Comment les choses ont-elles évolué depuis 2007-2008 ? Assez profondément, et je citerai trois grands champs de modifications.
En premier lieu, nous avons pris conscience, après vingt ans d'extension financière, qu'un certain nombre de risques gérés dans les banques de marché étaient mal calculés voire ignorés. Durant vingt ans, le développement des opérations de marché a été massif. Il en existait six risques que l'ensemble des acteurs des marchés financiers avaient mal cernés.
Le premier risque résidait dans la croyance que tout actif était liquide, qu'il existait toujours une offre, une demande et un prix, et que, le jour où l'on voulait en sortir, quelqu'un était là pour l'acheter. Ceci s'est révélé faux. Les SICAV monétaires comportaient des produits structurés extrêmement longs, trop compliqués pour qu'on puisse leur fixer un prix simple ; en 2008, aucun prix n'existant, ils n'étaient plus liquides, et généraient des risques imprévus.
On pensait en second lieu qu'une dette souveraine, dans un pays développé, ne comportait aucun risque de défaut. C'était une croyance largement répandue : ce n'était pas exact.
En troisième lieu, les traders et ceux qui construisaient les modèles de marché, avaient tendance à considérer les risques identifiés comme extrêmement faibles, proches de zéro. On avait oublié qu'ils pouvaient se matérialiser une fois sur 10 000 ou sur 100 000, et que cela avait des effets importants.
En quatrième lieu, la croyance en la solidité et la stabilité de la notation des agences était un peu trop forte. Un double A, un triple A, un simple A était considéré comme une notation intrinsèque qui devait durer, alors que celle-ci est valable à un instant donné et peut évoluer.
En cinquième lieu, on a cru qu'il était possible, entre banques de premier rang, de se prêter de l'argent à chaque instant, sans risque de contrepartie bancaire. Or, la crise a démontré que toutes n'avaient pas la même solidité de bilan, et qu'en cas d'incertitudes sur la solidité d'une banque, le financement devenait plus difficile.
Enfin, les modèles de marché bâtis pour gérer des produits compliqués ne rendaient pas compte à 100 % de la réalité, mais d'une partie de celle-ci ; il fallait donc les affiner ou ne pas les croire entièrement, et ceci devait nécessiter des marges de précaution.
Second champ de prise de conscience, plus psychologique : les banquiers ont compris qu'il y avait eu quelques excès dans leurs comportements, et que cela avait nui à la qualité de la compréhension et de la confiance avec les autres acteurs économiques en général - un peu trop de court-termisme, peu de responsabilité vis-à-vis des produits compliqués vendus à d'autres professionnels. Je ne parle pas ici des produits destinés aux particuliers, à propos desquels on a toujours pensé qu'il fallait faire attention, mais de ceux qui s'adressaient aux professionnels. Si le professionnel achetait un produit dont il n'avait pas vu les risques, tant pis pour lui ! C'est ainsi que l'on agit dans beaucoup de secteurs entre professionnels. On s'est aperçu que ce n'était pas acceptable sur la durée.
Enfin, peut-être aurait-il été nécessaire de revenir aux priorités de financements de l'économie, devenues, dans les banques, quelque peu secondaires par rapport aux opérations de marché.
Le troisième champ d'évolution - le plus important d'ailleurs - touche le cadre réglementaire, cité par Gérard Rameix ; il est lié à des lois et à des règlements ; il a complètement modifié le domaine dans lequel nous oeuvrons et les paramètres d'exercice de nos métiers.
Les premiers paramètres concernent les exigences prudentielles. Pour prendre le même niveau de risques, il faut deux fois plus de capital qu'auparavant ; un financement d'une certaine maturité doit aujourd'hui être cinq fois plus long qu'auparavant. Par ailleurs, lorsqu'on dispose de fonds propres, le ratio de levier impose de prendre moins de risques nominaux.
Tout ceci a modifié la façon de faire : le couple rentabilité-risque a baissé. On prend moins de risques parce qu'on a davantage de fonds propres en face. L'activité est donc forcément moins rentable, mais le modèle est plus stable.
La réglementation nous a forcés à mener tout un travail sur la résolution bancaire. Ainsi, si une banque n'est plus capable d'assurer sa solvabilité, elle doit être gérée de manière organisée, et l'on ne peut plus dire qu'elle ne peut jamais faire défaut du fait des effets systémiques trop importants que cela entraîne. Ceci a donné lieu à un énorme travail sur les stress tests. Toutes les banques ont dû adopter une culture à plus long terme, afin de gérer leur extinction de manière ordonnée. En matière de structuration des banques, on est encore dans le flou, surtout pour un groupe comme le nôtre, les réglementations étant différentes selon les zones géographiques et pas toujours achevées.
Enfin, le mécanisme de surveillance unique (MSU) fait que les banques ayant, en zone euro, le même superviseur en la personne de la BCE, l'homogénéité va changer les comportements. La tentation de prendre des risques différents sera donc plus faible.
En conséquence, il en résulte un coût d'intermédiation bancaire forcément plus élevé. Nos matières premières sont les fonds propres et les liquidités. S'il faut plus de fonds propres et de liquidités longues pour le même crédit, ceci coûte plus cher à l'emprunteur. Ceci est partiellement compensé par le fait que, l'activité étant moins risquée, elle est moins chère - mais cela ne compense qu'une petite partie de ce coût supplémentaire.
Ce métier doit par ailleurs travailler avec des rentabilités plus faibles. Les grandes banques l'ont déjà dit à leurs actionnaires. Les attentes du secteur bancaire en la matière ont toutes été revues à la baisse. Auparavant, le chiffre de retour sur fonds propres était de 15 % ; aujourd'hui, tout le monde vise environ 12 %.