Intervention de Nathalie Kosciusko-Morizet

Commission d'enquête sur la mise en oeuvre de l'écotaxe poids lourds — Réunion du 16 avril 2014 à 15h45
Audition de Mme Nathalie Kosciusko-morizet ancienne secrétaire d'état chargée de l'écologie et ancienne ministre de l'écologie du développement durable des transports et du logement

Nathalie Kosciusko-Morizet, ancienne secrétaire d'État chargée de l'écologie :

J'ai traité de ce que l'on a d'abord appelé l'« éco-redevance poids lourds » à deux moments de mon parcours ministériel. Tout d'abord, en tant que secrétaire d'État à l'écologie, sous la responsabilité de M. Jean-Louis Borloo, je me suis occupée de la définition du programme du Grenelle de l'environnement et de son lancement, j'ai présidé certaines de ses réunions, avant de veiller à sa mise en oeuvre législative. Dans un second temps, alors que j'avais succédé à M. Jean-Louis Borloo au ministère de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement, j'ai eu pour tâche de valider le classement des opérateurs pressentis et de purger le recours introduit par l'un d'entre eux, avant de lancer, en collaboration avec le ministère du budget et les douanes, la mise en oeuvre de ce que l'on appelait désormais l'« écotaxe ».

Le Grenelle de l'environnement a été conçu pendant la campagne présidentielle, selon une méthode nouvelle : la recherche d'un consensus fort. Notre ambition était non pas de modifier les choses à la marge, mais en profondeur, par un mouvement fondateur d'une nouvelle politique écologique. Plusieurs collèges avaient été constitués : les élus, l'État, mais aussi les employeurs et entreprises, les syndicats, les associations environnementales. Le Grenelle a été particulièrement fructueux en matière de fiscalité environnementale. J'avais déjà travaillé sur ce sujet au tout début des années 2000. À l'époque déjà, on s'accordait pour considérer que la structure de notre fiscalité était dépassée : elle conduisait à taxer plus lourdement le travail, que l'on voulait pourtant développer, et plus faiblement la pollution, qu'on voulait pourtant réduire.

Nous avons beaucoup de mal à faire évoluer cette structure fiscale. Certains pays, notamment scandinaves, y sont parvenus, toujours par le consensus. C'est pour introduire une démarche semblable en France que le Grenelle de l'environnement a réuni les différents acteurs, en les plaçant face à leurs responsabilités... et sous le regard des médias. L'administration elle-même était peu encline à évoluer. Bercy préfère toujours un taux faible sur une assiette très large, afin de pouvoir prélever le maximum de la manière la plus indolore possible. La fiscalité environnementale, qui vise à faire évoluer les comportements, suit une logique différente.

Le Grenelle de l'environnement a débouché sur le bonus-malus, la taxe carbone et l'éco-redevance, devenue écotaxe lorsqu'on a choisi d'utiliser son produit pour financer non seulement l'entretien des routes taxées, mais toutes les infrastructures de transport via l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf), donc le report modal. Je ne regrette pas cette évolution, parce que je crois légitime d'organiser un transfert permanent depuis les modes de transport les plus polluants vers les moins polluants, d'autant que certains d'entre eux, comme le ferroviaire, ne peuvent être financés que de cette manière.

L'écotaxe était l'une des mesures les plus populaires du Grenelle. Elle ralliait 85 % ou 90 % d'opinions favorables. La taxation des poids lourds apparaissait alors comme une évidence. On croyait fermement au développement des infrastructures alternatives, par exemple des tramways. Cet engouement était partagé par l'administration. L'écotaxe était une solution au problème alsacien, car la mise en place d'une écotaxe en Alsace était un engagement législatif vieux déjà de plusieurs années, que l'administration ne savait comment remplir. L'écotaxe réglait l'impasse budgétaire du financement de l'Afitf par des ressources pérennes. Le dispositif visait à la fois à taxer les externalités négatives du transport routier, à rentabiliser les routes non couvertes par le péage autoroutier, et à faire contribuer les poids lourds étrangers qui traversent la France sans rien payer des dégâts qu'ils occasionnent. Il s'agissait en somme d'atteindre deux cibles avec une seule flèche : faire payer la route à son vrai coût, y compris environnemental, et financer d'autres infrastructures.

L'engouement de l'administration était cependant modéré par une réserve de taille : tant le ministère des transports que celui des finances et des douanes se déclaraient incapables de concevoir, d'intégrer et de gérer le système. C'est ce qui a déterminé le choix du partenariat public-privé (PPP), beaucoup plus que la contrainte financière. Je n'ai pas participé à ce choix, pas plus qu'à la mise en place de la commission consultative chargée de trancher entre les partenaires potentiels.

À la fin du Grenelle, comme ministre de l'écologie, je n'avais plus à connaître de l'écotaxe, entièrement prise en charge par les départements du ministère consacrés aux transports. J'ai succédé à M. Jean-Louis Borloo au ministère de l'écologie trois ans plus tard, après le dialogue compétitif, le choix d'un PPP et la définition du réseau taxable. Restait à établir le classement entre les trois candidats restant en lice. La note conjointe de l'administration des douanes et de celle des transports proposant un classement des offres a été transmise à la commission consultative, qui l'a validée. Elle plaçait en tête le consortium Autostrade, en second le consortium Sanef et, en troisième position, le consortium mené par France Télécom.

Autostrade arrivait en tête selon les critères principaux, coût bien sûr mais aussi la place donnée aux PME, et performance. Il faisait jeu égal avec ses concurrents selon les autres critères. Certains interlocuteurs de votre commission d'enquête se sont étonnés de la rapidité de ce classement, validé par la commission consultative en décembre 2010 et signé par moi en janvier 2011. Mais à l'époque, nous étions critiqués pour aller trop lentement, car les recettes étaient attendues ! Le processus avait pris beaucoup de retard. La Sanef a en outre contesté le classement, ouvrant un contentieux qui s'est prolongé pendant six mois. Une fois qu'il a été purgé, la convention a été signée et l'opération lancée. Les premières rentrées financières étaient alors attendues pour la fin de 2012 ou le début de 2013.

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