Mes chers collègues, vous l’ignorez peut-être, mais l’article 16 bis nous replonge dans un passé lointain, en 1926, lorsque le président Poincaré, revenu à Matignon après la crise du franc, a été chargé de faire adopter une législation sur le pétrole dans notre beau pays. À la demande du ministère de l’industrie de l’époque, il a institué ce que l’on a appelé le « devoir national », afin de permettre la mise en place de raffineries et d’une flotte pétrolière françaises.
À cette fin a été créé un dispositif, conforté et consolidé dans le présent article 16 bis, qui oblige les entreprises sur le marché des produits assujettis à la TICPE – la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques–, qui remplace la TIPP – la taxe intérieure sur les produits pétroliers –, à importer ces produits dans notre pays sous pavillon français dans une certaine proportion – au demeurant très modeste, de l’ordre de 5 %.
Cette disposition historique est-elle toujours actuelle ? Oui, car elle avait pour objet de donner à l’État, en situation de crise, la possibilité de mobiliser des pétroliers battant pavillon français pour accomplir des missions de service public.
Quelle est la difficulté à laquelle l’article 16 bis expose les professionnels ? Pour simplifier, il existe deux principaux types de produits pétroliers : les produits bruts, qui sont transportés dans des pétroliers lourds d’au moins 50 000 tonnes, et les produits raffinés, qui sont transportés dans des pétroliers beaucoup plus petits, allant de 5 000 à 20 000 tonnes. Aujourd'hui, les pétroliers français de plus de 50 000 tonnes se comptent sur les doigts d’une main, tandis qu’il reste encore une vingtaine ou une trentaine de petits pétroliers, qui font pour l’essentiel du transport de raffinerie à raffinerie.
En réalité, ces petits pétroliers ne sont pas couverts pas l’obligation de devoir national. En effet, les producteurs qui mettent du produit sur le marché privilégient naturellement les très gros pétroliers – rendu à la tonne, leur l’affrètement est évidemment bien meilleur marché – en lieu et place des petits pétroliers, même s'ils ont aussi recours à leurs services.
Cette situation entraîne un effet pervers : en cas de mobilisation de moyens, le Gouvernement disposerait de grands pétroliers, et non de petits. Or un certain nombre de ports susceptibles de présenter un intérêt stratégique dans une situation de crise, de conflit ou de catastrophe ne sont accessibles qu’à ces derniers.
À cette heure tardive, ma longue prise de parole sur l’article 16 bis a simplement pour objet, madame la ministre, de vous inciter à faire réfléchir vos collaborateurs, en lien avec la profession, sur l’application effective de cet article pour que tous les pétroliers français, petits et grands, puissent bénéficier de cette sécurité d’utilisation liée au pavillon français tout en offrant, en contrepartie, une disponibilité en situation de crise si le Gouvernement était obligé de faire appel à eux. Vous auriez alors la certitude de pouvoir disposer des grands comme des petits pétroliers, qui peuvent également être utiles.