors qu'il était un de ses opposants. Avec Mohammed VI, le pays a continué les réformes. Il est important de se rappeler que même dans les moments les plus obscurs sous Hassan II, les partis politiques existaient comme des éléments indépendants.

Mais vous avez touché le point le plus important dans les relations Europe et les pays du Sud. Comme vous l'avez expliqué, la conditionnalité devient une religion. Je prends souvent avec mes interlocuteurs de l'Europe du Nord l'exemple du droit romain, qui était initialement très symbolique, très lié à la religion, très éloigné de la société. Il n'avait donc pas d'utilité. Mais vers le IIe siècle avant JC, les juristes l'ont rapproché de la réalité. Il est devenu cette « génialité » qui marque encore nos sociétés contemporaines. Nous sommes encore, avec la conditionnalité, dans la première étape. Mais en affirmant que nous aidons ceux qui ont un système démocratique et pas les autres, nous sommes en contradiction avec nos objectifs car notre coopération est destinée à promouvoir la démocratie, donc par principe devrait s'adresser à ceux qui ne le sont pas. La France comprend bien cette question, vous avez donc un rôle à jouer pour faire évoluer cette attitude.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion