Intervention de Bernard Cazeneuve

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 18 juin 2014 : 3ème réunion
Délimitation des régions élections régionales et départementales et modification du calendrier électoral — Audition de M. Bernard Cazeneuve ministre de l'intérieur

Bernard Cazeneuve, ministre :

Merci pour votre accueil. Je suis heureux d'être parmi vous, quelques heures après la présentation du texte en Conseil des ministres. Je connais l'importance pour vous que revêt l'organisation territoriale de la République, pour laquelle la Constitution vous octroie une légitimité particulière. Je salue Madame Escoffier qui a travaillé sur ce sujet avec ouverture d'esprit et professionnalisme jusqu'à il y a peu. Je salue tous les sénateurs qui exercent des responsabilités locales et qui connaissent parfaitement le sujet.

Le Gouvernement a choisi la procédure accélérée, car il ne faut pas laisser s'enliser les réformes qui ont été lancées. Mais l'urgence ne veut pas dire que le débat sera escamoté ; il y aura donc deux lectures avant la réunion d'une éventuelle CMP. Chacun pourra exprimer son point de vue, et ma porte restera ouverte à tous les parlementaires.

La première préoccupation du Gouvernement est la cohérence. Nous souhaitons réformer l'organisation territoriale de notre pays pour lui permettre de surmonter les difficultés économiques et renforcer les territoires pour qu'ils pèsent dans une compétition de plus en plus rude. Nous voulons des intercommunalités fortes, indispensables dans un pays qui compte 36 000 communes, notamment dans les territoires ruraux. L'enchevêtrement des compétences doit être clarifié : ce sera l'objet du projet de loi que présenteront Marylise Lebranchu et André Vallini. Il n'y a pas de démocratie locale sans lisibilité de l'organisation.

Nos régions doivent être plus fortes, dans une Europe où la taille moyenne des régions est très supérieure à la nôtre, à l'image des Länder allemands. La taille était déjà conçue comme un facteur d'efficacité par ceux qui ont créé les établissements publics régionaux il y a 50 ans.

Enfin, il faut moderniser l'administration déconcentrée de l'État. Après des années de rabot, notre administration territoriale doit être forte et puissante, constituer un interlocuteur des collectivités territoriales, en leur fournissant des services d'ingénierie. Il faut renforcer l'interministérialité et les pouvoirs des préfets, clarifier les missions de l'État, en évitant les doublons, avec une charte de la déconcentration, laisser de la souplesse dans l'organisation des services, développer la fongibilité des budgets, sans remettre en cause, pour autant, les garanties données aux fonctionnaires. Le Président de la République l'a affirmé lors de ses voeux, le Premier ministre l'a dit lors de sa déclaration de politique générale, la mise en oeuvre de ce projet est indispensable au redressement de nos territoires. Il y a urgence.

Beaucoup s'interrogent. Je sais que certains, même si je ne connais pas les pensées de chacun d'entre vous - ce qui serait suspect compte tenu de mes fonctions - considèrent qu'il est urgent d'attendre. En 2009, M. Balladur avait intitulé son rapport Il est temps de décider. Pourtant, cinq ans après, rien n'a changé... Depuis, MM. Raffarin et Krattinger ont, dans une réflexion sur l'avenir de l'organisation territoriale de notre République, proposé de réduire entre huit et dix le nombre de nos régions. N'attendons pas davantage ; prenons le risque d'essayer. Nos propositions ne sont pas intangibles. Le débat aura lieu, nous tiendrons compte de tous les avis pour améliorer le texte. Le Gouvernement a pris le risque de proposer une carte. Il est animé d'une volonté d'écoute, et souhaite aboutir.

Depuis des années, les présidents de région accomplissent un travail admirable pour accompagner les filières d'excellence, améliorer la relation entre les centres de recherche et l'industrie, investir dans les transports de demain et les énergies renouvelables. Grâce à ces initiatives, ils soutiennent notre croissance. Le regroupement des régions permettra de mutualiser les moyens pour dégager encore des marges de manoeuvre. Il s'agit d'atteindre la taille critique à l'heure de la révolution numérique et de la grande vitesse. La préoccupation de la taille a toujours animé ceux qui ont pris le risque de la réforme. Le général de Gaulle, qui a créé les établissements publics régionaux, expliquait dans les Mémoires d'espoir que la taille des collectivités territoriales n'avait pas changé depuis l'Ancien Régime et qu'elles se révélaient trop petites pour l'âge moderne où l'économie domine tout avec ses exigences d'aménagement et de planification. Il évoquait le télégraphe ou l'automobile qui ont rapetissé le département et rendu nécessaire la création des régions.

L'article 1er propose une nouvelle carte des régions : quinze régions sont regroupées en six ; huit autres régions restent en l'état car elles disposent déjà de la taille critique. Avec ce découpage qui privilégie la taille et les enjeux économiques, nos régions s'inscrivent dans la moyenne européenne. Les nouvelles régions auront une population, en moyenne, de 4,3 millions d'habitants, contre 2,6 aujourd'hui, 5,3 millions pour les Länder allemands ou 4,1 millions pour les régions italiennes. Nous réduirons aussi les disparités territoriales, ramenées de un à trois, contre un à neuf aujourd'hui. Nulle carte n'aurait fait l'unanimité, vu l'histoire ou les espérances, parfois politiques... Il fallait prendre le risque de soumettre une carte au débat. Elle sera susceptible d'améliorations. Derrière la carte surgissent des questions d'histoire et d'identité, des attachements, des coopérations. La modification des frontières suscite naturellement des craintes et des interrogations. M. Richert a indiqué que l'Alsace, que Jean-Marie Mayeur qualifiait de région histoire, était prête à s'ouvrir car elle sait qu'il n'y a pas d'antinomie entre ses racines, son histoire et son avenir. Ce texte rend possible ce dépassement. Le Gouvernement a posé des principes : la modification de la carte ne devra pas aboutir à augmenter le nombre de régions, ce qui serait la mort de la réforme. Il n'est pas souhaitable non plus de détacher certains départements de leurs régions d'origine.

L'article 2 prévoit les modalités de désignation du chef-lieu des nouvelles régions, prérogative d'ordre réglementaire. Trois mois après la publication du texte, le débat s'ouvrira dans les territoires. S'il aboutit à un choix consensuel, nous l'entérinerons. Sinon, nous soumettrons une proposition à l'approbation du conseil régional. Nous limitons le nombre de conseillers régionaux à 150 par région, soit une baisse seulement de 9 % du nombre total de conseillers régionaux. Chaque section départementale aura des représentants au conseil régional. Le débat parlementaire sera l'occasion d'apaiser les craintes de décrochage ou de relégation de certains territoires ruraux.

L'article 12 modifie le calendrier électoral. Nous reportons à décembre 2015 les élections régionales et départementales, afin de laisser le temps aux citoyens de s'approprier la réforme. Ce texte fixe la fin du mandat des conseillers départementaux en 2020. Il précise aussi les modalités de remplacement des conseillers élus dans le cadre du scrutin binominal, afin de remplacer un élu empêché sans obliger le binôme à démissionner, conformément à la décision du Conseil constitutionnel du 16 mai 2013. Enfin, les conseillers généraux de la métropole lyonnaise, qui se substituera au département du Rhône sur son périmètre, verront leurs fonctions cesser au 31 décembre 2014.

La IIIème République a instauré la liberté des communes, pour conforter la démocratie dans les campagnes. Les personnalités issues de la Résistance ont cherché à renforcer l'aménagement du territoire pour donner à chacun sa chance. La décentralisation, voulue par Gaston Defferre et François Mitterrand, a renforcé le pouvoir des élus locaux. Aujourd'hui, notre pays traverse une crise profonde. Pour la surmonter, il faut renforcer l'investissement dans des filières économiques d'excellence. Il est toujours plus difficile de réformer en période de crise car les fruits à redistribuer sont moins nombreux. Mirabeau, alors que l'on envisageait de créer des départements de même superficie, déclarait en novembre 1789 : « Je sais bien qu'on ne couperait ni des maisons ni des clochers ; mais on trancherait - il ne savait pas ce qui l'attendait - ce qui est plus inséparable, on trancherait tous les liens que resserrent les moeurs, les habitudes, les productions et le langage. » Les débats sur l'identité se posaient déjà dans les mêmes termes ! L'histoire nous invite ainsi à relativiser, pour surmonter les divisions et trouver un compromis. Je suis convaincu que c'est possible au Sénat : vous pouvez compter sur ma totale disponibilité pour y contribuer.

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