Intervention de Dominique Bussereau

Commission d'enquête sur la mise en oeuvre de l'écotaxe poids lourds — Réunion du 16 avril 2014 à 15h45
Audition de M. Dominique Bussereau ancien secrétaire d'état chargé des transports

Dominique Bussereau, ancien secrétaire d'État chargé des transports :

Tout d'abord, j'assume également les décisions prises lorsque j'étais secrétaire d'État aux transports de 2002 à avril 2004, puis ministre du budget. La réflexion sur l'écotaxe en effet remonte à bien avant le Grenelle de l'environnement. Les différents gouvernements français ont beaucoup travaillé au sein du Conseil des ministres des transports du l'Union européenne et avec la Commission européenne sur l'élaboration des différentes directives euro-vignette. Quand nous avons mis en place l'écotaxe, il ne s'agissait pas d'écologie « punitive » mais bien d'une politique de report modal voulue par le Grenelle. Je rappelle que le Sénat a voté cette loi à l'unanimité et que l'Assemblée nationale l'a adoptée, le groupe socialiste s'abstenant. Enfin, grâce à l'écotaxe, nous pouvions financer les infrastructures inscrites dans le Schéma national des infrastructures de transport (Snit) et les appels à projets issus du Grenelle : métro, véhicules légers automatiques (Val), bus à haut niveau de service...

Dès 2002, j'ai suivi la mise en place de la taxe LKV-Maut en Allemagne. Dans ce pays, le réseau autoroutier, ancien et parfois de mauvaise qualité, n'est pas soumis à péage. Les Allemands ont rencontré alors les mêmes problèmes que nous aujourd'hui et ils ont dû s'y reprendre à cinq fois entre 2003 et 2005 avant d'installer leur écotaxe.

Nous avons, quant à nous, fait le choix très particulier de taxer seulement 1 % de notre réseau routier national, et à des tarifs très bas : entre 13 centimes et 15,4 centimes du kilomètre, très en-deçà des tarifs pratiqués en Allemagne. Environ 800 000 poids lourds circulent sur notre réseau : 600 000 immatriculés en France et 200 000 à l'étranger, essentiellement dans l'Union européenne, mis à part quelques poids lourds venant d'Europe du Nord, du Maroc ou d'Algérie.

Nous avions également voté dès la loi de finances pour 2006 une expérimentation en Alsace. Nous avons voulu un PPP, non par un parti pris libéral, mais parce que nous ne voulions pas recruter de nouveaux fonctionnaires et parce que les compétences techniques requises étaient très particulières. Le coût de gestion d'Écomouv', de l'ordre de 230 millions d'euros, est élevé par rapport aux 800 à 900 millions d'euros de recettes attendues : en Allemagne, il est de 430 à 450 millions d'euros, pour une écotaxe qui rapporte 4,5 milliards d'euros, le réseau taxable étant beaucoup plus important.

Une commission interministérielle a été mise en place, sous le contrôle juridique du secrétaire général du gouvernement, M. Serge Lasvignes, pour suivre la mise en place de la nouvelle taxe. Elle associait toutes les administrations concernées, Bercy étant en première ligne. Nous avions adopté le principe d'un paiement par le donneur d'ordre, ce que M. Frédéric Cuvillier a confirmé dans le décret de juin dernier : la presse a prétendu le contraire, de même que quelques démagogues bretons lors de l'épisode des bonnets rouges. Certes, les transporteurs devaient répercuter la taxe sur les prix mais, à l'époque, nous avions estimé qu'il en coûterait au consommateur 1 centime par kilo de tomates venu de Bretagne ou d'Agen.

Nous avons voulu un système satellitaire, sur le modèle allemand. D'autres pays, comme l'Autriche ou la République tchèque, ont choisi des portiques car leur réseau n'est pas très étendu. Contrairement à ce qui a été dit, les portiques servent seulement à vérifier que tous les camions sont bien porteurs de l'appareillage - que nous avons voulu interopérable.

M. Jean-Paul Chanteguet devait remettre ses conclusions au gouvernement le 30 avril 2014. Entre temps, de nouvelles déclarations ont été faites sur l'avenir de l'écotaxe. Quoi qu'il en soit, si le gouvernement la relançait, il faudrait une phase d'expérimentation. L'Alsace est très demandeuse, depuis longtemps, pour endiguer le report de trafic en France depuis l'instauration d'une écotaxe en Allemagne ; l'expérimentation du TER a été fructueuse, elle a montré que la régionalisation était possible. Les présidents d'exécutifs locaux aussi sont demandeurs, car il n'y a plus d'argent pour financer le volet mobilité des contrats de plan État-région. Du reste, le troisième appel à projets est bloqué, ce qui interdit aux maires de développer leurs transports publics.

Personnellement, je ne crois pas à la régionalisation, évoquée par M. Ayrault ou d'autres. Les régions les plus riches ou les plus traversées percevraient des fonds et pas les autres. La régionalisation conduirait également à de nouveaux rabais. J'étais contre celui de 50 % pour les Bretons, contre celui de 30 % pour l'Aquitaine, mais le Premier ministre n'a pas arbitré en ma faveur. Nous devons aussi en rester aux 3,5 tonnes, même si les Allemands ne taxent qu'à partir de 12 tonnes. Il serait absurde d'instaurer une vignette : certes, elle existe en Suisse pour les voitures individuelles, mais pas pour les poids lourds. Nous pourrions distinguer les camions étrangers des camions français : mais pourquoi faire l'Europe, alors ? Nous irions à l'encontre de l'esprit de la directive euro-vignette.

L'État pourrait reprendre le dialogue avec les départements sur les routes taxables, 5 000 kilomètres seulement aujourd'hui. Le président de conseil général que j'étais n'avait pas réussi à obtenir les kilomètres qu'il demandait au ministre (que j'étais aussi !). Les collectivités souhaitent des recettes supplémentaires. Il faudrait également rouvrir les discussions avec les transporteurs et avec la profession agricole pour certains types de chargements.

Je suis très favorable à l'écotaxe. Il faudra peut-être changer son nom... Dans mon département, quand vous franchissez le pont de l'île de Ré ou prenez le bac pour l'île d'Aix, vous payez une écotaxe, dont le produit va à 50 % à l'entretien de l'ouvrage et 50 % à la politique des espaces naturels sensibles et au développement des transports publics propres.

J'ai été frappé par l'ampleur de la désinformation : l'écotaxe a été considérée comme punitive alors qu'elle était un outil écologique voté à la quasi-unanimité du Parlement. Notre pays doit investir dans les infrastructures de transport pour maintenir son bon niveau d'équipement en ce domaine. Il serait dommage que nous renoncions à ces investissements.

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