La situation financière des conseils départementaux n’est pas inconnue du Gouvernement.
Ainsi, le rapport annuel de l’Observatoire des finances locales retrace précisément cette situation. Pour sa part, dans son rapport public annuel de 2013, la Cour des comptes avait réalisé un état des lieux approfondi du déficit de financement par les départements des allocations individuelles de solidarité qui s'expliquait par un décalage croissant entre recettes affectées et charges liées – décalage évalué à 9 millions d’euros en 2010. Elle estimait alors que le statu quo financier n’était plus possible.
Par ailleurs, le rapport Carrez-Thénault du 20 mai 2010 avait établi un diagnostic à la veille du gel des dotations de l’État aux collectivités locales pour la période 2011–2013. Dans ses conclusions était évoqué un effet de ciseaux pour les départements dû à la croissance des dépenses sociales obligatoires et à l’évolution divergente des ressources et des dépenses. Il était indiqué que le reste à charge pour les départements, dont la dynamique est inquiétante, serait source de vraies difficultés avec le gel des dotations.
Depuis, les dépenses liées aux allocations individuelles de solidarité n’ont cessé de progresser à un rythme très nettement supérieur à l’inflation : la progression des dépenses relatives à l’APA est due à la croissance de la démographie des personnes âgées de plus de soixante-quinze ans, les dépenses qui concernent le revenu de solidarité active ont augmenté de plus de 7 % en 2013 et de 10 % en 2014, leur dynamisme étant lié à la dégradation de l’emploi, elle-même liée à un marché du travail dégradé, et au plan de lutte contre la pauvreté voulu par le Président de la République, l’allocation étant majorée de 10 %, et les dépenses de prestation de compensation du handicap ont connu une montée en charge.
En 2013, les dépenses d’aide sociale des départements, d’un montant de 33, 9 millions d’euros – sur un total de dépenses de fonctionnement hors intérêts de la dette de près de 60 milliards d’euros – ont crû de 2 % par rapport à 2012 et de 10 % par rapport à 2009. Elles varient de façon assez inégale, de 350 euros à 800 euros par habitant en fonction de la situation des départements.
L’effort demandé aux collectivités locales pour redresser les finances de la France ne fera qu’amplifier le phénomène. La contribution réclamée aux départements est de 1, 15 milliard d’euros en 2015. Au total, sur la période 2014–2017, la baisse de ressources s’élèvera à 3, 9 milliards d’euros pour ces derniers – je le rappelle, nous avions souhaité, dans cette enceinte même, bénéficier d’une année supplémentaire pour étaler cette diminution.
À court terme, deux réponses ont été apportées aux départements les plus en difficulté par les gouvernements de MM. Fillon et Ayrault, qui ont débloqué dans l’urgence 75 millions d’euros prélevés sur la CNSA, la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie. À moyen terme, les gouvernements de MM. Ayrault et Valls ont été les seuls à mettre à la disposition des départements, sous forme de fonds de compensation péréquée, les frais de gestion de la taxe foncière sur les propriétés bâties, qui représentaient 841 millions d’euros l’an dernier, et à ouvrir la possibilité d’augmenter les droits de mutation à titre onéreux de 0, 7 % – le premier l’avait permis pour deux ans et le second a souhaité pérenniser cette possibilité, ce que nous avons voté à la fin de l’année dernière. Quatre-vingt-dix départements ont utilisé cette faculté en 2014 pour une ressource totale – variable en fonction de la situation du marché de l’immobilier – de l’ordre de 800 millions d’euros par an.
Néanmoins, que constate-t-on ? Eu égard au financement des allocations individuelles de solidarité, le reste à charge a été stabilisé à 7 milliards d’euros et, compte tenu de la situation, le RSA augmente dans des proportions inégalées : 9 % en 2013, 10 % en 2014, et la prévision de croissance est identique pour 2015.
Par ailleurs, hors recettes nouvelles, les produits de la CVAE ont baissé, et ceux de la taxe foncière sur les propriétés bâties ont affiché une légère hausse de 2, 4 %.
Or la loi de programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019 instaure un objectif d’évolution des dépenses de fonctionnement de 2 % et de 0, 5 % de la dépense locale en 2015.
Cette situation est intenable pour les départements, qui n’ont plus de marges et ne peuvent donc qu’envisager de réduire leurs investissements et leurs subventions aux collectivités locales, ce qui n’est pas bon pour l’économie locale – non délocalisable – du secteur du bâtiment et des travaux publics.
L’épargne brute a pu être préservée en 2014 grâce aux mesures déjà prises : elle a augmenté de 0, 9 % pour s'élever à environ 7 milliards d’euros, après deux années de forte baisse – surtout en 2012, avec une diminution de 13 %. L’épargne nette se réduit de plus en plus, et devient même négative pour quelques départements.
La réforme en cours des compétences, au travers du projet de loi NOTRe, va affecter la structure des budgets départementaux qui, à la suite des transferts de compétences, vont diminuer et le stock de dettes des départements va s’accroître en proportion, ce qui fragilisera un peu plus ces derniers, l’emprunt n’étant pas affecté et ne pouvant être transféré.
Dès lors, la réforme des dotations envisagée par le Gouvernement dès 2016 – M. Jean Germain et Mme Pires Beaune travaillent ainsi pour élaborer un rapport sur la DGF – devrait également concerner les départements. Je souligne que la dernière réforme de la DGF des départements remonte à 2005. Elle avait figé les inégalités, et la péréquation en période de gel des dotations a eu un effet contreproductif pour les départements dits « défavorisés ».
La nécessaire simplification des dotations s’impose. Les dispositifs de péréquation horizontale et verticale sont au nombre de dix pour les départements, ce qui les rend illisibles. Ainsi, concernant la DGF, cent départements bénéficient de la péréquation horizontale – quarante urbains et soixante ruraux – hormis Paris et les Hauts-de-Seine, qui en ont été exclus. Pour la région Midi-Pyrénées, les écarts sont très importants. Par exemple, entre le Tarn, département que je connais bien, et l’Aveyron, son voisin, la différence est de 80 euros par habitant, ce qui conduit, compte tenu de la population, à un écart de dotation de 30 millions d’euros, alors que les revenus des habitants et leur potentiel fiscal sont similaires. J’y insiste, la réforme de 2005 a figé les inégalités sur la base d’un potentiel fiscal superficiaire.
En 2014, la DGF s’établit de 90 euros à 472 euros par habitant – hors Paris et outre-mer –, soit un écart de un à cinq. Pour leur part, les potentiels fiscaux varient de 205 euros à 1 040 euros par habitant, soit, là encore, un écart de un à cinq. Il convient donc de réformer de façon plus équitable la DGF, en tenant compte notamment des revenus des habitants, de la densité de population, de l’importance de la voirie, de la présence de zones de montagne, et de mettre en place une péréquation qui ne soit pas contre-performante.
Or, lors de la réunion du Comité des finances locales du 27 février dernier, le directeur général des collectivités territoriales a indiqué que, de son point de vue, la réforme de la DGF des départements était moins urgente que celle du bloc local, au motif que la répartition de la DGF est moins contestée pour les départements et les régions. Une mise en œuvre en 2017 paraît donc trop tardive.
Enfin, j’ajoute que les autres collectivités locales regardent avec envie les 48, 5 % de CVAE affectés aux départements…
Alors, quel devenir pour la fiscalité des départements ? Il paraît essentiel que corresponde à un panier de dépenses un panier de ressources dynamique. Dans cette attente, des rencontres thématiques devraient être organisées entre le Gouvernement et les collectivités territoriales, afin de négocier une relation sereine entre l’État et les départements. Celle-ci pourrait advenir soit par une juste compensation des dépenses d’allocations individuelles de solidarité, soit par une recentralisation de la dépense, en ne laissant aux départements que l’insertion de proximité en relation avec l’État et Pôle emploi.
Afin que cela soit possible, il faudra étudier une mesure d’urgence destinée aux départements en difficulté confrontés à une hausse massive du RSA. Il devra s'agir d’un dispositif transparent – je pense par exemple au fonds d’urgence de la CNSA.
En définitive, les départements attendent une réponse d’urgence du Gouvernement dès cette année, afin d’atténuer l’augmentation des allocations individuelles de solidarité constatée en 2014 et qui se prolongera cette année.
Je rappelle que les recettes de la CASA, la contribution additionnelle de solidarité pour l’autonomie, sont estimées à 682 millions d’euros pour 2015. Une partie de cette somme pourrait être utilisée en attendant l’adoption de la loi relative à l’adaptation de la société au vieillissement.