Intervention de François Marc

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 14 mai 2014 à 10h10
Stabilité financière : a-t-on progressé depuis 2008 — Audition conjointe de Mm. Jean Beunardeau directeur général de hsbc france et directeur de la banque de financement d'investissement et de marchés en france didier duval responsable de la sécurité financière et de la prévention de la fraude au sein de la direction de la conformité du groupe crédit agricole laurent le mouel responsable des affaires réglementaires et prudentielles au sein de la direction des risques du groupe crédit agricole gérard rameix président de l'autorité des marchés financiers et christian walter professeur d'économie au collège d'études mondiales de la fondation de la maison des sciences de l'homme titulaire de la chaire éthique et finances

Photo de François MarcFrançois Marc, rapporteur général :

Je remercie chacun des intervenants pour leurs éclairages. Je me félicite que l'on ait organisé cette table ronde sur un sujet sensible, sur lequel beaucoup de nos concitoyens restent dans l'expectative et, pour certains, dans l'inquiétude. Ils ont le sentiment - et ils nous le rappellent de temps à autre - que les effets de la crise financière ont été immédiats en 2007 et 2008 mais que, à l'inverse, les chantiers de réglementation sont très lents à s'organiser, que la mise en place de la taxe sur les transactions financières, annoncée depuis tant d'années, tarde par exemple à se concrétiser.

Gérard Rameix évoquait des désaccords entre les différentes expertises, suggérant que tout cela entraîne des atermoiements, des retards. Certains de nos concitoyens ont l'impression qu'il existe une forme de complaisance des régulateurs vis-à-vis des milieux bancaires et financiers, les choses ne s'organisant pas aussi vite qu'ils auraient pu le souhaiter. Ceci, je crois, légitime nos propres interrogations et le souci qui est le nôtre de mieux éclairer la situation réelle.

Je suis, pour ma part, porteur d'une forme de scepticisme depuis un certain nombre d'années à propos de ces sujets. Je me souviens des débats que nous avons eus en 2003, notamment à propos de la loi de sécurité financière, lorsqu'elle avait été débattue au Sénat. J'étais à l'époque porte-parole de mon groupe, et nous avions eu des débats riches, mais je me souviens également des réticences fortes dans la culture dominante de l'époque vis-à-vis d'un accroissement de la réglementation.

Je citerais l'exemple des agences de notation. Jean Beunardeau a affirmé qu'on a pris conscience, depuis la crise financière de 2008, que la stabilité des notations des agences était à l'époque un élément de risque mal mesuré. Je ne suis pas totalement en accord avec cette façon de voir les choses ! Quand nous avons débattu de la loi sur la sécurité financière, au Sénat, en 2003, nous avons pu faire état de la situation d'Enron, aux États-Unis, où les agences de notation, la veille de la chute d'Enron, continuaient à attribuer un triple A à cette entreprise ! Toutes les appréciations financières portées par les milieux de la régulation étaient positives. Le vers était donc dans le fruit. Ce n'est donc pas en 2008 que le regard est devenu plus objectif. La situation était déjà clairement fondée sur des bulles spéculatives, dénoncées ici et là, et qui devaient produire les effets que l'on regrette tous. D'autres bulles apparaissent encore dans le paysage. Le scepticisme doit donc rester de mise pour ce qui concerne notre action législative et quant aux préoccupations qui doivent être les nôtres en la matière.

À ce sujet, je voudrais, au-delà de ce qui a été dit, poser quatre questions. En matière de réglementation bancaire, les choses ont avancé : les exigences sont plus lourdes, les besoins en capitaux ont été renforcés, certains ratios ont été améliorés, la prise de risques est aujourd'hui réduite en ce qui concerne les financements. De plus, la séparation des activités bancaires a été votée il n'y a pas si longtemps : bref, le cadre a sensiblement progressé.

Pour autant, des questions demeurent à propos de la sphère financière, parmi lesquelles la rémunération des dirigeants ou des traders et leurs bonus. Le plafonnement des rémunérations variables est-il le bon outil, le seul, pour maîtriser la prise de risques des traders ? Les bonus élevés sont-ils les seuls facteurs de motivation dans les banques d'affaires ?

On a pu constater ces dernières années de fortes divergences entre pays quant à la définition des preneurs de risques, soumis aux limitations salariales. En France, leur nombre serait passé de 3 250 personnes en 2012 à seulement 357 en 2013 pour BNP Paribas. Comment expliquer cette évolution ? Quel contrôle a-t-on sur les classifications ? Existe-t-il des salariés de banques gagnant plus d'un million d'euros par an, non compris dans le périmètre des preneurs de risques ? On a l'impression d'un flottement généralisé. Quel est le public concerné par ces rémunérations ? Pourquoi les chiffres évoluent-ils de façon aussi importante d'une année sur l'autre ?

Concernant le trading à haute fréquence (THF), le livre du journaliste Michael Lewis, « Flash Boys », a récemment fait sensation en exposant ces pratiques, accusant le trading haute fréquence de manipuler les cours. Le trading haute fréquence s'est développé à très vive allure ces dernières années, et procurerait à ses utilisateurs un avantage indu en matière de fixation des prix. Le marché est-il, de ce fait, largement faussé, au détriment des acteurs standards ? L'encadrement du trading haute fréquence dans la directive MIF 2 va-t-il suffire à régler ce problème ? Pourquoi ne l'avoir pas tout simplement interdit ? Une régulation allant jusqu'à l'interdiction de telles pratiques, souvent douteuses, constituerait-elle un sacrilège ?

Enfin, notre commission s'est déjà penchée sur le shadow banking ; dans la crise financière, on sait que le poids des géants de la gestion d'actifs n'a cessé de croître, à la faveur notamment des besoins de financements des retraites dans les pays anglo-saxons. D'après la banque d'Angleterre, la gestion d'actifs représenterait aujourd'hui 87 000 milliards de dollars, soit une année de PIB mondial ou trois-quarts des actifs détenus par les banques. C'est en outre un secteur très concentré, les dix premières sociétés de gestion représentant environ 30 % du secteur. N'y a-t-il pas là un risque de bulle très important dans certaines catégories d'actifs ? Les comportements moutonniers ne peuvent-ils conduire à des situations totalement incontrôlables en la matière ?

D'une façon générale, peut-on considérer que le shadow banking est en train de prospérer activement ? N'est-on pas en train de créer un système financier à deux vitesses, un système bancaire régulé, où on a pris conscience des risques et où on a mis en place un certain nombre de dispositifs, et un autre, non bancaire, mais en plein développement, aspirant à la fois les activités et les risques, qui nous mettrait en situation de grand péril pour l'avenir ?

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