Intervention de Gérard Araud

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 12 juin 2013 : 1ère réunion
Audition de M. Gérard Araud ambassadeur représentant permanent de la france auprès des nations unies

Gérard Araud, ambassadeur, représentant permanent de la France auprès des Nations unies :

S'agissant de l'image de la France aux Nations unies, Serval a frappé les esprits. Tout le monde a conscience que la France est un des seuls pays non seulement capable mais aussi décidé à agir avec un tel niveau d'efficacité. Nous sommes en quelque sorte victimes de notre succès : le Premier ministre de la République centrafricaine (RCA) a, depuis, lancé un appel poignant à l'intervention dans son pays. Les émergents ont une politique étrangère qui reste marquée par la rhétorique des années 70, souvent anti-occidentale, et prônant le dialogue plus que l'action. Ils veulent la puissance, mais ne veulent pas en payer le prix. Donc ce prix retombe souvent sur nos épaules. Il faut dire que l'Afrique francophone traverse une crise profonde, qu'il s'agisse de la RCA, du Mali, de la République démocratique du Congo (RDC)...

Nous vivons aussi sous les sarcasmes de certains de nos partenaires : l'Europe qui était autrefois une partie de la solution est devenue une partie du problème, or les Européens n'ont pas manqué pendant des années de donner des leçons aux autres... L'Union européenne en tant que telle n'a jamais eu une image forte aux Nations unies, dont elle finance 40 %, mais qui est une organisation qui repose largement sur les nations, et au sein de laquelle la France conserve une image positive.

Concernant la Syrie, le régime tient, et ce pour plusieurs raisons. Tout d'abord, parce qu'il utilise la violence sans limite, contrairement à ce qui s'était passé en Égypte ou en Tunisie : les avions et hélicoptères survolent les quartiers civils, puis ces mêmes quartiers sont bombardés, on constate des violations du droit international, une utilisation d'armes chimiques et de gaz ... Il y a réellement une escalade de la violence. Ensuite, une partie substantielle de la population soutient le régime (les Alaouites, les minorités ...). C'est une sorte de lutte pour sa survie, pas nécessairement une adhésion de principe, plutôt la peur des conséquences de la chute d'Assad.

Également, le régime syrien bénéficie d'un soutien massif de l'étranger, en particulier de l'Iran dont l'engagement est total depuis l'automne 2012. Le soutien est notamment financier, puisque la Syrie vit à crédit de l'Iran. Autre raison, l'opposition est divisée, fragmentée, et ne bénéficie d'aucun parti politique ni de personnalité unificatrice. Ceci est compréhensible quand on se rappelle les persécutions de cette opposition pendant cinquante ans. La division est également intérieure et extérieure. Au final, ce sont les radicaux qui prennent le dessus. Les guerres civiles ne sont pas gagnées par les centristes. On peut faire un parallèle avec la guerre d'Espagne ! Enfin, un des problèmes est que les États-Unis ne veulent pas intervenir et n'interviendront pas !

Donc il y a une inquiétude, au-delà de la souffrance du peuple syrien, qui est l'extension potentielle de la crise à la région. Elle a déjà commencé à avoir des répercussions en Irak, comme le montre le bras de fer entre sunnites et chiites, ainsi que le transit via le territoire irakien des armes iraniennes, ainsi qu'au Liban, qui résiste cependant de façon remarquable, néanmoins 25 % de sa population est constituée de réfugiés et une partie de son économie reposait sur le tourisme arabe. La politique de distanciation explose avec l'engagement du Hezbollah aux côtés du régime syrien et risque d'aboutir à l'éclatement du Liban. Enfin, il pourrait y avoir des répercussions en Jordanie, mais les États-Unis ont marqué une ligne rouge en sanctuarisant, car si elle est contaminée, la crise pourrait toucher les territoires palestiniens et Israël.

La proposition russo-américaine de conférence me semble difficile à organiser, car les deux parties veulent aller jusqu'au bout. L'opposition ne peut accepter de gouvernement de coalition avec Assad, et, c'est le point de vue de certains de mes collègues, le régime actuel est en position de force et ne va pas céder. Les Russes le soutiennent sans hésitation car ils ne veulent pas que la Syrie tombe aux mains des islamistes. C'est pourquoi ils donnent des armes mais, également, des conseillers russes sont aux côtés du régime.

La situation est tragique, la Syrie s'effondre ! Le risque de « somalisation » existe, tout comme celui d'externalisation du conflit et de radicalisation de la ligne chiites/sunnites. Même Israël est contaminé par le retrait des Casques bleus du plateau du Golan. Il existe un risque réel de multiplication des accidents dans cette zone.

Au Mali, nous sortons d'une séquence réussie, reposant sur l'efficacité et le courage des forces françaises - et oserais-je le dire ?- sur l'habileté de notre diplomatie, qui a su obtenir des Nations unies le déploiement d'une opération de maintien de la paix : la mission des Nations unies pour la stabilisation du Mali (MINUSMA), qui aura un triple avantage : permettre le retrait des forces françaises ; matérialiser une prise de relai par la communauté internationale ; assurer la reconstruction du Mali dans la durée, à la fois sur le plan politique, avec un nouveau pacte national malien qui est nécessaire, et économique, avec un développement à penser à l'échelle régionale. Il faut dire que beaucoup d'États de la région, et notamment l'Algérie, ont longtemps fermé les yeux sur le développement du terrorisme et des trafics.

Le transfert d'autorité à la MINUSMA au 1er juillet sera largement virtuel, puisque ce n'est qu'au 31 décembre que l'effectif des 12 000 hommes sera atteint. L'originalité de cette opération, qui expliquait d'ailleurs les réticences tant du Secrétariat général que de certains partenaires -marqués par les précédents somalien ou afghan -, réside dans ce qu'il n'y a pas à proprement parler de « paix » à maintenir. La qualité de cette force sera relative, mais cela tient au fait que les occidentaux ne mettent plus de forces sous Casques bleus. La France, qui a des Casques bleus au Liban, n'est que 14e contributeur, pas un soldat Allemand ou Britannique n'est sous Casque bleu, et les quatre premiers pays contributeurs sont le Bengladesh, le Nigéria, l'Inde et le Pakistan. En revanche, l'effectif de la MINUSMA sera conséquent : 12 000 hommes. Je rappelle qu'à l'ONU il n'y a pas d'état-major conséquent (100 officiers seulement, pour 100 000 hommes déployés !) ni de chaîne de commandement à proprement parler, et que la MINUSMA sera dirigée par un civil : ce n'est pas une force de combat, mais de stabilisation et de présence.

La stabilisation politique du Mali se joue en ce moment-même à Ouagadougou, où sont notamment présents, aux côtés des parties maliennes concernées, le représentant spécial des Nations unies Bert Koenders, le médiateur de la CEDEAO, le Président burkinabé Blaise Campaoré, et le représentant spécial de l'Union africaine Pierre Buyoya. Le contentieux ancien entre les Touaregs et Bamako doit être dépassé par une solution politique négociée qui permette le retour dans le Nord de l'administration malienne, afin d'avoir des élections légitimes ouvrant la voie à la réconciliation. La négociation est difficile mais le MNLA pourrait accepter une solution si de très fortes garanties lui sont données. Les Nations unies doivent être en première place pour cette reconstruction, qui prendra du temps. Notre intérêt est de nous désengager partiellement.

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