Intervention de Vincent Delahaye

Réunion du 3 mars 2015 à 14h30
Débat sur la situation financière des conseils départementaux face à l'évolution de leurs charges

Photo de Vincent DelahayeVincent Delahaye :

Je me réjouis de l’initiative prise par les groupes UDI-UC et UMP d’organiser le présent débat sur les finances départementales, après celui que nous avons eu voilà quelques semaines sur les finances locales.

Les finances départementales connaissent les mêmes problèmes généraux que les finances locales prises dans leur ensemble : recettes fiscales propres archaïques, baisse drastique des dotations, augmentation des charges obligatoires. Toutefois, des spécificités doivent être relevées pour les départements ; je pense bien entendu à l’incertitude actuelle quant au périmètre des compétences et des missions qui leur sont dévolues.

Mais commençons avec un peu de légèreté. Le changement de nom du conseil général en conseil départemental résulte de la loi de 2013, qui a inauguré le désormais bien connu binôme départemental. Quoi de plus anodin qu’un changement de nom ? Ce n’est pas compliqué à intégrer dans un texte ! Bilan des opérations : entre 2 millions et 3 millions d’euros de dépenses pour les départements, qui vont devoir assumer le coût des travaux, les mises à jour des sites internet et toutes les mesures rendues nécessaires par cette coquetterie législative. Et c’est un exemple parmi d’autres.

La réalité est la suivante : les départements, à l’instar de l’ensemble des autres collectivités territoriales, passent clairement pour les dindons de la farce de ce que certains appellent encore « pacte de responsabilité ».

Force est de constater que la politique de maîtrise de la dépense publique mise en œuvre voilà un peu moins d’un an par le Gouvernement repose en fait presque exclusivement sur la réduction des dotations de l’État aux collectivités. Cette première injustice se couvre d’un manteau d’incertitude face à ce mystérieux acte III de la décentralisation, auquel plus personne ne comprend rien. L’incompréhension et l’incertitude sont telles que l’on ne sait plus si le Gouvernement souhaite supprimer les départements, les conseils départementaux, ou revoir encore leurs compétences, une fois le projet de loi NOTRe adopté.

En réalité, il n’y a qu’une seule certitude aujourd’hui : les départements ont été fragilisés à un point peut-être jamais atteint. Ils l’ont été non seulement politiquement, mais aussi financièrement, aussi bien en recettes qu’en dépenses.

Leurs charges n’ont jamais été aussi lourdes. Généraliste malgré lui de la politique sociale, le département a été frappé de plein fouet par l’ampleur de la crise économique et du chômage. De fait, nos cent un départements supportent les 9 milliards d’euros que représente le revenu de solidarité active socle, soit un peu moins de 90 millions d’euros par collectivité ! Qui peut croire aujourd’hui que ces dépenses vont diminuer ? Face à la situation économique gravissime dans laquelle notre pays se trouve – plus de 5 millions de personnes sans emploi –, il est évident que ces dépenses vont structurellement évoluer à la hausse. À ce titre, je m’inquiète particulièrement de la nouvelle prime d’activité présentée un peu à la va-vite par le Gouvernement dans le dernier projet de loi de finances rectificative. Cette prime, qui a vocation à remplacer le revenu de solidarité active et la prime pour l’emploi, a encore un champ d’application très flou. Mais c’est l’une des caractéristiques de nos textes actuels : le flou généralisé. Quoi qu’il en soit, je crains que le champ de cette prime d’activité ne soit davantage élargi, rendant le coût global encore plus lourd pour nos territoires ! Monsieur le secrétaire d’État, qui paiera ? Les départements seront-ils mis à contribution ?

Il ne faut pas non plus oublier d’autres dépenses particulièrement dynamiques. Elles sont d’autant plus structurelles qu’elles sont liées, non pas à la conjoncture économique, mais à la démographie. Je pense bien évidemment au financement de l'allocation personnalisée d'autonomie et de l’allocation aux adultes handicapés, l’AAH. À ce titre, je regrette que le projet de loi relatif à l’adaptation de la société au vieillissement ne permette pas d’analyser l’incidence financière de la hausse du nombre de nos seniors frappés par la dépendance sur les budgets des départements, qui seront une fois de plus en première ligne.

Ces dépenses, liées au statut de chef de file des départements en matière de politique sociale, représentent plus de la moitié des budgets de ces derniers. C’est un poste colossal, c’est un poste dynamique, et ce n’est pas un poste unique. J’aurais pu évoquer les compétences en matière de lutte contre la précarité énergétique, le financement des collèges, les 100 000 personnels techniciens, ouvriers et de service, les personnels TOS, ou encore les compétences culturelles, sans, bien évidemment, oublier la gestion des routes départementales.

Les dépenses départementales connaissent les mêmes difficultés que celles des autres collectivités ; je pense principalement à l’évolution des coûts de fonctionnement. Le dernier rapport de la Cour des comptes relatif aux finances locales a été particulièrement sévère sur ce point. Ainsi, depuis 1983, les dépenses de fonctionnement auraient enregistré une hausse de plus de 3 % en moyenne par an. Elles augmentent sensiblement plus vite que les recettes. Mais à qui la faute ?

Nous savons tous à quel point la masse salariale est rigide du fait de son statut principalement public et à quel point elle est également dynamique. Entre la hausse des cotisations retraite, la revalorisation des catégories B et C, la garantie individuelle du pouvoir d’achat, le glissement vieillesse technicité, les contributions de formation au Centre national de la fonction publique territoriale, la hausse de la part employeur de la cotisation retraite, et même la hausse de la TVA qui freine de fait les décisions d’investissement, il n’est plus rare de trouver des départements qui ne maîtrisent même plus 20 % de leur budget.

J’aimerais pouvoir dire qu’un important effort de gestion serait suffisant pour pallier ces dépenses contraintes en hausse, mais, malheureusement, même les bons gestionnaires sont désormais pris au piège.

Face à un florilège de compétences particulièrement lourdes, les recettes ne sont clairement pas au rendez-vous.

Pour synthétiser les choses, nous pourrions dire que la politique sociale, décidée par l’État et exécutée par les départements, est financée par une fiscalité archaïque assise sur la dynamique du marché immobilier, et par une palette de taxes plus ou moins fiscales, allant de la taxe sur les conventions d’assurance jusqu’à la taxe intérieure de consommation sur les produits pétroliers, la TIPP.

Jusqu’en 2011, nous avons vécu avec l’idée que les droits de mutation étaient tellement dynamiques qu’ils justifiaient finalement que le Gouvernement ne prête pas un grand crédit aux appels et aux signaux envoyés par les présidents de conseil général. Quelle erreur d’analyse, lorsque l’on sait que la taxe sur le foncier bâti est la seule ressource fiscale sur laquelle le conseil général a encore un véritable pouvoir en termes de taux !

Il s’en faut de beaucoup, nous le savons tous, que le secteur du bâtiment et de l’immobilier se porte bien depuis l’adoption de la loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové. En vérité, cette loi Duflot restera un exemple éclatant du tort qu’un mauvais texte peut causer à une économie fragile !

Résultat : alors que les dépenses des conseils généraux augmentent naturellement, leurs recettes sont peu dynamiques et les dotations de l’État baissent.

Encore a-t-il fallu que le Gouvernement, comme si le tableau n’était pas assez sombre, s’évertue à pimenter un peu plus la gestion départementale en jetant un voile de défiance sur l’avenir des conseils généraux. En effet, les annonces et contre-annonces successives sur la disparition de ceux-ci ont achevé de donner aux départements l’image, désormais classique, du bateau qui sombre dans l’abîme.

Une aussi délétère campagne de communication n’a pas été sans conséquences : ainsi, comment voulez-vous souscrire un emprunt bancaire lorsque vous représentez un exécutif local dont l’existence est menacée à moyen terme ? Les emprunts toxiques avaient déjà donné une mauvaise image de la gestion financière locale ; la date de péremption inscrite au fronton de l’ensemble des conseils généraux finira de convaincre les banques de systématiser les primes de risque pour le financement des investissements départementaux.

Tout aussi désastreuses sont les conséquences de cette campagne en matière de ressources humaines : on ne monte pas dans un bateau qui coule, on le fuit ! Comment réaliser une saine gestion des ressources humaines lorsqu’il est acquis qu’il n’y a pas d’avenir dans l’administration départementale ?

Reste une dernière conséquence, qui est peut-être la plus grave : comment convaincre nos concitoyens d’aller voter les dimanches 22 et 29 mars prochain pour les élections départementales, alors que les anciennes élections cantonales attiraient déjà peu les électeurs ? Croit-on qu’ils se déplaceront plus nombreux pour choisir des élus qu’ils verront davantage comme des liquidateurs de leur ancien conseil général que comme de véritables décideurs de proximité ?

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