J'hérite d'un sujet qui, comme vous l'avez souligné, est difficile : a-t-on progressé depuis 2008 en matière de stabilité financière ? Si je devais répondre en un seul mot, je répondrais oui, certainement ! La question est de savoir si l'on a suffisamment progressé, sans créer d'autres inconvénients économiques. Les progrès sont très nets et je peux le démontrer par quelques exemples.
Mon doute porte sur le fait de savoir si ces progrès ont été assez rapides. Cela peut paraître long, puisque nous travaillons sur un agenda qui a été fixé par les G20 de 2009 et de 2010 ; en 2014, nous ne sommes toujours pas arrivés au bout ! Il est nécessaire de le faire et de vérifier que les dispositions déjà adoptées se mettent en oeuvre correctement, ce qu'on ne peut encore dire complètement.
En second lieu, la finance joue un rôle très complexe. Les risques peuvent à la fois être microéconomiques et être décelés dans les différents établissements ou chez les différents acteurs, mais il existe aussi des risques systémiques. Incontestablement, on est dans un régime de taux d'intérêt et d'injection de liquidités exceptionnel qui ne peut pas durer. On aura, selon moi, véritablement progressé que lorsqu'on sera revenu à une situation normale.
Les progrès ont d'abord été organisationnels et institutionnels. En Europe, ils sont assez nets. Nous avons ainsi créé les autorités européennes de surveillance (AES) dans les secteurs de l'assurance, des banques et des marchés financiers, qui constituent la voix et le bras armé des régulateurs. Je passe beaucoup de temps auprès de l'Autorité européenne des marchés financiers (AEMF), qui n'existait qu'à l'état embryonnaire avant 2008.
En France, nous nous sommes organisés autour de deux pôles, un pôle prudentiel et un pôle de marché, avec des représentations croisées. Cette organisation est convenable et efficace. Je siège, en tant que président de l'AMF, au sein de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) ; Christian Noyer, gouverneur de la Banque de France, est représenté par le sous-gouverneur Robert Ophèle à toutes les séances du collège de l'AMF. On a donc, tant au niveau français qu'européen, un système institutionnel profondément rénové.
Je citerai deux grands chantiers, et d'abord celui de la régulation prudentielle bancaire, déjà mentionné. La situation des banques est profondément différente de celle qu'elles connaissaient en 2007-2008. Il n'existe jamais d'évolutions sans quelques inconvénients, mais elles sont incontestablement globalement plus solides. Elles le seront davantage à partir de novembre prochain, lorsque sera passé le test de la revue de la qualité des actifs (asset quality review ou AQR), avec une prise en main de la régulation bancaire par la Banque centrale européenne (BCE).
Le second grand chantier est celui de la mise en oeuvre du règlement européen dit European market infrastructure regulation (EMIR). On comptait, avant la crise, environ 60 trillions de dollars de contrats dérivés, de gré à gré. On a entrepris des deux côtés de l'Atlantique de les réguler en grande partie. Depuis quelques semaines, toute banque ou tout acteur financier qui, en Europe, négocie de tels contrats doit les reporter à un « trade repository », sorte de banque de données de ces contrats. À partir du début de l'année prochaine, une grande partie sera obligatoirement sujette à une compensation centrale par une chambre de compensation, facteur de sécurité majeure.
Les régulateurs, à la suite d'une impulsion politique extrêmement forte des chefs d'État et de Gouvernement, réunis dans les différents G 20, ont engagé, aux États-Unis comme en Europe ou dans d'autres zones géographiques, des efforts très importants pour essayer de limiter les possibilités de risques systémiques.
Pour autant, est-on sûr qu'aucun accident ne peut survenir ? Sincèrement non. Sur les deux chantiers que j'ai cités, nous ne sommes pas au bout du chemin. Dans le cas des banques, le processus de revue de tous les actifs bancaires en Europe, qui est à ma connaissance inédit, est très lourd et comporte des risques. Je lisais ce matin même qu'un grand intervenant germanique estime qu'on a tort de le faire aussi tôt...
Quant au règlement EMIR et au Dodd-Frank Act, même si les États-Unis ont six mois ou un an d'avance, nous n'avons pas encore pris la mesure de l'obligation de compensation centrale et de ses effets sur le système. Je suis moi-même surpris du fait que les experts ne soient pas d'accord sur les conséquences des différentes mesures.
Deux d'entre elles sont majeures. La première est la compensation centrale, qui comporte des contraintes financières pour les acteurs de cette compensation, un contrat devant être pour partie provisionné dans les comptes de la chambre de compensation pour couvrir les risques de son exécution.
Pour la partie des contrats non soumis à compensation, parce n'étant pas suffisamment normée, il existera des appels de marges obligatoires entre acteurs. Une banque ne pourra plus négocier un dérivé de gré à gré ou over-the-counter (OTC) sans entrer dans un mécanisme de calcul d'appel de marges avec sa contrepartie. Les économistes spécialistes de ces matières évaluent entre un et cinq les effets de la fixation d'un seuil de marge. C'est dire si on est dans un domaine où les conséquences économiques sont assez incertaines.
Pour être très schématique, certains estiment qu'il s'agit là d'une catastrophe, le produit risquant de devenir coûteux du fait d'appels de marges significatifs ; les entreprises non financières qui veulent se couvrir ne pourraient plus le faire, et l'on réintroduirait donc un facteur d'instabilité et de risques. D'autres estiment que le chiffre de 60 trillions de dollars était trop élevé et que le réduire de moitié n'emportera aucun impact économique.
Je suis personnellement incapable de savoir qui a raison ! Il est nécessaire d'avancer progressivement et empiriquement. Il existe peu de mesures, et les deux positions que j'ai résumées sont en fait des postures de négociation ou de principe. Je n'ai aucun doute quant à la direction à suivre, qui est bonne, mais difficile à paramétrer.
La seconde incertitude est systémique. Pour moi, la crise des subprimes vient de la mauvaise solution apportée à l'éclatement de la bulle, par injection massive de liquidités qui ont finalement donné lieu à des débordements énormes. Je crains, même si on n'avait pas le choix, qu'on en ait accumulé encore davantage ! Tant qu'on ne les aura pas résorbées, on subira des menaces considérables.