Le trading haute fréquence n'est pas un problème technique. Si on souhaite l'interdire en France, nous pouvons le faire facilement. Le problème est de savoir si l'on a intérêt à l'interdire. Je ne le pense pas ! Je ne suis pas un avocat du trading haute fréquence. Je pense que c'est une pratique assez douteuse. Ses avocats disent qu'il est utile, réduit les « spreads », ces écarts entre le prix du vendeur et le prix de l'acheteur, qu'il accroit la liquidité et la performance des marchés. J'ai entendu beaucoup de discours de spécialistes généralement employés par les sociétés qui gagnent de l'argent avec le trading haute fréquence. Je ne partage pas ce point de vue.
Néanmoins, sur le marché des actions, le trading haute fréquence représente, selon les places, environ 40 % des ordres. La France prépare, en ce moment, une opération très importante, avec la mise sur le marché d'Euronext. Les quatre marchés - Amsterdam, Bruxelles, Paris et Lisbonne - vont être vendus et retrouver ainsi leur autonomie. Pour le financement de l'économie française et d'une partie de la zone euro, c'est très important. Sans trading haute fréquence, on change le plan d'affaires de la société que l'on met sur le marché. Ceci emporte des conséquences économiques assez importantes. Ce n'est pas un problème technique, mais un problème de choix politique.
En second lieu, je pense que deux questions se posent aux régulateurs. J'ai lu avec intérêt les précédents ouvrages de Michael Lewis, et surtout un certain nombre d'articles sur ce qui est en train de se passer aux États-Unis. Je connais par ailleurs les travaux que l'AMF mène sur ce sujet. Il existe deux sujets différents. Le premier est juridique et est en train de prospérer, notamment aux États-Unis, et nous nous attachons à le faire prospérer en France. Il s'agit de déterminer si des infractions boursières, au sens du droit positif, peuvent être commises par les opérateurs du trading haute fréquence. Ce n'est pas une question très simple. Dans certains cas, la réponse est oui. Il faut arriver à le prouver. C'est ce qu'essaye de faire le procureur de New York, qui pense que des avantages anormaux ont été donnés aux acteurs du trading haute fréquence. S'il arrive à les qualifier juridiquement, il pourra les pénaliser, sans en interdire la pratique.
Il s'agit donc de vérifier si certains comportements, qui reposent sur la vitesse et le nombre d'ordres annulés, constituent des infractions boursières. Pour répondre à cette question, un très long travail technique d'ingénieur et d'informaticien est nécessaire, le trading haute fréquence se caractérisant par l'émission de centaines de milliers d'ordres, qu'il faut étudier.
Le second sujet est plus politique. Considère-t-on, à partir d'un raisonnement économique ou éventuellement éthique, qu'il faut restreindre, voire interdire, le trading haute fréquence ? La position française est plutôt de répondre oui. Nous avons présenté des positions dans le cadre des discussions sur la directive MIF 2 ; ces positions ont été pour partie retenues. Des équipes de techniciens de l'AMF travaillent aujourd'hui au sein de l'AEMF pour essayer de préciser dans les règlements d'application de cette directive certains points cruciaux en matière de trading haute fréquence. J'insiste sur le fait que cela n'a, selon moi, de sens qu'à l'échelle de l'Union européenne.
Les moyens techniques sont assez simples : il s'agit du pas de cotation, c'est-à-dire la variation minimale de prix à partir de laquelle on peut passer un nouvel ordre. Plus on cherche à diviser le réel en intervalles très petits, plus on donne un avantage au trading haute fréquence. Plus les pas de cotations sont larges, plus il est difficile de faire du trading haute fréquence.
Faut-il réglementer le taux d'ordre annulé ? Accepte-t-on que l'on puisse envoyer des ordres en rafale et de les annuler 5 ou 6 millisecondes après ? Ce sont là les questions qui vont être discutées concrètement au plan européen ?
Le principal problème réside dans le fait que le trading haute fréquence est né de la technologie, de l'éclatement des transactions entre de multiples places, qu'on a sans doute à tort favorisé aux États-Unis et en Europe. Les spécialistes de l'informatique ont du coup exploité ces possibilités techniques. Si on veut les limiter, il faut le faire tous ensemble, de façon cohérente, les échanges se faisant sur toutes les places en même temps.
Quant au shadow banking, le questionnement est pertinent. Il est repris dans toutes les instances. C'est une des questions majeures de la régulation actuelle. N'oublions pas que nous sommes face à des monnaies flottantes et à des transferts de capitaux libres. Dès que l'on impose une contrainte, les capitaux, les monnaies, les taux peuvent se déplacer. Le système est extrêmement plastique.
Cependant, je ne partage pas votre inquiétude sur le monde de la gestion d'actifs, que je connais relativement bien, et que nous sommes chargés de réguler en France : la gestion n'est pas un terrain de non-régulation. Les chiffres que vous avez cités sont exacts : les montants gérés par l'assurance-vie ou par les sociétés de gestion, qui se recoupent d'ailleurs partiellement, sont du même ordre de grandeur que le PIB, voire supérieurs à une année de PIB. Ce sont des montants colossaux, mais il y a d'énormes contraintes, des produits liquides et une régulation.
Certes, celle-ci n'est pas parfaite, ni sans faille. On a cité les fonds monétaires : on a eu très peur, il y a cinq ou six ans, lorsqu'on s'est aperçu qu'on avait des produits triple A parmi les fonds monétaires qui cessaient d'un seul coup d'être liquides. Pour autant, il ne faut pas penser que ce secteur n'est pas globalement régulé. Il ne s'agit pas de la même régulation que la régulation bancaire et les fonds monétaires doivent notamment s'y prêter très sérieusement, mais on ne peut pas dire que l'absence de régulation est totale - fort heureusement !