Merci de permettre à la commission d'expliquer la manière dont elle a travaillé.
La constitution d'une commission ad hoc de ce type - sans que ce terme doive être pris de manière péjorative - est, selon moi une première. Cette commission est composée d'économistes académiques internationalement reconnus, spécialistes soit de l'économie du travail, soit de l'économie de la concurrence, qui sont les deux principales spécialités sollicitées par les différents sujets dont nous sommes saisis. La commission compte également des spécialistes de l'évaluation des politiques publiques. Ce panel de dix économistes était donc représentatif de ces trois domaines économiques.
Du point de vue méthodologique, le travail de cette commission diffère des exercices habituels menés en matière d'évaluation des effets des lois. Contrairement à la plupart de ces exercices, elle a pris place avant que la loi ne soit mise en oeuvre et qu'elle ait pu produire des effets concrets. Il existe des exercices d'évaluation des politiques publiques menés par de nombreux économistes, comme par exemple dans l'économie de l'éducation, pour savoir si l'on décide de dédoubler les classes, si l'on peut mesurer ou non l'impact d'une telle mesure sur le degré de réussite des élèves. Cela requiert bien entendu la collecte d'un certain nombre de données et aussi de départager ce qui, dans les résultats a posteriori, peut être dû à la mise en oeuvre de la loi ou à d'autres facteurs qui peuvent expliquer l'évolution des performances des élèves.
On est exactement dans le même type de problématique en matière économique. Toute la difficulté, lorsqu'on s'intéresse à l'évaluation des effets d'une loi a priori ou a posteriori, est de distinguer ce qui peut être lié à la mise en oeuvre d'une mesure en soi et à d'autres facteurs contextuels qui peuvent interférer. Le métier d'économiste consiste à établir la différence.
Les travaux sur lesquels nous nous sommes appuyés ont tous une même caractéristique : ils reposent sur une méthodologie acceptée internationalement par les économistes, les économètres et les statisticiens. Ils visent à identifier la causalité d'un événement quelconque et ses effets sur le marché du travail, sur les prix, sur la rentabilité, sur le bien-être des individus, sur la pollution, etc.
Par exemple, la libération du transport par autocar dans tel ou tel pays s'est-elle accompagnée d'un accroissement de la pollution ou de la congestion routière ? On imagine que, sur cinq ou dix ans, un certain nombre d'événements ont pu se produire et avoir un impact sur l'analyse de l'évolution de la pollution : les automobilistes peuvent avoir opté pour des voitures moins polluantes ou, au contraire, avoir cessé d'acheter des véhicules. Les voitures peuvent donc polluer davantage. Pour identifier l'effet de la libéralisation du transport par autocar, il faut donc être certain de l'effet que l'on isole.
Ex ante, nous avons passé en revue la littérature économique reposant sur des méthodes éprouvées pour départager les effets de diverses mesures qui peuvent venir brouiller le signal que l'on obtient à propos de la mise en oeuvre de telle ou telle loi. Nous avons étudié les pays plus ou moins proches de la France. C'est une des difficultés de cette analyse, certains pays ayant une structure du marché du travail ou territoriale assez proche de la structure française, tandis que d'autres en sont bien plus éloignés. Une des difficultés de l'exercice est d'évaluer jusqu'à quel point ces analyses sont transposables ou non.
C'est ce que nous avons fait, sur un nombre de sujets limités, du fait de notre installation tardive. C'est d'ailleurs un point que l'on peut déplorer... Nous avons beaucoup réfléchi à la nature de l'exercice que l'on nous demandait, qui était nouveau. Tous les membres de la commission ont des activités professionnelles qui réclament beaucoup d'énergie et de temps. Si l'on nous avait demandé de travailler sur des évaluations beaucoup plus précises, mesure par mesure, de l'impact de la loi tel qu'on pouvait l'anticiper à partir de juin 2014, il n'est pas certain que l'on aurait trouvé dix personnes pour effectuer ce travail toute affaire cessante.
L'avantage de disposer d'économistes académiques réside dans le fait qu'aucun n'est intéressé sur un plan personnel par le fait que cette loi soit adoptée ou non. On peut avoir des opinions mais, professionnellement, nous étions libres de tout conflit d'intérêts et de toute pression. Cette liberté provient de notre métier : nous ne travaillons pas pour ou contre une loi au sens politique du terme. Nous n'aurions cependant pas pu consacrer plusieurs mois à ce travail.
Nous avons été amenés à sélectionner les sujets qui nous ont paru les plus sensibles. Une loi se fixe des objectifs, et l'on devrait évaluer le succès, probable ou non, de telle mesure au regard de l'objectif qu'elle cherche à atteindre.
Nous ne sommes toutefois pas naïfs : nous savons bien qu'au-delà de l'objectif visé, susceptible d'être atteint ou non par la mesure en question, il existe un grand nombre d'externalités. Ainsi, le travail du dimanche peut comporter des externalités sur la vie sociale ou familiale. Nous nous sommes fixés comme objectif d'étudier principalement l'impact attendu de la loi au regard de son objectif premier. Par exemple, lorsqu'on libéralise le transport par autocar, l'objectif premier n'est pas tant de créer des emplois que de favoriser la mobilité.
Il existe bien d'autres effets secondaires, et nous n'aurions pas fait notre travail si nous n'avions pas étudié, dans la mesure du possible, la manière d'évaluer l'impact de telle ou telle mesure sur toute une série d'autres indicateurs. Certaines des questions que vous vous posez n'ont pas fait l'objet d'évaluations ou de mesures d'impact. Je pense par exemple au travail du dimanche. Nous avons été particulièrement attentifs aux problèmes de société que le travail du dimanche pouvait engendrer, et avons étudié la littérature à ce sujet. Il s'agit de savoir si cet impact a pu être mesuré, quantifié par des travaux qui se soumettent à la méthodologie que j'ai précédemment indiquée.
Nous avons tenté, pour chacun des sujets qui nous étaient soumis, de restituer le contenu de ces études internationales, en essayant, quand c'était possible, d'indiquer dans quelle mesure ces analyses et ces résultats étaient transposables au cas français.