Je crains d’être redondant eu égard aux interventions précédentes, mais les départements vont mal, très mal ! Aujourd’hui, ils lancent un véritable appel au secours ! Ils sont le reflet de la triste réalité de notre pays. Eux, à qui l’on a confié la charge des solidarités territoriales et sociales, sont en passe de ne plus pouvoir assumer leur rôle naturel d’amortisseur social de la crise, parce que, paradoxalement, l’État se refuse à faire jouer la solidarité nationale.
Si seuls quelques conseils généraux étaient touchés par ce phénomène, on pourrait parler de mauvaise gestion. Seulement aujourd’hui, ce sont l’essentiel des départements qui connaissent des difficultés. Par conséquent, nous sommes face à un problème structurel des finances départementales qui mérite une réponse globale.
Comme l’ensemble de mes collègues présidents de conseil général, je suis tout à fait disposé à contribuer à l’effort de redressement des comptes de la nation en adaptant mon budget à la raréfaction de l’argent public. Encore faut-il que nous en ayons les moyens ! Or, monsieur le secrétaire d'État, nous ne les avons plus ! La dévitalisation que vous souhaitiez est en bonne voie. J’en veux pour preuve un certain nombre d’indicateurs qui ne cessent de se dégrader.
Depuis le début de la crise, face aux dépenses de solidarité qui ont explosé, l’épargne nette des départements n’a cessé de baisser. Alors qu’elle était, à l’échelon national, de 4 milliards d’euros en 2013, elle tombe à 1 milliard d’euros en 2015, et est estimée à moins de 8 milliards d’euros en 2020. Pour mon département, j’enregistre une perte d’épargne nette de 54 millions d’euros, soit la moitié de l’épargne figurant au budget prévisionnel de 2014. Je pense que ce constat n’est pas isolé au plan national.
Vous comprendrez aisément que cela met en péril notre capacité à financer des opérations d’investissement, et, par conséquent, à jouer un rôle actif de donneur d’ordre pour l’économie locale. Ainsi, des milliers d’emplois, notamment dans le secteur du bâtiment et des travaux publics, sont menacés par l’absence de marché, lancé soit directement par les départements, soit par les collectivités locales qui renoncent à leur projet, faute de subventions départementales.
Pour limiter ce phénomène, de nombreux départements ont fait le choix de maintenir un niveau élevé d’investissement en recourant à des emprunts, mais cette situation n’est pas viable dans le temps, car ces collectivités s’endettent pour soutenir l’économie locale. Le délai de désendettement est passé de 4, 6 années en 2013, à 8, 8 années en 2015, et il est estimé à 24 années en 2016. Si je prends le Bas-Rhin comme illustration de mon propos, ce délai est passé de 5, 3 années en 2013 à 7, 6 années en 2014, et encore ne s’agissait-il que de maintenir un investissement autour de 200 millions d’euros par an. Aujourd’hui, je ne veux pas obérer l’avenir, et j’estime que le délai de huit années ne doit pas être dépassé, ce qui conduit à diviser malheureusement par deux un investissement pour 2015. Imaginez les conséquences !
C’est donc l’équilibre même des budgets départementaux qui est menacé. Nous sommes dans une situation d’insolvabilité latente face, d’un côté, à des dépenses de solidarité qui explosent et à des charges incompressibles, et, de l’autre, à des recettes qui fondent année après année. En témoigne l’autonomie fiscale des départements qui n’a cessé de diminuer ; celle de mon département est passée de 77 % en 2006 à moins de 44 % aujourd’hui.
Facteur aggravant, le taux de couverture par l’État du reste à charge des dépenses sociales est en diminution constante : il s’établit cette année à 45 % dans le département du Bas-Rhin, alors qu’il était encore de 65 % en 2007, soit 162 millions d’euros à prendre sur mon propre budget cette année, et plus de 900 millions d’euros depuis 2008. C’est tout simplement inacceptable et insupportable ! Mais cette situation, pour être alarmante, ne doit pas devenir désespérée. Je veux rester positif : si l’État ne veut pas asphyxier financièrement les départements et veut leur conserver un rôle éminent d’opérateur économique local, il peut, je crois, encore le faire. Seulement, en a-t-il la volonté ? Vous nous le direz peut-être, monsieur le secrétaire d'État.
Pour cela, l’État dispose de quelques leviers, qui pourraient permettre d’inverser la tendance et de redonner au département les marges de manœuvre qui ont été les siennes et qui lui ont permis de jouer pleinement son rôle d’aménageur et de garant des solidarités territoriales.
Je souhaite faire en cet instant plusieurs propositions.
La première d’entre elles consiste à revoir le partage de l’effort de redressement des comptes publics. Il faut déduire les charges supportées par les départements au titre des allocations individuelles de solidarité de l’assiette des recettes départementales prises en compte. Cela permettrait de donner de l’air aux finances des conseils généraux, qui pourraient alors se désendetter tout en programmant de nouveaux investissements.
La deuxième de mes propositions vise à revenir sur un principe bafoué par tous les gouvernements durant ces dernières années : celui de la compensation des dépenses de solidarité envers les plus fragiles de nos concitoyens.
Dans le Bas-Rhin, le nombre de ceux-ci est passé de 15 000 en 2008 à 35 000 en 2015. L’absence – toujours plus pesante – de compensation de ces dépenses obligatoires par l’État nous oblige à puiser davantage dans notre propre budget pour financer une charge que nous acquittons au titre de la solidarité nationale.
Aussi ne me semble-t-il pas déraisonnable de demander la compensation intégrale des dépenses liées à la seule prise en charge des bénéficiaires du RSA, afin de permettre aux conseils généraux de jouer leur rôle en termes de solidarités aussi bien sociales que territoriales. À défaut, laissons l’État-décideur reprendre à son compte la mise en œuvre du RSA.
Ma dernière proposition permet d’aller un peu plus loin en matière de décentralisation des compétences, dont chacun s’accorde à dire qu’elle permet un meilleur exercice des responsabilités publiques, du point de vue tant de la proximité que de l’efficacité.
Ainsi, l’État pourrait utilement confier aux départements non plus seulement la charge des allocations individuelles de solidarité, mais aussi la définition des normes et des barèmes qui en régissent l’attribution. La disparité entre territoires ne justifie pas toujours un traitement centralisé et uniforme de la mise en œuvre et du calcul de ces allocations. L’adaptation à la situation locale permettrait de garantir un service public de meilleure qualité au juste coût.
Dans la mesure où les départements sont les principaux financeurs, il est logique qu’ils soient également les principaux décideurs. À moins qu’il faille tirer un trait sur trente ans de décentralisation en redonnant à l’État la maîtrise de l’ensemble des compétences sociales déléguées, avec la certitude – avérée – qu’il n’est pas en mesure de les exercer…
Là est le véritable problème des départements, qui sont pris en otage. C’est non pas la hausse des impôts qui leur permettra d’assurer pleinement leur mission de service public de proximité, mais bien la maîtrise de la gestion de leur propre politique sociale.
Telles sont, mes chers collègues, les trois propositions dont je tenais à vous faire part. Je crois qu’elles sont aujourd’hui partagées par bon nombre d’élus départementaux de toutes sensibilités.
Monsieur le secrétaire d’État, la situation est très grave, n’attendez pas qu’elle soit désespérée !