Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées

Réunion du 12 juin 2013 : 1ère réunion

Résumé de la réunion

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La réunion

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La commission auditionne le contre-amiral Antoine de Roquefeuil, secrétaire général du Conseil supérieur de la réserve militaire.

Le compte rendu sera publié ultérieurement.

La commission auditionne M. Gérard Araud, ambassadeur, représentant permanent de la France auprès des Nations unies.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

Monsieur l'ambassadeur, c'est avec un très grand plaisir que nous vous accueillons devant notre commission. Nous avons pour habitude de vous rencontrer chaque année à New York à l'occasion du déplacement d'une délégation de la commission à l'assemblée générale de l'ONU.

Je tenais tout d'abord à vous remercier pour l'accueil que nous y recevons et pour la très remarquable organisation de ces missions qui constituent un point d'orgue et qui nous permettent, en quelques jours, de recueillir les analyses des principaux acteurs diplomatiques à l'ONU, que ce soient vos homologues représentants permanents ou les principaux responsables de l'ONU, dont le secrétaire général. Ces informations sont complétées par les entretiens que nous avons avec vous-mêmes et avec votre équipe dont je souligne l'extrême qualité des hommes et des femmes qui la composent.

Je rappelle brièvement qu'avant d'occuper ce poste vous avez été notre ambassadeur en Israël et Secrétaire général adjoint du ministère en charge, en particulier, des affaires politiques et de sécurité. Mais votre carrière vous a également conduit à être notre représentant permanent adjoint auprès de l'OTAN et directeur des affaires stratégiques du ministère. Ce parcours, dont je n'ai cité que les grandes lignes, s'appuie sur une formation dont tous nos diplomates ne disposent pas puisque vous êtes issu de l'école polytechnique avant de sortir de l'ENA.

Les sujets que vous êtes amenés à traiter à l'ONU sont extraordinairement vastes. Nous ne pourrons donc, bien évidemment, tous les aborder. Je souhaiterais que nous puissions nous concentrer sur les deux grands sujets de l'actualité que sont la Syrie et le Mali. Mes collègues ne manqueront pas de vous interroger sur d'autres points.

Avant d'aborder ces deux grands sujets d'actualité, je souhaiterais connaître votre opinion sur l'image qu'a notre pays à l'ONU et comment est ressenti l'impact des décisions qui ont été annoncées dans le Livre blanc qui définit notre stratégie en matière de sécurité et de défense. Monsieur l'ambassadeur, c'est à vous.

Debut de section - Permalien
Gérard Araud, ambassadeur, représentant permanent de la France auprès des Nations unies

S'agissant de l'image de la France aux Nations unies, Serval a frappé les esprits. Tout le monde a conscience que la France est un des seuls pays non seulement capable mais aussi décidé à agir avec un tel niveau d'efficacité. Nous sommes en quelque sorte victimes de notre succès : le Premier ministre de la République centrafricaine (RCA) a, depuis, lancé un appel poignant à l'intervention dans son pays. Les émergents ont une politique étrangère qui reste marquée par la rhétorique des années 70, souvent anti-occidentale, et prônant le dialogue plus que l'action. Ils veulent la puissance, mais ne veulent pas en payer le prix. Donc ce prix retombe souvent sur nos épaules. Il faut dire que l'Afrique francophone traverse une crise profonde, qu'il s'agisse de la RCA, du Mali, de la République démocratique du Congo (RDC)...

Nous vivons aussi sous les sarcasmes de certains de nos partenaires : l'Europe qui était autrefois une partie de la solution est devenue une partie du problème, or les Européens n'ont pas manqué pendant des années de donner des leçons aux autres... L'Union européenne en tant que telle n'a jamais eu une image forte aux Nations unies, dont elle finance 40 %, mais qui est une organisation qui repose largement sur les nations, et au sein de laquelle la France conserve une image positive.

Concernant la Syrie, le régime tient, et ce pour plusieurs raisons. Tout d'abord, parce qu'il utilise la violence sans limite, contrairement à ce qui s'était passé en Égypte ou en Tunisie : les avions et hélicoptères survolent les quartiers civils, puis ces mêmes quartiers sont bombardés, on constate des violations du droit international, une utilisation d'armes chimiques et de gaz ... Il y a réellement une escalade de la violence. Ensuite, une partie substantielle de la population soutient le régime (les Alaouites, les minorités ...). C'est une sorte de lutte pour sa survie, pas nécessairement une adhésion de principe, plutôt la peur des conséquences de la chute d'Assad.

Également, le régime syrien bénéficie d'un soutien massif de l'étranger, en particulier de l'Iran dont l'engagement est total depuis l'automne 2012. Le soutien est notamment financier, puisque la Syrie vit à crédit de l'Iran. Autre raison, l'opposition est divisée, fragmentée, et ne bénéficie d'aucun parti politique ni de personnalité unificatrice. Ceci est compréhensible quand on se rappelle les persécutions de cette opposition pendant cinquante ans. La division est également intérieure et extérieure. Au final, ce sont les radicaux qui prennent le dessus. Les guerres civiles ne sont pas gagnées par les centristes. On peut faire un parallèle avec la guerre d'Espagne ! Enfin, un des problèmes est que les États-Unis ne veulent pas intervenir et n'interviendront pas !

Donc il y a une inquiétude, au-delà de la souffrance du peuple syrien, qui est l'extension potentielle de la crise à la région. Elle a déjà commencé à avoir des répercussions en Irak, comme le montre le bras de fer entre sunnites et chiites, ainsi que le transit via le territoire irakien des armes iraniennes, ainsi qu'au Liban, qui résiste cependant de façon remarquable, néanmoins 25 % de sa population est constituée de réfugiés et une partie de son économie reposait sur le tourisme arabe. La politique de distanciation explose avec l'engagement du Hezbollah aux côtés du régime syrien et risque d'aboutir à l'éclatement du Liban. Enfin, il pourrait y avoir des répercussions en Jordanie, mais les États-Unis ont marqué une ligne rouge en sanctuarisant, car si elle est contaminée, la crise pourrait toucher les territoires palestiniens et Israël.

La proposition russo-américaine de conférence me semble difficile à organiser, car les deux parties veulent aller jusqu'au bout. L'opposition ne peut accepter de gouvernement de coalition avec Assad, et, c'est le point de vue de certains de mes collègues, le régime actuel est en position de force et ne va pas céder. Les Russes le soutiennent sans hésitation car ils ne veulent pas que la Syrie tombe aux mains des islamistes. C'est pourquoi ils donnent des armes mais, également, des conseillers russes sont aux côtés du régime.

La situation est tragique, la Syrie s'effondre ! Le risque de « somalisation » existe, tout comme celui d'externalisation du conflit et de radicalisation de la ligne chiites/sunnites. Même Israël est contaminé par le retrait des Casques bleus du plateau du Golan. Il existe un risque réel de multiplication des accidents dans cette zone.

Au Mali, nous sortons d'une séquence réussie, reposant sur l'efficacité et le courage des forces françaises - et oserais-je le dire ?- sur l'habileté de notre diplomatie, qui a su obtenir des Nations unies le déploiement d'une opération de maintien de la paix : la mission des Nations unies pour la stabilisation du Mali (MINUSMA), qui aura un triple avantage : permettre le retrait des forces françaises ; matérialiser une prise de relai par la communauté internationale ; assurer la reconstruction du Mali dans la durée, à la fois sur le plan politique, avec un nouveau pacte national malien qui est nécessaire, et économique, avec un développement à penser à l'échelle régionale. Il faut dire que beaucoup d'États de la région, et notamment l'Algérie, ont longtemps fermé les yeux sur le développement du terrorisme et des trafics.

Le transfert d'autorité à la MINUSMA au 1er juillet sera largement virtuel, puisque ce n'est qu'au 31 décembre que l'effectif des 12 000 hommes sera atteint. L'originalité de cette opération, qui expliquait d'ailleurs les réticences tant du Secrétariat général que de certains partenaires -marqués par les précédents somalien ou afghan -, réside dans ce qu'il n'y a pas à proprement parler de « paix » à maintenir. La qualité de cette force sera relative, mais cela tient au fait que les occidentaux ne mettent plus de forces sous Casques bleus. La France, qui a des Casques bleus au Liban, n'est que 14e contributeur, pas un soldat Allemand ou Britannique n'est sous Casque bleu, et les quatre premiers pays contributeurs sont le Bengladesh, le Nigéria, l'Inde et le Pakistan. En revanche, l'effectif de la MINUSMA sera conséquent : 12 000 hommes. Je rappelle qu'à l'ONU il n'y a pas d'état-major conséquent (100 officiers seulement, pour 100 000 hommes déployés !) ni de chaîne de commandement à proprement parler, et que la MINUSMA sera dirigée par un civil : ce n'est pas une force de combat, mais de stabilisation et de présence.

La stabilisation politique du Mali se joue en ce moment-même à Ouagadougou, où sont notamment présents, aux côtés des parties maliennes concernées, le représentant spécial des Nations unies Bert Koenders, le médiateur de la CEDEAO, le Président burkinabé Blaise Campaoré, et le représentant spécial de l'Union africaine Pierre Buyoya. Le contentieux ancien entre les Touaregs et Bamako doit être dépassé par une solution politique négociée qui permette le retour dans le Nord de l'administration malienne, afin d'avoir des élections légitimes ouvrant la voie à la réconciliation. La négociation est difficile mais le MNLA pourrait accepter une solution si de très fortes garanties lui sont données. Les Nations unies doivent être en première place pour cette reconstruction, qui prendra du temps. Notre intérêt est de nous désengager partiellement.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

Nos contacts avec des représentants touaregs puis avec des élus maliens nous ont permis de mesurer l'antagonisme qui les oppose et les difficultés de la réconciliation.

Debut de section - PermalienPhoto de Jeanny Lorgeoux

Je tiens à saluer le travail diplomatique que vous avez effectué, qui a permis et facilité la décision du Président de la République d'intervenir au Mali. Quelle est la part de l'Afrique dans les débats au Conseil de sécurité et à l'Assemblée générale ? Y a-t-il systématiquement un vote africain avec la France ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Berthou

Comment la MINUSMA va-t-elle concrètement soutenir le processus politique au Mali et en particulier les élections présidentielles et législatives ? Le déploiement de la MINUSMA à Kidal pourrait-il être accéléré pour ne pas laisser Serval seul entre le marteau et l'enclume (armée malienne et MNLA) ? Quelle place sera faite aux contingents tchadiens, mauritaniens et nigériens dans la MINUSMA ?

Debut de section - PermalienPhoto de René Beaumont

Je voulais également vous interroger sur l'aura de la France aux Nations unies en particulier vis-à-vis des pays africains.

Debut de section - Permalien
Gérard Araud, ambassadeur, représentant permanent de la France auprès des Nations unies

L'Afrique représente 70 % de l'activité du Conseil de sécurité des Nations unies, signe des crises qu'elle traverse. Dans la mesure où les résolutions sont présentées par les États-membres, cela amène la France à être à l'origine de 60 % des textes, concernant par exemple le Mali, la Côte d'Ivoire, la RDC ou la RCA. Le membre africain francophone du Conseil de sécurité vote souvent avec la France. En revanche, à l'Assemblée générale, organisée en groupes géographiques, les Africains font bloc, francophones et anglophones, et il est fréquent que les États francophones d'Afrique votent contre la France. Il est d'ailleurs difficile d'y faire exister la francophonie. J'ajoute que l'Afrique du Sud, traditionnelle tenante de l'«Afrique aux Africains » et luttant systématiquement contre tout ce qu'elle considère comme du « néocolonialisme », a récemment donné des signes de bonne volonté, comme l'a montré l'invitation du Président de la République française au cinquantenaire de l'Union africaine à Addis-Abeba.

Sur la question des élections maliennes, le secrétariat général des Nations unies a plutôt tendance à considérer que les dates du 28 juillet et 11 août sont irréalistes, que les listes électorales sont incomplètes, ou que le nombre de déplacés et réfugiés est trop important pour tenir les élections dans de bonnes conditions. La position française est différente, dans la mesure où les élections sont indispensables pour asseoir la légitimité du pouvoir politique à Bamako -notamment face aux putschistes- et permettre un règlement politique de la crise malienne. Le vote à Kidal est nécessaire, car bien que faible en proportion (49 000 électeurs sur 8 millions), il pose une question de principe et de légitimité.

Dans le scénario optimiste, le vote se déroule le 28 juillet et la sécurité est assurée à Kidal par un contingent sans doute minimal de Casques bleus et les forces françaises. L'intégration du contingent mauritanien à la MINUSMA achoppe aujourd'hui sur le refus malien de voir les troupes mauritaniennes stationner, en territoire malien, à la frontière avec la Mauritanie. Les deux pays ont leur propre politique touarègue et arabe. Le problème du Tchad est différent : les Nations unies ont des processus de certification des contingents qui reposent sur le respect des droits de l'homme, et la question des enfants soldats dans les forces tchadiennes est aujourd'hui un blocage que nous devons faire disparaître en accélérant la réintégration sociale de ces enfants, conformément aux valeurs que nous défendons.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Gournac

La France paiera 7,5 % de la MINUSMA en vertu de sa quote part de membre du conseil de sécurité : qu'est-ce que cela représentera ?

L'accord en cours de négociation entre la MINUSMA et les forces françaises semble protéger notre l'autonomie de décision et de chaine de commandement de SERVAL : pouvez-vous nous détailler les garanties qui seront apportées ?

Debut de section - PermalienPhoto de André Vallini

Vous nous avez indiqué que la position de Poutine, sur la Syrie, est une préférence pour Assad plutôt que pour les islamistes. Lors de son audition devant notre commission il y a quelques mois, votre ministre, M. Laurent Fabius, estimait, quant à lui, que l'attitude russe était liée à une volonté d'existence, de puissance sur la scène internationale de Vladimir Poutine, qui nécessitait donc d'aller à contre-courant. Qu'en pensez-vous ?

Ensuite, pouvez-vous faire le point sur la réforme des statuts de l'ONU, en particulier du Conseil de sécurité, et de la demande du Japon et du Brésil d'intégrer le cercle des membres permanents ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

Les propos de M. Laurent Fabius s'appliquaient à la psychologie diplomatique russe en général, non pas à M. Vladimir Poutine en particulier.

Debut de section - PermalienPhoto de Joëlle Garriaud-Maylam

S'agissant de la Syrie, pourriez-vous faire un point sur l'aide aux populations civiles et les appels de fonds ?

Ensuite, quel est votre avis sur la décision de retrait de la France de l'ONUDI, qui fait pourtant un bon travail et dont la part financière est assez basse, puisque la contribution de la France s'élève à 7 millions sur 850 millions ? Pourquoi ce choix et ne risque-t-il pas d'y avoir un impact symbolique similaire à celui du retrait des États-Unis de l'UNESCO ?

Concernant l'usage du français à l'ONU, ne constatez-vous pas une déperdition ? Seules 7 % des offres d'emploi à l'ONU exigent de parler français, contre 87 % pour l'anglais !

Enfin, quel est votre point de vue sur le travail d'ONU femmes en Afrique ?

Debut de section - PermalienPhoto de Kalliopi Ango Ela

Y a-t-il des enfants soldats tchadiens au Mali ?

Au-delà de la question des droits de l'homme au Tchad, n'y a-t-il pas également le souci de réduire l'influence du Tchad, en particulier en Afrique centrale, puisque ses succès militaires ont pu lui donner une certaine aura, une influence en Centrafrique ?

Enfin, quelles sont les décisions prises à l'ONU concernant la Centrafrique, qui semble bien délaissée ?

Debut de section - Permalien
Gérard Araud, ambassadeur, représentant permanent de la France auprès des Nations unies

Notre contribution de 7,5 % fait de la France le troisième contributeur au financement des opérations de maintien de la paix après les États-Unis et le Japon. Le budget de l'opération, tel que planifié pour 2013, est de 454 millions de dollars, soit une quote-part française pour 2013 de 30 millions environ. À cela il faut ajouter les coûts de lancement de l'opération, soit, en année pleine, un coût total compris entre 500 et 550 millions. J'en profite pour ouvrir une parenthèse sur la question des contrats. Selon leurs règles, les Nations unies ont le choix soit de passer des appels d'offre, soit de conclure des accords de gouvernement à gouvernement. Cette dernière solution a leur préférence car elle est plus rapide à mettre en place. L'ONU a donc proposé au gouvernement français ce type d'accord, dont la base serait la livraison d'une quantité déterminée d'eau ou autre par jour, contre paiement par l'ONU, à charge pour la France de s'occuper des relations avec ses fournisseurs. Bercy n'accepte pas cette procédure qui serait une violation du code des marchés publics et une garantie implicite accordée aux entreprises, or ceci doit être acté en loi de finances. Le ministère des affaires étrangères lutte depuis 2 mois pour essayer de trouver une solution, mais l'ONU s'impatiente. Nous sommes le seul pays à refuser à l'ONU cette solution ! J'ai alerté le ministre sur cette question, car nous allons perdre des contrats car nous n'avons pas le bon montage juridique.

Concernant la force française et celle des Nations unies, il n'y a aucun élément de subordination entre les deux. Nous sommes en train de négocier un accord pour nous permettre de venir en aide, le cas échéant, aux Nations unies, celui-ci précise que c'est la France qui prend, au final, la décision ou non d'intervenir, et que cette intervention n'est possible qu'en dernier recours. En outre, ce n'est pas une force, nous parlons de capacités, nous ne nous engageons pas à garder un certain nombre de militaires sur place pour les Nations unies, nous pouvons faire appel à des unités basées ailleurs.

S'agissant de la Russie, j'approuve les propos tenus par M. Laurent Fabius. La diplomatie russe est ancienne et son analyse est fondée sur l'idée de jeu à somme nulle. C'est une diplomatie légaliste, juridique, marquée par le précédent. Leur obsession est que rien ne ressemble à l'Irak, d'où leur opposition sur la Syrie. À leurs yeux, une bonne diplomatie est cohérente et fiable, et c'est ce qu'est la leur sur la Syrie. Sur la Libye, certainement qu'ils auraient voulu s'opposer à l'intervention, mais les pays africains comme arables étaient pour.

Concernant la réforme du Conseil de sécurité, seuls la France et le Royaume-Uni y sont favorables, pas par altruisme, mais pour légitimer notre présence, à vingt ans, dans un monde totalement changé. Les trois autres membres permanents s'opposent à l'élargissement, la Chine est le pays le plus virulent à cause de l'Inde et du Japon, les pays moyens sont également contre, et les pays africains aussi, qui ne veulent pas favorise l'hégémonie d'un seul pays. Donc la réforme est bloquée ! D'où une idée, émise par la France il y a quelques années, qui pourrait être de créer des mandats de cinq à sept ans. Mais ce n'est pas mis en oeuvre, même si tout le monde commence à comprendre qu'il n'y aura pas de réforme prochaine. Certains pays, comme l'Allemagne, sont prêts à se rendre à notre solution intermédiaire. Pour d'autres, un siège permanent relève du droit divin.

S'agissant de la population civile syrienne, il y a entre 8 et 10 millions de déplacés. C'est un véritable chaos, toute aide à travers les frontières est interdite au nom de la souveraineté nationale et seul un nombre restreint d'associations humanitaires sont autorisées. Tout passe par le Croissant rouge syrien qui fait un travail admirable.

La contribution de la France à l'ONUDI s'élève à 7 millions d'euros, et c'est énorme pour le budget du ministère ! Déjà quelques pays se sont retirés, comme la Grande-Bretagne et les Pays-Bas, nous avons dû faire un choix de mauvais coeur, et il nous a semblé que le retrait de l'ONUDI était celui qui aurait le moins de conséquences.

Concernant la part du français à l'ONU, elle décline, effectivement, les gens le parlent de moins en moins. Certains pays, qui imposaient le français pour accéder au corps diplomate, ne l'exigent plus désormais. Je voudrais que le français soit imposé au moins pour les opérations de maintien de la paix en milieu francophone, ce n'est pas nécessairement le cas car les recruteurs ne le sont pas. C'est un combat de tous les jours, une question de bon sens ! Mais il est vrai aussi, et c'est problématique, qu'il n'y a pas beaucoup de contingents francophones. À Haïti, par exemple, il est impossible de recruter des contingents de police parlant français et, depuis le rattachement de la gendarmerie au ministère de l'intérieur, il n'y a pratiquement plus de gendarmes en opération de maintien de la paix.

ONU Femmes est une excellente organisation qui traite des questions de genre et aussi des questions sexuelles. Le viol est utilisé comme arme de guerre dans certains pays, comme la République démocratique du Congo, et c'est vraiment dramatique. Il y a aussi la volonté, dans les pays africains, d'impliquer les femmes dans le processus de réconciliation dans les communautés.

Il n'y a pas d'enfants soldats tchadiens au Mali, mais il y en a au sein de l'armée tchadienne. La représentante spéciale pour les enfants soldats a proposé un plan d'action qui vise à d'abord identifier les enfants au sein de l'armée puis les réintégrer socialement. S'agissant de la RDC, le problème est que dès qu'il y a affrontement dans les Kivu, il y a recrutement d'enfants soldats par les mouvements. Et c'est d'autant plus sauvage qu'on les oblige à tuer dans leur propre village pour empêcher tout retour ensuite.

Enfin, s'agissant du problème tchadien, il se pose surtout en République centrafricaine où se passe une grave crise entre musulmans et chrétiens. La chute de Bangui est analysée comme une avancée du Tchad et du Soudan, d'autant plus que les quartiers musulmans ont été épargnés et les églises détruites. Le problème est qu'il n'y a aucun intérêt politique international pour la République centrafricaine. C'est une tragédie, et il y a une forte attente vis-à-vis de la France. Si nous ne souhaitons pas intervenir, alors il faut que ce soient les Africains qui y aillent en demandant un financement des Nations unies.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Chevènement

Vous avez indiqué que le conflit syrien se dénouerait sur le terrain, ce qui ne saurait être qu'un pronostic, mais pas la position de la France, qui doit privilégier une solution politique. Dans une guerre civile, de religion, comme c'est aujourd'hui le cas en Syrie, l'histoire nous apprend que des trêves peuvent exister et sont préférables aux massacres. Face à ces situations très complexes, nous devons tout faire pour augmenter les chances de succès de la Conférence de Genève, même si elles sont très faibles. Pourquoi s'opposer à la présence de l'Iran, protagoniste indirect au conflit, à la table des négociations ? Les livraisons d'armes sont-elles toujours d'actualité ?

La position russe me semble largement déterminée par un rejet de l'islamisme radical, très compréhensible dans un pays où 20 % des citoyens sont musulmans, voisin du Caucase et de l'Asie centrale. Nous avions besoin des Russes pour les résolutions sur la MINUSMA. Lors de leur rencontre récente, les présidents français et russes ont partagé le même objectif : éviter en Syrie une république islamiste radicale. L'opposition syrienne donne le spectacle d'une extraordinaire division.

Lors d'un récent déplacement en Algérie, nous avons pu mesurer la crainte dans ce pays, et au Maghreb plus largement, des conséquences d'un futur retour au pays des djihadistes tunisiens ou libyens présents aujourd'hui en Syrie. La situation de la Libye me paraît très inquiétante : surmonter les conséquences de notre intervention, sur le fondement de la résolution 1973 -dont l'interprétation aurait pu être différente-, relève du casse-tête. La légalité internationale est fondée sur le respect de la souveraineté des États ; la responsabilité de protéger doit être appliquée avec doigté.

S'agissant, enfin, de la réforme du Conseil de sécurité, il me semble que l'on pourrait permettre que le mandat des membres élus soit prorogé, ce qui serait une réforme moins radicale mais peut-être tout aussi efficace.

Debut de section - Permalien
Gérard Araud, ambassadeur, représentant permanent de la France auprès des Nations unies

Nous travaillons naturellement au succès de la Conférence Genève II, notamment en tentant de structurer l'opposition syrienne, émiettée et fragmentée par cinquante années de persécutions. Le jeu complexe des États de la région -les Saoudiens jouant contre les Frères musulmans, eux-mêmes défendus par les Qataris et les Turcs- ne simplifie pas le travail que nous menons à Istanbul depuis des mois, sans beaucoup de succès. Je n'ai jamais caricaturé la position russe, qui est celle d'un soutien au régime, faute d'alternative.

Le respect de la souveraineté des États, fondement même des Nations unies, connaît même un regain de vigueur depuis 2003. Après des années de paralysie de l'ONU par la guerre froide, on a vu, dans la période 1991-2003 une sorte de triomphe de l'Occident. L'intervention en Irak y a mis un terme ; depuis, le principe de souveraineté nationale est ardemment défendu, notamment par les émergents, qui font souvent bloc avec la Russie et la Chine contre tout ce qui est considéré comme une ingérence.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Chevènement

Cette méfiance a été avivée par l'interprétation que nous avons faite de la résolution 1973...

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Braun

Beaucoup des arguments échangés sur ce point sont à mon avis de mauvaise foi. La représentante américaine a clairement dit, au Conseil de sécurité, lors du vote de cette résolution, que nous allions prendre part au combat en détruisant les forces libyennes. Les États africains et arabes soutenaient l'intervention et Medvedev a tranché en faveur de l'abstention car il était impossible de s'y opposer. Kadhafi était un bouffon sanglant que personne ne pouvait soutenir. La position russe sur la Syrie est différente : d'une part Bachar el Assad n'a pas le même profil. D'autre part, des intérêts plus vitaux sont en cause.

La possibilité pour les membres élus du Conseil de sécurité de se représenter ne serait pas acceptable pour les petits pays, qui sont la majorité, sauf si on augmentait le nombre de sièges. Il faudrait dans ce cas passer de 15 à 25 sièges par exemple (de 3 à 6 Africains, de 3 à 6 Asiatiques, de 2 à 4 Latino-américains, par exemple) ce qui changerait la dimension du Conseil de sécurité.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Chevènement

Vous êtes mieux placé que quiconque pour en juger, mais il me semble que 20 membres sont un maximum.

Debut de section - PermalienPhoto de André Vallini

Vous avez évoqué les intérêts vitaux de la Russie en Syrie. Mais quels sont-ils ? M. Laurent Fabius a indiqué qu'il n'y en avait pas, si ce n'est la base militaire de Tartous.

Debut de section - Permalien
Gérard Araud, ambassadeur, représentant permanent de la France auprès des Nations unies

L'intérêt vital russe est de garder ses frontières exemptes d'États islamistes limitrophes du Caucase. La base de Tartous ou les ventes d'armes ne sont pas des intérêts vitaux. C'est uniquement une question religieuse, d'autant plus que les conflits se poursuivent dans certaines républiques comme la Balkarie ou le Daghestan, et qu'il y a des communautés arméniennes en Syrie.

La commission auditionne le général Bertrand Ract-Madoux, chef d'état-major de l'armée de terre.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

Le Livre blanc définit la stratégie de défense et de sécurité de notre pays. Cette stratégie a été approuvée par le Président de la République le 29 avril. Il en a confirmé les orientations devant l'IHEDN. Le Parlement en a débattu et l'a largement approuvé le 28 mai dernier.

Ces décisions ont été prises dans le contexte économique que nous connaissons. Elles ne cachent pas les difficultés auxquelles sont confrontées nos armées. Nous ne pouvons que nous féliciter de l'arbitrage rendu par le Président de la République d'établir un socle des dépenses de défense à 1,5% du PIB, niveau plancher que nous appelions de nos voeux et qui semblait à un certain moment compromis. Ceci ne nous empêche pas de poursuivre l'objectif de revenir à 2 % (norme OTAN) lorsque notre économie se redressera.

Mon général, nous attendons que vous nous exprimiez vos craintes, même si nous les connaissons en grande partie par la lecture de la presse.

Pour notre part, nous allons essayer de veiller à l'équité entre les différentes armées lors de la transcription des arbitrages du Président de la République dans la loi de programmation militaire. Un arbitrage global doit profiter de manière intelligente aux trois armées. Tout est question d'équilibre, d'objectifs et de but à atteindre.

Vous nous direz votre sentiment sur la poursuite des restructurations auxquelles les élus locaux que nous sommes ne peuvent rester insensibles même s'il est évident que la défense n'est pas principalement un outil d'aménagement du territoire. Nous souhaitons en tout cas que les actions de restructurations soient conduites avec moins de brutalité que celles qui ont été mises en oeuvre dans la période précédente au moment de la création des bases de défense.

Enfin, nous sommes très soucieux que l'examen de la Loi de programmation militaire (LPM) se déroule avant celui de la loi de finances pour 2014 qui en constituera la première annuité.

Général Ract-Madoux, chef d'état-major de l'armée de Terre. - Je vous remercie de m'offrir l'opportunité de m'adresser à la représentation nationale sur un sujet aussi capital pour l'avenir de notre pays que celui que représente le Livre blanc. J'y vois une marque d'intérêt profond pour l'armée de Terre et pour les défis qu'elle s'apprête à relever.

Votre invitation prolonge parfaitement l'état d'esprit de concertation et de dialogue qui a prévalu pendant toute la conduite des travaux de rédaction, auxquels j'ai été pleinement associé.

Prenant acte du paysage géopolitique international et considérant l'état des finances publiques de la France, le nouveau Livre blanc vient de définir la stratégie de défense et de sécurité nationale pour les prochaines années. Il fixe à l'armée de Terre un contrat opérationnel rénové et un format ajusté à l'aune des ressources financières envisageables. La loi de programmation militaire, qui sera examinée cet automne par le Parlement, constitue un enjeu crucial puisqu'elle conditionnera la cohérence des modèles d'armée à l'ambition stratégique de la Nation.

Or, l'état du monde, que le Livre blanc ne décrit ni moins instable ni moins incertain, mais surtout l'analyse rétrospective des conditions d'exécution de la loi de programmation militaire 2009-2014, me conduisent à appréhender l'avenir avec une grande prudence.

En effet, l'incertitude demeure entière. L'offensive djihadiste au Nord Mali le prouve. En parallèle, les succès militaires auxquels les forces terrestres contribuent, confortent la crédibilité de notre pays sur la scène internationale et démontrent qu'il dispose encore d'une forte autonomie stratégique. La France continuera donc à avoir besoin, parce qu'elles sont les plus employées, de troupe au sol, en quantité suffisante. Elles devront en outre être bien préparées et bien équipées pour répondre aux exigences du combat moderne et pour faire face à la dureté croissante des engagements.

Le bilan de l'exécution de la précédente loi de programmation militaire montre, quant à lui, l'écart, entre le niveau d'ambition affiché par le dernier Livre blanc et le montant de ressources, qui s'est finalement révélé insuffisant pour le satisfaire pleinement. Ce décalage s'est progressivement accentué, de façon sérieuse entre 2011 et 2013, affaiblissant notre modèle par des mesures d'économies constantes dans tous les domaines.

La raison nous impose donc d'être réalistes afin que la future loi de programmation militaire ne nous contraigne pas, une nouvelle fois, à revoir à la baisse le niveau d'ambition de la France. En effet, le risque d'un décrochage du nouveau modèle existe. Il porte sur la maîtrise de la masse salariale, le choix des équipements et sur le niveau des activités de préparation opérationnelle. Ce risque est d'autant plus élevé que le cadrage budgétaire repose sur des hypothèses de ressources exceptionnelles encore aléatoires.

Cela ne sera pas le cas pour 2014, je viens d'en avoir confirmation.

Général Ract-Madoux. - Le nouveau contrat opérationnel ne diffère pas fondamentalement du précédent. L'implication possible, sur le territoire national, de l'ordre de 10 000 hommes en renfort des forces de sécurité intérieure et de sécurité civile en cas de crise majeure et le maintien en alerte d'un échelon national d'urgence de 5 000 hommes, projetables dans des délais réduits, figuraient parmi les hypothèses d'emploi développées en 2008. En outre, depuis une dizaine d'années, plus de 7 000 soldats des forces terrestres sont engagés, quotidiennement et dans la durée, dans des opérations de gestion de crise, sur plusieurs théâtres simultanément.

En fait, le changement majeur du nouveau Livre blanc concerne la réduction du contrat opérationnel le plus dimensionnant. La contribution de l'armée de Terre à une opération de coercition majeure passera de 30 000 hommes à 15 000 hommes, atteignant dans les faits plutôt 20 000 hommes en incluant leur environnement logistique et les structures de commandement fixées par le Livre blanc. Ce passage justifie le resserrement de la force terrestre projetable qui devrait passer de 71 000 hommes aujourd'hui à environ 66 000 hommes demain.

Je vous propose de nous arrêter sur la soutenabilité de ce contrat car j'identifie en effet des limites et plusieurs risques, relatifs au niveau de ressources budgétaires, qui, s'il demeure au seuil de « stricte insuffisance » qui le caractérise ces dernières années, est susceptible de mettre à mal, d'emblée, les ambitions stratégiques de la France.

Par la force des évènements, l'armée de Terre, depuis une dizaine d'années, remplit un contrat opérationnel qui est très proche de celui qui lui est confié dans le nouveau Livre blanc, mais avec un volume de forces supérieur. Il est donc crucial de réaliser que, dans ces conditions, notre capacité à remonter en puissance entre deux interventions et à conduire simultanément plusieurs opérations ne seront pas les mêmes qu'aujourd'hui. En conséquence, avec l'équivalent d'une brigade interarmes en moins, tout en conservant l'intégralité du spectre des capacités, le modèle à 66 000 hommes conditionne, à un seuil de stricte suffisance, la faisabilité de ce nouveau contrat.

La réduction des effectifs imposée à l'armée de Terre par le nouveau format suit une pente malheureusement très similaire à celle qu'elle connaît depuis 2008. Ce niveau de déflation est ambitieux. Il n'est cependant pas inatteignable sous réserve de pouvoir disposer des bons leviers d'action. Il s'agit là d'une seconde limite de l'exercice. Ainsi, la préservation de la cohérence de notre modèle d'armée impose de préférer des dissolutions de formations au « saupoudrage » de réductions de postes qui déstructurerait en profondeur l'outil terrestre et ne générerait finalement pas les gains escomptés ni en effectifs ni en budget. La conséquence territoriale se traduira bien sûr par un accroissement inévitable des déserts militaires.

S'agissant des forces prépositionnées, le Livre blanc confirme heureusement leur rôle et leur importance, et suggère leur adaptation progressive. Les forces de présence en Afrique et dans le Golfe arabo-persique ont confirmé leur rôle essentiel, dans la majorité des opérations, cette année encore. Les forces de souveraineté des trois armées présentes outre-mer jouent un rôle majeur dans la protection de la population, dans la capacité de réaction aux crises et dans le lien armée-Nation. Je suis actuellement très attentif à ce que, au nom d`économies d'effectifs et de déflations ciblées, on ne laisse pas des parts importantes de la population nationale sans plus aucun contact avec les armées, dont l'armée de Terre bien sûr.

La réalité du cadrage budgétaire et les objectifs de déflation associés font peser un risque majeur sur le modèle futur des forces terrestres. La pression qui s'exerce, sous de nombreux angles, pour réduire la masse salariale, pourrait finalement se traduire par une charge de déflation excessive.

En premier lieu, le décompte des déflations réalisées au titre de la réforme précédente n'est pas complétement consolidé, donnant lieu à des visions divergentes (portant sur environ 1 000 postes) quant à la quantité de déflation restant à faire.

En second lieu, la part de l'armée de Terre dans les déflations dépasse le seul cadre de la force terrestre. L'adaptation capacitaire de la FOT au titre du nouveau Livre blanc s'accompagne d'une déflation de son format de plus de 6 000 postes. Toutefois, je dois également considérer la charge de déflation qui sera imputée aux services interarmées et aux directions du ministère et dont une partie importante portera inévitablement sur du personnel de l'armée de Terre, qui est omniprésent dans les services communs. Je redoute les éventuels transferts de charge qui pourraient s'opérer, si certains contributeurs n'atteignaient pas leurs propres objectifs. En outre une réduction d'effectifs « supplémentaire », non identifiée et imposée par le cadrage budgétaire pourrait alourdir encore le poids des suppressions d'effectifs.

Enfin, le principe du contingentement par grade, conjugué au principe d'auto-assurance du titre II, pourrait contraindre l'armée de Terre à une diminution drastique de l'avancement du personnel et à une réduction supplémentaire d'effectifs.

J'ai toute confiance dans le jugement du Ministre pour orienter de manière aussi pertinente qu'équilibrée la répartition des déflations au sein du ministère, elle est en effet capitale pour ne pas entamer la capacité opérationnelle future de l'armée de Terre et plus généralement des armées.

En l'espace de onze ans (2008 à 2019), 57 000 hommes et femmes de l'armée de Terre auront été touchés par les réformes, se traduisant par 35 000 suppressions de postes et 22 000 transferts. Sur la même période, l'armée de Terre aura subi de profondes transformations, sous l'impulsion de deux Livres blancs et de nombreuses réformes visant à rationaliser les politiques publiques. Le personnel de l'armée de Terre, sous l'impulsion de ses chefs, comprend encore les enjeux liés à ces changements. En dépit des difficultés, il les exécute avec une loyauté et une constance remarquables qui méritent d'être reconnues. Cependant, la multiplicité des réformes, leur simultanéité et leur ampleur sont ressenties comme fragilisant l'efficacité de l'outil de Défense. En réaction, notre communauté militaire ne masque pas ses préoccupations sur les conséquences de cette nouvelle adaptation capacitaire et sur les risques que fait peser un niveau de ressources contraint sur les conditions d'exercice du métier et sur la condition militaire. Les inquiétudes les plus vives agitent la communauté militaire quant à des recherches d'économies tous azimuts se traduisant par des menaces sur l'avancement, les rémunérations, les indemnités et les compensations pour charge de service. Il me semble crucial de conserver la confiance des hommes et des femmes de l'armée de Terre afin de limiter à son plus bas niveau le risque d'un rejet de la réforme. Ceci passe par le niveau de ressources strictement nécessaire à l'exercice de leur métier afin que soit assurée la juste satisfaction professionnelle qu'ils méritent. Ce sujet de la condition du personnel et du moral me semble porter des risques maximum pour l'avenir.

Le niveau de ressources prévu pour l'infrastructure ne me porte pas non plus à l'optimisme. En l'état actuel, la future LPM sera celle d'un renoncement d'une ampleur telle qu'il ne permettra pas de compenser le sous-entretien chronique résultant des exercices précédents et conduira à une dégradation progressive des conditions de vie et de préparation opérationnelle. L'armée de Terre anticipe donc des reports d'opérations d'infrastructures préjudiciables à l'achèvement, initialement prévu en 2013, du plan de réhabilitation de l'hébergement (Plan Vivien), lancé pourtant il y a 15 ans. Ce retard concerne la moitié de nos régiments et oblige à maintenir certains de nos militaires du rang dans des locaux à peine décents. Pour les mêmes raisons, l'adaptation des infrastructures de tir, dont l'objectif consiste à améliorer la qualité de la préparation opérationnelle dans un domaine aussi crucial que celui du tir au combat, ne pourra pas suivre le rythme que voulait imprimer l'armée de Terre alors qu'environ 30 millions d'euros suffiraient pour en achever l'adaptation. L'enveloppe infrastructures a diminué de moitié en un an.

Le principe d'autonomie stratégique consacre la nécessité de disposer des moyens adéquats pour garantir notre liberté d'action. Celle-ci repose en partie sur la possession d'équipements qui répondent aux caractéristiques des engagements terrestres prévisibles.

De ce point de vue, les opérations les plus récentes donnent raison aux choix capacitaires effectués ces dernières années. Ils montrent combien la volonté de préserver un spectre de capacités suffisant et combien les efforts consentis pour les moderniser sont justifiés autant par la nature que par l'issue militaire des engagements.

Le durcissement des opérations, la farouche détermination de nos adversaires et la proximité des populations imposent de donner à nos soldats un niveau de protection adapté à la menace et des moyens d'action et de combat qui garantissent à la fois la puissance des effets des armes et leur précision. Les équipements modernes le permettent. Qu'il s'agisse du char de combat Leclerc au Kosovo et au Liban, du canon autoporté Caesar, du véhicule blindé de combat d'infanterie ou de l'hélicoptère Tigre, en Afghanistan et au Mali, tous ces matériels portent une part déterminante dans le succès militaire de ces opérations. Par voie de conséquence, ils démontrent l'excellence industrielle de notre pays et renforcent surtout la crédibilité de la France sur la scène internationale.

En dépit de la volonté affichée dans le précèdent Livre blanc de porter un effort sur la modernisation des équipements terrestres, des mesures d'économies, imposées par le contexte budgétaire, se sont concrétisées par de nombreuses diminutions de cible et des reports de livraison. La réduction globale des équipements entre 2008 et 2013 s'élève en effet à environ 20 %. De fait, contrairement à ce qui est écrit dans le Livre blanc de 2008, l'armée de Terre n'a bénéficié d'aucune priorité. Les trajectoires envisagées dans le cadre de la future LPM risquent de confirmer cette tendance et feront apparaitre des réductions temporaires de capacité à partir de 2020.

Si le programme SCORPION semble aujourd'hui préservé, l'arrivée du véhicule blindé multi-rôles en 2018 et de l'engin blindé de reconnaissance et de combat en 2020 impose non seulement de passer les commandes de développement dès 2014, mais aussi de conserver une partie des parcs AMX 10 RC et VAB jusqu'en 2030. De même, la livraison du véhicule blindé d'aide à l'engagement (VBAE), envisagée à partir de 2030 au lieu de 2025, nécessitera de prolonger la durée de vie du véhicule blindé léger, perspective qui n'a pas été intégrée en construction budgétaire à ce stade. Les opérations hors SCORPION seront les plus touchées. La logistique terrestre, dont la faiblesse a déjà été identifiée lors de l'opération SERVAL, sera fortement dégradée par la sévère diminution de cibles et le report des livraisons des nouveaux camions et véhicules légers tactiques, à un point tel que le contrat opérationnel et les conditions de préparation opérationnelle pourraient être obérés à partir de 2018. En ce qui concerne le domaine aéronautique, le ralentissement du rythme de remplacement des hélicoptères d'ancienne génération (Gazelle et Puma) forcera encore le vieillissement de ces parcs dans la durée même si je me réjouis de la récente commande de la seconde tranche des NH90.

Le maintien en service des matériels les plus anciens, dont l'obsolescence est sans cesse repoussée au prix d'opérations de valorisation et de fiabilisation coûteuses, nécessite une maintenance de plus en plus onéreuse, car plus fréquente. Ce phénomène ne fait qu'amplifier des besoins croissants en entretien programmé des matériels, d'autant plus prononcés que lors de la LPM précédente, ce sont l'équivalent d'une année et demie d'EPM aéronautique et une demi-annuité d'EPM terrestre qui n'ont pas été réalisées. L'augmentation du besoin en maintenance est justifiée par deux facteurs. Le premier est lié à l'arrivée des matériels de nouvelle génération dont les coûts de soutien sont malheureusement plus élevés que leurs prédécesseurs : l'utilisation du Tigre coûte quatre fois plus cher que celle de la Gazelle, bien que le Tigre soit l'aéronef d'appui au sol le plus employé et le moins coûteux. Le second facteur concerne le niveau d'engagement opérationnel : ainsi, pour les hélicoptères, ce sont trois années de potentiel qui sont consommées en seulement six mois de mission. Or, le cadrage budgétaire actuel ne permet pas d'assurer le soutien des équipements nécessaires à la mise en oeuvre du contrat décrit dans le nouveau Livre blanc.

Pour réaliser le seul niveau d'activité 2013, qui n'est pas satisfaisant en termes de norme d'entrainement, il manque de l'ordre de 23 millions d'euros par an, pour les matériels terrestres, et de l'ordre de 19 millions d'euros par an, pour les matériels aéronautiques. Pour revenir au niveau nominal d'activité, le besoin s'élèverait respectivement à 84 millions d'euros pour les équipements terrestres et 47 millions d'euros par an en moyenne pour les hélicoptères.

L'armée de Terre a déjà mis en place des solutions visant à optimiser l'emploi de ses équipements pour rationaliser, contenir voire diminuer, les coûts d'entretien grâce à la politique d'emploi et de gestion des parcs (PEGP), grâce au recours à des véhicules ou à des aéronefs de substitution, à la simulation et à la préparation opérationnelle différenciée et décentralisée. Il ne serait pas raisonnable d'imaginer que ces politiques puissent générer davantage d'économies, au moins en ce qui concerne l'armée de Terre.

Nous sommes donc engagés dans « une course contre la montre » dont l'issue conditionnera la soutenabilité du modèle en termes d'équipement. Tout allongement supplémentaire de la durée d'utilisation des matériels anciens, consécutif à l'ajournement de livraison des équipements nouveaux se traduira mécaniquement par son incapacité à remplir la totalité de son contrat opérationnel.

En outre, il ne faut pas se cacher le fait que chaque report et chaque diminution de cible ont un impact certain sur l'efficacité opérationnelle de nos troupes. Il est d'ailleurs difficile de ne pas imaginer qu'elles aient, par voie de conséquence, des effets sur la protection de nos hommes en opérations et donc leur vulnérabilité.

Toutefois, l'entraînement reste le meilleur bouclier de nos soldats. Il ne serait pas raisonnable de courir le risque de le limiter à un seuil inférieur au besoin. La préparation opérationnelle repose aujourd'hui sur une organisation efficiente déjà rationalisée, articulée autour d'un outil de formation et d'entraînement performant et adapté. Ce système tire toute son efficacité de la complémentarité d'un entraînement conduit autant en garnison qu'en centres spécialisés, en métropole comme outre-mer. Il applique le principe de préparation différenciée, consistant à ajuster le niveau d'entraînement des unités à la spécificité et à la dangerosité des théâtres d'engagement. Ce principe de réalité, d'abord imposé par un impératif de maîtrise des coûts, répond aux exigences du contrat opérationnel. En contrepartie, l'aptitude à l'engagement exige pour l'armée de Terre une cible de 90 journées de préparation opérationnelle (JPO) financées par une enveloppe de 230 millions d'euros. En l'état actuel, les perspectives budgétaires nous permettent d'atteindre seulement une cible de 83 JPO au lieu de la référence pour 2013 de 90 JPO. Cet écart est significatif en termes d'aptitude opérationnelle, pour une économie finalement très relative, de l'ordre de 20 millions d'euros. Le niveau de 120 jours d'engagement opérationnel ne pourra donc être atteint qu'en ajoutant un minimum de 30 jours d'engagement en opérations extérieures, accessible si le niveau des opérations extérieures se maintient. Enfin, 200 heures de vol constituent un minimum pour prendre en compte les spécificités de l'entraînement des pilotes de l'aviation légère de l'armée de Terre, dont l'aptitude de vol tactique de jour comme de nuit au-dessus de la terre ou de la mer. Ce niveau alignerait nos pilotes sur ceux de l'armée de l'Air mais serait encore inférieur aux normes retenues pour les pilotes d'hélicoptères de la Marine (220 HdV).

La soutenabilité du contrat repose sur la cohérence du modèle qui est conditionnée par le niveau de ressources qui sera alloué à l'armée de Terre pour financer ses effectifs, entraîner et équiper ses hommes, en définitive leur assurer des conditions d'exercice de leur métier qui répondent au niveau d'exigence des missions qui leur sont confiées. La construction de la future LPM imposera nécessairement des choix au sein de la mission de Défense et entre les différents milieux, dans un contexte de ressources limitées. Je suis donc très préoccupé par la nature des arbitrages qui seront proposés. J'estime pour ma part raisonnable que les choix portent sur les équipements les plus utiles car les plus employés en opérations et permettent de maintenir la préparation opérationnelle à son niveau seuil. L'acquisition et la mise en service de programmes importants mais répondant davantage à une logique de statut que d'emploi, me semblent pouvoir, quant à eux, absorber quelques décalages générateurs d'économies précieuses.

Pour conclure, le dernier risque que j'entrevois concerne la finalisation de la réforme en cours et les conditions dans lesquelles garantir son succès et son acceptabilité. Dans ce cadre, il me semble raisonnable de ne pas précipiter la mise en place d'une nouvelle organisation de la gouvernance de la Défense alors que la précédente réforme n'est pas encore achevée et de consacrer un temps suffisant à la réflexion avant de rénover à nouveau un système qui finit de se mettre en place et qui commence tout juste à fonctionner correctement.

La réforme de la gouvernance du ministère, souhaitée par le ministre de la Défense, doit donc s'attacher, comme il a tenu à le préciser, à conserver la priorité à la finalité opérationnelle. Dans ce cadre, il me semble important de maintenir l'autorité actuelle des chefs d'état-major d'armées et de consolider leurs responsabilités, notamment financières. Ils sont les mieux armés pour préserver la condition de leur personnel et pour accompagner auprès d'eux les nouveaux changements. Ils se sentent en effet, quoiqu'il advienne, responsables de la vie et de la mort de leurs soldats, quelle qu'en soit la cause.

L'armée de Terre, aux côtés des autres armées, a démontré son efficience, bâtie sur un niveau de ressources devenu « juste insuffisant », et dont l'excellent ratio coût-efficacité demeure un atout incomparable pour notre pays. J'ai donc l'honneur de vous demander de m'aider à veiller sur ce fragile équilibre.

Debut de section - PermalienPhoto de Gilbert Roger

J'ai bien entendu l'alerte que vous avez faite auprès de vos collègues et de l'état-major et qui a aussi été rendue publique par la presse, mais je n'ai pas le souvenir que vous soyez intervenu avec le même degré d'inquiétude au moment de l'ancien Livre blanc et de la RGPP qui me donnaient l'impression de tailler dans les effectifs de façon importante. Qu'est-ce-qui dans la méthode vous aurait fait réagir et quelles sont vos préconisations pour les arbitrages à venir ?

S'agissant des bases de Défense, quel est votre sentiment du moral et sur la prise de pouvoir de l'administration sur l'opérationnel ?

Debut de section - PermalienPhoto de André Vallini

Quelle mesure préconiseriez-vous dans la LPM pour faire face à la judiciarisation qui touche le monde militaire après d'autres ? Que préconiseriez-vous quant au recours à des sociétés militaires privées ? Enfin, question « exotique », que pensez-vous de cet article « surréaliste » du Monde sur un risque de « complot » militaire ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jeanny Lorgeoux

La contraction du format pose la question de la coordination en opérations de nos forces avec les forces locales ou des forces régionales. Comment rendre plus efficace notre coopération militaire notamment en Afrique ?

Debut de section - PermalienPhoto de André Trillard

Dans le cadre des réductions de personnels, est posée la question des carrières courtes et derrière celle du rapport coût /temps de formation/efficience sur le terrain. Quelle est votre appréciation sur ce sujet ? Quelles conséquences en attendre en termes d'avancement et des carrières des militaires ?

Général Ract-Madoux. - Je suis le premier désolé que deux documents importants adressés au ministre de la Défense et au chef d'état-major des Armées, et à eux seuls, se soient retrouvés l'un sur le blog d'un hebdomadaire et l'autre traduit sous forme d'un article publié dans le Monde. Ce n'était, jusqu'ici, pas l'usage au ministère de la Défense.

Quant à l'article publié dans le même journal le lendemain, il faisait suite aux affabulations d'un groupuscule extrémiste qui « fantasmait », via internet, sur l'idée d'un putsch. Les généraux visés sont bien évidemment consternés d'être ainsi pris en otage. Je trouve pour ma part ce type d'attaques d'autant plus regrettable et lamentable que ces généraux sont d'une loyauté irréprochable.

S'agissant de la RGPP et du précédent Livre blanc, j'occupais, au moment de leurs lancements, un poste au sein d'une direction du ministère où il n'est pas particulièrement d'usage de s'exprimer publiquement. Quand j'ai pris mes fonctions de chef d'état-major de l'armée de Terre, j'ai pu constater l'ampleur de la réforme et à quel point elle s'était appliquée avec sévérité. Je m'en suis d'ailleurs fait l'écho auprès des commissions parlementaires dès mes premières auditions. C'est pourquoi, lorsque j'ai réalisé que la situation semblait se reproduire, j'ai tenu à rappeler combien chaque armée était fondamentalement différenciée par la nature de son personnel, par ses missions et par son milieu. Compte tenu de ces différences fondamentales, il n'est pas illogique que les chefs d'état-major expriment des priorités différentes et proposent des solutions qui leur soient propres pour atteindre les objectifs fixés, y compris ceux relatifs aux économies budgétaires. Ma préoccupation consiste donc à convaincre le chef d'état-major des Armées et le ministre de la Défense, des besoins spécifiques de l'armée de Terre et du bien-fondé des choix qu'elle formule pour remplir ses objectifs.

Concernant l'armée de Terre, la préservation d'un format minimum est essentielle pour conserver la cohérence et donc l'efficacité de l'outil. Il me semble que nous sommes arrivés à un seuil « plancher » pour un pays de plus de 65 millions d'habitants. Mon objectif consiste donc à réduire le moins possible le nombre d'unités car je crains que la recréation de régiments dans le futur ne relève de l'utopie. Au-delà des déflations d'effectifs à effectuer, qui pourraient dépasser 10 000 hommes pour l'armée de Terre, et des trajectoires contraintes sur les équipements, je redoute également des réductions drastiques sur les budgets de fonctionnement (activités, habillement, équipement individuel...). Il s'agit de domaines dans lesquels nous sommes particulièrement vulnérables compte tenu du faible volume des budgets afférents. Ma préconisation consiste donc à laisser à chaque armée la liberté de proposer les options lui permettant d'atteindre les objectifs d'économie fixés. J'ai conscience que le calendrier très serré rend cette préconisation difficile à mettre en oeuvre.

S'agissant des bases de Défense, l'expérimentation, consistant à confier à un officier général en fonction la responsabilité d'une base de Défense, donne de remarquables résultats. Elle introduit un échelon de synthèse de bon niveau entre l'opérationnel et le soutien. En outre, elle place réellement le commandant de la base de Défense en position de coordonnateur et d'arbitre. Ceci est apprécié tant par les régiments que par l'organisation du soutien. Nous allons donc profiter des restructurations pour proposer de mieux concilier le découpage géographique de certaines brigades et de certaines bases de Défense.

Concernant la judiciarisation, le gouvernement souhaite travailler dès à présent à la préparation d'une loi permettant d'offrir un cadre plus protecteur aux militaires engagés en opérations afin de ne pas les confronter à des mises en cause qui sont parfois aux limites du compréhensible. Nous suivons aussi les procédures judiciaires relatives à l'embuscade d'Uzbin avec beaucoup d'attention. Pour ma part, j'estime qu'il sera très difficile de poursuivre les responsables de la mort de nos hommes puisqu'il s'agit de talibans. Par ailleurs, cette procédure prolonge la douleur de ceux de nos soldats qui ont déjà souffert des évènements en évacuant les corps meurtris de leurs camarades.

Enfin, j'observe que le phénomène de la judiciarisation s'insinue de façon croissante dans la vie courante de nos unités. Le réflexe consistant à recourir au dépôt de plainte se généralise, dans des cas où, le plus souvent, l'application du règlement de discipline général peut s'avérer suffisant.

Au sujet des ESSD (entreprises et services de sécurité et de Défense), leur emploi dans le domaine de la logistique et strictement limité hors des zones de combat me semble possible. Inversement, j'émets de sérieuses réserves à leur engagement au coeur des opérations.

La mission des forces prépositionnées est double. Elle consiste d'abord à protéger nos ressortissants et les intérêts français et ensuite à s'assurer, par des actions de coopération, que les armées locales bénéficient de notre soutien. Mais cela ne s'improvise pas. Il faut donc y maintenir un volume de force significatif et y affecter suffisamment de personnel et assez de ressources. Ainsi, bien que perfectible, et en dépit de moyens limités, le dispositif de force de présence actuel a montré toute sa pertinence pour des coûts extrêmement limités. Il importe donc à mon sens de parvenir à préserver cet équilibre.

J'ai eu, à deux reprises lors de l'élaboration du Livre blanc, l'occasion de faire part de mes observations concernant les ressources humaines. Les orientations qu'il suggère dans ce domaine inquiètent les militaires de l'armée de Terre. En effet, ils sont préoccupés de constater que leur implication dans la gestion et l'administration du ministère pourrait être réduite au profit du personnel civil. Inversement, des propositions sont faites pour contenir les militaires à leur « coeur de métier », augmenter leur contractualisation et encourager les carrières courtes en incitant au départ. Cette approche très fonctionnelle des statuts pourrait écarter le personnel militaire d'une partie des fonctions concourantes à la qualité de l'outil de Défense. Il me semble au contraire capital qu'il continue à être pleinement associé au bon fonctionnement du ministère en participant à tous les niveaux à sa gestion. L'impératif de jeunesse, qui est réaffirmé dans le Livre blanc, est intégré de longue date par l'armée de Terre. Les leviers mis en place pour garantir un flux correct de recrutement et un rajeunissement satisfaisant des populations répondent à notre besoin. Je ne ressens donc pas la nécessité d'adopter de nouvelles mesures.

En ce qui concerne la formation, les efforts faits dans les unités et les centres de formation initiale pour fidéliser les soldats donnent de bons résultats. Nous avons atteint en 2013 un ratio de 3 candidatures utiles pour un poste. Ce chiffre encourageant a pour effet de réduire le turn over dans les unités et d'améliorer ainsi le ratio coût/formation.

Enfin, je suis très attentif à la condition du personnel. La question de l'avancement est préoccupante car nous devons faire face à une contraction sévère des tableaux d'avancements. La réduction du format, l'allongement de la durée de service et le principe du contingentement par grade accentueront le phénomène avec les effets que l'on peut imaginer sur le moral. C'est une situation difficile à gérer et la mise en oeuvre sera très sensible.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

La commission après avoir entendu l'ensemble des chefs d'état-major, le directeur général de l'armement, les représentants des organisations syndicales, et les représentants des industries d'armement en fera une synthèse et elle communiquera sa position au ministre. Comme je le disais en introduction, nous allons essayer de trouver des modalités qui concourent à l'équilibre, à l'équité et à la crédibilité de notre armée.