Intervention de Michel Hersemul

Commission d'enquête sur la mise en oeuvre de l'écotaxe poids lourds — Réunion du 14 janvier 2014 : 1ère réunion
Audition de M. Michel Hersemul chef du département d'expertise des partenariats public-privé et de conduite de projets délégués au sein de la direction générale des infrastructures des transports et de la mer dgitm

Michel Hersemul :

Madame la présidente, vous avez souhaité m'auditionner, dans le cadre de la commission d'enquête, en tant que responsable, au sein de la DGITM, d'un département dédié à la dévolution des partenariats public-privé (PPP) des infrastructures de transport. Le terme de partenariat public-privé recouvre l'ensemble des contrats complexes, et notamment les contrats de concessions et de partenariat. Mon département est situé au sein de la DGITM, mais peut être sollicité pour intervenir sur l'ensemble des procédures de dévolution de contrats de concession ou de partenariats passés par la direction générale.

Les missions du département sont prioritairement ciblées sur la passation de ces contrats et sur leur dévolution. Dans ce cadre, mon département joue deux rôles différents : il est, d'une part, directement pilote de la dévolution des contrats liés aux infrastructures autoroutières, qu'elles soient réalisées en concession ou en contrat de partenariat ; d'autre part, mon département assure une expertise, et apporte une contribution au cas par cas, notamment dans les domaines juridique et financier, pour les contrats dont le pilotage est assuré par d'autres entités de la direction générale.

Pour mener ces missions, le département dispose de 14 agents de catégorie A et A +, dont moi-même. Il a vocation à être à la fois un lieu de mutualisation et de capitalisation des compétences, et de valorisation des expériences ; il constitue également, in fine, une entité de pilotage opérationnel pour le domaine routier.

Les agents sont répartis entre trois métiers principaux : la compétence juridique et la passation de contrats, la compétence financement -et plus spécialement le financement de projets- et le pilotage de procédures.

Par ailleurs, il est usuel, pour ce type de contrats, et selon les sujets, que le département ou l'entité pilote du contrat concerné s'entourent des compétences de conseils indépendants privés, notamment dans les domaines technique, juridique ou financier. C'est le cas pour l'écotaxe, dont le contrat a profité de l'appui d'un grand cabinet d'avocats parisien.

A ce moment de mon exposé, il me faut rappeler qu'au sein de la direction générale, une mission de la tarification a été mise en place afin de conduire le projet écotaxe, et notamment la passation du contrat et son suivi.

Mon département est intervenu en tant que de besoin en assistance auprès de cette entité, et en expertise spécifique, pour la mise en place de la structuration et de la dévolution du contrat de partenariat relatif à la taxe sur les poids lourds.

Je me permets de signaler que les expériences acquises au sein du département, à travers un certain nombre d'autres contrats, ont permis de faire bénéficier la mission de la tarification d'une structuration spécifique en termes d'organisation, avec la création d'une équipe projet présentant toutes les compétences utiles à la conduite de celui-ci, la mise en place d'assistants externes techniques, juridiques et financiers, par des réflexions structurées très en amont sur les modes d'achat disponibles pour mettre l'écotaxe en place et, in fine, la mise en oeuvre de la dévolution du contrat.

Dans ce cadre, nous avons insisté, en tant que conseils internes, sur la confidentialité nécessaire vis-à-vis des différents candidats, sur l'égalité de traitement entre ces derniers, sur la manière d'organiser le dialogue compétitif de façon optimale, ainsi que sur la mise en place d'une commission consultative, créée par décret, présidée par un conseiller d'Etat, et qui a été interrogée régulièrement.

On peut donc considérer, s'agissant de l'écotaxe, que les standards habituels de dévolution des contrats ont été mis en oeuvre.

Cette organisation confère néanmoins à la seule mission de la tarification la connaissance à la fois globale et précise du dossier, et la légitimité pour répondre aux questions spécifiques que la commission d'enquête pourrait soulever sur la mise en place du choix du contrat de partenariat et sur la dévolution ou le contrat lui-même, mon département n'en ayant qu'une vision partielle et n'étant intervenu qu'à titre d'expert sur les points à propos desquels il était sollicité.

Je comprends néanmoins que vous avez souhaité pouvoir disposer d'un éclairage sur les aspects plus généraux des contrats de partenariat. Au regard des champs d'investigation de la commission d'enquête, quatre points me semblent pouvoir être abordés préalablement à nos échanges, d'une part, les conditions de recours au contrat de partenariat, d'autre part, l'intérêt du dialogue compétitif, les modalités de rémunération d'un tel contrat, et le traitement contractuel des risques

Les personnes publiques peuvent librement, et dans le respect des lois et règlements, choisir en opportunité le mode d'achat qu'elles jugent le plus performant pour répondre à leurs besoins. Dans la panoplie de l'achat public, le contrat de partenariat est un dispositif à part, parfois baptisé du nom de « niche » par les spécialistes. Seuls 200 contrats de partenariat ont été signés dans ce cadre.

C'est surtout un dispositif d'achat dérogatoire au code des marchés publics, notamment du fait qu'il interdit l'allotissement et autorise un paiement différé. Cela justifie, pour l'Etat, la nécessité réglementaire de produire une étude dite d'évaluation préalable, qui doit elle-même être validée par un organisme compétent de la direction du Trésor, la mission d'appui des partenariats public-privé (Mappp).

Que comporte l'évaluation préalable conduite pour l'écotaxe ? Elle doit d'abord s'attacher à justifier le respect des conditions réglementaires de recours au contrat de partenariat, en montrant le respect d'une des conditions réglementaires imposées par l'ordonnance.

Les conditions sont au nombre de trois : le critère d'urgence, le critère de complexité, la démonstration d'un bilan coût-avantage favorable au contrat de partenariat.

J'attire votre attention sur le critère de complexité. La notion de complexité renvoie en effet à la directive européenne 2004/18/CE qui indique que « les pouvoirs adjudicateurs qui réalisent des projets particulièrement complexes peuvent, sans qu'une critique puisse leur être adressée à cet égard, être dans l'impossibilité objective de définir les moyens aptes à satisfaire leurs besoins, ou d'évaluer ce que le marché peut offrir en termes de solutions techniques ». Cette définition montre que la notion de complexité n'est pas considérée comme intrinsèque au projet, mais qu'elle doit être considérée eu égard aux compétences et aux moyens dont dispose la personne publique.

L'évaluation préalable doit également comporter une étude comparative, qui analyse, notamment en matière de coût global, de performance, de partage des risques et de développement durable, l'intérêt relatif d'un mode d'achat en contrat de partenariat par rapport aux autres modes d'achat disponibles.

En ce qui concerne l'écotaxe, cette étude préalable a été élaborée par l'Etat. Le recours au contrat de partenariat a été autorisé par la Mappp dans son avis n° 2009-4, rendu en 2009. Cet avis est public et disponible sur le site internet de la Mappp. Celle-ci y valide, concernant l'écotaxe, la notion de complexité, en évoquant plusieurs thématiques techniques, qui vont de l'envergure du dispositif à la difficulté, pour l'Etat, de choisir a priori entre les deux solutions proposées -satellitaire ou recours aux communications dédiées à courte portée (DSRC). Les DSRC sont des dispositifs de transmission par micro-ondes supposant d'implanter des bases fixes tout au long de la route, ce qui n'a finalement pas été retenu.

L'intérêt de ces contrats est de favoriser l'émergence de solutions techniques opérationnelles susceptibles d'optimiser la réponse aux besoins de l'Etat. Cette optimisation est particulièrement favorisée lorsqu'on met en place un dialogue compétitif, ce qui a été le cas pour l'écotaxe, ceci permettant, de manière itérative, entre la personne publique et le candidat, d'améliorer conjointement le projet, d'une part, par l'ajustement du cahier des charges fonctionnel pour ce qui est de la personne publique et, d'autre part, par des efforts d'innovation et de performance du côté privé.

Cette évolution se traduit par des phases normées, dites d'échange ou de remise d'offre initiale, qui aboutissent in fine au projet final de consultation. Cette évolution du cahier des charges est bien évidemment conduite dans le total respect de l'égalité de traitement des candidats, et des éventuelles propriétés intellectuelles ou industrielles.

Il serait maladroit de ne pas évoquer le sujet de la rémunération des partenaires dans ce type de contrat...

Les contrats de partenariat supposent la mise en place d'un financement du projet par le titulaire, le cas échéant partiel. Compte tenu de la durée et du périmètre de ces contrats, une telle disposition revêt un intérêt évident pour assurer la mobilisation du partenaire dans la durée, et permettre une éventuelle sanction financière en cas de performance insuffisante.

Elle possède aussi des vertus dans les éventuels arbitrages que le partenaire peut adopter dans la conception de son projet, entre la qualité initiale de l'investissement et le coût d'entretien ultérieur. Bien évidemment, ce financement privé contribue à l'approche en coût global du projet, qui est un point important du contrat de partenariat. L'ensemble du coût d'investissement, de fonctionnement et de renouvellement est pris en compte, et non le seul coût initial.

L'ordonnance de partenariat impose que la rémunération du financement soit différenciée au sein de la rémunération globale du partenaire, mais le jugement des offres intégrera systématiquement dans les critères de jugement, ainsi que je l'ai dit, l'analyse du coût global -investissement, financement, entretien et renouvellement.

La rémunération de ce type de contrat est généralement versée sous forme de loyers, trimestriels ou semestriels. En cas de retard, le dispositif habituellement prévu dans les contrats est une simple suspension du versement des loyers, qui sont libérés à la livraison effective des biens, assortie en général de pénalités de retard. Le partenaire est donc fortement incité à terminer les travaux dans les temps impartis par le contrat.

A noter que dans ce cas, de manière générale, la durée du contrat étant fixe, l'allongement de la durée de construction réduit d'autant le temps d'exploitation, entraînant potentiellement une perte financière pour le partenaire.

Le dernier point sur lequel je voulais attirer votre attention concerne les clauses contractuelles. La DGITM a forgé une grande partie de sa doctrine sur la gestion des contrats de concession de type autoroutier -environ dix ont été signés depuis 2000- dans lesquels la quasi-totalité des risques est assumée par le concessionnaire.

Aussi, en ce qui concerne les contrats de partenariat, la direction générale a une position plus dure que la plupart des autres maîtres d'ouvrage en matière de partage de risques. Ceci se traduit notamment, dans la rédaction des contrats, par une approche restrictive des événements pris en compte dans les clauses, comme la gestion des modifications, la définition des causes légitimes -ces dernières pouvant exonérer le partenaire de pénalités- ou le fait du prince, avec l'évolution ultérieure unilatérale du contrat.

Ceci se traduit par des rédactions exigeantes des clauses de fin de contrat, qu'il s'agisse de déchéance, d'imprévision, de force majeure ou de résiliation pour intérêt général, pour lesquelles, d'une manière générale, la jurisprudence du conseil d'Etat est privilégiée.

J'ajoute, à titre personnel, que je suis assez peu intervenu sur ce contrat, puisque je n'ai pris mon poste qu'en janvier 2011, époque à laquelle le candidat pressenti a été désigné. Je n'ai donc pas du tout assisté aux phases antérieures.

Je me tiens à présent à votre disposition pour répondre à vos questions.

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