Intervention de Antoine Seillan

Commission d'enquête sur la mise en oeuvre de l'écotaxe poids lourds — Réunion du 29 janvier 2014 : 1ère réunion
Audition de M. Antoine Seillan chef du bureau des transports de la direction du budget du ministère de l'économie et des finances

Antoine Seillan, chef du bureau des transports de la direction du budget, ministère de l'économie et des finances :

Avant de répondre à vos demandes, je présenterai le bureau des transports de la direction du budget. Nous sommes en charge de la préparation et du suivi de l'exécution du budget de l'État pour les missions et programmes budgétaires relatifs aux transports, c'est-à-dire les programmes 203 « Infrastructures et services de transport » et 205 « Sécurité et affaires maritimes, pêche et aquaculture » ainsi que le budget annexe « Contrôle et exploitation aériens » et le compte d'affectation spéciale « Services nationaux de transports conventionnés de voyageurs ». Nous traitons des questions de financement des politiques et des infrastructures de transports. À ce titre, je représente le ministère au conseil d'administration de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf). Le bureau compte six agents. J'occupe les fonctions de chef de bureau depuis octobre 2010.

Vous m'avez interrogé sur la place qu'a tenue la direction du budget dans les décisions sur la mise en place de l'écotaxe. Depuis 2007 et le Grenelle de l'environnement, la direction du budget s'est toujours montrée favorable à la mise en place de cette écotaxe et à l'affectation de son produit à l'Afitf. Il s'agit d'une position constante, relayée par le cabinet de notre ministre à de nombreuses reprises.

L'écotaxe en effet traduit les objectifs du Grenelle, rétablir l'équilibre entre les différents modes de transports et mieux couvrir le coût des réseaux de transports routiers non concédés, de manière à dégager des recettes pérennes pour financer de nouvelles infrastructures. Il est légitime que cette taxe soit fléchée pour sa plus grande partie vers l'Afitf, même si cela constitue une dérogation au principe de non-affectation des recettes. L'agence ne perçoit plus les dividendes des sociétés d'autoroutes depuis leur privatisation en 2006 ; elle est restée très majoritairement financée par des ressources principalement routières, ponctuelles (des soultes) ou régulières (des taxes). Le remplacement d'une ressource rare, la subvention du budget général, par une ressource affectée est de nature à sécuriser son financement.

La direction du budget a participé aux premiers travaux administratifs sur la mise en place de l'écotaxe. Le 24 avril 2007, elle a saisi la direction de la législation fiscale (DLF) de questions ayant trait à la qualification de la taxe, à la répartition des compétences entre loi et règlement, à son mode de calcul, à la possibilité de ne taxer que les poids lourds, à l'externalisation de la déclaration et du paiement de cette taxe. Une réunion de travail s'est tenue avec la DLF le 4 juillet 2007 en présence de représentants de la direction des routes du ministère des transports. La DLF a formalisé ses réponses par une note en date du 16 juillet 2007 dont les analyses ont été confirmées par l'avis du Conseil d'État en date du 11 décembre 2007, précisant les conditions dans lesquelles le dispositif pouvait être confié à un partenaire privé. Le 12 février 2009, la mission d'appui aux partenariats public privé (Mappp) a rendu un avis favorable au choix du contrat de partenariat. À ma connaissance et en l'état de mes recherches, la direction du budget n'a pas émis d'avis ou de recommandation en son nom propre sur le choix du recours au modèle du PPP, cette compétence relevant selon nous de la Mappp.

Pendant la procédure de consultation, nous sommes intervenus à trois reprises, conformément aux textes organisant la passation du contrat. Tout d'abord, nous avons assisté aux trois réunions de sélection des candidats par la commission consultative, créée par le décret du 30 mars 2009 dont nous étions membres. Cette commission s'est réunie lors de l'admission des cinq candidats à participer au dialogue compétitif, pour l'examen de la recevabilité des offres finales, et enfin, pour le choix du titulaire pressenti. La direction n'a pas émis de réserves sur l'analyse des documents réalisée préalablement par le ministère des transports.

Ensuite, nous avons préparé avec la direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM) la convention de financement entre l'État et l'Afitf votée lors de la réunion du conseil d'administration (dont nous sommes membres) le 7 septembre 2011. Cette convention de financement établit les flux budgétaires permettant le paiement du loyer de ce PPP. Elle établit donc les engagements financiers de l'Afitf, affectataire du produit de l'écotaxe, vis-à-vis de l'Etat, signataire du contrat de partenariat.

Enfin, le dernier stade auquel nous avons eu à connaître de ce contrat est celui de l'accord donné par le ministre du budget à sa signature, conformément à l'article 3 du décret 2009-242 du 2 mars 2003. Cet accord a été donné par le ministre du budget le 12 octobre 2011, par le ministre de l'économie le 17 octobre 2001, avant la signature du contrat par le directeur général de la DGITM le 20 octobre 2011. Cet avis donné par le ministre du budget s'inscrit assez naturellement dans l'objectif de préserver la soutenabilité budgétaire. En effet, le versement de loyers sur de nombreuses années rend plus rigide le budget des porteurs de projet. La préoccupation principale de la direction du budget, en situation de PPP, est donc d'éviter qu'une utilisation inadéquate de ce modèle ne « crante » la dépense publique sur le long terme et rejette le poids de la décision sur l'avenir, au point de rendre la dépense du porteur de projet « insoutenable », dans un contexte de rareté relative des ressources budgétaires. Dans le cas du PPP relatif à l'écotaxe, cette problématique était traitée relativement sans difficulté dans la mesure où la caractéristique principale de ce montage était justement d'offrir à l'Afitf la recette pérenne qui lui manquait pour financer la politique d'investissement du Gouvernement dans le secteur des transports.

Comme vous le voyez, nous sommes intervenus à des moments précis de la procédure. Nous n'avons notamment pas participé à la préparation de l'appel public à la concurrence en mai 2009 ou du règlement de consultation en août 2009, aux phases d'échanges avec les candidats à l'automne 2009 et au printemps 2010, à l'élaboration du projet de contrat donné aux candidats en décembre 2009 ou à celle du dossier de consultation des offres finales en juillet 2010. Nous ne l'avons pas fait parce que tel n'est pas notre rôle.

Depuis la conclusion du contrat de partenariat avec Écomouv', la direction du budget n'a plus eu l'occasion d'intervenir de manière directe. Elle n'est notamment pas associée aux discussions actuellement conduites par les équipes du ministère des transports et des douanes. Nous suivons donc les développements actuels en position d'observateur, dans la perspective de traiter leurs conséquences sur l'équilibre de l'Afitf et donc sur le financement de la politique de transports, qui est notre coeur de métier.

Cela m'amène à répondre à vos questions sur les conséquences budgétaires du contrat écotaxe, en comparant l'hypothèse d'une exécution normale, à celle de la « suspension » du contrat et à celle de la résiliation

Incontestablement, la suspension de la taxe poids lourds coûte à l'Etat.

Le report d'un an impliquerait la perte de 800 millions d'euros de recettes brutes. En parallèle, comme le coût du loyer en cas de suspension sera diminué, probablement, la perte de recette nette des moindres coûts de loyers sera inférieure. On l'estime, à ce stade, entre 680 et 750 millions d'euros et je comprends que les efforts déployés par mes collègues dans le cadre des discussions qu'ils ont avec Écomouv' pour diminuer le coût de ce loyer pourraient permettre encore de réduire le montant de ce manque à gagner.

Pour 2014, l'ampleur du manque à gagner pour l'Afitf dépendra de la durée de la suspension. Pour assurer la soutenabilité de son budget, il faudra d'abord prévoir des économies au sein de ce budget. Cela ne sera probablement pas suffisant et une augmentation de la subvention de l'État sera prévue, dont le quantum, faisant jouer le principe d'auto-assurance au sein du budget du ministère des transports, est en discussion. Un point d'étape à mi- année sera fait pour tenir compte des conclusions sur l'avenir de la taxe et de la tension de l'exécution budgétaire de l'Afitf, du ministère des transports et du budget de l'État. Un abondement additionnel pourra alors, le cas échéant, être envisagé. Un travail précis est en cours entre services de l'État pour établir un budget 2014 de l'Afitf sur ces nouvelles bases, qui sera présenté à son conseil d'administration du 6 février. Des parlementaires sont membres de ce conseil et l'information du Parlement sur le contenu de ce budget sera donc complète.

Le scénario d'un abandon définitif de l'écotaxe créerait un manque à gagner pérenne de 800 millions d'euros par an par rapport aux trajectoires que nous pouvions envisager, auquel s'ajouterait un coût de la résiliation du contrat de 800 à 900 millions d'euros selon les estimations du ministère des transports.

Jusqu'à octobre 2013, la trajectoire budgétaire de la politique des transports reposait sur la mise en oeuvre de l'écotaxe au 1er janvier 2014. Un abandon définitif aurait donc un impact d'ampleur substantielle sur cette politique. Dans le contexte de redressement de nos comptes publics, cela amènerait sans doute à réinterroger les objectifs de cette politique publique.

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