Commission d'enquête sur la mise en oeuvre de l'écotaxe poids lourds

Réunion du 16 avril 2014 à 15h45

Résumé de la réunion

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La réunion

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Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Hélène Des Esgaulx

Nous auditionnons M. Dominique Bussereau, qui a été secrétaire d'état chargé des transports du 18 mai 2007 au 13 novembre 2010. Monsieur le ministre, vous étiez en poste lors des discussions du Grenelle de l'environnement, lors du vote de la loi de finances pour 2009 qui instaurait l'écotaxe poids lourds, puis lors du choix du PPP et du lancement du dialogue compétitif. Quel a été votre rôle en tant que ministre pendant ces différentes phases ? Qui a pris la décision de recours au PPP ? Quels étaient les arguments techniques, financiers ? Quelle est votre appréciation des choix juridiques et techniques effectués ?

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Dominique Bussereau prête serment.

Debut de section - Permalien
Dominique Bussereau, ancien secrétaire d'État chargé des transports

Tout d'abord, j'assume également les décisions prises lorsque j'étais secrétaire d'État aux transports de 2002 à avril 2004, puis ministre du budget. La réflexion sur l'écotaxe en effet remonte à bien avant le Grenelle de l'environnement. Les différents gouvernements français ont beaucoup travaillé au sein du Conseil des ministres des transports du l'Union européenne et avec la Commission européenne sur l'élaboration des différentes directives euro-vignette. Quand nous avons mis en place l'écotaxe, il ne s'agissait pas d'écologie « punitive » mais bien d'une politique de report modal voulue par le Grenelle. Je rappelle que le Sénat a voté cette loi à l'unanimité et que l'Assemblée nationale l'a adoptée, le groupe socialiste s'abstenant. Enfin, grâce à l'écotaxe, nous pouvions financer les infrastructures inscrites dans le Schéma national des infrastructures de transport (Snit) et les appels à projets issus du Grenelle : métro, véhicules légers automatiques (Val), bus à haut niveau de service...

Dès 2002, j'ai suivi la mise en place de la taxe LKV-Maut en Allemagne. Dans ce pays, le réseau autoroutier, ancien et parfois de mauvaise qualité, n'est pas soumis à péage. Les Allemands ont rencontré alors les mêmes problèmes que nous aujourd'hui et ils ont dû s'y reprendre à cinq fois entre 2003 et 2005 avant d'installer leur écotaxe.

Nous avons, quant à nous, fait le choix très particulier de taxer seulement 1 % de notre réseau routier national, et à des tarifs très bas : entre 13 centimes et 15,4 centimes du kilomètre, très en-deçà des tarifs pratiqués en Allemagne. Environ 800 000 poids lourds circulent sur notre réseau : 600 000 immatriculés en France et 200 000 à l'étranger, essentiellement dans l'Union européenne, mis à part quelques poids lourds venant d'Europe du Nord, du Maroc ou d'Algérie.

Nous avions également voté dès la loi de finances pour 2006 une expérimentation en Alsace. Nous avons voulu un PPP, non par un parti pris libéral, mais parce que nous ne voulions pas recruter de nouveaux fonctionnaires et parce que les compétences techniques requises étaient très particulières. Le coût de gestion d'Écomouv', de l'ordre de 230 millions d'euros, est élevé par rapport aux 800 à 900 millions d'euros de recettes attendues : en Allemagne, il est de 430 à 450 millions d'euros, pour une écotaxe qui rapporte 4,5 milliards d'euros, le réseau taxable étant beaucoup plus important.

Une commission interministérielle a été mise en place, sous le contrôle juridique du secrétaire général du gouvernement, M. Serge Lasvignes, pour suivre la mise en place de la nouvelle taxe. Elle associait toutes les administrations concernées, Bercy étant en première ligne. Nous avions adopté le principe d'un paiement par le donneur d'ordre, ce que M. Frédéric Cuvillier a confirmé dans le décret de juin dernier : la presse a prétendu le contraire, de même que quelques démagogues bretons lors de l'épisode des bonnets rouges. Certes, les transporteurs devaient répercuter la taxe sur les prix mais, à l'époque, nous avions estimé qu'il en coûterait au consommateur 1 centime par kilo de tomates venu de Bretagne ou d'Agen.

Nous avons voulu un système satellitaire, sur le modèle allemand. D'autres pays, comme l'Autriche ou la République tchèque, ont choisi des portiques car leur réseau n'est pas très étendu. Contrairement à ce qui a été dit, les portiques servent seulement à vérifier que tous les camions sont bien porteurs de l'appareillage - que nous avons voulu interopérable.

M. Jean-Paul Chanteguet devait remettre ses conclusions au gouvernement le 30 avril 2014. Entre temps, de nouvelles déclarations ont été faites sur l'avenir de l'écotaxe. Quoi qu'il en soit, si le gouvernement la relançait, il faudrait une phase d'expérimentation. L'Alsace est très demandeuse, depuis longtemps, pour endiguer le report de trafic en France depuis l'instauration d'une écotaxe en Allemagne ; l'expérimentation du TER a été fructueuse, elle a montré que la régionalisation était possible. Les présidents d'exécutifs locaux aussi sont demandeurs, car il n'y a plus d'argent pour financer le volet mobilité des contrats de plan État-région. Du reste, le troisième appel à projets est bloqué, ce qui interdit aux maires de développer leurs transports publics.

Personnellement, je ne crois pas à la régionalisation, évoquée par M. Ayrault ou d'autres. Les régions les plus riches ou les plus traversées percevraient des fonds et pas les autres. La régionalisation conduirait également à de nouveaux rabais. J'étais contre celui de 50 % pour les Bretons, contre celui de 30 % pour l'Aquitaine, mais le Premier ministre n'a pas arbitré en ma faveur. Nous devons aussi en rester aux 3,5 tonnes, même si les Allemands ne taxent qu'à partir de 12 tonnes. Il serait absurde d'instaurer une vignette : certes, elle existe en Suisse pour les voitures individuelles, mais pas pour les poids lourds. Nous pourrions distinguer les camions étrangers des camions français : mais pourquoi faire l'Europe, alors ? Nous irions à l'encontre de l'esprit de la directive euro-vignette.

L'État pourrait reprendre le dialogue avec les départements sur les routes taxables, 5 000 kilomètres seulement aujourd'hui. Le président de conseil général que j'étais n'avait pas réussi à obtenir les kilomètres qu'il demandait au ministre (que j'étais aussi !). Les collectivités souhaitent des recettes supplémentaires. Il faudrait également rouvrir les discussions avec les transporteurs et avec la profession agricole pour certains types de chargements.

Je suis très favorable à l'écotaxe. Il faudra peut-être changer son nom... Dans mon département, quand vous franchissez le pont de l'île de Ré ou prenez le bac pour l'île d'Aix, vous payez une écotaxe, dont le produit va à 50 % à l'entretien de l'ouvrage et 50 % à la politique des espaces naturels sensibles et au développement des transports publics propres.

J'ai été frappé par l'ampleur de la désinformation : l'écotaxe a été considérée comme punitive alors qu'elle était un outil écologique voté à la quasi-unanimité du Parlement. Notre pays doit investir dans les infrastructures de transport pour maintenir son bon niveau d'équipement en ce domaine. Il serait dommage que nous renoncions à ces investissements.

Debut de section - Permalien
Dominique Bussereau, ancien secrétaire d'État chargé des transports

Je ne suis plus au gouvernement, mais je pense que la parole de l'État doit être respectée.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Hélène Des Esgaulx

Combien de temps devrait, selon vous, durer la phase d'expérimentation ?

Debut de section - Permalien
Dominique Bussereau, ancien secrétaire d'État chargé des transports

Nous avions prévu six mois pour l'Alsace, mais le système ayant été validé, cette phase pourrait être plus courte.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Hélène Des Esgaulx

D'après vous, il faut garder le système actuel et négocier avec Écomouv'.

Debut de section - Permalien
Dominique Bussereau, ancien secrétaire d'État chargé des transports

Et punir sévèrement ceux qui détruisent les portiques. Ils sont connus des services de police.

Debut de section - PermalienPhoto de Virginie Klès

On ne peut à la fois conserver le contrat en l'état et faire une expérimentation. Il faut forcément renégocier.

Debut de section - Permalien
Dominique Bussereau, ancien secrétaire d'État chargé des transports

On pourrait expérimenter dans une - ou plusieurs - région et prévoir concomitamment une phase de validation à blanc.

Debut de section - PermalienPhoto de Virginie Klès

Certes, mais il n'en faudrait pas moins renégocier le contrat.

Debut de section - Permalien
Dominique Bussereau, ancien secrétaire d'État chargé des transports

La phase d'expérimentation était prévue au départ et elle n'a pas été annulée par une loi. Cela dit, c'est aux pouvoirs publics de renégocier. Le fond du problème, ce n'est pas Écomouv' mais l'écotaxe.

Debut de section - PermalienPhoto de Virginie Klès

Vous avez dit que le coût de la gestion par Écomouv' était important parce que le gouvernement avait voulu taxer faiblement une part réduite du réseau. Avec le recul, pensez-vous que c'était un bon choix ? Les critères retenus à l'époque gagneraient-ils à être modifiés ?

Debut de section - Permalien
Dominique Bussereau, ancien secrétaire d'État chargé des transports

Je ne sais plus si, lorsque je suis parti du gouvernement, le nombre de kilomètres taxables (15 000 kilomètres) avait déjà été fixé. Sur la pression des administrations centrales, nous avons choisi un réseau trop petit ; quant au montant, 13 à 14 centimes au kilomètre, il pouvait évoluer. Nous avions décidé que le contrat s'amortirait sur treize ans : il eût été possible de prévoir une plus longue période.

Debut de section - PermalienPhoto de Virginie Klès

L'idée était de faire payer les donneurs d'ordre et non les transporteurs, mais ces derniers estiment qu'ils allaient payer de façon indirecte cette écotaxe. Aviez-vous pris en compte cette crispation ?

Debut de section - Permalien
Dominique Bussereau, ancien secrétaire d'État chargé des transports

Les transporteurs oublient de vous dire que dans les négociations sur l'écotaxe, ils ont obtenu la quasi-suppression de la taxe à l'essieu et l'élargissement du droit de circulation des 44 tonnes, autorisés jusqu'alors au départ des seuls ports maritimes. Malgré ma réticence j'ai étendu cette dérogation aux ports fluviaux.

Debut de section - PermalienPhoto de Virginie Klès

Mais vous dites aussi que la profession n'était pas concernée par l'écotaxe. C'est contradictoire !

Debut de section - Permalien
Dominique Bussereau, ancien secrétaire d'État chargé des transports

Il y a eu une négociation. Ils ont parfaitement accepté à l'époque que le coût de l'écotaxe figure en pied de facture. Ensuite, un décret extrêmement complexe a été publié au printemps 2012 - je n'étais plus au gouvernement. M. Cuvillier a arrangé les choses grâce à un décret plus lisible publié en juin 2013. L'ensemble des syndicats des transporteurs demandait que le paiement de la taxe soit à la charge du donneur d'ordre. J'ai accédé aux demandes sur la taxe à l'essieu et les 44 tonnes.

Debut de section - PermalienPhoto de Virginie Klès

Quelle était la répartition des rôles entre les fonctionnaires, les membres des cabinets ministériels et les ministres sur ce dossier complexe ? Disposiez-vous de suffisamment d'informations ? Quelle était la répartition des rôles et des responsabilités entre les ministres ?

Debut de section - Permalien
Dominique Bussereau, ancien secrétaire d'État chargé des transports

Un groupe de travail interministériel composé de hauts fonctionnaires rendait compte aux cabinets et aux ministres. Le climat était très consensuel entre les ministres mais aussi entre le gouvernement et le Parlement. Certains députés écologistes reprochaient au président M. Sarkozy et à M. Fillon de repousser la mise en oeuvre de la taxe pour cause d'élection présidentielle. Jusqu'à l'épisode des bonnets rouges, le Parlement a fait pression sur le gouvernement pour qu'elle entre en vigueur plus rapidement. Tous les élus l'attendaient avec impatience. Au moment de l'explosion sociale en Bretagne, qui avait en fait d'autres causes, 173 portiques avaient déjà été installés sans susciter de problème. Hélas, quelle désinformation ensuite, quelle démagogie...

Debut de section - PermalienPhoto de Virginie Klès

Entre les deux objectifs, provoquer un report modal et apporter une ressource financière bienvenue, lequel dominait ?

Debut de section - Permalien
Dominique Bussereau, ancien secrétaire d'État chargé des transports

La priorité était le report modal. Nous pensions, en maniant la carotte et le bâton, obtenir un report sur le ferroviaire, le maritime et le fluvial : à l'époque, les premières autoroutes ferroviaires et maritimes (comme Saint-Nazaire-Gijon) étaient lancées, le canal Seine-Nord était décidé. Les autorités organisatrices des transports urbains savaient que cette ressource serait également utilisée pour leurs projets de transports publics. L'expérience allemande était intéressante et nous la regardions de près.

Debut de section - PermalienPhoto de Virginie Klès

De nos auditions, je retire l'impression que par des exigences de performance très élevées, les douanes ont rendu quasiment impossible la mise en place de l'écotaxe à la date prévue. Pourquoi, si le but était le report modal, avoir été si intransigeant sur les rentrées financières ?

Debut de section - Permalien
Dominique Bussereau, ancien secrétaire d'État chargé des transports

Ce qui est peu : la LGV Tours-Bordeaux coûte 8 milliards d'euros, dont 4 milliards à la charge des collectivités territoriales. L'idée, c'était que le produit de la taxe monte en puissance. Quoi qu'il en soit, la décision définitive a été prise en janvier 2011 et je n'étais plus au gouvernement.

Aujourd'hui, les douanes conservent deux missions essentielles : la lutte contre la contrefaçon et la lutte contre les trafics de drogue. Avec l'écotaxe, elles exerçaient un contrôle régalien. Donner des missions supplémentaires à ces services de l'État était une bonne chose.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Hélène Des Esgaulx

Y a-t-il eu une analyse du coût global des installations, de l'équipement, du développement informatique, de la formation dans le cadre du contrat Écomouv' ? On semble avoir demandé toujours plus à Écomouv' en termes de performances techniques et de résultats.

Debut de section - Permalien
Dominique Bussereau, ancien secrétaire d'État chargé des transports

J'espère qu'une telle analyse a été menée mais je suis incapable de vous répondre. La décision de retenir Écomouv' a été prise le 14 janvier 2011 et j'avais quitté le gouvernement le 13 novembre 2010. Je suis solidaire de la décision pour le PPP mais je n'ai pas participé aux décisions ultérieures.

Debut de section - PermalienPhoto de François Grosdidier

Le principe du PPP et le montant de la redevance faisaient-ils l'objet d'âpres discussions au sein du gouvernement ? Certains s'indignent que les frais de recouvrement représentent 22 % du chiffre d'affaires alors que, pour les radars, le coût s'élève à 25 %.

Hier, certains représentants de la profession de transporteurs routiers nous ont affirmé que l'écotaxe leur coûterait 250 millions d'euros. Or, les transporteurs étrangers acquittent également cette taxe tandis que la quasi-disparition de la taxe à l'essieu renforce la compétitivité de nos transporteurs nationaux.

Vous avez appliqué l'écotaxe à partir de 3,5 tonnes : pourquoi taxer ainsi le trafic local si l'objectif est le report modal ? Et pourquoi avoir encouragé le trafic des 44 tonnes ? Si l'on devait revoir la copie, ne devrait-on pas trouver un compromis entre 3,5 et 12 tonnes ? Et taxer uniquement les axes de transit, non la desserte locale ?

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Teston

Le dialogue compétitif a pris fin en octobre 2010 et le marché a été attribué en février 2011. Vous avez quitté le gouvernement le 13 novembre 2010. À l'issue du dialogue compétitif, étiez-vous convaincu que l'offre d'Écomouv' était la meilleure ou bien aviez-vous des doutes ? Redevenu aujourd'hui parlementaire, qu'en pensez-vous ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Filleul

Il y a eu sans doute un manque d'information en amont comme en aval. Le ministre Thierry Mariani, hier, l'a nié. Il n'a pas répondu non plus sur les 44 tonnes. Je suis donc reconnaissant à M. Bussereau de son exposé clair et précis. Cette contradiction entre les propos de deux ministres des transports m'étonne.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Hélène Des Esgaulx

Hier, nous avons compris que M. Mariani avait sous-estimé le retard dû au contentieux.

Debut de section - PermalienPhoto de Louis Nègre

Je me félicite de votre constance, monsieur le ministre : par les temps qui courent, il est bien courageux de défendre cette redevance. Pourtant, les poids lourds devraient y être favorables, ils seront les premiers à profiter de la construction d'infrastructures de qualité. Je m'étonne que le Parlement ait été à l'époque un partisan fervent de l'écotaxe et que certains de ses membres y soient aujourd'hui si farouchement opposés. Une question : pourquoi avoir voulu faire encore mieux que les Allemands, qui déjà ont dû s'y reprendre à cinq fois pour instaurer leur LKV-Maut ?

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Doligé

Les collectivités auront-elles un droit à compensation du fait de l'abandon de l'écotaxe ?

Debut de section - Permalien
Dominique Bussereau, ancien secrétaire d'État chargé des transports

Lorsque j'ai quitté le gouvernement, Écomouv' était un candidat parmi d'autres, le classement a été validé en janvier 2011 seulement. Certaines organisations routières ont protesté lors du choix final parce que la SNCF faisait partie du capital d'Écomouv'. M. Chassigneux, ancien directeur de cabinet du président de la République, furieux que la Sanef n'ait pas été choisie, a mené un travail de désinformation.

Le coût de perception des amendes liées aux radars est d'environ 40 %, contre 22 % pour Écomouv'. La diminution de la taxe à l'essieu a été considérable, il n'en reste que le squelette. Le seuil de 3,5 tonnes peut paraître faible mais, au vu des statistiques de trafic en France, ce niveau est acceptable. Les 44 tonnes sont peu utilisés sur les longues distances où ils ne seraient pas rentables : ils transportent par exemple du blé des silos de Lorient à Rouen ou à la Rochelle, ou des matériaux depuis les ports vers de gros chantiers.

Les présidents des conseils généraux, qui voulaient pour la plupart taxer un plus grand nombre de routes départementales, n'ont pas été entendus. Si une renégociation était engagée, il serait bon de discuter de nouveau avec eux.

M. Filleul estime que M. Mariani et moi-même ne tenons pas les mêmes propos. En tout cas, la continuité de l'État a été assurée. Lorsque le gouvernement de M. Ayrault a été mis en place, Mme Batho puis M. Cuvillier ont continué à faire avancer le dossier : 13 textes règlementaires ont été publiés avant la suspension de l'écotaxe.

La complexité du dispositif vient du fait que nous avons construit notre réseau d'autoroutes grâce aux péages. Les Allemands, eux, ont un grand réseau gratuit, construit à l'époque hitlérienne. Or, pour les autorités européennes, c'est une taxe ou un péage, mais pas les deux.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Hélène Des Esgaulx

Merci pour votre témoignage, monsieur le ministre.

La réunion est levée à 16 h 37

La séance est ouverte à 16 h 41

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Hélène Des Esgaulx

Nous allons entendre Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d'Etat chargée de l'écologie du 19 juin 2007 au 14 janvier 2009, puis ministre de l'écologie du 14 novembre 2010 au 22 février 2012.

Madame la Ministre, vous étiez donc en poste lors du Grenelle de l'environnement, puis lors de la phase finale de l'attribution du contrat de partenariat. Nous souhaitons comprendre quel a été votre rôle en tant que ministre dans la mise en place de l'écotaxe poids lourds. La décision de recours au PPP était-elle prise dès l'origine ? Sur quels arguments cette décision était-elle fondée ? L'inclusion du recouvrement dans le périmètre du contrat de partenariat a-t-elle fait l'objet d'une réflexion particulière au sein du gouvernement ? Quelle est votre appréciation globale de la manière dont les choix ont été effectués et le contrat mis en place ?

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Kosciusko-Morizet prête serment.

Debut de section - Permalien
Nathalie Kosciusko-Morizet, ancienne secrétaire d'État chargée de l'écologie

J'ai traité de ce que l'on a d'abord appelé l'« éco-redevance poids lourds » à deux moments de mon parcours ministériel. Tout d'abord, en tant que secrétaire d'État à l'écologie, sous la responsabilité de M. Jean-Louis Borloo, je me suis occupée de la définition du programme du Grenelle de l'environnement et de son lancement, j'ai présidé certaines de ses réunions, avant de veiller à sa mise en oeuvre législative. Dans un second temps, alors que j'avais succédé à M. Jean-Louis Borloo au ministère de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement, j'ai eu pour tâche de valider le classement des opérateurs pressentis et de purger le recours introduit par l'un d'entre eux, avant de lancer, en collaboration avec le ministère du budget et les douanes, la mise en oeuvre de ce que l'on appelait désormais l'« écotaxe ».

Le Grenelle de l'environnement a été conçu pendant la campagne présidentielle, selon une méthode nouvelle : la recherche d'un consensus fort. Notre ambition était non pas de modifier les choses à la marge, mais en profondeur, par un mouvement fondateur d'une nouvelle politique écologique. Plusieurs collèges avaient été constitués : les élus, l'État, mais aussi les employeurs et entreprises, les syndicats, les associations environnementales. Le Grenelle a été particulièrement fructueux en matière de fiscalité environnementale. J'avais déjà travaillé sur ce sujet au tout début des années 2000. À l'époque déjà, on s'accordait pour considérer que la structure de notre fiscalité était dépassée : elle conduisait à taxer plus lourdement le travail, que l'on voulait pourtant développer, et plus faiblement la pollution, qu'on voulait pourtant réduire.

Nous avons beaucoup de mal à faire évoluer cette structure fiscale. Certains pays, notamment scandinaves, y sont parvenus, toujours par le consensus. C'est pour introduire une démarche semblable en France que le Grenelle de l'environnement a réuni les différents acteurs, en les plaçant face à leurs responsabilités... et sous le regard des médias. L'administration elle-même était peu encline à évoluer. Bercy préfère toujours un taux faible sur une assiette très large, afin de pouvoir prélever le maximum de la manière la plus indolore possible. La fiscalité environnementale, qui vise à faire évoluer les comportements, suit une logique différente.

Le Grenelle de l'environnement a débouché sur le bonus-malus, la taxe carbone et l'éco-redevance, devenue écotaxe lorsqu'on a choisi d'utiliser son produit pour financer non seulement l'entretien des routes taxées, mais toutes les infrastructures de transport via l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf), donc le report modal. Je ne regrette pas cette évolution, parce que je crois légitime d'organiser un transfert permanent depuis les modes de transport les plus polluants vers les moins polluants, d'autant que certains d'entre eux, comme le ferroviaire, ne peuvent être financés que de cette manière.

L'écotaxe était l'une des mesures les plus populaires du Grenelle. Elle ralliait 85 % ou 90 % d'opinions favorables. La taxation des poids lourds apparaissait alors comme une évidence. On croyait fermement au développement des infrastructures alternatives, par exemple des tramways. Cet engouement était partagé par l'administration. L'écotaxe était une solution au problème alsacien, car la mise en place d'une écotaxe en Alsace était un engagement législatif vieux déjà de plusieurs années, que l'administration ne savait comment remplir. L'écotaxe réglait l'impasse budgétaire du financement de l'Afitf par des ressources pérennes. Le dispositif visait à la fois à taxer les externalités négatives du transport routier, à rentabiliser les routes non couvertes par le péage autoroutier, et à faire contribuer les poids lourds étrangers qui traversent la France sans rien payer des dégâts qu'ils occasionnent. Il s'agissait en somme d'atteindre deux cibles avec une seule flèche : faire payer la route à son vrai coût, y compris environnemental, et financer d'autres infrastructures.

L'engouement de l'administration était cependant modéré par une réserve de taille : tant le ministère des transports que celui des finances et des douanes se déclaraient incapables de concevoir, d'intégrer et de gérer le système. C'est ce qui a déterminé le choix du partenariat public-privé (PPP), beaucoup plus que la contrainte financière. Je n'ai pas participé à ce choix, pas plus qu'à la mise en place de la commission consultative chargée de trancher entre les partenaires potentiels.

À la fin du Grenelle, comme ministre de l'écologie, je n'avais plus à connaître de l'écotaxe, entièrement prise en charge par les départements du ministère consacrés aux transports. J'ai succédé à M. Jean-Louis Borloo au ministère de l'écologie trois ans plus tard, après le dialogue compétitif, le choix d'un PPP et la définition du réseau taxable. Restait à établir le classement entre les trois candidats restant en lice. La note conjointe de l'administration des douanes et de celle des transports proposant un classement des offres a été transmise à la commission consultative, qui l'a validée. Elle plaçait en tête le consortium Autostrade, en second le consortium Sanef et, en troisième position, le consortium mené par France Télécom.

Autostrade arrivait en tête selon les critères principaux, coût bien sûr mais aussi la place donnée aux PME, et performance. Il faisait jeu égal avec ses concurrents selon les autres critères. Certains interlocuteurs de votre commission d'enquête se sont étonnés de la rapidité de ce classement, validé par la commission consultative en décembre 2010 et signé par moi en janvier 2011. Mais à l'époque, nous étions critiqués pour aller trop lentement, car les recettes étaient attendues ! Le processus avait pris beaucoup de retard. La Sanef a en outre contesté le classement, ouvrant un contentieux qui s'est prolongé pendant six mois. Une fois qu'il a été purgé, la convention a été signée et l'opération lancée. Les premières rentrées financières étaient alors attendues pour la fin de 2012 ou le début de 2013.

Debut de section - PermalienPhoto de Virginie Klès

Une première question sur l'équilibre entre la carotte et le bâton. Vous l'avez dit, l'écotaxe avait un double objectif : rentrées fiscales et incitation au report modal. En attendant que les structures alternatives existent, comment conceviez-vous cette incitation ?

Debut de section - Permalien
Nathalie Kosciusko-Morizet, ancienne secrétaire d'État chargée de l'écologie

Au moment du Grenelle de l'environnement, la réalisation d'un certain nombre d'infrastructures de report modal a été lancée, sans attendre le bénéfice de l'écotaxe : revivification de certaines infrastructures ferroviaires, lancement des autoroutes ferroviaires comme Bettembourg-Perpignan, rénovation du système des canaux et des ports, etc. La mise à niveau de nos infrastructures alternatives s'est faite en même temps que le lancement de l'écotaxe. Aujourd'hui, toute une partie du programme du Grenelle est arrêtée, faute de ressources pour l'Afitf.

Debut de section - PermalienPhoto de Virginie Klès

Au moment de l'abandon de la taxe alsacienne, en avez-vous apprécié les conséquences ? Sa mise en oeuvre aurait représenté une expérimentation précieuse.

Debut de section - Permalien
Nathalie Kosciusko-Morizet, ancienne secrétaire d'État chargée de l'écologie

Oui, hélas, le système n'était pas prêt !

Debut de section - PermalienPhoto de Virginie Klès

Alors comment aurait-il pu l'être pour l'ensemble du territoire ? Pourquoi ne pas avoir retardé tout le dispositif, en attendant d'avoir conduit cette expérience à moindre échelle ?

Debut de section - Permalien
Nathalie Kosciusko-Morizet, ancienne secrétaire d'État chargée de l'écologie

L'administration, je l'ai dit, ne savait pas faire. Le projet d'écotaxe nationale était perçu comme une solution au problème alsacien.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Hélène Des Esgaulx

En tant que rapporteure spéciale de la commission des finances pour les transports terrestres, j'ai auditionné les transporteurs. Eux-mêmes déclaraient qu'il n'était pas possible d'instaurer un tel dispositif en Alsace seulement.

Debut de section - Permalien
Nathalie Kosciusko-Morizet, ancienne secrétaire d'État chargée de l'écologie

C'est plus tard que le choix a été fait de ne pas passer par l'étape préparatoire en Alsace.

Debut de section - PermalienPhoto de Virginie Klès

Je voulais souligner par là que cet abandon, comme celui de la facturation à blanc, a été préjudiciable à la mise en place du reste du dispositif.

Debut de section - Permalien
Nathalie Kosciusko-Morizet, ancienne secrétaire d'État chargée de l'écologie

C'est certain, d'autant plus qu'en Alsace, la taxe était demandée depuis des années, comme d'ailleurs dans d'autres régions de France. Je ne sais pas pourquoi elle y a été abandonnée. Peut-être les transporteurs ont-ils été à l'oeuvre...

Debut de section - Permalien
Nathalie Kosciusko-Morizet, ancienne secrétaire d'État chargée de l'écologie

Cette opposition n'était pas apparue de mon temps.

Debut de section - PermalienPhoto de Virginie Klès

Vous avez évoqué les réticences de l'administration, notamment celle des douanes. Il n'était pas question pour le pouvoir politique de l'époque de recruter des fonctionnaires. N'était-ce pas une erreur ? Le contrôle et le recouvrement de la taxe ont de ce fait été inclus dans le périmètre du PPP, et les nombreuses contraintes techniques imposées à Écomouv' ont rendu le système de plus en plus complexe, de plus en plus cher et difficile à déployer. Le choix du PPP plutôt que du recrutement de fonctionnaires a-t-il été bien pesé ?

Debut de section - Permalien
Nathalie Kosciusko-Morizet, ancienne secrétaire d'État chargée de l'écologie

Ce n'était pas seulement une question d'effectifs. Les douanes considéraient qu'elles n'étaient pas en mesure de gérer ce système complexe, avec ses interfaces multiples.

Debut de section - PermalienPhoto de Virginie Klès

Le degré de complexité du travail dépend des relations contractuelles que l'on établit avec le partenaire privé.

Debut de section - Permalien
Nathalie Kosciusko-Morizet, ancienne secrétaire d'État chargée de l'écologie

Certes, mais les douanes avaient certaines exigences très élevées, notamment en matière de fiabilité du recouvrement. Après le traumatisme qu'avaient été les contentieux liés aux radars, elles tenaient à éviter les erreurs de facturation. Elles ne voulaient en aucune manière avoir à se charger du recouvrement, et exigeaient que le taux d'erreur soit très faible, non pour assurer un maximum de rentrées, comme on l'a dit, mais pour prévenir les contentieux.

Debut de section - PermalienPhoto de Virginie Klès

Sur un dossier d'une telle importance, avez-vous le sentiment que les fonctionnaires et les ministres se sont suffisamment parlé ? Les exigences des douanes sur le taux d'erreur étaient effectivement très fortes, et assorties d'une obligation de résultat, un taux de recouvrement de 99,75 %. C'est la conjonction des deux qui a rendu le dispositif impossible à mettre en oeuvre, en tout cas dans les délais prévus. À qui appartenait-il de trancher sur un aspect aussi important : aux politiques ou aux administratifs ? Entre les politiques, comment s'est faite la répartition des compétences ? Les interfaces entre les ministres ont-elles bien fonctionné ?

Debut de section - Permalien
Nathalie Kosciusko-Morizet, ancienne secrétaire d'État chargée de l'écologie

Le processus de l'écotaxe a été interministériel depuis son origine. L'ensemble du programme avait été validé à Matignon et de nombreuses réunions se sont tenues avec le secrétaire général de l'Elysée. Sa mise en oeuvre a été intégralement interministérielle. J'ai travaillé avec la DGTIM sur la partie « Transports », tandis que la question du taux de recouvrement était gérée par Bercy. La coordination interministérielle s'est faite ensuite sous l'autorité du Premier ministre.

Debut de section - PermalienPhoto de Virginie Klès

L'information vous est-elle parvenue directement, parliez-vous avec vos collègues ministres, ou seuls les cabinets se sont-ils concertés ?

Debut de section - Permalien
Nathalie Kosciusko-Morizet, ancienne secrétaire d'État chargée de l'écologie

Je me suis tenue directement et personnellement informée de tout ce que j'ai signé.

Debut de section - PermalienPhoto de Virginie Klès

Vous avez donc eu des échanges avec vos collègues ministres ?

Debut de section - Permalien
Nathalie Kosciusko-Morizet, ancienne secrétaire d'État chargée de l'écologie

Sans doute ! Je me souviens d'avoir évoqué le sujet avec le Premier ministre.

Debut de section - Permalien
Nathalie Kosciusko-Morizet, ancienne secrétaire d'État chargée de l'écologie

C'est-à-dire ?

Debut de section - PermalienPhoto de Virginie Klès

On nous a dit que les ministres ne s'étaient pas rencontrés, et que la coordination ne s'était faite qu'au niveau des cabinets.

Debut de section - Permalien
Nathalie Kosciusko-Morizet, ancienne secrétaire d'État chargée de l'écologie

Il y a eu des réunions interministérielles entre directeurs généraux d'administration et entre membres des cabinets. J'ai, à titre personnel, évoqué ce sujet avec le directeur de cabinet du Premier ministre et avec le Premier ministre. Quant à une réunion de ministres formelle, je n'en ai pas souvenir, mais il appartient au Premier ministre d'assurer l'interministériel.

Debut de section - PermalienPhoto de Virginie Klès

Le sentiment que nous avons après les auditions, notamment celle de M. Thierry Mariani hier, est qu'il est bien difficile de déterminer qui faisait quoi. Sur un dossier si novateur, c'est dommage !

Debut de section - Permalien
Nathalie Kosciusko-Morizet, ancienne secrétaire d'État chargée de l'écologie

Il faut vous procurer les bleus de Matignon, qui retracent ces réunions, tenues sous l'autorité du secrétaire général du gouvernement et des directeurs généraux. Je me rappelle très bien avoir évoqué cette question avec le directeur de cabinet du Premier ministre et avec le Premier ministre lui-même.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Hélène Des Esgaulx

N'avez-vous pas eu le sentiment que l'on a dérapé à un certain moment vers une taxe douanière ?

Debut de section - Permalien
Nathalie Kosciusko-Morizet, ancienne secrétaire d'État chargée de l'écologie

Pouvez-vous préciser votre question ?

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Hélène Des Esgaulx

Les douanes ont pris la main sur l'ensemble de la mise en oeuvre. Je trouve cela dommage pour la fiscalité écologique.

Debut de section - Permalien
Nathalie Kosciusko-Morizet, ancienne secrétaire d'État chargée de l'écologie

C'est l'ambigüité commune à ce genre de fiscalité environnementale. Il y a dans cette taxe une double dimension : la compensation demandée aux transporteurs routiers pour les externalités négatives de leurs activités, le prélèvement pour financer les infrastructures alternatives. Le niveau de la taxe et l'assiette reflètent un arbitrage. Le curseur a été placé à 3,5 tonnes ; la liste des routes taxables a été étendue à la demande des collectivités territoriales, qui avaient évidemment des objectifs financiers et invoquaient l'argument d'un probable report de charge. Certaines demandaient à bénéficier non seulement de l'écotaxe prélevée sur leurs routes départementales, mais aussi sur les routes nationales dans leur département.

Quant à la transformation de l'écotaxe en une taxe douanière, le recouvrement relevait bien des douanes, mais l'administration des transports a aussi joué un rôle important, notamment dans la définition de la base taxable, et dans la discussion qu'elle impliquait avec les collectivités territoriales. Chacun a eu sa place.

Debut de section - PermalienPhoto de Virginie Klès

Résumons, quitte à forcer le trait : pour Bercy, un bon impôt doit avoir une assiette large et un taux faible tandis que, pour les défenseurs de la fiscalité environnementale, il doit avoir une assiette restreinte et un taux fort. Finalement, on a donné à la taxe poids lourds une assiette restreinte et un taux faible. Ce compromis vous parait-il avoir été le meilleur alors que l'objectif financier, fixé d'avance, était de faire rentrer un milliard d'euros ? Les douanes n'ont-elles pas été poussées de ce fait à imposer les contraintes que nous avons évoquées ?

Debut de section - Permalien
Nathalie Kosciusko-Morizet, ancienne secrétaire d'État chargée de l'écologie

Le taux justifié du point de vue environnemental et celui préconisé par Bercy n'étaient finalement pas si éloignés l'un de l'autre ; le débat a davantage porté sur la définition du réseau taxable. Notre base taxable, plus étroite qu'en Allemagne, est le résultat d'un compromis avec les collectivités territoriales. Nombre de conseils généraux ont écrit au ministère pour demander que davantage de leurs routes soient incluses. La Mairie de Paris a demandé que le périphérique soit taxé. Les arbitrages ont été rendus au terme d'une concertation placée sous l'égide du président de l'Assemblée des départements de France (ADF).

Debut de section - PermalienPhoto de Virginie Klès

On s'accorde aujourd'hui pour considérer que la contestation violente de l'écotaxe en Bretagne a été largement provoquée par l'entrée en vigueur de cette taxe dans un moment de graves difficultés économiques et sociales dans la région. On s'accorde aussi pour considérer que le calendrier de mise en oeuvre était extrêmement important. Avez-vous, à un moment ou un autre, été personnellement avertie par Écomouv', ou par votre administration, que le calendrier ne pourrait être tenu ? Si oui, quand l'avez-vous été et par qui ?

Debut de section - Permalien
Nathalie Kosciusko-Morizet, ancienne secrétaire d'État chargée de l'écologie

Lorsque je suis revenue au ministère en novembre 2010, du retard avait été pris durant le dialogue compétitif. La convention tripartite a cependant été signée à l'automne 2011, et les premières rentrées étaient attendues pour le début de 2013. L'administration n'avait pas chômé pendant le temps du recours en justice. Mais il est certain que tout délai représentait un risque, puisqu'il nous faisait perdre quelque chose de la dynamique du Grenelle. L'installation des portiques n'a provoqué, pendant les premiers dix-huit mois, aucune protestation. C'est avec le temps que s'est créé un problème, qui avait pourtant été déminé par une négociation avec les Bretons à l'époque de M. Jean-Louis Borloo, puis par une renégociation avec le Premier ministre lui-même.

Debut de section - PermalienPhoto de Virginie Klès

Ma question ne porte pas sur les causes de ce retard ; j'aimerais savoir si vous avez été alertée à son sujet et, si oui, par qui et à quel moment ?

Debut de section - Permalien
Nathalie Kosciusko-Morizet, ancienne secrétaire d'État chargée de l'écologie

J'avais suivi l'avancement du processus, ne serait-ce que parce qu'il était important pour le financement de l'Afitf. J'ai été informée du nouveau calendrier à l'issue de la phase de dialogue compétitif.

Debut de section - PermalienPhoto de Virginie Klès

nouveau calendrier qui, de fait, n'a pas été tenu ?

Debut de section - Permalien
Nathalie Kosciusko-Morizet, ancienne secrétaire d'État chargée de l'écologie

Mais qui était sur les rails quand j'ai quitté le ministère en novembre 2012.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Teston

En février 2011, vous avez pris la décision d'attribuer le contrat à la société Écomouv' sur la base du classement auquel avait abouti le dialogue compétitif. Avez-vous pris la précaution de faire effectuer une analyse complémentaire avant de valider le classement ?

Debut de section - PermalienPhoto de François Grosdidier

Nous savons quelles polémiques se sont élevées sur le principe même du PPP, sur la participation au consortium Autostrade de fonds italiens dont on laissait entendre qu'ils pouvaient être suspects, sur l'importance de la redevance... Autant de points noirs qui justifiaient la mise en place de la commission d'enquête parlementaire qui nous réunit aujourd'hui. Avez-vous eu vent de ces polémiques avant l'annonce par le Premier ministre de la suspension de la mise en oeuvre l'écotaxe ?

Vous avez souligné la contradiction qu'il pouvait y avoir entre l'impôt traditionnel, tenu à des critères de rentabilité et même de neutralité sur les comportements, et l'écofiscalité qui vise à modifier les comportements, quitte à entraîner une diminution des recettes escomptées. Quels critères ont présidé au choix par le gouvernement du seuil de 3,5 tonnes plutôt que de celui de 12 tonnes adopté en Allemagne, alors même que l'objectif du Grenelle était de favoriser le report modal ? Vous paraît-il pertinent, dans la perspective d'une éventuelle refonte, de remonter ce seuil ? Le fait d'avoir accepté, dans un compromis avec les professionnels, la généralisation des 44 tonnes n'a-t-il pas le résultat inverse de favoriser le transport de transit par la voie routière plutôt que ferroviaire ou fluviale ? Enfin, je voudrais connaître votre avis sur l'idée de réserver l'écotaxe poids lourds aux véhicules étrangers au moyen d'une vignette qui ne serait imposée qu'à eux.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Doligé

Plus j'écoute vos interventions, plus je deviens libéral.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Doligé

Je me rappelle les négociations pour les classements des routes : l'État avait alors déclassé les routes nationales pour les transférer aux départements. Toutes les routes nationales parallèles à une autoroute ont été ainsi déclassées : nous demandions bien sûr l'application de l'écotaxe sur ces routes-là.

Au sujet des retards, il serait intéressant de reprendre le texte de certaines auditions conduites à l'époque par la commission des finances. J'avais alors systématiquement interrogé le ministre des transports et le directeur des routes sur la date d'application de l'écotaxe, pour savoir quand nous pourrions l'inscrire dans nos budgets. À chaque fois, on nous annonçait un nouveau retard. Cela a duré jusqu'au début de 2012, mais nous espérions recevoir les premières recettes d'écotaxe dans le courant de 2012. Nous avons donc déjà un an et demi de retard, bientôt deux. Ce sont près de deux milliards d'euros de perdus.

J'en viens aux raisons pour lesquelles je deviens de plus en plus libéral : étant donnée cette succession de reports et de difficultés, ne vaudrait-il pas mieux favoriser des partenariats privé-privé ? Quant aux fonctionnaires, dont notre rapporteur évoquait le recrutement, sachez que si l'État en avait embauché 100 pour les affecter à la mise en oeuvre de l'écotaxe, il aurait fallu les payer chacun pendant quarante ans, plus vingt ans de retraite.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Hélène Des Esgaulx

Voilà beaucoup de questions pour Mme la ministre. Permettez-moi d'en ajouter une : quelle a été votre appréciation sur la décision de la suspension de l'écotaxe, et quelles conséquences en tirez-vous ?

Debut de section - Permalien
Nathalie Kosciusko-Morizet, ancienne secrétaire d'État chargée de l'écologie

Le classement, monsieur Teston, avait lui-même été établi au terme d'analyses très fouillées, associant toutes les expertises présentes dans l'administration. Ce classement a été transmis à la commission consultative, qui réunissait elle aussi différentes compétences, et qui l'a validé. Je ne vois pas quelle analyse complémentaire aurait pu être menée. J'ai donc naturellement validé ce classement, qui mettait en avant sans ambigüité l'un des candidats. Du reste, si j'avais choisi un autre ordre que celui retenu par la commission consultative, que n'aurait-on pas dit ! Vous me demandiez, monsieur Grosdidier, si nous avions eu vent des polémiques en amont. La réponse est non. L'écotaxe était l'une des propositions du Grenelle les plus plébiscitées. Tout le monde était d'accord sur l'idée de faire payer aux poids lourds les dommages faits aux routes, et de financer du même coup le report modal.

Le fait que le dialogue compétitif ait été remporté par un consortium italien a été l'un des motifs de la Sanef pour faire un recours. Outre que cet argument n'est pas recevable en droit européen, Autostrade était associé à plusieurs partenaires français, tandis que ses concurrents l'étaient à des étrangers : tous ces consortiums associaient en réalité des Français à d'autres Européens.

La question du coût du recouvrement, maintenant très critiqué, n'avait pas été mise en avant à l'époque. La polémique sur ce sujet est excessive : le consortium retenu était de loin le moins cher ; si d'ailleurs on rapporte ce coût aux véhicules par kilomètre, on constate qu'il est dans la moyenne européenne, alors que notre système est meilleur parce que conçu plus récemment, et surtout interopérable, comme le demande aujourd'hui l'Union européenne.

Rapporté au produit de la taxe, le coût du recouvrement est évidemment important. C'est, d'une part, parce que la base taxable est moins importante en France qu'elle ne l'est par exemple en A1lemagne ; d'autre part, parce que le montant de la taxe a été fixé à un niveau modeste, inférieur à ce qu'il pourrait être au regard des externalités environnementales. Le choix du seuil de 3,5 tonnes plutôt que de 12 tonnes a été fait avant mon arrivée au ministère. Je n'en connais pas les tenants et les aboutissants. La généralisation des 44 tonnes n'est pas à mon avis une bonne chose pour l'environnement. C'est là un arbitrage que j'ai perdu.

Quant à l'idée de réserver la taxe aux véhicules étrangers, c'est une tentation évidente, puisqu'ils ne payent pas la TIPP, et ne sont pas astreints aux mêmes normes sociales que nous. Mais le droit européen n'autorise pas une telle différence de traitement. Le recours à une vignette ne constituerait pas, de toute façon, une incitation environnementale efficace.

Un retard important a été pris au moment du dialogue compétitif, tenant au besoin d'affiner les conditions de mise en oeuvre. Le calendrier établi ensuite n'a guère été modifié pendant la période où j'étais au ministère. Il est vrai que le temps administratif fait que certains projets arrivent à échéance alors que le souffle initial s'est épuisé. Ce décalage a été particulièrement pénalisant pour l'écotaxe.

J'en viens à la question de Mme la présidente sur la décision de suspension. Je reste persuadée que l'écotaxe est une bonne chose, pour des raisons environnementales comme pour des raisons financières. Où prendra-t-on l'argent nécessaire pour refaire les routes et pour développer les modes de transports alternatifs ? Il faudra un milliard d'euros par an. S'il ne vient pas de l'écotaxe, ce sera de la poche des contribuables. Mais pour que la taxe soit bien comprise, il fallait mettre en face des nouvelles recettes fiscales de nouveaux investissements : ceux du plan de relance, des investissements d'avenir, et ceux du Grenelle lui-même en matière d'infrastructures.

La polémique actuelle pose un problème de crédibilité des acteurs dans la durée : crédibilité de l'État, qui s'était engagé dans ce dispositif ; crédibilité des élus qui, tous participants au Grenelle de l'environnement, avaient voté quasi-unanimement la loi Grenelle I, et qui en Alsace demandaient la taxe. J'ai été navrée, à l'automne dernier, de voir l'attitude de certains d'entre eux : ils n'étaient plus au courant de rien. C'est enfin un problème de crédibilité des acteurs économiques, parce que certains de ceux qui protestent aujourd'hui étaient assis autour de la table du Grenelle de l'environnement et avaient négocié les conditions de la mise en oeuvre de l'écotaxe. C'est le cas des transporteurs bretons. On constate, depuis des années, un processus de concentration des transporteurs routiers, qui met en péril la survie des petites structures, mais qui n'est pas lié à l'écotaxe. Celle-ci a servi de bouc émissaire dans les difficultés économiques que traverse la Bretagne. Tous y trouvaient leur compte, les responsables de la concentration des transports routiers comme ceux de l'industrie agro-alimentaire, engagée dans un processus massif de délocalisation vers l'Est.

Debut de section - PermalienPhoto de Virginie Klès

Pensez-vous que l'on a suffisamment pris en compte les rapports de force entre les transporteurs et les distributeurs ?

Debut de section - Permalien
Nathalie Kosciusko-Morizet, ancienne secrétaire d'État chargée de l'écologie

Je me suis posé la question mais je ne sais vous répondre. Fallait-il une répercussion en pied de facture ? J'ai un doute mais je ne puis trancher.