M. Néri a souligné à juste titre le travail que nous avons à faire vis-à-vis de nos populations, car nous voyons bien qu'elles ont tendance, avec la crise économique, à se refermer sur les problèmes domestiques et que le populisme inclut et met l'accent sur d'autres problèmes comme l'immigration, l'islam,...
S'agissant de la pollution, dans tous les accords d'association et les plans d'action, tous considèrent la lutte contre la pollution comme très importante. Je peux demander à nos services de vous donner plus d'informations sur cette question.
La Libye n'est pas un État, ne l'a jamais été. Il s'agit d'ensemble hétérogène. Le pouvoir se partage parmi cinq groupes : le gouvernement qui dispose d'un pouvoir très limité, l'Assemblée qui souhaitait prolonger son mandat au-delà du 7 février mais qui n'a pas réussi à s'imposer, les pouvoirs locaux qui montent en puissance dans des villes comme Misrata ou Benghazi et n'écoutent plus le gouvernement central, les milices qui disposent du monopole de la force en Libye et font des pressions énormes sur le gouvernement allant jusqu'à kidnapper le Premier ministre, et enfin les leaders des tribus, les cheikhs, notamment dans les villes du Sud qui sont les seuls à pouvoir résoudre les conflits qui apparaissent de plus en plus fréquemment dans cette région.
L'une des conséquences de cette absence d'État et de la dégradation de la situation sur le plan de la sécurité est de permettre un développement de l'activité d'Al Qaïda et d'autres djihadistes notamment dans le Sud et à l'Est du pays.
Ces défis de la Libye sont aussi les nôtres. N'ayant pas de frontières, ce qui se passe en Libye a des conséquences pour les pays du sud de l'Europe, notamment en matière d'immigration clandestine. Rappelons-nous que les côtes libyennes sont à 350 km de Malte.
Notre coopération devrait se concentrer sur ces deux éléments : la promotion du dialogue politique entre les différents acteurs en essayant d'imposer des accords auxquels ils ont du mal à parvenir seuls, et la sécurité pour laquelle nous avons aussi une responsabilité à exercer. Différentes pistes ont été explorées. L'idée française d'utiliser la gendarmerie européenne me paraît intéressante à approfondir. On ne peut pas envoyer l'armée, car ce serait perçu comme une occupation. Mais nous savons que la sécurité ne marche plus et que la formation à l'extérieur de la Libye ne marche pas. Il y a des inscriptions mais aussi beaucoup d'absentéisme. Il y avait 75 000 personnes recensées comme véritables anciens combattants qui ont fait la guerre contre Khadafi. Mais les listes comptent aujourd'hui 100 000 personnes. On voit bien qu'il s'agit d'abord de rechercher des opportunités et des privilèges pas nécessairement une formation pour être intégré dans les forces de sécurité libyenne. Certains demandent des bourses pour étudier dans les universités européennes, mais on constate aussi qu'une fois sur place, ils n'ont pas d'appétence pour ces études et posent des difficultés.
Il faudra aussi travailler avec les pays du sud, notamment avec la Tunisie dont l'armée a montré un sens des responsabilités extraordinaires dans la crise. Elle a été respectueuse de la démocratie et comme il s'agit de l'armée d'un petit pays, elle ne sera jamais perçue comme une menace pour les Libyens.
Ainsi, nous avons besoin d'explorer ces deux possibilités. Nos gendarmeries sont efficaces et compétentes dans des domaines multiples (contrôle des frontières, la lutte anti-terroriste, police judiciaire, maintien de l'ordre), elles ont l'expérience de ces missions et pourraient être perçues comme une composante civile. D'autre part, il est intéressant de travailler avec un pays comme la Tunisie, parce que les Tunisiens connaissent aussi la langue, comprennent les mentalités et ne seront pas perçus comme une menace.
La troisième priorité est la coordination internationale. Nous ne parlons pas d'une seule voix en Libye. Il y a aussi des différences entre les états-membres de l'Union européenne en raison d'intérêts commerciaux divergents. Or Le défi est énorme et la Libye risque de basculer.
S'agissant de la Tunisie et de la place des anciens du néo-Destour, Ennahda, à un moment, voulait préparer une loi d'exclusion qui aurait empêché l'accès à la vie politique ou aux fonctions publiques de nombreuses personnes, même très indirectement impliquées ou éloignées des centres de décisions de l'ancien pouvoir. J'ai longuement parlé à M. Ghanoucchi, le leader d'Ennahda de l'expérience espagnole de la transition démocratique et lui ai montré comment nous avons pu intégrer d'anciens cadres du régime franquiste et il a accepté ce point de vue.
Dans l'établissement de l'accord entre partis politiques en Tunisie, la réconciliation entre les deux anciens adversaires, MM. Ghannouchi et Essebsi qui est issu du Néo-Destour a été un point déterminant. Aujourd'hui après l'accord politique, il y aura sans doute la possibilité, à l'exception de ceux qui se sont tenus en dehors du système répressif de l'ancien régime et qui seront probablement jugés, de revenir dans la sphère publique.
Sur la conditionnalité, la France, l'Espagne et l'Italie, devraient jouer un rôle plus actif et insister pour qu'elle soit interprétée de façon intelligente. Les décisions devraient être prises au plus haut niveau, probablement au niveau du Conseil européen.