Intervention de Jean-Pierre Raffarin

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 11 février 2015 à 9h30
Chine — Audition du professeur françois godement

Photo de Jean-Pierre RaffarinJean-Pierre Raffarin, président :

On voit bien la mobilisation de la Chine en matière de défense. Qu'en pensez-vous ? Je vous donne la parole pour répondre aux questions.

Professeur François Godement. - Je répondrai d'abord aux questions concernant la poursuite du modèle de croissance chinois. En ce qui concerne l'éducation, la formation et la recherche, il est vrai que la Chine forme plus d'ingénieurs que les Etats-Unis, mais de quelle qualité ? Sur la course aux brevets, il y a aussi des exagérations. En matière d'éducation, on observe une mobilisation effrénée de la jeunesse qui aura de graves conséquences sur le plan psychologique et psycho-social mais qui permet à la Chine d'améliorer ses résultats formels. Concernant la recherche, il existe un gigantesque mouvement de circulation des chercheurs entre la Chine et les autres pays ; on observe notamment désormais un mouvement de retour très important de scientifiques chinois ainsi que l'embauche de scientifiques étrangers à prix d'or. Bref, la Chine mène une politique systématique pour compenser ses faiblesses en captant les ressources nécessaires.

Est-ce que l'éducation reste un facteur de promotion ? Je suis plus optimiste que la plupart des observateurs sur la capacité du système à promouvoir les gens. Certes, cette capacité ralentit un peu. Là où le système socialiste existait, dans les régions qui ne souffraient pas de sous-développement, il était plus égalitaire que d'autres systèmes. Je ne pense pas que le chômage des jeunes soit spécialement un problème, en revanche la sous-rémunération des diplômés l'est davantage.

Pour répondre à M. Robert Hue, l'émigration intérieure a longtemps été contrôlée par le biais du permis de résidence qui reste en vigueur mais dans une forme atténuée ; les grandes villes ont d'énormes poches de population sans résidence permanente. Le sentiment d'appartenance à la classe moyenne consiste ainsi largement dans le fait de résider de manière légale dans les villes, ce qui joue aussi en faveur du soutien au régime. Le développement est très inégal entre les régions mais l'Etat opère de gros transferts budgétaires, notamment par le biais de la construction d'infrastructures. Il existe un problème de vieillissement dans les régions rurales. Concernant les salaires, les entreprises étrangères se plaignent de hausses qu'elles considèrent excessives : c'est peut-être vrai pour des métiers très qualifiés mais beaucoup moins dans les régions de l'intérieur de la Chine, par exemple le Sichuan. En outre, il faut tenir compte du niveau réel de l'inflation, par exemple sur l'alimentation et le logement.

La déclaration commune Chine/Etats-Unis sur l'environnement est très opportune pour les deux parties : elle permet aux Etats-Unis d'afficher une coopération avec la Chine et pas seulement une compétition stratégique et des points de discorde ; de son côté la Chine reste considérée comme un pays en développement et ne s'engage qu'à partir de 2030 alors que les Etats-Unis s'engagent à compter de 2020. En outre, cet engagement porte uniquement sur les émissions de CO2 alors qu'elle a également un grave problème d'émission de poussières, de métaux lourds et de particules chimiques. Je crains que cet accord n'apparaisse comme un plafond pour les négociations de la COP21, notamment vis-à-vis de l'Inde qui est également très réticente dans ce domaine, alors qu'il devrait plutôt être considéré comme un accord plancher.

À votre demande, j'ai eu une approche économique dans ma présentation mais je vais répondre aux questions plus stratégiques. Depuis novembre et le sommet de l'APEC, les problèmes sont moins immédiats puisque le président Xi Jinping a rencontré le premier ministre japonais et signé une déclaration qui, malgré ses incertitudes, permet de différer les affrontements rhétoriques. Un accord existe dorénavant avec les Etats-Unis pour prévenir les incidents maritimes et les incidents aériens, un autre est en discussion avec le Japon, mais ils restent ambigus. Par exemple, ils concernent les forces armées alors qu'une grande partie des incidents ont été gérés par des administrations paramilitaires. On assiste également au retour d'une rhétorique chinoise sur la nécessité d'une bonne politique de voisinage, ce qui sous-entend une décision chinoise d'au minimum ajourner, peut-être de transformer la situation en matière de différends avec les voisins. Pour autant, les tendances à long terme doivent amener à plus de prudence, du fait par exemple de la très importante augmentation du budget militaire, alors que celui du Japon reste stable depuis de nombreuses années.

Jusqu'en 2012, la situation régionale a pu apparaître comme un sujet de confrontation entre les factions qui se disputaient le pouvoir. Aujourd'hui, la situation est beaucoup mieux contrôlée. Après les graves incidents qui ont lieu au Viêt-Nam à la suite de l'installation d'une plate-forme pétrolière, vous n'avez pas eu une seule manifestation publique en Chine, ce qui est révélateur de la capacité de contrôle du système. Cela peut nous rassurer mais aussi nous inquiéter. Certains disent que le pouvoir chinois est fragmenté ; d'autres, dont je suis, estiment qu'il y a un contrôle par le haut.

Nous avons donc affaire à une grande puissance qui teste les limites de son influence et qui veut faire prévaloir, comme la Russie, la notion de sphères d'influence, mais qui connaît aussi son infériorité militaire par rapport aux Etats-Unis. Elle réussit à ne pas tomber dans des pièges qui pourraient lui faire perdre la face et à ne pas se laisser entraîner dans une fuite en avant, mais la pression sur le long terme est tout de même très forte.

En ce qui concerne Taïwan, il faut rappeler que cette société est profondément démocratique, avec des partis politiques et des media divers. Il existe une contradiction entre le rapprochement économique et la stratégie chinoise de voisinage. D'ailleurs, que la pression s'oriente plus vers le Japon, les Philippines ou le Viêt-Nam ne peut déplaire à Taïwan... Cela reste pour autant une zone de conflit potentiel dans les années à venir. Alors que le « new deal » conclu du temps de Hu Jintao était censé donner une certaine autonomie à Taïwan sur le plan international, on peut regretter la frilosité des Européens pour négocier des accords notamment commerciaux avec Taïwan. Ce type d'accord, comme ceux que nous pouvons négocier avec l'ASEAN ou d'autres pays de la région, peut nous servir dans nos discussions avec la Chine. Pour être réaliste toutefois, Taïwan est entré dans l'orbite chinoise et n'en sortira pas.

La révolution des parapluies à Hong Kong est complexe à appréhender, notamment du point de vue sociologique. Vu de Chine, les habitants de Hong Kong sont relativement privilégiés. Il est vrai que la Chine veut prendre le contrôle de Hong Kong à la fin de la période de cinquante ans mais cela a été accepté par la communauté internationale. Il est difficile d'envisager que la Chine, qui refuse un système démocratique pour elle-même, le concède à Hong Kong !

Les relations entre la Chine et les Etats-Unis sont très complexes ; l'idée d'un G2 a été rejetée par Xi Jinping dès son arrivée au pouvoir et il a effectué plusieurs voyages à l'étranger qui l'ont bien montré. Les Etats-Unis sont certes la relation la plus importante de la Chine mais la Russie est officiellement la première relation stratégique. L'interdépendance entre les Etats-Unis et la Chine est très forte, que ce soit au niveau des élites ou sur un plan financier et monétaire. Les Chinois ont fait une erreur en pensant en 2009-2012 que les Etats-Unis allaient décliner en raison de la grande crise financière. Il existe des coopérations, par exemple sur l'énergie, mais pas à un niveau stratégique. Les Etats-Unis sont ainsi dans un dilemme dans leur relation avec la Chine.

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