Au cours d'une seconde réunion tenue dans l'après-midi, la commission procède à l'audition de M. Alain Rousset, président de l'Association des régions de France (ARF) et de représentants de l'ARF, sur le projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral.
Je remercie les présidents de région et M. Rousset, président de l'Association des régions de France (ARF), et tous ceux qui ont répondu à notre invitation à cette commission élargie. Ce matin, en conseil des ministres, le Gouvernement a adopté deux textes, dont nous examinerons le premier en juillet. Nous avons souhaité entendre rapidement les présidents de région et organiser une discussion avec les sénateurs. Vous avez en tête les états généraux de la démocratie territoriale, qui ont rassemblé des centaines et des centaines d'élus. Nous souhaitons que leur esprit plane sur nos débats et que chacun puisse s'exprimer sur la réforme en cours. Cet échange nous avait été demandé, nous l'avons organisé dans ce cadre particulier.
Nous sommes très honorés que M. le président du Sénat participe à cette réunion. Jean-Pierre Bel l'a rappelé, les états généraux de la démocratie territoriale ont beaucoup marqué. Ils ont favorisé un travail approfondi sur la loi qui a modernisé le statut des métropoles. Elle a été votée au Sénat par une majorité plurielle, illustrant sa capacité d'opérer des convergences pour les collectivités locales.
La commission des lois a choisi d'organiser une réunion publique ouverte à tous les sénateurs. Je vous remercie, chers collègues, d'être venus nombreux. Jamais nous n'avions reçu autant de présidents de région. C'est un honneur pour le Sénat. Je souhaite la bienvenue à Alain Rousset, président de la région Aquitaine et président de l'ARF. Je salue également Jean-Paul Huchon, président de la région Ile-de-France, René Souchon, président de la région Auvergne, Laurent Beauvais, président de la région Basse-Normandie, Marie-Guite Dufay, présidente de la région Franche-Comté, Philippe Richert, président de la région Alsace, Jacques Auxiette, président de la région Pays de la Loire, François Patriat, président de la région Bourgogne, Jean-Marie Beffara, vice-président de la région Centre, Gérard Vandenbroucke, vice-président de la région Limousin.
Nous sommes nombreux à penser que la France gagnera à avoir des régions encore plus fortes. C'est une question de compétences, de finances et de moyens plus que de périmètre. Nous serons heureux d'entendre les présidents des régions de France nous dire comment leurs territoires sont la force et la vitalité de notre pays.
En mettant les régions en avant, ce texte s'inscrit dans une démarche que l'ARF appelle de ses voeux depuis longtemps. L'état des lieux européen montre l'efficacité de notre action publique en termes de développement économique et d'emploi, qui sont le coeur de métiers des régions. Dès avant la Révolution, l'histoire de France s'est faite contre les régions - à l'époque, on disait les provinces. Un modèle de décentralisation à la française se met en place, qui spécialise les compétences. Les régions s'y inscrivent. Comment ne pas voir que dans notre monde complexe et mondialisé, on ne gère pas les transports urbains, la solidarité ou l'allongement de la durée de vie comme on développe des entreprises ? Les régions françaises investissent 400 millions d'euros par an dans l'innovation de leurs petites et moyennes entreprises (PME), sur un peu plus de 2 milliards d'euros consacrés au développement économique en général. Les Länder allemands investissent 9 milliards d'euros. Les aides de l'État se limitent au Fonds unique interministériel (FUI) et aux pôles de compétitivité, soit 400 millions d'euros, car le crédit d'impôt recherche n'est pas une aide à l'innovation et la Banque publique d'invetissement (BPI) octroie des prêts. Nos PME et entreprises de taille intermédiaire (ETI) sont en concurrence avec les entreprises allemandes. La France compte 1 000 ETI indépendantes pour 15 000 en Allemagne. Pour compléter la comparaison, les dépenses publiques globales des régions françaises s'élèvent à 395 euros par habitant pour une moyenne européenne de 3 000 à 5 000 euros. À iso-compétences, le rapport est de 1 à 5. Ce que disait Jean-Pierre Sueur est parfaitement justifié : ce qui est en jeu, c'est la puissance des régions et non leur taille.
Hier, dans une réunion des présidents des conseils régionaux, Martin Malvy nous disait que les financements croisés sur un même dossier coûtent 800 euros en termes d'ingénierie publique. Nous nous trouvons dans un système de dilution des responsabilités et d'exacerbation du coût de l'action publique, alors même que l'État peine à faire évoluer ses politiques régaliennes. Pour peu qu'elle soit claire, la décentralisation est un acte de réforme responsabilisant qui économise l'action publique en la rendant plus efficace. Chaque fois qu'une compétence a été transférée à une collectivité locale, elle a été parfaitement gérée. C'est vrai pour les lycées, les collèges ou bien les trains express régionaux (TER), désormais rénovés. Rien n'aurait été possible sans le modèle économique qui a été le nôtre jusque dans les années 2000. Pour les lycées, les régions dépensent six fois plus que l'État le faisait à l'époque. Grâce à elles, la France se classe au troisième rang des pays européens pour le développement numérique des lycées - elle est septième pour les collèges. C'est dire qu'il faut réhabiliter l'efficacité de notre modèle par rapport à son coût.
Autre exemple, le service public de l'emploi est émietté. Dans des régions comme la Bretagne ou l'Aquitaine, plus de 170 organismes concourent à la réinsertion des chômeurs. À périmètre constant, en Allemagne, le service public de l'emploi représente 150 conseillers pour 10 000 chômeurs, contre 130 en Grande-Bretagne et... 71 en France. Une réforme et des progrès sont possibles.
Les régions ne souhaitent pas élargir le champ de leurs compétences au-delà de leur coeur de métier, pourvu qu'elles puissent exercer complètement ces compétences en accompagnant les entreprises. L'enjeu de l'acte de décentralisation que nous appelons de nos voeux est une répartition claire des compétences entre l'État et les régions. En matière d'innovation, par exemple, l'État intervient sur des appels d'offres, sur le FUI, par la BPI... La France ne peut plus se payer à la fois la déconcentration et la décentralisation. Elle doit choisir. Le mélange des deux induit un nomadisme des chômeurs et des chefs d'entreprises qui coûte cher et nuit à la rapidité de la décision publique.
Le découpage des régions a déjà donné lieu à plusieurs propositions de cartes, celles de Pierre Mauroy, d'Édouard Balladur, de Jean-Pierre Raffarin et d'Yves Krattinger. Selon les géographes, la solution optimale serait de passer entre les départements ou d'opérer un découpage intra-régional plutôt que de fusionner les régions. Le président de la République a privilégié la simplicité. À deux exceptions près, les flux se réalisent d'ailleurs d'abord au sein des régions.
La région est devenue la collectivité la plus dépendante des dotations de l'État. Le modèle des TER ne peut plus être accompagné : la région subventionne les gares et paye en plus les droits d'usage - une double peine ! Un tel système n'est plus acceptable. La disparition des conseils généraux renforcera le rôle des régions et des intercommunalités sur les territoires fragiles. Elles devront assumer une histoire française en général plus favorable aux territoires riches, laissant de côté un certain nombre de territoires ruraux. Nous plaidons pour le renforcement de l'intercommunalité. Nous plaidons même pour la revivification des pays, avec un vrai pouvoir exécutif. L'émiettement est trop coûteux.
Les métropoles doivent faire l'objet de toute notre attention. L'industrie française est à 60 % hors du territoire métropolitain. Il faut rester prudent sur une exception métropolitaine en matière de compétences économiques afin d'éviter que les métropoles n'en viennent à monopoliser la richesse et l'emploi. Un tel déséquilibre favoriserait la désertification des territoires ruraux et pénaliserait les entreprises qui gagnent à se développer sur des territoires à la fois urbains et ruraux, comme elles l'ont fait en Vendée ou à Lacq.
Un certain nombre de compétences seront transférées du département à la région - les collèges, les routes et les transports interurbains. Si ce transfert est l'occasion pour Bercy de supprimer les deux milliards d'euros alloués par les départements aux PME, ce sera un manque à gagner considérable pour l'innovation et l'emploi. Cela vaut pour le tourisme, les technologies de l'information et de la communication (TIC), la transition énergétique.
Les régions tiennent aux compétences qui font leur coeur de métier - formation, emploi, développement industriel et recherche. Elles sont aussi sensibles à l'équilibre des territoires et à l'action contractuelle que nous pouvons mener dans des territoires qui n'auraient pas la puissance fiscale des métropoles.
Le Sénat est saisi du premier texte, même si les deux textes adoptés en conseil des ministres ce matin forment un ensemble.
L'enjeu n'est pas la taille, mais les compétences et la puissance, partant les moyens. Dans ma région, pourtant lourde à gérer, seulement 8 euros sur 100 de dépenses sont imputables à ma politique financière, tout le reste vient de l'État. Or, celui-ci se retire massivement, avec ce plan d'économies budgétaires mortel de 10 à 11 milliards d'euros sur les collectivités. Comme Anne Hidalgo, je commence la discussion budgétaire 2015 avec 400 millions d'euros en moins, soit 10 % de mon budget que je ne retrouverai pas.
Le pays basque espagnol dispose d'un budget huit fois supérieur au nôtre, sans que le poids de cette région en Espagne soit comparable à celui de l'Ile-de-France dans notre pays. Nous sommes loin de nos concurrents internationaux, en termes de puissance. En région Ile-de-France, les transports font le coeur de notre métier. Nous y consacrons la moitié du budget, soit 2,5 milliards d'euros. À cela s'ajoute le projet monstrueux du Grand Paris ; en 2020, la région prendra le relais pour payer l'exploitation et le fonctionnement. On oublie trop souvent que 70 % des voyageurs français circulent en Ile-de-France. La SNCF s'adapte à cette situation avec les dysfonctionnements que nous connaissons.
Je ne suis pas de ceux qui contestent le premier texte sur le découpage des régions. La région Ile-de-France compte 12,5 millions d'habitants et représente 31 % du PNB. Élargir la région au grand bassin parisien, c'est-à-dire à la moitié de la population française, n'aurait pas de sens. Nous perdrions le patriotisme régional qui existe bel et bien grâce au travail des élus.
La question centrale reste pour nous celle du département et de la métropole. Je crois qu'il est possible d'intégrer les départements dans la région, en créant une assemblée régionale unique, reposant sur des listes comportant des représentants des départements, et une commission permanente spécifique en charge des questions départementales. Aucune modification constitutionnelle n'est requise. En simplifiant la carte, on laisserait vivre les départements qui représentent une proximité quand la région incarne la stratégie - celle des grands équipements, par exemple. Nous devons combiner les deux. Manuel Valls a qualifié ma proposition d'intéressante, mais peut-être pas majoritaire. Nous devrions la faire avancer.
Ma région compte huit départements, cinq de gauche, trois de droite. Je ne demande pas la disparition de telle ou telle sensibilité, même si certains ont raison de s'en inquiéter. Nous devons trouver une représentation équitable des intérêts départementaux. On ne supprimerait pas les départements, on les « dévitaliserait »...
La région n'est pas forcément apte à prendre en charge les compétences sociales du département. Je suis également très préoccupé par la suppression de la clause de compétence générale. Lors des votes de l'ARF, j'étais contre. Je me suis rallié à la majorité par souci de simplification et d'économie. Cependant, je ne vois pas comment un préfet pourrait, en vertu de la suppression de la clause de compétence générale, interdire à la région de venir en aide à une association des personnes handicapées ou d'autistes. Ce serait laisser l'État rétablir sa tutelle sur les régions. Nous nous battrons contre cette tentation.
Je suis président de la région Auvergne, une petite région - 1 350 000 habitants - qu'on va marier avec une très grande qui fait 6,3 millions d'habitants de la région Rhône-Alpes. L'annexe du projet de loi plafonne à 150 élus l'effectif de plusieurs régions nouvelles dont Auvergne-Rhône-Alpes. Ce plafonnement écrase la plus petite région, d'autant que la représentation est entièrement basée sur le nombre d'habitants. L'Auvergne se retrouverait avec 26 élus contre 47 actuellement ; le Cantal, qui est le plus petit département, n'aurait plus qu'un ou deux élus. Selon la loi, deux représentants du conseil régional doivent siéger au conseil d'administration des lycées. Dans le nouveau système de représentation, ce sera tout à fait impossible.
La région est le lieu où s'élabore la stratégie à moyen et à long terme. C'est aussi un lieu de gestion de la proximité. Si les élus n'ont plus de présence locale, on court à la catastrophe. Le plafonnement de la représentation est un très mauvais signe, surtout dans un espace à faible densité de population. Le texte a été modifié depuis hier. Selon les nouvelles dispositions, la métropole de Lyon aura plus de conseillers régionaux que toute la région Auvergne. C'est l'article 6 du texte.
Le périmètre n'a pas de sens sans une réflexion sur les compétences ; la compétence économique doit d'ailleurs être largement précisée. Pour faire évoluer la représentation des territoires ruraux, il serait nécessaire de revoir certaines notions -on parle de chef-lieu et non de capitale- en les intégrant dans une réflexion sur la politique d'aménagement du territoire. Cette politique n'étant plus nationale, la problématique relèvera des régions.
La notion de chef-lieu pourrait être modernisée, rapprochée de la métropole, désormais dotée de compétences et de pouvoirs importants. On n'est plus au temps où le chef-lieu rayonnait sur un territoire que l'on pouvait parcourir en une journée. Il faudra définir les fonctions de direction des nouvelles régions qui devront être organisées au regard des métropoles.
Le rapprochement des régions fait partie d'une vaste réforme qui renforce les intercommunalités et peut conduire à la disparition du département. Ce projet moderne allégera l'administration territoriale en la rendant plus efficace, et relancera la dynamique de l'économie. J'y suis favorable à 100 %. La France bouge dans le bon sens.
La réforme doit trouver les conditions de sa réussite. Il ne serait pas bon d'aller vers une agrégation mécanique des conseillers en fonction de la population, ainsi entre la Bourgogne et la Franche-Comté. Il nous faut trouver un critère de pondération pour rendre possible une communauté de destin et favoriser l'adhésion de la population.
Nous préparons la France de demain ; le chef-lieu est une notion d'hier, qui ne correspond pas aux actuelles politiques en réseau. La question de la capitale est très sensible ; faut-il fixer celle-ci par décret ? L'assemblée régionale ne siègera pas forcément au chef-lieu. Ne figeons pas les choses : l'organisation de demain peut être multipolaire. Je vous souhaite d'excellents travaux ; merci d'avance de votre sagesse, qui contrastera avec les passions qui s'expriment dans les territoires.
Comme les présidents de l'Association des régions de France et de la région Île-de-France, je pense que la taille n'est pas la vraie question. Seul président de région de l'opposition ici, je ne me permettrais pas de le dire s'ils ne m'avaient pas précédé : ce qui compte, c'est d'avoir les ressources qui correspondent aux compétences. Ils ont eu l'honnêteté de reconnaître que les régions allaient être ponctionnées. Que n'avais-je pas entendu lorsque j'avais parlé de la stabilisation des ressources que l'État reverse...
Profondément régionaliste, je crois que l'avenir est dans la décentralisation, qui passe par le renforcement des régions, au-delà des compétences des départements : il faudrait par exemple leur transférer celle de l'emploi, comme l'a dit Alain Rousset, sinon, cela ne mènerait pas à grand-chose. C'est pour cela que nous avons essayé d'expérimenter le Conseil d'Alsace en fusionnant les conseils généraux et le conseil régional, par un référendum où 58 % des votants avaient voté oui, mais qui a échoué pour n'avoir pas réuni 25 % des inscrits. Nous avions sollicité le Sénat, mais l'amendement cosigné par François Patriat, Jean-Vincent Placé, Catherine Troendlé et André Reichardt a été torpillé en commission. Quelqu'un a dit qu'il serait temps que l'Alsace se souvienne qu'elle fait partie de la République... C'est dommage, car nous expérimenterions maintenant cette solution.
Si nous pouvons trouver une solution pour faire le Conseil d'Alsace quand même, ce ne serait pas plus mal. Mais l'idée d'une réunion avec la Lorraine ne nous fait pas peur. Nous avons besoin de clarté. Or elle s'éloigne au lieu de se rapprocher. Sans doute la sagesse du Sénat y remédiera-t-elle. En sortant d'ici, le texte donnera des pistes. Une réunion entre l'Alsace et la Lorraine aurait beaucoup de sens : un peu plus de 4 millions d'habitants, un PIB global de 110 milliards d'euros. Il faut d'abord définir le projet. Pour l'instant, le texte ne parle que de découpage et de mode d'élection. C'est un peu court. Nous aurions besoin de précisions pour nous prononcer.
La région Centre est au coeur d'une proposition de carte qui fait débat. Dans une période où l'on s'interroge sur l'identité des futures régions, la nôtre est un exemple édifiant et rassurant. Composée de façon hétéroclite, allant des franges franciliennes au Berry en passant par le Val de Loire, elle a su créer un sentiment d'appartenance à travers des politiques. Nous ne sommes pas et ne serons jamais l'objet régional non identifié dont parle Le Figaro. Nous formons la sixième région industrielle, la première région céréalière ; j'en revendique la fierté.
Il faut aussi parler du Val de Loire, classé au patrimoine mondial de l'Unesco : c'est autour de la Loire que nous voulons construire notre avenir, en nous tournant vers les Pays de la Loire, avec qui nous avons engagé de nombreuses coopérations. C'est vrai en matière de tourisme - la Loire à vélo fait du Centre la première destination du tourisme à vélo en Europe ; cela vaut aussi pour la recherche avec le cancéropôle Grand Ouest, pour le parc naturel interrégional Loire-Anjou-Touraine ; cela se vérifie encore avec les vins de Loire, qui ne déméritent pas. Voilà une alternative crédible et dynamique à la proposition du Gouvernement. Jacques Auxiette tiendra peut-être des propos différents : certains élus de sa région semblent privilégier la façade maritime plutôt que l'axe ligérien. Quel que soit leur choix, la région Centre veut tourner son avenir vers l'Ouest. Nous ne croyons pas à l'immobilisme.
Le Poitou-Charentes est à l'Ouest.
Des deux projets de loi, le deuxième est le plus important. Mais le premier doit être débattu dans l'urgence.
Je siège au conseil régional des Pays de la Loire depuis 1977 - c'est la silver economy ! J'ai rencontré récemment Philippe Camous, ancien collaborateur d'Olivier Guichard qui a installé le conseil régional le 5 janvier 1974. Le sentiment d'appartenance à un territoire qui s'est forgé depuis quatre décennies est une réalité pour tous les territoires français. J'ai été pour le moins étonné de la déclaration du président de la République du 14 janvier dernier, annonçant la division par deux du nombre des régions. Depuis, avec le conseil régional, le conseil économique, social et environnemental régional (Ceser) et les autres acteurs, nous avons essayé de rationaliser, pour que le Parlement et, en particulier, le Sénat puissent proposer une carte plus efficace, plus capable, plus pertinente, notamment en termes de développement économique. Cette démarche ne doit pas être franco-française, mais se placer dans une dynamique européenne. Votre responsabilité est grande : elle déterminera pour de longues années les conditions dans lesquelles la France - et en particulier l'Ouest - sera partie prenante de la compétition mondiale et européenne.
Les Pays de la Loire comptent 3,6 millions d'habitants (4,5 millions dans quelques décennies selon l'Insee), et constitue la troisième région industrielle de France. J'ai réuni le 13 mai et le 5 juin derniers des assemblées élargies à tous les acteurs, diffusées sur internet, avec un comité de suivi, toutes tendances politiques confondues et tous niveaux de collectivités représentés. Il faut en effet fixer un cadre dans lequel la démocratie puisse fonctionner. Les conclusions en sont : pas de démantèlement de la région - nous avions le privilège d'être dépecés dans toutes les cartes publiées ; analyse rationnelle, même si au-delà, d'autres éléments peuvent intervenir ; s'il doit y avoir fusion, nous voulons unanimement qu'elle ait lieu avec la Bretagne ; la stratégie de la Datar, portée par mon prédécesseur Olivier Guichard, avait ouvert l'hypothèse de trois régions Grand-Ouest (Bretagne, Pays de la Loire, Poitou-Charentes), qui vient sans doute complexifier le dispositif.
Bien évidemment, nous avons des coopérations avec le Centre. Cependant, les coopérations interrégionales, insuffisantes de mon point de vue, n'imposent pas de fusion. Nous créons avec la Bretagne une fédération des sept universités, tous nos pôles de compétitivité sont interrégionaux avec la Bretagne...
Aussi. Et des liaisons ferroviaires, avec Le Mans-Rennes. L'Ouest a suscité des difficultés. Je respecte les manifestations culturelles et les langues régionales, mais la République ne doit pas s'organiser autour des seules identités.
Nous sommes d'accord avec ce qui a été dit sur l'exposé des motifs. Il faudra bien que nous nous mettions d'accord sur les moyens. Certes, les TER ont été modernisés, mais à quel prix ? Les transferts de financements doivent accompagner ceux de compétences.
La délimitation des régions doit obéir à une histoire, à des réalités économiques, et, surtout, à un projet commun attestant des ambitions. Le Limousin est la plus petite et la moins peuplée des régions de la France continentale, ce qui lui vaut peut-être son identité très forte. Le projet du Gouvernement en ferait la plus grande des régions, la quatrième ou cinquième la plus peuplée, mais sa représentation serait divisée par deux. La carte proposée est invraisemblable et peu acceptable. Cette région irait du nord de Dreux au sud de Souillac. Si, de Dunkerque à Perpignan, la France fait mille kilomètres de long, cette région en ferait cinq-cents : c'est excessif ! Ni l'économie, ni l'identité culturelle, ni l'histoire ne le justifient ni permettraient un projet cohérent pour les années qui viennent. Ce n'est pas parce que nous sommes petits que nous ne voulons pas coopérer, au contraire. Nous le faisons avec la politique de massifs avec l'Auvergne, avec Poitou-Charentes, avec Midi Pyrénées pour le cancéropôle. La fusion des régions - même si le mot nous dérange - ne peut aller que vers l'Ouest.
L'histoire, la géographie, l'économie nous y portent. Le Ceser nous a rendu hier un pré-rapport qui va dans le même sens. Notre tropisme est d'aller vers Poitou-Charentes et éventuellement vers l'Aquitaine si l'un veut se rapprocher de l'autre - c'est d'ailleurs ce qui nous avait été proposé en premier. Il ne doit pas y avoir d'agrégation mécanique, mais pas non plus de sous-représentation. Or les propositions qui sont faites supposent une telle sous-représentation que je ne vois pas comment nous pourrions répondre aux sollicitations qui nous donnent déjà bien de la peine. Ce n'est pas parce que nous sommes petits que nous manquons d'ambition ; bien au contraire.
Pour nous, la carte n'est pas un problème. Nous vivons un moment grave. Le problème n'est pas de savoir si nous voulons ou si nous pouvons : nous devons avancer. La France doit-elle faire ses réformes comme d'autres pays l'ont fait ? Oui. Nos collectivités sont-elles lisibles ? Non. Efficaces ? Pas toujours. Coûteuses ? Sans doute. Il ne s'agit pas de défendre telle ou telle féodalité mais l'intérêt bien compris des habitants. La question n'est pas de savoir si nous faisons bien notre travail : nous le faisons dans la complexité, comme celle, insoutenable, que je vis entre la stratégie de cohérence régionale en aménagement numérique (Scoran) et les Schémas directeurs territoriaux d'aménagement numérique (Sdtant), entre celui qui ferait la stratégie du très haut débit et celui qui la réaliserait... Tout cela n'a pas de sens.
Les murmures que j'ai entendus lorsque Philippe Richert s'est exprimé ne me dérangent pas : ce sujet est transpolitique. L'expérimentation prévue en Alsace aurait pu bien nous servir ; je regrette qu'elle n'ait pas eu lieu. Nous sommes collectivement responsables de cette situation ; ce n'est pas la faute de tel ou tel gouvernement. Avec Claude Belot, Yves Krattinger et d'autres, nous avons passé ici huit mois à discuter de la pertinence de chacun de nos échelons. Qu'avons-nous décidé ? Rien. Si nous ne devons rien toucher, disons-le : tout fonctionne, continuons comme cela. Si nous pensons qu'il faut changer, alors avançons. Collectivement, nous avons tous, sans exception, voulu rester sur notre pré carré. Personne n'a proposé de solution, sinon des aggiornamentos. Je passais pour provocateur dans la commission lorsque j'apportais mon soutien à telle ou telle proposition de la commission Balladur. Ce Gouvernement a un mérite, celui de vouloir avancer.
La Bourgogne et la Franche-Comté n'avaient que moins de trois millions d'habitants à elles deux, des budgets de 500 et 800 millions d'euros, mais deux petits aéroports, deux CHU, etc. Comment exister entre l'Île-de-France et Rhône-Alpes sans voir la tentation pour l'Yonne, la Saône-et-Loire, le Jura de partir ? Aussi le choix a-t-il été plutôt simple pour nous. Je mesure pourtant les difficultés : rapprocher nos exécutifs, nos budgets, nos services demandera du temps. Si j'ai un souhait, c'est que nous ayons celui de réussir la réforme. Car c'est bien là l'enjeu.
Je remercie les dix membres d'exécutifs de conseils régionaux pour le panorama précieux qu'ils nous ont offert.
Derrière ce projet de loi, il y a l'intention de réduire le nombre de régions, de ne pas les découper par départements, ce dont je n'ai pas trop entendu parler dans les interventions.
Si le Sénat veut avancer, il ne doit pas s'engager dans une multitude de modifications au découpage présenté : dans ce cas, nous aurons vite fait le tour ; la séance plénière présentera l'agrément d'une visite des régions, mais sera inefficace. Les compétences ont certes leur importance. Mais les uns et les autres ont leur petite idée sur la question : cela n'handicape pas la réflexion sur les limites territoriales.
Je ne suis pas en mesure, après ce demi-tour de table, de dégager un découpage merveilleusement performant devant succéder à celui du Gouvernement. Il y a encore du travail pour approcher une solution.
J'ai entendu beaucoup de comparaisons avec la Grande-Bretagne et l'Allemagne, où la pauvreté se développe, puisque ce pays compte 16 % de pauvres contre moins de 13 % chez nous. François Patriat considère que nous allons résoudre ces problèmes en réduisant le nombre de régions, en leur attribuant des compétences. J'ai demandé à Martin Malvy et Alain Lambert quelles étaient les économies envisageables : ils n'ont pas répondu.
Ce que je sais, c'est que les collèges vont coûter 22 millions d'euros de plus à la région, mais les transferts des routes, des transports scolaires, gratuits dans l'Ain ? Les autres départements seront-ils alignés ? Il faudra bien répondre à ces questions. Reste l'éloignement. René Souchon l'a bien expliqué : en Rhône-Alpes, les conseillers régionaux sont invisibles et demain, il y en aura sept de moins pour quatre départements de plus !
Selon François Patriat, aucun gouvernement n'a bougé. La majorité précédente avait créé le conseiller territorial, que vous vous êtes empressés de supprimer. Monsieur Huchon, vous voulez absolument les routes : mais savez-vous de quoi vous parlez ?
Si vous prétendez le contraire, nous aurons du mal à dialoguer.
S'occuper des transports avec RFF et la SNCF, c'est autre chose que faire les routes en régie, comme font les départements. Alain Rousset a raison : ce n'est pas la taille des régions qui compte, c'est leur puissance. Dans ce cas, donnons toutes les compétences aux départements et supprimons les régions !
François Patriat n'a pas le monopole de la légitimité : ici, chacun, loin de défendre son propre sort, défend son territoire. En tout cas, c'est ce que je fais. Prenons garde à ce que les syndicats mixtes ouverts soient préservés pour que l'ambition du très haut débit puisse se concrétiser : aucune collectivité n'y parviendra seule. Il faut des financements européens, nationaux, régionaux, départementaux et de l'échelon communal ou intercommunal.
Cette réforme faite dans la précipitation suscite des doutes même chez les présidents de région. Il aurait fallu la commencer non par les compétences, mais par la fiscalité. Vous allez bientôt connaître ce que les départements ont connu lors des précédentes lois de décentralisation, avec la non-compensation des compétences transférées. Les difficultés de l'Ouest ne sont rien à côté de celles du mariage par exclusion entre Picardie et Champagne-Ardennes. Il faudra près de cinq heures pour aller de Beauvais à Reims, en passant par Paris. Ce n'est pas un progrès, mais une régression. Nos régions ont été sacrifiées à cause de la peur que les dernières élections européennes ont suscitée. Je plaiderai pour que la Picardie soit rapprochée de Nord-Pas-de-Calais, ce qui tombe sous le sens. À défaut, la région Normandie pourrait être choisie. Sinon, je demanderai le détachement de l'Oise soit vers la Normandie, soit vers l'Île-de-France, puisque la moitié de sa population vient travailler à Paris.
Tous les sénateurs sans exception partagent un morceau d'intelligence et sont attachés à leur région, leur territoire et leur commune.
En Île-de-France, il y a les riches et les pauvres, que je représente. La proposition de Jean-Paul Huchon mérite d'être regardée de très près : la grande couronne risque de pâtir du chantier de la métropole qui construira un ensemble de 6,5 millions d'habitants consistant et riche ; il est stupide qu'une collectivité s'occupe du transport et une autre du logement. Votre système me semble intelligent : c'est un pas vers le fameux conseiller territorial et il nous permettra de travailler de façon harmonieuse. Sinon, il y aura une trop grande différence entre le Grand Paris et la grande couronne.
Il faudrait travailler sur la neutralité des décisions de l'État concernant le développement économique. Nous venons de voter la non déductibilité fiscale des emprunts faits par les entreprises, qui rapportent 4 milliards d'euros à l'État, et vous nous dites, monsieur le président, que vous avez fait un effort important avec l'investissement de 400 millions d'euros dans les PME... Il faut harmoniser tout cela.
Quelle occasion manquée ! Comme sur la fiscalité et la compétitivité, le Gouvernement a commencé par démolir ce qui avait été fait, pour y revenir..., mais d'une mauvaise façon. Je suis heureux d'entendre les présidents de région nous expliquer, à rebours du Gouvernement, que l'important est la compétence et non le périmètre, et défendre la spécialisation, alors que la majorité a rétabli la clause de compétence générale. Mosellan, je suis voisin de la Sarre, Land de moins d'un million d'habitants, soit moins que la Moselle, qui concentre les compétences et le budget du département, de la région et d'une partie de l'État : sans être le Land le plus riche, il a une puissance de frappe considérable. C'est le modèle vers lequel il fallait tendre. Plutôt que de démolir le conseiller territorial parce que le mode de scrutin nous divisait, il aurait fallu en adopter un autre, mixte peut-être, ou circonscrire à ce sujet le débat droite-gauche ; en tout cas, il fallait stabiliser le périmètre des collectivités au lieu d'entrer dans ce débat. Ne parlons pas de l'Alsace-Lorraine, qui sont liées non par une communauté de destin choisie, mais par un diktat du IIème Reich victorieux.
Entre Rennes et Nantes, outre l'histoire, il n'y a pas quarante kilomètres de rupture entre les deux aires urbaines, soit à peine plus entre Metz et Nancy et moins qu'entre Metz et Strasbourg. Jamais carte de France n'a été dessinée de manière aussi capricieuse, alors qu'elle nous engage pour des décennies. Cela mérite un examen, en profondeur, des amendements. Le Sénat fournira peut-être la réflexion que le Gouvernement n'a pas faite. Certains ont défendu à droite la double compétence dans le sport, la culture ou le tourisme ; il fallait aller plus loin dans la spécialisation. C'est dans cette voie que le Sénat devrait s'engager, plutôt que d'adapter tel quel le travail bâclé qui nous est présenté.
Conseillère générale d'un canton rural de Charente et ancienne conseillère régionale, je ne suis pas opposée au redécoupage des régions s'il en faut de plus fortes, mêmes si je pense comme mes collègues que c'est moins un problème de périmètre que de compétences et de moyens. Mais s'il doit avoir lieu, autant qu'il soit cohérent et réponde aux attentes des administrés. Le périmètre de la région proposée par le Gouvernement groupant Centre, Limousin et Poitou-Charentes est à cet égard loin du compte : il faudrait des liens forts, l'habitude de travailler ensemble, des réseaux de transport, le partage d'un socle historique, économique, géographique, culturel... Poitou-Charentes est traversé par la ligne à grande vitesse atlantique qui nous mettra à 30 minutes de Bordeaux. Il est impensable de couper ces liens naturels pour se tourner vers une région difforme, qualifiée d'objet régional non identifié, sans véritable métropole. Nombre d'élus, d'acteurs économiques, associatifs, judiciaires ont exprimé cette convergence vers l'Aquitaine, qui est partagée par 80 % de la population charentaise si l'on en croit un récent sondage. S'il faut que les nouvelles régions construisent un sentiment d'appartenance à un territoire, cela ne sera pas possible pour celle qui est proposée. Que penserait le président de la région Aquitaine d'une région regroupant Aquitaine et Poitou-Charentes ?
Et Limousin, puisque cette région aimerait également se rapprocher de vous.
Si le Sénat a pu apporter des idées dans le premier texte que nous avons adopté il y a peu, c'est qu'il a dépassé les clivages partisans, renouant avec l'article 24 de la Constitution.
Le calendrier est serré mais que n'aurait-on pas entendu si le Gouvernement n'avait proposé une carte ! Nous devons retrouver l'esprit du texte sur les métropoles, une coproduction au service de la démocratie locale, en abandonnant les clivages partisans. Le rapport de M. Balladur s'intitulait déjà Il est temps de décider. Ce mot d'ordre figurait ensuite dans le rapport de MM. Krattinger et Raffarin au nom de la mission commune d'information du Sénat sur l'avenir de l'organisation décentralisée de la République. Il est toujours de mise.
La question n'est pas la taille des régions, mais leurs compétences, leurs moyens, leurs projets collectifs. Les grandes régions aggraveront le clivage entre zones riches et pauvres, zones urbaines et rurales. La question de l'aménagement du territoire et de la solidarité n'est pas traitée. De plus, quelle sera la représentation des territoires ruraux au sein du conseil de la grande région ? Seront-ils entendus ? Il faut une représentation équitable. Par exemple, le Cantal ne disposera plus que de trois représentants, contre cinq actuellement.
L'essentiel n'est pas de décider vite, mais de décider bien ! Les remarques de M. Jarlier sont pertinentes : Quid de l'hyper-ruralité ? Que deviendront ces territoires fragiles dans ces grandes régions ? La carte ne convient pas à tous les présidents de région. Comparer le Pays basque espagnol à une région n'est pas un bon argument. Le Sud de la France comportera quatre à cinq régions, le Nord huit à neuf. Certes, il faut atteindre une taille critique, mais la cote est mal taillée. Il faudra la parfaire.
Le groupe RDSE a déposé une proposition de loi pour assurer une représentation juste et équilibrée des territoires au sein des conseils régionaux en prévoyant une représentation minimale de trois conseillers. Or, avec ce nouveau découpage, la Lozère n'aura plus qu'un seul représentant. C'est inacceptable.
La réforme de François Mitterrand et Gaston Defferre sur la décentralisation a été comprise car elle était simple et rapprochait le citoyen de l'élu. Ici, je cherche vainement une ligne directrice. Il ne faut pas réformer pour le plaisir de réformer ; mieux aurait valu identifier ce qui ne marche pas. J'ai le sentiment d'une précipitation, mais je fais confiance à l'intelligence des hommes pour s'adapter. Il y a 40 ans, tous les spécialistes prédisaient la mort lente des campagnes françaises. C'est le contraire qui s'est produit ! Nous trouverons des parades. Si notre pays s'est forgé, c'est grâce à l'action des élus locaux. Encore faut-ils qu'ils aient le sentiment qu'on pense à eux !
Le point fondamental, c'est la puissance ; nous sommes réservés, pour ne pas dire plus, sur la taille. Le soutien aux entreprises, l'accompagnement de l'innovation et des transferts de technologie, la solidarité, supposent une forme de proximité. Il faut éviter de désincarner nos politiques. Le Président de la République et le Premier ministre en ont tenu compte en passant de 11 régions à 14.
Il appartient au législateur, s'il le souhaite, de modifier la carte proposée. Je regrette à titre personnel que le découpage ne soit pas plus fin : quatre ou cinq départements posent problème...n'est-ce pas, Madame Bonnefoy ?
Les régions n'oublieront pas les territoires ruraux, à l'égard desquels une politique contractuelle doit être mise en oeuvre à l'échelle des pays. Nul ne sera laissé de côté. Pour un territoire, ce qui importe, c'est le développement agricole ou économique, plus que le nombre de ronds-points...
Nous ne réinventons pas la roue mais nous nous inspirons des expériences européennes qui fonctionnent mieux que nous. Si les régions n'avaient pas été là pour faciliter les déplacements, développer les langues, régler la question du logement des jeunes ou rénover les lycées, rien n'aurait été fait ! La modernisation des lycées professionnels, dans toutes les régions, est spectaculaire. Chaque délégation de compétence spécialisée a été couronnée de succès. En revanche, lorsque les compétences sont émiettées, elles sont moins bien exercées et leur coût est multiplié par huit. L'ARF souhaite la suppression des doublons de compétences avec l'État. Or la seconde loi, sur ce point, est muette. En outre, les régions françaises consacrent 400 millions d'euros à l'innovation lorsque les Länder allemands dépensent 9 milliards d'euros ! Il sera vital, pour l'emploi et l'économie, lors de l'examen du second texte transférant les compétences économiques des départements aux régions, de transférer à ces dernières les 2 milliards d'euros que dépensent les départements en faveur du développement économique.
Essayons, comme l'a dit M. Vandierendonck, avec lequel nous avons beaucoup travaillé, de regarder l'avenir en nous inspirant des exemples européens. La France n'est pas nécessairement la patrie du conservatisme !
La référence au seuil minimal d'un conseiller régional par département relève de la problématique de la ruralité.
La question du chef-lieu - terme un peu désuet - est un problème d'aménagement du territoire, qui doit être traité en liaison avec celle des métropoles et de leurs compétences.
Pas moins de soixante-six sénateurs ont assisté à cette audition. Une telle participation n'est pas coutumière ; elle témoigne de notre intérêt pour la question et de notre souhait de travailler très étroitement avec vous.
La commission procède ensuite à l'audition de M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur, sur le projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral.
J'accueille M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'Intérieur. Une telle audition, quelques heures à peine après l'adoption du texte en Conseil des ministres, n'est pas habituelle. Nous avons souhaité rencontrer les présidents de région, puis le ministre de l'intérieur.
Il ne s'agit pas de recommencer les états généraux de la démocratie territoriale, mais de s'inspirer de leur esprit, en donnant la parole à tous ceux qui sont concernés.
Merci pour votre accueil. Je suis heureux d'être parmi vous, quelques heures après la présentation du texte en Conseil des ministres. Je connais l'importance pour vous que revêt l'organisation territoriale de la République, pour laquelle la Constitution vous octroie une légitimité particulière. Je salue Madame Escoffier qui a travaillé sur ce sujet avec ouverture d'esprit et professionnalisme jusqu'à il y a peu. Je salue tous les sénateurs qui exercent des responsabilités locales et qui connaissent parfaitement le sujet.
Le Gouvernement a choisi la procédure accélérée, car il ne faut pas laisser s'enliser les réformes qui ont été lancées. Mais l'urgence ne veut pas dire que le débat sera escamoté ; il y aura donc deux lectures avant la réunion d'une éventuelle CMP. Chacun pourra exprimer son point de vue, et ma porte restera ouverte à tous les parlementaires.
La première préoccupation du Gouvernement est la cohérence. Nous souhaitons réformer l'organisation territoriale de notre pays pour lui permettre de surmonter les difficultés économiques et renforcer les territoires pour qu'ils pèsent dans une compétition de plus en plus rude. Nous voulons des intercommunalités fortes, indispensables dans un pays qui compte 36 000 communes, notamment dans les territoires ruraux. L'enchevêtrement des compétences doit être clarifié : ce sera l'objet du projet de loi que présenteront Marylise Lebranchu et André Vallini. Il n'y a pas de démocratie locale sans lisibilité de l'organisation.
Nos régions doivent être plus fortes, dans une Europe où la taille moyenne des régions est très supérieure à la nôtre, à l'image des Länder allemands. La taille était déjà conçue comme un facteur d'efficacité par ceux qui ont créé les établissements publics régionaux il y a 50 ans.
Enfin, il faut moderniser l'administration déconcentrée de l'État. Après des années de rabot, notre administration territoriale doit être forte et puissante, constituer un interlocuteur des collectivités territoriales, en leur fournissant des services d'ingénierie. Il faut renforcer l'interministérialité et les pouvoirs des préfets, clarifier les missions de l'État, en évitant les doublons, avec une charte de la déconcentration, laisser de la souplesse dans l'organisation des services, développer la fongibilité des budgets, sans remettre en cause, pour autant, les garanties données aux fonctionnaires. Le Président de la République l'a affirmé lors de ses voeux, le Premier ministre l'a dit lors de sa déclaration de politique générale, la mise en oeuvre de ce projet est indispensable au redressement de nos territoires. Il y a urgence.
Beaucoup s'interrogent. Je sais que certains, même si je ne connais pas les pensées de chacun d'entre vous - ce qui serait suspect compte tenu de mes fonctions - considèrent qu'il est urgent d'attendre. En 2009, M. Balladur avait intitulé son rapport Il est temps de décider. Pourtant, cinq ans après, rien n'a changé... Depuis, MM. Raffarin et Krattinger ont, dans une réflexion sur l'avenir de l'organisation territoriale de notre République, proposé de réduire entre huit et dix le nombre de nos régions. N'attendons pas davantage ; prenons le risque d'essayer. Nos propositions ne sont pas intangibles. Le débat aura lieu, nous tiendrons compte de tous les avis pour améliorer le texte. Le Gouvernement a pris le risque de proposer une carte. Il est animé d'une volonté d'écoute, et souhaite aboutir.
Depuis des années, les présidents de région accomplissent un travail admirable pour accompagner les filières d'excellence, améliorer la relation entre les centres de recherche et l'industrie, investir dans les transports de demain et les énergies renouvelables. Grâce à ces initiatives, ils soutiennent notre croissance. Le regroupement des régions permettra de mutualiser les moyens pour dégager encore des marges de manoeuvre. Il s'agit d'atteindre la taille critique à l'heure de la révolution numérique et de la grande vitesse. La préoccupation de la taille a toujours animé ceux qui ont pris le risque de la réforme. Le général de Gaulle, qui a créé les établissements publics régionaux, expliquait dans les Mémoires d'espoir que la taille des collectivités territoriales n'avait pas changé depuis l'Ancien Régime et qu'elles se révélaient trop petites pour l'âge moderne où l'économie domine tout avec ses exigences d'aménagement et de planification. Il évoquait le télégraphe ou l'automobile qui ont rapetissé le département et rendu nécessaire la création des régions.
L'article 1er propose une nouvelle carte des régions : quinze régions sont regroupées en six ; huit autres régions restent en l'état car elles disposent déjà de la taille critique. Avec ce découpage qui privilégie la taille et les enjeux économiques, nos régions s'inscrivent dans la moyenne européenne. Les nouvelles régions auront une population, en moyenne, de 4,3 millions d'habitants, contre 2,6 aujourd'hui, 5,3 millions pour les Länder allemands ou 4,1 millions pour les régions italiennes. Nous réduirons aussi les disparités territoriales, ramenées de un à trois, contre un à neuf aujourd'hui. Nulle carte n'aurait fait l'unanimité, vu l'histoire ou les espérances, parfois politiques... Il fallait prendre le risque de soumettre une carte au débat. Elle sera susceptible d'améliorations. Derrière la carte surgissent des questions d'histoire et d'identité, des attachements, des coopérations. La modification des frontières suscite naturellement des craintes et des interrogations. M. Richert a indiqué que l'Alsace, que Jean-Marie Mayeur qualifiait de région histoire, était prête à s'ouvrir car elle sait qu'il n'y a pas d'antinomie entre ses racines, son histoire et son avenir. Ce texte rend possible ce dépassement. Le Gouvernement a posé des principes : la modification de la carte ne devra pas aboutir à augmenter le nombre de régions, ce qui serait la mort de la réforme. Il n'est pas souhaitable non plus de détacher certains départements de leurs régions d'origine.
L'article 2 prévoit les modalités de désignation du chef-lieu des nouvelles régions, prérogative d'ordre réglementaire. Trois mois après la publication du texte, le débat s'ouvrira dans les territoires. S'il aboutit à un choix consensuel, nous l'entérinerons. Sinon, nous soumettrons une proposition à l'approbation du conseil régional. Nous limitons le nombre de conseillers régionaux à 150 par région, soit une baisse seulement de 9 % du nombre total de conseillers régionaux. Chaque section départementale aura des représentants au conseil régional. Le débat parlementaire sera l'occasion d'apaiser les craintes de décrochage ou de relégation de certains territoires ruraux.
L'article 12 modifie le calendrier électoral. Nous reportons à décembre 2015 les élections régionales et départementales, afin de laisser le temps aux citoyens de s'approprier la réforme. Ce texte fixe la fin du mandat des conseillers départementaux en 2020. Il précise aussi les modalités de remplacement des conseillers élus dans le cadre du scrutin binominal, afin de remplacer un élu empêché sans obliger le binôme à démissionner, conformément à la décision du Conseil constitutionnel du 16 mai 2013. Enfin, les conseillers généraux de la métropole lyonnaise, qui se substituera au département du Rhône sur son périmètre, verront leurs fonctions cesser au 31 décembre 2014.
La IIIème République a instauré la liberté des communes, pour conforter la démocratie dans les campagnes. Les personnalités issues de la Résistance ont cherché à renforcer l'aménagement du territoire pour donner à chacun sa chance. La décentralisation, voulue par Gaston Defferre et François Mitterrand, a renforcé le pouvoir des élus locaux. Aujourd'hui, notre pays traverse une crise profonde. Pour la surmonter, il faut renforcer l'investissement dans des filières économiques d'excellence. Il est toujours plus difficile de réformer en période de crise car les fruits à redistribuer sont moins nombreux. Mirabeau, alors que l'on envisageait de créer des départements de même superficie, déclarait en novembre 1789 : « Je sais bien qu'on ne couperait ni des maisons ni des clochers ; mais on trancherait - il ne savait pas ce qui l'attendait - ce qui est plus inséparable, on trancherait tous les liens que resserrent les moeurs, les habitudes, les productions et le langage. » Les débats sur l'identité se posaient déjà dans les mêmes termes ! L'histoire nous invite ainsi à relativiser, pour surmonter les divisions et trouver un compromis. Je suis convaincu que c'est possible au Sénat : vous pouvez compter sur ma totale disponibilité pour y contribuer.
Merci pour votre présentation très pédagogique. Je salue votre calme impressionnant que vous ne perdez jamais.
Je précise que Mirabeau n'est pas mort guillotiné, mais dans son lit.
Notre examen est encadré par la carte qui nous a été proposée. Des principes ont été fixés comme garde-fous à un redécoupage infini. Certaines pistes de rapprochements sont intéressantes ; certains attendent un règlement, peu probable, de problèmes anciens, sinon insolubles... Nous veillerons à laisser les départements au sein des régions où ils se situent. La réussite est question de volonté. Le voulons-nous ? Il est facile de trouver des motifs de discorde, mais si nous nous rassemblons, nous franchirons un cap important. Au Sénat de choisir.
Nous débattrons ensuite des compétences. Certains auraient souhaité en débattre avant, mais il ne faut pas repousser les difficultés.
Nous venons d'entendre plusieurs présidents de conseils régionaux. Comment avaient-ils été choisis ? Il en manquait certains, comme le président de la Champagne-Ardenne ou celui de la Lorraine...
Nous nous sommes adressés à l'ARF ; nous n'interférons pas dans le fonctionnement de cette association qui a elle-même choisi sa délégation.
Peu importe, car je ne veux pas parler boutique. Cette audition m'a fait froid dans le dos. Ces messieurs n'avaient à la bouche que le mot « puissance ». Voici le retour des nouveaux féodaux dont les rois de France ont eu toutes les peines du monde à se défaire ! Comme l'appétit vient en mangeant, ils n'auront jamais assez de compétences et, bientôt, ils réclameront le droit de réglementer, puis de légiférer !
Je comprends votre réticence à découper les régions et séparer des départements. Mais l'ancien découpage n'étant pas toujours pertinent, l'association de deux régions au périmètre non pertinent ne sera pas non plus judicieuse ! Pour modifier le périmètre d'une région, grâce à M. Charasse, un référendum local est nécessaire. Le président du conseil régional d'Alsace en sait quelque chose... Pourquoi le Gouvernement ne déposerait-il pas un amendement autorisant un département à changer de région sans référendum ? Bien des réticences tomberaient.
La loi du 17 mai 2013 crée des binômes pour l'élection des conseillers départementaux. Mais pensez-vous que beaucoup de femmes seront candidates pour n'exercer qu'un seul mandat, avant la suppression des départements en 2020 ?
Ne serait-il pas opportun de conserver l'ancien mode de scrutin ? Je déposerai un amendement en ce sens. Le Premier ministre reconnaît lui-même que le travail a été mal fait.
J'ai entendu cette suggestion exprimée sur différents bancs. « Que ceux qui ont des oreilles entendent »...
Le tableau du nombre des conseillers régionaux annexé au projet de loi crée une grande disparité de représentation des conseillers selon les régions. Le système actuel, né en 1986, fait progresser le nombre des conseillers régionaux moins vite que la démographie. Avec les fusions de régions, la représentation géographique sera très disparate, entraînant un risque de rupture d'égalité. Le même constat vaudra pour les conseillers généraux. Envisagez-vous une période de transition, pendant un mandat, afin de remédier à cette situation ?
Que se passera-t-il en mars 2020 ? Le mandat des conseillers départementaux, élus en décembre 2015, expirera alors, tout comme celui des conseillers municipaux, élus en mars 2014, et celui des conseillers régionaux, élus en décembre 2015. Mais, à défaut de mesures explicites de suppression, fort peu probables, le département existera toujours. Ne faut-il pas que le législateur prenne des mesures pour assurer la continuité d'une institution qui existera encore en mars 2020 ?
Selon la DGCL, le processus administratif et financier de fusion des régions peut être achevé à temps si le texte entre en vigueur le 1er janvier 2016. Comment être sûr que le dispositif législatif répond à toutes les questions posées par la fusion des régions ? Le processus sera-t-il achevé avant le 31 décembre 2015 ?
Votre propos a été à la fois très ouvert mais aussi désobligeant lorsque vous dites que certains sénateurs considèrent qu'il est urgent d'attendre. Ce n'est le cas d'aucun d'entre nous ! Vous avez cité le rapport Balladur, mais omis la réforme territoriale qui créait le conseiller territorial et rapprochait départements et régions. Votre majorité l'a supprimée. Après avoir rétabli la clause de compétence générale, vous évoquez désormais la nécessité d'une spécialisation ! Après avoir supprimé le conseiller territorial et rétabli les effectifs des conseils généraux et régionaux, vous souhaitez réduire le nombre d'élus, à tel point que certains départements n'auront qu'un seul représentant ! Pourquoi n'avez-vous pas soutenu notre réforme ? Le désaccord sur le mode de scrutin ? Il suffisait de le changer ! La clause de compétence ? Nous avions concédé le maintien de la double compétence dans le tourisme, la culture ou le sport. Il est dommage que vous n'ayez pas complété notre réforme, dans la continuité des grandes réformes territoriales. Vous avez préféré la rupture. Ce bouleversement crée l'incertitude.
Les présidents de région eux-mêmes nous ont expliqué que la force des régions ne dépend pas de leur taille mais de leurs compétences et de leurs moyens. Alors que la Moselle compte plus d'un million d'habitants, la Sarre voisine, moins peuplée, concentre des compétences relevant du département et de l'État et l'efficacité de son action est très supérieure à la nôtre. Créer de grandes régions sur le modèle des Länder relève d'une vision technocratique. La France est deux fois plus étendue, mais moins peuplée que l'Allemagne. Les régions, ce sont des populations mais aussi des territoires. Le risque est grand d'éloigner les citoyens des centres de décision, mouvement en rupture avec la logique de la décentralisation. Les maires ont les mains liées. Les conseillers généraux seront déracinés. Un représentant par département au conseil régional sera-t-il suffisant ? Le pouvoir glisse vers la technostructure, y compris régionale. Quel mauvais signal au moment où les populismes et l'abstention progressent ! Le Gouvernement sera-t-il réceptif aux amendements visant à diminuer la taille des régions ? Même sous l'Ancien Régime, les régions n'auraient pas été redéfinies en un après-midi en vertu d'un caprice de cour ! Pourquoi, en outre, ériger en tabou absolu la séparation d'un département avec sa région d'origine ?
Les présidents de région mettent davantage l'accent sur la puissance économique que sur la taille. J'aurais aimé qu'ils parlent davantage d'aménagement du territoire. Pourquoi ne pas remettre en cause les périmètres des régions pour être en adéquation avec les bassins de vie ? Je partage la philosophie gaulliste. Nous avons l'occasion de franchir une étape, les deux lectures dans chaque chambre nous laissent du temps pour débattre.
Quand se terminera le mandat des conseillers généraux lyonnais élus sur le territoire de la communauté urbaine devenue métropole ?
Comme sénateur du Puy-de-Dôme, je me réjouis du rapprochement de l'Auvergne et de Rhône-Alpes : les deux régions ont le même bassin de développement. Depuis longtemps, la Haute-Loire est tournée vers Saint-Etienne et Lyon, le Puy-de-Dôme aussi ; reste le Cantal. Néanmoins, la représentation de ces départements serait amoindrie. Ainsi, le Puy-de-Dôme compte vingt-deux conseillers régionaux ; selon la grille qui nous a été fournie, ils seraient réduits à quatorze, et encore, car la région Auvergne-Rhône-Alpes aurait alors 176 élus et nous sommes limités à 150. Cela va contre l'égalité de traitement entre les régions auquel je suis très attaché.
Concernant le découpage des régions, je souhaiterais rappeler à ceux qui nous donnent des leçons aujourd'hui le charcutage auquel se sont livrés les ministres du gouvernement précédent, en créant des circonscriptions sans réalité géographique, ni territoriale. Évitons d'aller comme eux au-delà du raisonnable. Je suis favorable à une représentation déterminée en fonction du nombre d'habitants, en s'inspirant de la règle fixée pour les députés, en fixant un plancher et un plafond. On éviterait ainsi que les départements très peuplés n'écrasent les autres. On éviterait également aux départements les plus petits de se retrouver avec trois élus différents pour une même circonscription - un député, un sénateur et un conseiller régional. Il est difficile de faire cohabiter deux ou trois caïmans dans le même marigot !
La question fondamentale reste celle de l'autonomie du financement des régions qui garantit leur liberté. La loi Maurois du 2 mars 1982 était relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions. Pour avoir des droits et des libertés, il faut avoir des moyens financiers.
Nous avons travaillé naguère sur le Grand Paris au sein d'une commission spéciale. Le projet concernait une zone de 130 kilomètres autour de Paris. À l'époque, nous avions reçu des élus de Haute-Normandie, dont MM. Rufenacht et Fabius. Nous avions envisagé des actions communes entre la Haute-Normandie et le Grand Paris.
Le Gouvernement veut créer des régions puissantes en phase avec l'Europe : Auvergne-Rhône-Alpes, Nord-Pas-de-Calais, Lorraine-Alsace... Cependant, il est nécessaire qu'une de nos régions au moins soit de taille mondiale. L'Ile-de-France est la mieux placée, avec 27 % du PIB français. Peut-elle rester sans façade maritime ? La croissance économique mondiale -en Chine ou ailleurs - repose sur de grandes régions. J'ai déjeuné avec l'ambassadeur de l'Inde et le président de Tata. Ils m'ont salué d'un « The great Paris is the gate of Europe ! ». Il faut y réfléchir...
Je remercie le ministre pour sa merveilleuse présentation du projet. Il a cité de Gaulle, Mirabeau. Je vous invite à relire les discours du président Monnerville sur les dérives à venir du régime présidentiel, car ce projet de loi peut s'apparenter à un oukase présidentiel. Le rapporteur a parlé d'une approche provoquée. Je considère en fait qu'elle est provocatrice, en qualifiant de conservateurs ceux qui ne sont pas d'accord. Nous avons voté la loi métropole, nous avons voté contre le rétablissement de la clause de compétence générale à tous les étages : rien de conservateur à cela ! Nous voulons seulement de la lisibilité et de la cohérence là où le texte n'est que contradiction. Vous voulez de grandes régions : soit, mais pourquoi certaines ont-elles bougé et d'autres non ? Le rapporteur doit avoir une opinion sur la question... Ce qui choque, c'est que vous éloignez certains territoires des centres de décision et vous voulez dans le même temps supprimer les pôles intermédiaires... encore que M. Rousset veuille remettre en vogue le « pays », simplification évidente pour tout le monde.
Vous allez détruire la vie d'un certain nombre de territoires ruraux qui seront très éloignés du pôle régional et n'auront pas de véritable représentation. Dans le même temps, vous annoncez vouloir renforcer le pouvoir des préfets. Où est la cohérence ?
L'utilisation de la procédure accélérée est également contestable. Le texte a été adopté en conseil des ministres, ce matin. La célérité n'est pas le meilleur moyen pour trouver le consensus que nos concitoyens réclament. Depuis un an, nous sommes habitués aux textes sur les institutions, qu'il s'agisse du non-cumul ou du binôme. Nous attendons toujours les compromis et le consensus. Pour avancer, il faut admettre que certaines choses sont inacceptables dans ce texte. Nous sommes tous conscients de la nécessité de créer des compétences spécialisées. À l'Élysée, je n'ai pas eu l'impression que ce texte avait pour objectif de faire des économies. Aurait-il un objectif de simplification ? L'on ne s'en donne pas les moyens. Ce projet n'est pas un texte d'aménagement du territoire, c'est pourtant la vraie question.
Nous nous accordons tous à dire que la carte idéale n'existe pas. Il faut néanmoins trancher. Peut-on faire une réforme durable sans tenir compte des réalités économiques et territoriales vécues par les populations dans les départements ? La question se pose dans les nouvelles régions où les départements sont des territoires identitaires, des territoires d'appartenance favorisant la cohésion des populations. Ne risque-t-on pas de creuser la coupure entre la population et une région dans laquelle elle ne se reconnaît pas ? Ce serait une menace pour la cohésion du territoire, en particulier dans les cas où le redécoupage s'est fait par défaut.
Quel paradoxe ! Nous sortons d'une consultation électorale dont les résultats ont indiqué la crise politique profonde que traverse notre pays. La réponse à cette crise serait de renforcer la proximité entre les élus et la population. Or nous prenons le risque de créer une nouvelle coupure en réduisant le nombre des élus au niveau des régions auxquelles nous transférons les compétences des départements. L'Île-de-France qui gère 500 lycées récupèrera ainsi 800 collèges, soit 1 300 établissements pour 150 élus au lieu de 200. Chaque élu régional devrait siéger dans neuf établissements secondaires. Les conseillers régionaux ont déjà beaucoup de mal à siéger dans les lycées. La réforme renforcera la coupure entre le monde politique, la communauté éducative, les parents d'élèves et les élèves. Au lieu de rapprocher les citoyens des lieux de décision, elle les en éloigne, laissant libre champ à la démagogie. Évitons la précipitation. Le sujet mérite un grand débat public. La population doit pouvoir s'exprimer. Je suis favorable à une consultation des citoyens, par voie référendaire.
Vos arguments ont failli me convaincre, monsieur le Ministre. J'ai cependant entendu que le but de la réforme était de « redresser les territoires ». Elle pourrait éventuellement redresser les finances publiques, certainement pas les territoires. Le double financement de l'innovation et du développement par les départements et d'autres collectivités locales favorisait une émulation propice au dynamisme économique du territoire.
Dans des régions à taille humaine, le chef-lieu est moteur ; il sera wagon dans des régions de taille inhumaine. Les intercommunalités commencent à peine à fonctionner. Certaines ne sont pas même encore totalement constituées depuis la dernière réforme qui les a fait passer à 5 000 habitants. Elles vont s'épuiser dans les territoires ruraux à passer à 20 000 habitants, et ne seront pas aptes à reprendre les compétences des départements. La réforme porte atteinte à la démocratie locale, mais également à la démocratie départementale et régionale. On passe tranquillement d'une République décentralisée à un État fédéral, pour ne pas dire féodal.
Loin d'être une assemblée ringarde, le Sénat est ouvert à la réforme, comme en témoigne le rapport de nos collègues Krattinger et Raffarin. Les départements sont également présentés parfois comme ringards. Pourtant, la plus vieille collectivité territoriale de France est parfaitement huilée et fonctionne bien. Les départements ont absorbé sans difficulté les transferts de l'État dans tous les domaines.
L'ère de demain est aux métropoles. Je ne suis pas convaincu, en revanche, que les régions soient l'avenir. Elles ont passé leur tour dans une Europe à 28. Nos concitoyens sont inquiets. Je crains qu'une réforme territoriale faite en direction des élus ajoute à leur inquiétude. Nos 250 000 employés la partagent ; les sapeurs-pompiers ne savent pas ce qu'ils vont devenir, malgré leur puissance de feu...
Martin Malvy mentionnait hier l'exemple de cinq inspecteurs généraux qui ont été stupéfaits de découvrir le fonctionnement des intercommunalités et des collectivités territoriales. Peut-être n'avaient-ils jamais franchi le périphérique ? La réforme donne le sentiment que l'urbain et le citadin décident pour la ruralité. C'est une perception qui passe mal. Les maires ruraux craignent également que les intercommunalités fassent disparaître les communes. La réforme doit être au service des citoyens. La puissance et l'économie ne font pas tout. Il faut inverser la donne et mettre l'économie au service des citoyens.
Un mauvais découpage peut aboutir à un affaiblissement économique. Sur la carte, figurent quatorze régions en métropole, dont la Corse. Pourquoi pas douze ou quinze ? Un critère a été de trouver un équilibre économique pour favoriser l'emploi, la jeunesse etc. Le mariage du Languedoc-Roussillon avec Midi-Pyrénées est contre-nature d'un point de vue géographique, historique et culturel. Les deux régions sont aussi puissantes l'une que l'autre en termes économiques et démographiques. Rien ne justifie de les associer. D'autres associations sont contestables, dans le nord de la France avec la Picardie et la Champagne-Ardenne. Le déséquilibre entre le Nord (7,5 régions) et le Sud (4,5 régions) doit être rectifié.
Je suis favorable à la réforme des régions et à la suppression des départements, car leurs assemblées, désuètes et passéistes, sont incapables de porter secours à l'hyper-ruralité, qui représente 3,5 millions d'habitants et 25 % du territoire.
J'aurais souhaité que les grandes intercommunalités succèdent aux départements ; hélas, je ne l'ai pas encore entendu. Bientôt, les associations des maires, des présidents de département ou de région commanderont dans ce pays ! Les citoyens veulent de la proximité ? Les conseils généraux leur répondent qu'ils l'incarnent. Il n'y a pourtant pas un département hyper-rural dans lequel de grandes communautés de communes n'y parviendraient mieux. Que n'en faites-vous l'annonce ! Pour le reste, modifiez votre carte pour ce qu'elle a de mauvais ; ces changements à la marge ne remettraient en rien cette réforme en cause.
J'ai été président de conseil général ; je sais comment les choses fonctionnent. J'ai été choqué d'entendre les présidents de région affirmer qu'ils seront plus efficaces sur le développement économique grâce à des crédits nouveaux. Le développement économique est efficace dans beaucoup de départements grâce à des élus forts et aux entrepreneurs. La Vendée a réussi sans l'appui de la région ; la Vienne a réussi le Futuroscope avec un peu de soutien de l'État et sans l'aide de la région.
J'ai des doutes sur certaines économies : les hôtels de région resteront là où ils sont, et les personnels y demeureront. En revanche, les petits territoires risquent d'être sous-représentés, et donc très peu écoutés.
Je ne considère pas qu'il y a, d'un côté, les bons modernistes et, de l'autre, les mauvais conservateurs, particulièrement représentés dans cette assemblée. J'ai entendu une pluralité de points de vue, qui dépassent les clivages entre groupes. Je ne porte pas de jugement de valeur : toutes les interrogations exprimées, nous les avons eues nous-mêmes. Je demande aux sénateurs de considérer que le Gouvernement n'a pas la volonté saugrenue de diminuer la proximité, d'accroître la crise politique, d'éloigner les services publics. Abordons le débat en confiance et jugeons les mesures pour ce qu'elles sont.
Il est certes possible d'adopter une approche partisane : certains ont fait de bonnes réformes, celles de leurs successeurs sont nécessairement mauvaises. Je vous épargnerai les déclarations des actuels responsables de l'opposition sur la suppression des départements et des régions : ils n'auraient plus aucune raison de ne pas voter ce texte. Je vous les communiquerai, monsieur Grosdidier.
Certains le sont encore et prétendent en occuper de plus importantes encore. Ne nourrissons pas des polémiques sans fin.
Raisonnons, non pas en considérant qu'une plus grande collectivité diminue nécessairement la proximité, mais en regardant le paysage actuel : combien de collectivités, combien d'élus avons-nous ? Avec ce nombre, ne peut-on pas réfléchir collectivement pour augmenter la proximité en réfléchissant à la répartition des compétences ? La France compte 36 000 communes, soit la moitié des communes de l'Union européenne, des intercommunalités, des pays avec des conseils de développement et des syndicats mixtes...
Pas les conseillers généraux et régionaux, pas les membres des collectivités locales participant à leur exécutif... Si l'on considère leur nombre - et je propose de nous fier aux statistiques - nous ne sommes dépourvus ni d'élus et d'institutions pour faire vivre la proximité. Nous sommes parmi ceux qui ont le plus de strates, et il y aurait un péril pour la démocratie par manque de proximité si nous créons des régions plus en situation d'investir ? Je ne dis pas que cette question ne se pose pas ; je dis qu'on peut la régler. Certes, le fait que la Lozère ou le Cantal n'aient qu'un seul conseiller régional dans une grande région pose un problème ; mais celui-ci existait déjà avant : il résulte de l'organisation des collectivités territoriales. Si nous voulons profiter de cette réforme pour mieux organiser ces dernières et l'administration déconcentrée de l'État pour mieux traiter ces questions, nous le pourrons.
Quant aux économies engendrées par la réforme et aux bénéfices qu'elle apportera à l'économie française...
Non. Soyons rigoureux. Dire que la réforme dégagera des centaines de milliards d'euros d'économies est faux ; dire qu'elle ne provoquera aucune économie l'est aussi. Elle le fera par la mutualisation des fonctions de back office, ressources humaines, direction financière, ateliers divers, politiques d'achat...
Non, puisque ces régions n'existent pas. Si nous fusionnons des régions, qu'elles récupèrent l'investissement dans les collèges, la masse d'achat sera plus importante que pour les seuls lycées, ce qui engendre mécaniquement des économies. Cela se fait déjà et ça marche ? Dans ce cas, en amplifiant ce phénomène avec des collectivités plus importantes, cela marchera encore mieux. Dans un contexte où il faut faire 50 milliards d'euros d'économies, il ne serait pas absurde de poursuivre cet objectif. Quant à l'économie, je suis absolument convaincu que tout ce que nous gagnons sur le fonctionnement et transférons sur l'investissement est bon pour la croissance. Des régions d'une masse critique peuvent accompagner des filières d'excellence et des investissements d'infrastructure pertinents. Mais il est évident que ce n'est pas le rassemblement des régions qui fera à lui seul la sortie de crise.
Détacher certains départements nous a semblé compliqué à mener de front avec un débat sur les rassemblements de régions qui promet déjà d'être long. En revanche, nous pourrions revoir après 2016 les modalités des référendums locaux, voire envisager leur suppression, pour faciliter dans la dynamique de cette loi des regroupements ultérieurs de collectivités.
Sur le tableau des effectifs par région, nous avons choisi d'ajouter le nombre des conseillers régionaux existants, de procéder à un plafonnement pour éviter que la loi conduise à avoir autant, voire plus, d'élus, et à appliquer le scrutin actuel à des effectifs diminués. Y a-t-il d'autres solutions ? Incontestablement. Peuvent-elles être envisagées par amendement ? Bien entendu. Le Gouvernement peut-il leur donner un avis favorable ? Cela dépendra de leur contenu.
Nous n'avons aucune chance de régler le mode de désignation des conseillers départementaux au-delà de 2020 sans la dynamique de transformation qu'amorce cette réforme. Votre proposition de conseillers départementaux élus au second degré comme représentants des intercommunalités est l'une des pistes possibles. Nous voyons bien qu'il y a la possibilité de concilier proximité et modernité. Le contenu du code général des collectivités territoriales (CGCT) nous permettra de fusionner au moment prévu ; mais il nous faudra une méticulosité opérationnelle qui nous mobilisera beaucoup. Nous en débattrons.
M. Savary s'est inquiété des risques d'un État fédéral. Comme vous le savez, le fédéralisme est une organisation spécifique, qui ne laisse à l'État que des compétences résiduelles en matière de défense et de diplomatie ; nous en sommes très loin. Il n'est pas question de s'orienter vers cela. Au contraire, nous profiterons de cette réforme pour conforter l'échelon départemental notamment de l'État déconcentré.
Le Grand Paris est une idée de la précédente majorité qui m'a toujours personnellement intéressé. Les grandes infrastructures portuaires de la Normandie gagneraient à ce que leur hinterland soit institutionnellement organisé. Mais la région mondiale et la région européenne auxquelles vous aspirez auraient des effets collatéraux en termes d'aménagement du territoire en contradiction avec les aspirations de bien des sénateurs... L'autonomie financière, qui concerne le second projet de loi et qui sera présenté par la ministre de décentralisation, Marylise Lebranchu, se traduit par des dépenses publiques significatives.
Je remercie M. le ministre pour cet échange positif.
La réunion est levée à 18 h 35