Intervention de Hélène Masson-Maret

Commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire — Réunion du 19 février 2014 à 10h10
Protection et mise en valeur du patrimoine naturel de la montagne -examen du rapport d'information

Photo de Hélène Masson-MaretHélène Masson-Maret, co-rapporteure :

Je remercie la commission du développement durable qui nous a fait l'honneur de nous confier, en début d'année dernière, la réalisation d'un rapport d'information sur la protection et la mise en valeur du patrimoine de la montagne.

Tout au long de cette mission, notre réflexion a été portée par trois grandes convictions.

Notre première conviction est que ce patrimoine naturel, s'il est bien sûr la propriété des populations qui y vivent et y travaillent, peut aussi être considéré, par sa richesse exceptionnelle, comme un bien appartenant à la Nation tout entière.

Notre deuxième conviction est que la loi du 9 janvier 1985, dite loi Montagne, par son souci permanent de concilier le développement et la protection de celle-ci, constitue un texte précurseur du développement durable, plus de vingt ans avant le « Grenelle de l'environnement » et les textes législatifs qui en sont issus.

Notre troisième conviction est que ce patrimoine naturel, en dépit de l'impression de solidité immuable donnée par les montagnes, est en fait fragile : Il sera tout particulièrement sensible aux effets du changement climatique.

Nous avons circonscrit le périmètre du rapport à six thèmes différents : d'abord, l'environnement montagnard, à la fois dans sa richesse en termes de biodiversité, mais aussi en tant que porteur de risques spécifiques ; ensuite, les multiples outils de protection de ce patrimoine naturel, parmi lesquels, notamment, les parcs nationaux et les parcs naturels régionaux. L'agriculture et la forêt de montagne, qui sont des parties intégrantes et humanisées de ce patrimoine, font l'objet d'un chapitre chacun. La problématique de l'eau nous a paru mériter également un chapitre distinct. Enfin, le tourisme en montagne nous est apparu comme une activité économique fondée très directement sur la mise en valeur de ce patrimoine, riche de la beauté de ses paysages et de l'étendue de ses espaces.

Pour traiter ces six thèmes, deux questionnements nous ont servi de fils conducteurs. Première question, qui se trouve au coeur de la loi Montagne de 1985 : comment concilier protection et développement ? Deuxième question, qui se trouve au coeur des lois Grenelle I et II : comment préparer l'adaptation de ce patrimoine naturel au changement climatique ?

Rapports écrits et auditions ont alimenté notre réflexion et, pour commencer notre travail, nous avons pu nous appuyer sur l'excellent rapport de la mission commune d'information du Sénat sur le bilan de la loi Montagne fait en 2002 par Jean-Paul Amoudry, notre ancien collègue Jacques Blanc étant président de la mission. Nous avons également pu nous appuyer sur le rapport d'information sénatorial que Jacques Blanc a consacré en 2011 à la politique européenne de la montagne et, parmi d'autres que je ne puis tous citer, sur le remarquable rapport consacré en 2007 par l'association nationale des élus de la montagne (ANEM) au changement climatique et à l'avenir de la montagne.

Au cours de nombreuses auditions au Sénat, et de trois déplacements à Nice, Bruxelles et Chambéry, nous avons entendu une soixantaine de personnalités : parlementaires, élus locaux, universitaires, fonctionnaires nationaux, territoriaux et européens, représentant d'organisations, de fédérations et d'associations les plus diverses.

Fruit de ce travail, notre rapport contient plusieurs propositions que nous avons voulues, systématiquement, les plus opérationnelles possibles.

Dans le chapitre premier, relatif à l'environnement naturel de la montagne, nous nous sommes efforcés de montrer que celui-ci est certes fragile, mais aussi exigeant par les risques qui lui sont inhérents.

L'amplitude du phénomène global de réchauffement climatique nous a été confirmée par Jean Jouzel, lorsque celui-ci est venu présenter devant notre commission, le cinquième rapport d'évaluation du GIEC (groupe d'experts intergouvernementaux sur l'évolution du climat), dont il est le vice-président français.

Il faut insister sur la sensibilité particulière des zones de montagne à ce changement climatique, où l'impact pourrait être plus marqué : décalage vers le haut des étages de végétation montagnards, mutation des écosystèmes des différentes espèces de faune et de flore (très spécialisés en montagne), effets ambivalents sur l'agriculture et le pastoralisme car le réchauffement des températures ne présente pas que des inconvénients pour les productions végétales et animales, même si, à long terme des sécheresses plus marquées et prolongées ne peuvent être considérées comme un avantage.

Autre conséquence du changement climatique, les risques naturels seront vraisemblablement accrus en montagne : événements climatiques extrêmes amplifiés par le relief, mutation des avalanches plus précoces et plus humides, crues torrentielles, feux de forêts particulièrement difficiles à maîtriser en montagne, risques liés à la fonte des glaciers et des terrains à pergélisol.

Dans cette perspective de risques accrus, la politique de restauration des terrains en montagne (RTM) prend donc toute son importance. L'érosion constante des dotations budgétaires allouées par l'État à l'office national des forêts (ONF) à ce titre est un sujet de préoccupation, et ce même si ces dotations ont été remises à niveau en 2012.

Notre première proposition consiste donc simplement à demander que, compte tenu des baisses récurrentes enregistrées, les crédits affectés à l'ONF pour la restauration des terrains en montagne soit, a minima, maintenus au niveau de ceux déjà alloués.

Par ailleurs, il nous est apparu nécessaire d'optimiser les plans de prévention des risques naturels en montagne. Leur mise en place y constitue un impératif, mais se heurte à un jeu de rôle artificiel entre l'État, qui se charge de « dire le risque » dans une optique de protection maximale, et les élus locaux, qui ne veulent pas être privés de toute possibilité de développement et d'aménagement de leurs territoires. Le projet de superposition, dans les plans de prévention des risques d'avalanches, de nouvelles « zones jaunes » (risque tri-centennal) aux zones bleues et rouges est un exemple marquant de ce manque de concertation.

Sur ce sujet des PPRN, nous formulons trois propositions :

- encourager, par le dialogue local, une définition davantage collective, participative et partenariale des risques acceptables sur les territoires de montagne, dans une approche soutenable à la fois pour l'État et pour les collectivités ;

- compléter la carte d'aléas des PPRN par des scénarios de risques plus explicites et détaillées, de manière à ce que l'expertise aboutissant aux différents zonages ne soit plus une « boîte noire ». Ainsi explicités, les scénarios de risques seraient associés à des seuils d'alerte, ainsi qu'à des mesures à prendre pour la mise en sécurité des personnes ;

- permettre des choix d'aménagements intercommunaux à partir d'une définition élargie des périmètres d'études des PPRN, qui nous paraît mieux adaptée pour une utilisation à l'échelle intercommunale.

Le deuxième chapitre est consacré aux outils de protection du patrimoine naturel de la montagne.

Les dispositifs généraux, comme la notion de « massifs », qui s'appliquent à de vastes surfaces en montagne, présentent un intérêt particulier au regard de la Trame verte et bleue, prévue par le « Grenelle de l'environnement », pour rétablir les continuités écologiques. Pour l'élaboration de cette Trame, ils ont vocation à constituer autant de « réservoirs de biodiversité » reliés entre eux par des « corridors écologiques ». Le réseau Natura 2000 apparaît également particulièrement dense en montagne. Mais sa mise en oeuvre semble se heurter au problème de la disponibilité des financements pour la restauration et l'animation des zones Natura 2000.

Nous formulons donc deux propositions pour faciliter leur financement. Première proposition : recourir aux financements communautaires complémentaires prévus dans le cadre de la politique agricole commune, en généralisant sur les sites Natura 2000 les « mesures agroenvironnementales territorialisées ». Deuxième proposition : rétablir la compensation intégrale par l'Erat des pertes de recettes de taxe sur le foncier non bâti subies par les communes au titre de l'exonération des terrains situés en zone Natura 2000.

Concernant les parcs nationaux, ce dispositif très centralisé et fortement protecteur a été modifié par la « loi Giran » de 2006, qui a cherché à donner davantage de pouvoir aux maires des communes de « l'aire d'adhésion » située en périphérie du « coeur de parc ». L'application de cette loi a été plus difficile que prévu, notamment dans le plus emblématique des parcs nationaux, celui de la Vanoise, pour lequel il n'est pas aujourd'hui encore certain que les communes de l'aire d'adhésion finiront pas adopter la charte qui leur est proposée.

Nous avons donc formulé principalement deux propositions, dans l'objectif d'apaiser les tensions entre les autorités administratives gestionnaires des parcs nationaux, d'une part, et les populations locales représentées par leurs élus, d'autre part. La première proposition consiste à rendre possible un recrutement local des gardes des parcs nationaux par un système de validation des acquis d'expérience. Ce recrutement local serait une manière d'obtenir une plus grande harmonie entre les gardes et les populations. La deuxième proposition consiste à offrir aux gardes des parcs nationaux une formation d'adaptation à l'emploi prenant en compte les nécessités du développement local, ainsi que l'écoute des populations et des élus.

Les parcs naturels régionaux relèvent d'une logique bien différente de celle des parcs nationaux : il s'agit d'un dispositif à l'initiative des collectivités territoriales, qui garantit par construction un équilibre dynamique entre protection et développement.

Nous formulons une proposition pour conforter le succès des parcs naturels régionaux : il s'agirait, pour les communes adhérentes d'un PNR, de rendre obligatoire l'intégration dans le projet d'aménagement et de développement durable (PADD) de leur plan local d'urbanisme, les préconisations de la charte et du plan du parc.

Le troisième chapitre de notre rapport traite de l'agriculture, considérée comme un facteur d'humanisation de l'environnement montagnard.

L'agriculture de montagne se caractérise par une surface agricole étroite et un foncier rare au regard de l'étendue des espaces montagnards, par la prédominance d'un élevage extensif et par de fortes contraintes naturelles liées au climat et au relief.

Comme toute l'agriculture française, l'agriculture de montagne est tributaire de la politique agricole commune qui reconnaît depuis longtemps un principe de compensation des handicaps, traduit par la mise en place de l'indemnité compensatoire de handicap naturel (ICHN), de la prime herbagère agro-environnementale (PHAE) et d'aides à l'installation et la modernisation majorées en montagne. Nous faisons la proposition de relever, voire supprimer, les plafonds des aides pour la modernisation des bâtiments d'élevage en montagne. La valorisation de la qualité des produits de montagne par la labellisation est également évoquée.

Je finirai, enfin, par un sujet qui me tient à coeur : celui de l'impact du retour des grands prédateurs sur le pastoralisme. La filière ovine, économiquement fragile, subit déjà l'impact du changement climatique et de la concurrence internationale, notamment de la Nouvelle-Zélande et de la Grande Bretagne, 60 % de la consommation nationale étant aujourd'hui importée. La prolifération des grands prédateurs, dont le plus redoutable est le loup, accentue encore le danger de voir l'activité pastorale régresser.

Après avoir été éradiqué au début du XXème siècle, le loup a fait « spontanément » son retour depuis les Apennins italiens en 1992, et sa population s'accroît à un rythme de 20 % par an, pour atteindre un effectif de 250 bêtes, selon les sources officielles (alors qu'officieusement on parle de 400 à 450 bêtes). L'ours des Pyrénées a frôlé l'extinction, mais a fait l'objet d'une réintroduction, tout comme le lynx et ces très grands rapaces que sont les vautours gypaètes.

Il en résulte une forte augmentation des prédations sur les troupeaux. Pour s'en tenir aux dégâts du loup, ceux-ci sont passés de 2 680 victimes indemnisées en 2008 à 4 913 en 2011, dont 95 % d'ovins. Ces prédations sont concentrées à 35 % dans mon département, les Alpes-Maritimes.

En conséquence, les indemnisations sont en forte hausse, passant de 500 000 euros en 2004 à 1,5 million d'euros en 2011 ; elles sont néanmoins insuffisantes, puisqu'elles excluent le préjudice moral pour les éleveurs.

Les mesures de protection, telles que le gardiennage renforcé, les parcs de regroupement et pâturage électrifiés, les chiens de protection, sont encore plus coûteuses : leur montant s'élève à 8,8 millions en 2011, il est six fois supérieur à celui des indemnisations. Ces mesures présentent, par ailleurs, des limites environnementales et sanitaires et des effets pervers (maladies liées au piétinement lors du parcage nocturne, atteinte à la biodiversité, baisse de rendements, etc.)

Aussi nous a-t-il semblé utile de poser enfin les conditions d'une gestion responsable des prédateurs.

Tout d'abord, nous prenons position dans le débat autour du statut du loup, « espèce strictement protégée » au regard de la convention de Berne du 19 septembre 1979. Notre proposition est simple : reclasser le loup de l'annexe 2 vers l'annexe 3 de la convention, pour en faire une « espèce protégée simple ».

Dans une autre proposition, nous rappelons la nécessité d'un strict respect du principe d'une concertation approfondie préalablement à toute réintroduction d'espèces menacées d'extinction. Ce principe n'a pas été respecté lors de la réintroduction d'ours de Slovénie dans les Pyrénées.

Enfin, et surtout, nous proposons de poursuivre au Parlement, jusqu'à son adoption définitive, la discussion de la proposition de loi visant à créer des zones de protection renforcée contre le loup qui a été votée à une très large majorité par le Sénat le 30 janvier 2013.

Notre dernière proposition sur le sujet invite à prendre des mesures efficaces dans le cadre d'une réglementation appropriée, afin de permettre la régulation des loups par des prélèvements suffisants. Ceci implique d'ajuster le niveau des prélèvements à la réalité démographique de la population lupine, à ne pas hésiter à recourir aux sociétés de chasse et à autoriser plus largement les tirs, hors du voisinage immédiat des troupeaux et durant la saison d'hiver, où il est plus facile de pister le loup.

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