Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation

Réunion du 14 mai 2014 : 4ème réunion

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • caisse des dépôts
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  • dépôts et consignations
  • indépendance
  • logement

La réunion

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Au cours d'une réunion tenue l'après-midi, la commission procède à l'audition de M. Pierre-René Lemas, proposé par le président de la République aux fonctions de directeur général de la Caisse des dépôts et consignations, en application de la loi organique n° 2010-837 et de la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010 relatives à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Marini

Nous entendons Pierre-René Lemas, candidat proposé par le président de la République pour exercer les fonctions de directeur général de la Caisse des dépôts et consignations, à la suite de Jean-Pierre Jouyet, nommé secrétaire général de l'Élysée. En application de l'article 13 de la Constitution, nous voterons, à l'issue de cette audition, afin de confirmer ou d'infirmer le choix du président de la République. Nos votes s'additionneront à ceux des membres de la commission des finances de l'Assemblée nationale, devant lesquels Pierre-René Lemas s'est exprimé ce matin. C'est au désavantage du Sénat, car notre commission est inférieure en nombre ! Je ne dis pas pour autant qu'il faut augmenter le nombre de sénateurs...

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Marini

Le vote et son dépouillement, qui interviendra d'ailleurs simultanément à l'Assemblée nationale, auront lieu immédiatement après l'audition.

Pierre-René Lemas, pouvez-vous nous rappeler les étapes de votre parcours et nous livrer votre vision stratégique pour la Caisse des dépôts et consignations ? Que change la création de Bpifrance dans les responsabilités du directeur général, en un moment où des entreprises emblématiques de notre tissu industriel connaissent des problèmes stratégiques ? Comment envisagez-vous d'articuler l'action de la banque publique d'investissement (BPI) avec celle de la Caisse des dépôts et consignations et quel sera l'avenir des participations issues du fonds stratégique d'investissement (FSI) ? Comme Jean-Pierre Jouyet, vous êtes un proche du président de la République. Cela influera-t-il sur la manière dont vous exercerez vos fonctions ?

Debut de section - Permalien
Pierre-René Lemas, candidat à la direction générale de la Caisse des dépôts et consignations

C'est avec une certaine émotion que je me présente devant la commission des finances de la Haute Assemblée, que j'ai servie, au cabinet de son président, pendant un an. Je suis honoré de présenter ma candidature au poste de directeur général de la Caisse des dépôts et consignations, institution placée depuis 1816 sous la surveillance et la protection du Parlement. C'est sa première garantie, sa force et sa spécificité. Je salue les représentants du Sénat à la commission de surveillance, François Marc et Jean Arthuis. Depuis deux siècles, ce lien direct entre la Caisse des dépôts et consignations et la représentation nationale garantit l'indépendance de son directeur général par rapport à l'exécutif - la question reste néanmoins attendue et de tradition. La Caisse des dépôts et consignations ne peut s'assimiler à l'État, même si celui-ci nomme son responsable et fixe ses orientations. Le directeur général doit néanmoins exercer ses fonctions en toute indépendance, sinon cette grande institution perdrait un de ses fondements.

En trente ans de vie professionnelle, je crois avoir démontré cette indépendance à maintes reprises : je suis un préfet de la « vieille école », celle où l'on a appris à dire oui quand on est d'accord, et non quand on ne l'est pas, en assumant son choix. Dans la situation nouvelle qui serait la mienne à la direction générale de la Caisse des dépôts et consignations, mon premier souci serait d'éviter toute rupture, de maintenir le cap, en m'appuyant sur l'énergie et le sens de l'intérêt général des équipes, dont je connais aussi la compétence.

Il y a trente ans, j'ai fait le choix du service public et des territoires. La cohérence d'un parcours s'élabore en chemin... J'ai débuté ma carrière comme sous-préfet et suis entré au cabinet du ministre de l'Intérieur, auprès de Gaston Deferre puis Pierre Joxe. J'ai été le directeur de cabinet du secrétaire d'État chargé des collectivités locales Jean-Michel Baylet. Nommé sous-directeur des départements d'outre-mer, j'ai été en charge des finances au ministère des départements et territoires d'outre-mer. Pendant quatre ans, j'ai exercé les fonctions de directeur général des collectivités locales au ministère de l'Intérieur, sous Pierre Joxe, Jean-Michel Baylet, Philippe Marchand et Jean-Pierre Sueur. J'ai été adjoint au Délégué à l'aménagement du territoire et à l'action régionale, sous l'autorité du ministre d'alors, Charles Pasqua. Dans toutes ces fonctions, j'ai contribué pendant dix ans à élaborer et à mettre en oeuvre toutes les lois de décentralisation et d'aménagement du territoire - qu'il s'agisse de la montagne, du littoral ou de la ville, de la loi sur l'outre-mer, des réformes sur le développement durable et le développement rural, de celle sur le statut de la Corse, ou encore de la loi sur l'administration territoriale de la République (ATR).

J'ai beaucoup sillonné la France, rencontré beaucoup d'élus, en animant avec Jean-Pierre Fourcade le Comité des finances locales ou en participant aux missions de la Commission interministérielle d'aide à la localisation des activités (CIALA). Cela m'a conduit à travailler souvent avec la Caisse des dépôts et consignations et ses directions régionales - que les services de l'État jalousaient... J'ai contribué à la création du réseau « Invest in France Network », première mouture de ce qui deviendra l'Agence française pour les investissements internationaux (AFII). Nommé directeur de l'urbanisme, de l'habitat et de la construction au ministère de l'Équipement, j'ai travaillé à l'élaboration de la politique publique en matière d'urbanisme, sous Bernard Pons, Pierre-André Périssol, Jean-Claude Gayssot et Louis Besson. Beaucoup de réformes ont vu le jour : accession à la propriété, prêt à taux zéro, fiscalité de l'investissement locatif, financement des logements sociaux, remplacement du plan d'occupation des sols (POS) par le plan local d'urbanisme (PLU) et création des schémas de cohérence territoriale (SCOT) par la loi de solidarité et de renouvellement urbain (SRU).

Durant cette période, je connaissais la plupart des villes de France, non par leur centre-ville, mais par leur parc HLM. Comme directeur général de Paris Habitat, l'office public de l'habitat de la capitale, j'ai ensuite appliqué les règles que j'avais moi-même conçues, en les maudissant parfois !

J'ai également été préfet de l'Aisne au moment des restructurations militaires, puis de Corse dans des moments difficiles, pendant trois ans, enfin de la région Lorraine à l'époque de sa mutation industrielle. Entre 2001 et 2003, j'ai exercé les fonctions de secrétaire général du ministère de l'Intérieur sous Daniel Vaillant, puis Nicolas Sarkozy. Grâce à ces expériences, j'ai mesuré la distance qui sépare une circulaire de l'administration centrale de la réalité des territoires.

J'ai souvent retrouvé la Caisse des dépôts et consignations, dans ces fonctions variées, si bien que j'ai travaillé en lien étroit avec ses dirigeants, de Robert Lion à Jean-Pierre Jouyet. J'ai contribué à transformation de la CAECL en Crédit local de France. C'était bien avant les mésaventures de Dexia. J'ai travaillé à faire aboutir la réforme des fonds d'épargne, avec le soutien de Jean-Pierre Jouyet. Enfin, j'ai rendu possible, avec d'autres, la création de la Compagnie des Alpes, filiale de la Caisse des dépôts et consignations. Nommé auprès du chef de l'État depuis deux ans, j'ai assisté à la création de Bpifrance et j'ai participé aux arbitrages sur les orientations et la gouvernance. Je ne prétends pas tout connaître de la Caisse des dépôts et consignations ; ses collaborateurs ont beaucoup à m'apprendre. Je sais que le groupe est divers, dans ses activités financières et dans ses domaines d'intervention. Je suis libre de tout préjugé, de tout corporatisme, de tout a priori. La confiance et la responsabilité sont à mon sens les piliers d'un bon management.

En deux ans, Jean-Pierre Jouyet a défini pour la Caisse des dépôts et consignations des ambitions, des objectifs et des orientations que la commission de surveillance a avalisés. Je les ferai miens. Le logement, les infrastructures, la transition écologique et énergétique, le développement des entreprises, sont les domaines privilégiés assignés à la Caisse des dépôts et consignations, à quoi j'ajouterais la revalorisation des métiers historiques de mandataire et de dépositaire. Il faut faire preuve de pragmatisme, adapter les stratégies tout en maintenant ce cap. Je suis d'accord avec la commission de surveillance qui juge le bilan de la Caisse des dépôts et consignations solide, mais rigide. Les taux sont bas, mais le coût de la ressource est élevé. Un équilibre reste à trouver entre flexibilité et stabilité financière. L'intérêt général est la valeur fondamentale du groupe. Mais je n'oublie pas que parmi les principes du service public, il y a l'adaptabilité...

Comme investisseur, la Caisse des dépôts et consignations gagnerait à être plus sélective dans ses choix et à développer une logique de co-investissement. Elle doit s'attacher à trouver un mode de fonctionnement équilibré avec ses filiales - notamment Bpifrance - et travailler en complémentarité avec elles, autour d'objectifs industriels clairs. Dans son rôle de prêteur, la Caisse des dépôts et consignations pourra tirer parti de l'augmentation du plafond du livret A et de l'enveloppe de 20 milliards d'euros consacrée au financement de projets territoriaux. Le volume des fonds d'épargne et les objectifs de construction de logements maintiendront à un niveau élevé le taux de distribution des prêts. La Caisse des dépôts et consignations a vocation à devenir le prêteur de référence aux collectivités et sur les durées longues.

Je salue l'efficacité de Bpifrance qui en moins d'un an a mis en place les outils dont les petites et moyennes entreprises et les entreprises de taille intermédiaire ont besoin. Le savoir-faire de la Caisse des dépôts et consignations positionne l'institution comme un outil de référence de la gestion publique, sur des sujets aussi divers que la gestion des retraites, des fonds des notaires, des comptes personnels à la formation ou encore des contrats d'assurance et comptes bancaires en déshérence. Comme opérateur enfin, elle doit renforcer son rôle dans le secteur concurrentiel et mener une réflexion sur ses participations. Un équilibre reste à trouver entre une nécessaire adaptation et le respect des intérêts patrimoniaux. Certaines filiales, comme la CNP, seront confrontées à des défis stratégiques dans les mois qui viennent. Je défendrai avec détermination les intérêts stratégiques et patrimoniaux du groupe.

La Caisse des dépôts et consignations possède un réseau territorial dont le savoir-faire et l'ingénierie technique et financière sont sans équivalent. Au moment où l'État mène une réflexion pour transformer ses structures territoriales, il est important que la Caisse des dépôts et consignations continue à jouer son rôle. Du reste, la Caisse n'a pas diminué son niveau d'investissement dans les territoires. En clarifiant ses conditions d'intervention et celles de ses filiales, elle maintiendra le réseau mobilisé. Être actif et réactif, telle est la priorité.

Aux niveaux européen et international, il serait souhaitable que la Caisse des dépôts et consignations resserre ses liens avec ses partenaires, mais aussi avec les investisseurs étrangers, dont les fonds souverains, qu'il faut attirer en France. Elle doit s'appuyer davantage sur le savoir-faire de ses filiales, dont les compétences financières sont reconnues. Elle possède les atouts du service public et ceux de son ambition industrielle. C'est un modèle équilibré qu'il convient de préserver et de promouvoir en renforçant la cohésion et la cohérence du groupe. La Caisse des dépôts et consignations est un édifice solide mais hétérogène. Elle s'appuie sur un socle de valeurs historique - intérêt général, foi dans le service public, indépendance, lien avec les équipements du territoire, rapport particulier au temps long - capable de mobiliser le plus grand nombre. La modernisation et le développement de cette belle institution est une mission passionnante.

Debut de section - PermalienPhoto de François Marc

C'est avec plaisir que nous vous accueillons dans cette maison où vous avez servi avec compétence et abnégation. Vous avez une connaissance avérée de la Caisse des dépôts et consignations, de ses activités, de ses compétences, de sa situation présente et des orientations qu'elle doit prendre. En tant que membre de la commission de surveillance, j'ai plaisir à constater la connaissance détaillée que vous avez déjà du groupe. Parmi les priorités des financements par la Caisse des dépôts et consignations figurent le logement, les collectivités territoriales, les infrastructures, le financement de la dépendance. D'après votre expérience, quels sont les engagements à prendre pour faciliter la rénovation thermique des logements ? Vous avez mentionné une enveloppe de 20 milliards d'euros consacrée au financement de projets des collectivités. Cette utilisation des fonds d'épargne a-t-elle vocation à être pérenne ? Sur quels segments portera-t-elle en termes de durée et de produits ? La question est d'actualité, car hier, nous avons voté une loi contre les emprunts toxiques, en débattant du cas de la société de financement local (SFIL), société à laquelle la Caisse des dépôts et consignations a prêté 11,5 milliards d'euros. Par ailleurs, lors de l'examen du projet de loi sur les comptes en déshérence, Michel Sapin a déclaré que les fonds placés sous la responsabilité de la Caisse des dépôts et consignations pourraient être utilisés pour financer l'investissement en faveur des personnes de grand âge. Quel est votre point de vue ?

Debut de section - Permalien
Pierre-René Lemas, candidat à la direction générale de la Caisse des dépôts et consignations

En matière de logement, l'encours des prêts de la Caisse des dépôts et consignations atteint un niveau historique. Compte tenu des objectifs de l'État - 150 000 logements sociaux par an - elle ne pourra que continuer sur cette lancée. Des évolutions sont possibles dans la nature des prêts et dans la manière dont ils sont consommés, la répartition entre construction et rénovation, notamment thermique. Cependant, la Caisse des dépôts et consignations n'est pas maître en la matière et l'optimisation de l'utilisation des fonds d'épargne ne pourra se faire qu'à l'issue d'un dialogue avec l'État. La rénovation énergétique est une priorité majeure, globale, écologique et économique. Elle se heurte néanmoins au manque de savoir-faire technique en la matière : comment, par exemple, réduire le gaspillage d'énergie dans les bâtiments de briques rouges que l'on trouve à la périphérie de Paris ? Il y a un an, la Caisse des dépôts et consignations a publié un rapport sur le financement de la rénovation thermique des logements. Celle-ci concerne aussi les logements privés ; il a été envisagé de créer un fonds de garantie sur les emprunts des ménages pour des travaux thermiques. Ce fonds pourrait être alimenté par les producteurs d'énergies. Le sujet est ouvert. La Caisse des dépôts et consignations a un rôle important à jouer dans la transition énergétique ; j'inviterai les équipes à travailler sur le cas des copropriétés privées, le segment le plus fragile en matière de précarité énergétique.

En plus de son rôle de financeur, la Caisse des dépôts et consignations s'est engagée dans un important programme de construction au travers de sa filiale SNI qui travaille également sur le logement intermédiaire. Il est important que la SNI garde distincts ses deux champs d'intervention - d'une part, le logement social, d'autre part, le secteur privé - car les logiques institutionnelle et financière ne sont pas les mêmes.

La Caisse des dépôts et consignations a été appelée à participer aux conséquences du naufrage de Dexia. Elle s'est engagée sur un niveau de prêts important, 12,5 milliards d'euros. Elle a pu trouver ces ressources sur le marché, mais il n'est pas raisonnable qu'elle y reste trop longtemps exposée et pour un montant trop élevé ; ce n'est pas dans la tradition de la Caisse. Je n'en dirai pas plus, sinon que c'est un dossier crucial, dans lequel il faut avoir à l'esprit la décision du Conseil constitutionnel l'an passé sur les dispositions votées.

C'est une marque de confiance de la part du Gouvernement que de confier à la Caisse des dépôts et consignations la gestion des comptes en déshérence. Une partie de ces fonds pourront être utilisés pour financer les équipements du grand âge. La décision dépend du Gouvernement.

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Bricq

Le modèle économique de la Caisse des dépôts et consignations a été profondément transformé par la crise financière. J'ai suivi l'élaboration du nouveau modèle prudentiel, plus contraignant. J'ai siégé quatre ans à la commission de surveillance et quatre ans au comité d'investissement, dans une période mouvementée. La Caisse des dépôts et consignations doit agir en investisseur avisé, mais l'expérience m'a montré qu'il était difficile pour un directeur général de résister aux demandes concernant des entreprises traversant des « trous d'air ». C'est à l'usage que l'on voit l'indépendance du dirigeant.

Comment concilier la création de la BPI et le développement du rôle de la Caisse dans le capital-développement ou les fonds d'amorçage ? La Caisse des dépôts et consignations est coactionnaire de Bpifrance, à égalité avec l'État, représenté par le Trésor. La gouvernance s'annonce difficile. Pouvez-vous détailler ce que vous entendez par « complémentarité avec la BPI » ? Avec qui se feront les co-investissements que vous suggérez ?

Debut de section - PermalienPhoto de Roger Karoutchi

Vos qualités et compétences ne sont pas en cause, mais vous êtes plus un « fils de Beauvau » qu'un « fils de Bercy ». À quelle logique répond votre arrivée à la tête de la Caisse des dépôts et consignations ? Vous auriez aussi bien pu faire un très grand préfet d'Île-de-France, par exemple, le plus haut poste de la préfectorale... Il y a quelques années, la nomination de conseillers de l'Élysée à la direction d'institutions financières a suscité des attaques virulentes ! Or c'est aujourd'hui un homme du sérail que le chef de l'État propose pour la direction de la Caisse des dépôts et consignations. Comment concevez-vous votre indépendance par rapport à l'exécutif ?

Debut de section - PermalienPhoto de Yvon Collin

Au risque de contrarier Roger Karoutchi, je trouve que le curriculum vitae de Pierre-René Lemas le qualifie tout à fait pour ce poste.

Quelle sera votre doctrine d'engagement des fonds d'épargne : comment arbitrerez-vous entre risque et rendement, entre l'intérêt général et l'intérêt des épargnants ? Quel est votre sentiment sur le dossier très sensible du très haut débit ? Où en est-on ? Enfin, comment la Caisse des dépôts et consignations s'assure-t-elle contre le blanchiment des capitaux et l'évasion fiscale ? Quelle garantie a-t-elle de n'être pas en relation d'affaires avec des partenaires financiers fragiles ?

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Dominati

Lorsque nous avons entendu Jean-Pierre Jouyet, il y a moins de deux ans, il nous a dit qu'il n'exercerait pas de responsabilités dans les filiales de l'établissement, notamment à la CNP - soit dit en passant, et c'est l'expression que nous avions alors utilisée, comment peut-on être capitaine d'un navire et ne pas aller dans les soutes ? Quoi qu'il en soit, il a ensuite changé de cap à 180 degrés. Les engagements pris devant les commissions parlementaires servent-ils à quelque chose ? Si ce n'est pas le cas, est-il bien utile de procéder à ces auditions ?

J'en viens à la gouvernance : je m'inquiète moi aussi. Quelle sera votre indépendance ? Votre candidature a-t-elle été examinée par la commission de déontologie ? Certains sujets sont particulièrement délicats : la privatisation de SFR, ou le dossier de la SNCM, dans lesquels une intervention politique sous-jacente est à l'oeuvre. Aurez-vous dans de telles affaires l'indépendance nécessaire ? Cela m'amène à vous poser une question inévitable au vu de votre parcours : depuis 2007, vous avez exercé des responsabilités très importantes à cinq postes différents, dans chacun desquels vous n'êtes donc resté qu'un peu plus d'un an. Votre prédécesseur est parti avant le terme de sa deuxième année. Nous avons besoin, dans un organisme financier de cette nature, de continuité. Vous engagez-vous, quelques soient les circonstances, à remplir la totalité de votre mandat ?

Debut de section - PermalienPhoto de Fabienne Keller

L'État a donné en mission à la Caisse des dépôts et consignations la gouvernance d'une partie du « grand emprunt ». Vous avez souligné votre attachement au temps long. C'est dans cet esprit que l'État a choisi la Caisse des dépôts et consignations comme opérateur, dans plusieurs dossiers stratégiques, pour un total de 6 milliards d'euros. Quelle est votre analyse des difficultés de gouvernance actuelles du grand emprunt ? Deux anciens premiers ministres, Alain Juppé et Michel Rocard, ont démissionné de leurs responsabilités à cause du changement de gouvernance, celle-ci étant ramenée dans le giron du ministère des finances, alors qu'elle était auparavant transversale. Et quelle place cette mission particulière aura-t-elle dans l'ensemble de celles de la Caisse des dépôts et consignations, dont les savoir-faire techniques seront, dans ce dossier, particulièrement précieux?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Caffet

Concernant l'utilisation des fonds d'épargne, vous nous avez donné des explications seulement partielles. Les ressources excèdent, de plusieurs dizaines de milliards d'euros, les besoins exprimés. Or, au 1er janvier 2016, les plafonds du livret A et du livret de développement durable seront relevés. Utiliserez-vous, avec l'accord de votre tutelle, cette manne pour des projets d'intérêt général ? La difficulté serait alors, bien sûr, la transformation d'une ressource à vue en prêts à maturation longue.

Debut de section - PermalienPhoto de Edmond Hervé

Je suis très heureux de constater que la République peut toujours compter sur de très hauts fonctionnaires compétents et parfaitement loyaux. Le cursus de M. Lemas témoigne de son indépendance. Il est important qu'il y ait dans notre République une certaine continuité de responsabilités au sommet des institutions administratives. Je note aussi que le tiers de la carrière de M. Lemas s'est déroulé en province : ces onze ans et demi sont à mettre en parallèle avec ses deux années à l'Élysée.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Berson

Vous avez rapidement évoqué la contribution de la Caisse des dépôts et consignations au règlement des difficultés financières des hôpitaux. Aujourd'hui, 50 % des centres hospitaliers de notre pays ne parviennent pas à équilibrer leur budget. La Caisse des dépôts et consignations pourrait-elle venir à leur aide, par exemple en leur octroyant des prêts à taux bonifié ? Cela faciliterait leur rénovation, et réduirait les frais financiers, qui pèsent lourds dans leur budget.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Adnot

Je ne crois absolument pas à l'intérêt de l'indépendance de la Caisse des dépôts et consignations : elle est le bras armé de l'État. Aucun d'entre nous, s'il était en responsabilité, ne se priverait de cette capacité. La seule question à laquelle nous avons à répondre est : Pierre-René Lemas possède-t-il la compétence nécessaire pour exercer cette responsabilité, a-t-il l'indépendance d'esprit pour dire ce qu'il pense tout en étant un serviteur de l'État ? Vous devinez ce que j'en pense.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Marini

Philippe Dominati a évoqué la commission de déontologie. Elle a pour mission, depuis 1995, de contrôler le départ des agents publics et de certains agents de droit privé qui envisagent d'exercer une activité dans le secteur privé et dans le secteur public concurrentiel. La question pertinente est donc : le groupe de la Caisse des dépôts et consignations comporte-t-il des activités susceptibles de relever du secteur public concurrentiel ?

Debut de section - Permalien
Pierre-René Lemas, candidat à la direction générale de la Caisse des dépôts et consignations

J'ai saisi le secrétaire général du gouvernement lorsque s'est posée la question de ma candidature à la direction générale de la Caisse des dépôts et consignations. Je tiens sa réponse, datée du 14 avril 2014, à la disposition de votre commission. Il avait, c'est la procédure, à son tour saisi la commission de déontologie. Celle-ci a répondu qu'en application d'une jurisprudence constante, elle ne se considérait pas compétente au cas d'espèce.

Le mot d'indépendance est utilisé par commodité : il désigne en réalité la capacité, le cas échéant, à résister à la pression des administrations centrales, des ministères ou d'autres autorités pour défendre les intérêts légitimes d'une grande institution qui ne se confond pas, loin s'en faut, avec une administration centrale. C'est une autre manière de dire que la Caisse des dépôts et consignations est un instrument de l'État d'une nature particulière, qui est depuis 1816 sous la protection du Parlement. L'indépendance de mes prédécesseurs est un sujet qui mériterait des analyses historiques complexes : de 1816 à la réforme initiée par Édouard Balladur, le directeur général de la Caisse des dépôts et consignations était en effet nommé à vie - à l'origine par le roi. C'est la raison pour laquelle le législateur de 1816, puis celui de 2008 ont tenu à préciser que la Caisse des dépôts et consignations était placée sous la protection spéciale du Parlement.

Je ne puis donc que vous soumettre le plus modestement possible ma candidature, tel que je suis, en étant passé par Beauvau, en étant passé par la défense, en étant passé par Ajaccio, et même, si vous m'y autorisez, en étant passé par la Lorraine.

Comme l'ont suggéré Nicole Bricq et plusieurs autres intervenants, la Caisse des dépôts et consignations doit agir en investisseur avisé. Cela vaut pour la Caisse comme pour la BPI. Il y a eu un modèle prudentiel, qui a fait l'objet de beaucoup de travaux. Des pressions se sont exercées, à l'occasion de la transposition de directives européennes, pour que la spécificité de cette institution soit remise en cause. C'est tout le contraire qu'il faut faire, car elle ne saurait être purement et simplement assimilée à une institution bancaire. Ce sujet reviendra sans doute devant le Parlement au cours des prochains mois, à l'occasion de la transposition de directives. Je crains qu'à l'heure actuelle il ne soit pas clos.

Le montant des fonds propres est un point d'une grande importance. Le capital économique de la Caisse des dépôts et consignations se monte à 26 ou 27 milliards d'euros. Les fonds propres et les dépôts juridiques ont peu évolué ces dernières années, mais le recours à l'endettement s'est accru : les émissions de long terme ont augmenté. Quant aux participations stratégiques, elles ne datent pas d'hier, et sont logées dans le FSI. La BPI les a confortées. On se rappelle ce qui a été fait pour la Banque postale. Si bien que ces participations stratégiques représentent aujourd'hui des montants très significatifs par rapport aux fonds propres. C'est une contrainte qui pèse sur la Caisse des dépôts et consignations. Le niveau des prêts octroyés par la section générale, notamment pour le financement d'Airbus ou celui de la SFIL, pèsent aussi lourdement. La production de résultats positifs est aujourd'hui très conditionnée à des éléments exogènes : l'évolution des taux, celle des marchés d'actions, celle du marché immobilier dont les perspectives sont ce qu'elles sont. Les marges d'intérêt ont tendance aussi à faiblir du fait du niveau historiquement bas des taux d'intérêt. Les revenus des participations sont dès lors une composante essentielle du résultat. Or ils sont très marqués par la conjoncture, donc volatils. Ajoutez à cela que la Caisse des dépôts et consignations n'a pas de capital, pas d'actionnaires : ses fonds propres sont en fait des résultats accumulés depuis 1816. Il n'y a pas d'augmentation de capital possible et c'est uniquement en parlant par image que l'on dit que l'État est actionnaire de la Caisse des dépôts et consignations. Les fonds propres ne peuvent augmenter que de manière modérée, compte tenu des règles de versement à l'État adoptées en 2010. Il faut donc être tout à la fois prudent et ambitieux pour rendre à la Caisse des dépôts et consignations des marges de manoeuvre.

La Caisse ne peut plus tout faire. La crise est passée par là, il n'est plus question de partir dans des aventures solitaires et la logique - qui est aussi celle de la BPI - doit rester celle de participations minoritaires. L'actionnariat à parité avec l'État au sein de la BPI est un choix, assumé. La BPI n'a pas le monopole du financement des entreprises ni des prises de participations. Néanmoins il serait absurde que les deux institutions complémentaires, dont l'une est la filiale de l'autre, n'aient pas une vision cohérente de l'ensemble de ce sujet. Un travail doit être fait au sein de la Caisse des dépôts et consignations sur la politique de participation, allant du placement à l'investissement stratégique. Sur cet arc théorique, il y a aujourd'hui des marges de réflexion et d'évolution. Je réponds du même coup au sénateur Collin sur la doctrine d'engagement.

Quant au blanchiment des capitaux, un dispositif très pointu a été mis en place à la Caisse des dépôts et consignations pour se prémunir contre le risque de travailler avec des partenaires financiers fragiles... ou indélicats.

Le haut débit a fait l'objet d'arbitrages du gouvernement. La Caisse des dépôts et consignations est un acteur majeur du déploiement de ces réseaux. L'intervention dans les zones intermédiaires, ni denses ni désertes, est une question qui reste ouverte.

L'évolution des quatre acteurs de la téléphonie mobile fait que la Caisse des dépôts et consignations, engagée sur des projets, se trouve un peu démunie lorsque ces projets n'aboutissent pas, comme ce fut le cas avec Orange.

Quant à la stabilité évoquée par Philippe Dominati, je ne suis pas de ceux qui changent frénétiquement de métier tous les jours. La dernière responsabilité que j'ai exercée auprès du chef de l'État pendant deux ans a, je l'espère, été globalement utile. Si je vous présente ma candidature, c'est bien pour l'ensemble d'un mandat. Peut-être serai-je amené à vous demander de le renouveler dans cinq ans ?

En juillet 2013 la réforme de l'épargne réglementée a tenu compte en partie du fait que le volume de liquidités, sur les fonds d'épargne, pouvait poser problème. Il a été décidé qu'une partie de ces fonds pourrait être restituée aux banques, moyennant un système de double garantie et de cliquet.

S'agissant du financement des hôpitaux, je ne peux que manifester mon ouverture. Des choses ont déjà été faites : la Caisse s'est beaucoup mobilisée dans les dernières années pour participer au financement de travaux d'urgence dans les hôpitaux. C'est une priorité qui mérite d'être regardée.

Enfin, je ne puis, dans ma position, m'exprimer sur la gouvernance du grand emprunt, mais uniquement sur sa mise en oeuvre, dont la Caisse des dépôts et consignations et la BPI sont toutes deux les opérateurs.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Marini

Monsieur le préfet, vous nous avez répondu de manière très détaillée, en réalité comme si vous étiez déjà en fonctions depuis un certain temps ! Nous vous remercions.

La commission procède ensuite au vote sur la proposition de nomination du directeur général de la Caisse des dépôts et consignations et au dépouillement simultané du scrutin au sein des commissions des finances des deux assemblées.

MM. Claude Haut et François Trucy, secrétaires, sont désignés en qualité de scrutateurs.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Marini

Mes chers collègues, voici le résultat du vote :

- Nombre de votants : 33

- Blancs : 5

- Suffrages exprimés : 28

- Pour : 20

- Contre : 8

Ce vote sera agrégé à celui de la commission des finances de l'Assemblée nationale.

La commission émet un avis favorable à la nomination de M. Pierre-René Lemas en tant que directeur général de la Caisse des dépôts et consignations.

La réunion est levée à 16 h 15