C'est avec une certaine émotion que je me présente devant la commission des finances de la Haute Assemblée, que j'ai servie, au cabinet de son président, pendant un an. Je suis honoré de présenter ma candidature au poste de directeur général de la Caisse des dépôts et consignations, institution placée depuis 1816 sous la surveillance et la protection du Parlement. C'est sa première garantie, sa force et sa spécificité. Je salue les représentants du Sénat à la commission de surveillance, François Marc et Jean Arthuis. Depuis deux siècles, ce lien direct entre la Caisse des dépôts et consignations et la représentation nationale garantit l'indépendance de son directeur général par rapport à l'exécutif - la question reste néanmoins attendue et de tradition. La Caisse des dépôts et consignations ne peut s'assimiler à l'État, même si celui-ci nomme son responsable et fixe ses orientations. Le directeur général doit néanmoins exercer ses fonctions en toute indépendance, sinon cette grande institution perdrait un de ses fondements.
En trente ans de vie professionnelle, je crois avoir démontré cette indépendance à maintes reprises : je suis un préfet de la « vieille école », celle où l'on a appris à dire oui quand on est d'accord, et non quand on ne l'est pas, en assumant son choix. Dans la situation nouvelle qui serait la mienne à la direction générale de la Caisse des dépôts et consignations, mon premier souci serait d'éviter toute rupture, de maintenir le cap, en m'appuyant sur l'énergie et le sens de l'intérêt général des équipes, dont je connais aussi la compétence.
Il y a trente ans, j'ai fait le choix du service public et des territoires. La cohérence d'un parcours s'élabore en chemin... J'ai débuté ma carrière comme sous-préfet et suis entré au cabinet du ministre de l'Intérieur, auprès de Gaston Deferre puis Pierre Joxe. J'ai été le directeur de cabinet du secrétaire d'État chargé des collectivités locales Jean-Michel Baylet. Nommé sous-directeur des départements d'outre-mer, j'ai été en charge des finances au ministère des départements et territoires d'outre-mer. Pendant quatre ans, j'ai exercé les fonctions de directeur général des collectivités locales au ministère de l'Intérieur, sous Pierre Joxe, Jean-Michel Baylet, Philippe Marchand et Jean-Pierre Sueur. J'ai été adjoint au Délégué à l'aménagement du territoire et à l'action régionale, sous l'autorité du ministre d'alors, Charles Pasqua. Dans toutes ces fonctions, j'ai contribué pendant dix ans à élaborer et à mettre en oeuvre toutes les lois de décentralisation et d'aménagement du territoire - qu'il s'agisse de la montagne, du littoral ou de la ville, de la loi sur l'outre-mer, des réformes sur le développement durable et le développement rural, de celle sur le statut de la Corse, ou encore de la loi sur l'administration territoriale de la République (ATR).
J'ai beaucoup sillonné la France, rencontré beaucoup d'élus, en animant avec Jean-Pierre Fourcade le Comité des finances locales ou en participant aux missions de la Commission interministérielle d'aide à la localisation des activités (CIALA). Cela m'a conduit à travailler souvent avec la Caisse des dépôts et consignations et ses directions régionales - que les services de l'État jalousaient... J'ai contribué à la création du réseau « Invest in France Network », première mouture de ce qui deviendra l'Agence française pour les investissements internationaux (AFII). Nommé directeur de l'urbanisme, de l'habitat et de la construction au ministère de l'Équipement, j'ai travaillé à l'élaboration de la politique publique en matière d'urbanisme, sous Bernard Pons, Pierre-André Périssol, Jean-Claude Gayssot et Louis Besson. Beaucoup de réformes ont vu le jour : accession à la propriété, prêt à taux zéro, fiscalité de l'investissement locatif, financement des logements sociaux, remplacement du plan d'occupation des sols (POS) par le plan local d'urbanisme (PLU) et création des schémas de cohérence territoriale (SCOT) par la loi de solidarité et de renouvellement urbain (SRU).
Durant cette période, je connaissais la plupart des villes de France, non par leur centre-ville, mais par leur parc HLM. Comme directeur général de Paris Habitat, l'office public de l'habitat de la capitale, j'ai ensuite appliqué les règles que j'avais moi-même conçues, en les maudissant parfois !
J'ai également été préfet de l'Aisne au moment des restructurations militaires, puis de Corse dans des moments difficiles, pendant trois ans, enfin de la région Lorraine à l'époque de sa mutation industrielle. Entre 2001 et 2003, j'ai exercé les fonctions de secrétaire général du ministère de l'Intérieur sous Daniel Vaillant, puis Nicolas Sarkozy. Grâce à ces expériences, j'ai mesuré la distance qui sépare une circulaire de l'administration centrale de la réalité des territoires.
J'ai souvent retrouvé la Caisse des dépôts et consignations, dans ces fonctions variées, si bien que j'ai travaillé en lien étroit avec ses dirigeants, de Robert Lion à Jean-Pierre Jouyet. J'ai contribué à transformation de la CAECL en Crédit local de France. C'était bien avant les mésaventures de Dexia. J'ai travaillé à faire aboutir la réforme des fonds d'épargne, avec le soutien de Jean-Pierre Jouyet. Enfin, j'ai rendu possible, avec d'autres, la création de la Compagnie des Alpes, filiale de la Caisse des dépôts et consignations. Nommé auprès du chef de l'État depuis deux ans, j'ai assisté à la création de Bpifrance et j'ai participé aux arbitrages sur les orientations et la gouvernance. Je ne prétends pas tout connaître de la Caisse des dépôts et consignations ; ses collaborateurs ont beaucoup à m'apprendre. Je sais que le groupe est divers, dans ses activités financières et dans ses domaines d'intervention. Je suis libre de tout préjugé, de tout corporatisme, de tout a priori. La confiance et la responsabilité sont à mon sens les piliers d'un bon management.
En deux ans, Jean-Pierre Jouyet a défini pour la Caisse des dépôts et consignations des ambitions, des objectifs et des orientations que la commission de surveillance a avalisés. Je les ferai miens. Le logement, les infrastructures, la transition écologique et énergétique, le développement des entreprises, sont les domaines privilégiés assignés à la Caisse des dépôts et consignations, à quoi j'ajouterais la revalorisation des métiers historiques de mandataire et de dépositaire. Il faut faire preuve de pragmatisme, adapter les stratégies tout en maintenant ce cap. Je suis d'accord avec la commission de surveillance qui juge le bilan de la Caisse des dépôts et consignations solide, mais rigide. Les taux sont bas, mais le coût de la ressource est élevé. Un équilibre reste à trouver entre flexibilité et stabilité financière. L'intérêt général est la valeur fondamentale du groupe. Mais je n'oublie pas que parmi les principes du service public, il y a l'adaptabilité...
Comme investisseur, la Caisse des dépôts et consignations gagnerait à être plus sélective dans ses choix et à développer une logique de co-investissement. Elle doit s'attacher à trouver un mode de fonctionnement équilibré avec ses filiales - notamment Bpifrance - et travailler en complémentarité avec elles, autour d'objectifs industriels clairs. Dans son rôle de prêteur, la Caisse des dépôts et consignations pourra tirer parti de l'augmentation du plafond du livret A et de l'enveloppe de 20 milliards d'euros consacrée au financement de projets territoriaux. Le volume des fonds d'épargne et les objectifs de construction de logements maintiendront à un niveau élevé le taux de distribution des prêts. La Caisse des dépôts et consignations a vocation à devenir le prêteur de référence aux collectivités et sur les durées longues.
Je salue l'efficacité de Bpifrance qui en moins d'un an a mis en place les outils dont les petites et moyennes entreprises et les entreprises de taille intermédiaire ont besoin. Le savoir-faire de la Caisse des dépôts et consignations positionne l'institution comme un outil de référence de la gestion publique, sur des sujets aussi divers que la gestion des retraites, des fonds des notaires, des comptes personnels à la formation ou encore des contrats d'assurance et comptes bancaires en déshérence. Comme opérateur enfin, elle doit renforcer son rôle dans le secteur concurrentiel et mener une réflexion sur ses participations. Un équilibre reste à trouver entre une nécessaire adaptation et le respect des intérêts patrimoniaux. Certaines filiales, comme la CNP, seront confrontées à des défis stratégiques dans les mois qui viennent. Je défendrai avec détermination les intérêts stratégiques et patrimoniaux du groupe.
La Caisse des dépôts et consignations possède un réseau territorial dont le savoir-faire et l'ingénierie technique et financière sont sans équivalent. Au moment où l'État mène une réflexion pour transformer ses structures territoriales, il est important que la Caisse des dépôts et consignations continue à jouer son rôle. Du reste, la Caisse n'a pas diminué son niveau d'investissement dans les territoires. En clarifiant ses conditions d'intervention et celles de ses filiales, elle maintiendra le réseau mobilisé. Être actif et réactif, telle est la priorité.
Aux niveaux européen et international, il serait souhaitable que la Caisse des dépôts et consignations resserre ses liens avec ses partenaires, mais aussi avec les investisseurs étrangers, dont les fonds souverains, qu'il faut attirer en France. Elle doit s'appuyer davantage sur le savoir-faire de ses filiales, dont les compétences financières sont reconnues. Elle possède les atouts du service public et ceux de son ambition industrielle. C'est un modèle équilibré qu'il convient de préserver et de promouvoir en renforçant la cohésion et la cohérence du groupe. La Caisse des dépôts et consignations est un édifice solide mais hétérogène. Elle s'appuie sur un socle de valeurs historique - intérêt général, foi dans le service public, indépendance, lien avec les équipements du territoire, rapport particulier au temps long - capable de mobiliser le plus grand nombre. La modernisation et le développement de cette belle institution est une mission passionnante.