Ce débat, souhaité par la majorité sénatoriale, est utile pour rappeler le contexte dans lequel évoluent les départements français depuis de nombreuses années, singulièrement depuis les lois dites « de décentralisation » de 2004, soutenues par notre éminent collègue de la Vienne, Jean-Pierre Raffarin, alors Premier ministre.
En 2004, mes chers collègues, mon voisin seine-et-marnais et néanmoins ministre chargé du budget, Jean-François Copé, rappelait devant le Parlement que les transferts de charges se feraient à l’euro près. Je crois pouvoir dire que nous avons unanimement constaté combien cela s’est révélé inexact.
Il faut bien admettre aujourd’hui que les lois de 2004 portent en elles le germe de la lente asphyxie des départements, asphyxie que nous n’avons cessé de dénoncer ces dernières années, alors même que, sur les travées de droite, on expliquait parfois doctement que les difficultés que nous pointions du doigt n’étaient que le fruit de notre gestion hasardeuse.
Je ne ferai pas ce procès à nos collègues présidents de département de droite, lesquels se plaignent désormais avec véhémence de ne plus pouvoir boucler leurs propres budgets.
Je ne vous ferai pas de mauvais procès non plus, mes chers collègues de la majorité sénatoriale, pour avoir proposé la tenue de ce débat aujourd’hui, à quelques jours du premier tour des élections départementales, tant nous savons, sur ces travées, que nos douleurs départementales ne sont pas nées de la victoire de la gauche en 2012.
Nous avons tous fait des efforts pour financer des dépenses de solidarité utiles, mais imposées – j’y reviendrai. Vous en avez fait, à droite de l’hémicycle, dans vos départements ; nous en avons fait, à gauche, dans les nôtres. Cela s’est traduit – chacun le sait – par la remise en cause de certaines politiques innovantes et volontaires, par une réduction, parfois sensible, des investissements, par des efforts de gestion incontestables en termes de frais généraux et de dépenses de personnel, alors même que s’abattait sur nos collectivités un véritable effet de ciseaux, lui-même amplifié par certaines décisions prises lors du précédent quinquennat visant, entre autres, à remplacer une taxe dynamique, la taxe professionnelle, par une autre qui ne l’est pas, la CVAE.
Mais nous ne sommes pas là pour refaire le match sur la pertinence de cette réforme fiscale : chacun sait qu’elle a eu des effets bénéfiques pour les plus grosses entreprises de notre pays et négatifs pour les PME, notamment artisanales et de services.
Venons-en au point majeur, à l’origine des maux des départements. Il s’agit d’une spécificité tout à fait inédite au sein des collectivités françaises et européennes : les départements sont les seules collectivités librement administrées, dont les représentants sont élus au suffrage universel, assumant financièrement une charge lourde dont elles ne fixent ni le montant ni les modalités d’attribution. Je veux bien entendu parler du RSA.
À partir du moment où cet élément majeur de la solidarité nationale n’est pas pris en charge par l’État, les finances des départements sont mises à mal, et plus encore en période de crise.
Depuis les transferts de l’APA, de la PCH et surtout du RSA, les départements ont permis à l’État de réaliser 55 milliards d’euros d’économies, mes chers collègues. Voilà qui a failli porter le coup de grâce à nombre d’entre eux, de gauche comme de droite.
Dès la fin 2012, l’ADF a obtenu du Gouvernement qu’il mette en œuvre un mécanisme permettant aux départements les plus menacés de boucler leur budget. Ce pacte de confiance s’est traduit, en 2013, par le transfert des frais de gestion de la taxe sur le foncier bâti, désormais perçue par les départements, et par la possibilité ouverte de porter à 4, 5 % le taux des droits de mutation à titre onéreux dont se sont saisis quatre-vingt-onze des cent un départements, qu’ils soient de gauche ou de droite.
À cela s’est ajouté un fonds de solidarité entre départements visant à « corriger » les inégalités de reste à charge des trois allocations de solidarité, alimenté par un prélèvement sur le produit des DMTO.
Le fonds de compensation péréquée, alimenté par le produit des frais de gestion de la taxe foncière sur les propriétés bâties – la TFPB –, est venu compléter ce dispositif, ce qui a permis de ramener à 22 % les écarts à la moyenne de reste à charge des AIS.
Ces dispositions, certes conjoncturelles, constituent un premier pas. Toutefois, comme le montrent toutes les études, les départements sont ou seront plongés dans des impasses budgétaires d’ici à trois ou cinq ans. La future réforme doit donc être structurelle. J’en profite d’ailleurs pour souligner le travail fructueux du Sénat qui en a défendu toutes les spécificités, toutes les aspérités et même toutes les grâces dans le cadre du débat sur les compétences territoriales. Cela était justifié, et je pense que nous avons collectivement été entendus par le Gouvernement.
S’agissant de la question des finances, je vous accorde que les choses ne sont pas encore réglées. Il va falloir que l’État joue son rôle. Je propose que nous réfléchissions ensemble à un mécanisme de financement plus proche des réalités des territoires concernés.
Personnellement, je ne crois pas que la péréquation soit la solution magique à tous nos maux. En effet, elle vise à corriger la situation financière inégale existant entre les collectivités les plus favorisées et celles qui le sont moins. Or j’estime que cette inégalité doit être traitée et corrigée à la source, c’est-à-dire au niveau des critères fiscaux permettant aux collectivités de dégager des recettes financières.
Je donnerai un exemple : je suis l’élu d’un département – la Seine-et-Marne – qui fournit nombre de salariés à l’ensemble de l’Île-de-France, mais qui accueille peu d’entreprises par rapport à Paris ou aux Hauts-de-Seine et qui profite donc peu de la CVAE, mécanisme fiscal inadapté en ce qu’il ne tient compte que du siège social de l’entreprise pour déterminer la collectivité perceptrice de l’impôt, alors que la charge financière est assumée par le département où réside le salarié.
Or, bien que la péréquation tente de réduire les inégalités financières entre départements, elle est très loin de les compenser. Revoir les critères de répartition de la CVAE en regard d’éléments plus pertinents tels que la domiciliation des salariés, par exemple, se révélerait bien plus équitable et efficace que n’importe quel outil de péréquation.