monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le Sénat est saisi en premier du projet de loi autorisant la ratification de l’accord d’association entre l’Union européenne et la République de Moldavie, qui a été signé le 27 juin 2014 à Bruxelles.
Le Gouvernement a accordé la priorité à cet accord, que nous examinons assez rapidement après sa signature, et avant ceux qui ont été signés le même jour avec la Géorgie et avec l’Ukraine. Cette rapidité doit être saluée, de même que le choix effectué par notre assemblée de ne pas recourir à la procédure d’examen simplifiée. La portée symbolique de cet accord, dans le contexte régional actuel, justifie en effet pleinement le débat d’aujourd’hui.
Ancienne république de l’URSS, indépendante depuis le 27 août 1991, la Moldavie a été marquée, dès sa création, par la sécession de la Transnistrie, qui a eu lieu en 1992. La Transnistrie, située entre le fleuve Dniestr et la frontière ukrainienne, représente 12 % de son territoire. Ce conflit peut aujourd’hui être considéré comme l’un des premiers événements dramatiques – il y eut 3 500 morts en quelques semaines –, précédant ceux qui se sont déroulés ensuite en Géorgie, en Abkhazie en 1992 et 1993, en Ossétie en 2008 et en Ukraine, depuis 2014.
Un cessez-le-feu a été signé en Transnistrie en juillet 1992. Les négociations, menées par l’OSCE – Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe – dans le cadre du format « 5+2 », c'est-à-dire entre la Transnistrie, la Moldavie, l’Ukraine, la Russie, l’OSCE et les deux observateurs que sont les États-Unis et l’Union européenne, sont aujourd’hui au point mort et le conflit est considéré comme « gelé ». La Transnistrie compte 30 % de Russes, dont environ 1 500 militaires en activité, et les familles des soldats démobilisés de la quatorzième armée de l’URSS, qui était commandée en 1992 par le général Lebed. Un dépôt de munitions de l’époque soviétique s’y trouve toujours. Cette situation crée un potentiel de déstabilisation important à proximité de l’Ukraine, notamment d’Odessa et de la Crimée, dans ce que la Russie considère comme l’une de ses zones d’intérêts privilégiés.
Par ailleurs, la Moldavie comporte une région autonome, la Gagaouzie, située au sud-est du pays, à quelques dizaines de kilomètres seulement de l’Ukraine. La population de cette région de 1 800 kilomètres carrés et de 160 000 habitants est d’origine turque et majoritairement russophone. La Gagaouzie, qui ne représente que 4, 5 % de la population moldave, s’est prononcée en 2014, dans le cadre d’un référendum d’ailleurs illégal, pour une adhésion à l’Union douanière avec la Russie plutôt que pour un rapprochement avec l’Union européenne. Pour m’être rendue récemment en Gagaouzie, en Transnistrie et en Moldavie, j’aurais envie de dire que la Gagaouzie est « disponible ».
Dans ce contexte hautement sensible, nous devons soutenir le rapprochement entre la Moldavie et l’Union européenne, et ce pour trois raisons.
En premier lieu, il correspond – vous l’avez dit, monsieur le secrétaire d'État, mais il faut y insister – à une volonté exprimée démocratiquement, et dans la durée, par le peuple moldave.
En 1994, un accord de partenariat et de coopération avec l’Union européenne a été signé. En 2004, la Moldavie a été incluse dans le champ de la politique européenne de voisinage. Elle a alors mis en œuvre un plan d’action définissant des réformes prioritaires, qu’elle a largement réalisées, même si elles sont encore insuffisantes. En 2005, elle a accepté le déploiement d’une mission d’assistance de l’Union européenne sur sa frontière commune avec l’Ukraine, entre Tiraspol et Odessa. J’ai d’ailleurs eu l’occasion d’effectuer une mission très intéressante le long de cette frontière de 80 kilomètres.
L’orientation européenne de la Moldavie a donc été amorcée alors même que le parti communiste était toujours au pouvoir. Le président Voronin, qui a exercé deux mandats, a accompagné cette démarche. En 2009, l’orientation européenne du pays a été accentuée avec l’arrivée au pouvoir d’une coalition démocratique de partis pro-européens.
La même année, la Moldavie s’est engagée dans le Partenariat oriental proposé par l’Union européenne. Elle est aujourd’hui l’État le plus avancé de ce partenariat, puisqu’une partie importante de l’accord d’association y est appliquée, à titre provisoire, depuis le 1er septembre 2014, et qu’une dispense de visa pour les courts séjours dans l’espace Schengen y est effective depuis le 28 avril 2014.
L’orientation pro-européenne de la Moldavie a, enfin, été confirmée par les élections du 30 novembre 2014. Les Moldaves ont reconduit une coalition pro-européenne ; même si cela a pris du temps, ils ont aujourd'hui un premier ministre et un gouvernement.
En revanche, il faut souligner, et je m’adresse notamment à ceux de mes collègues qui s’interrogent sur ce rapprochement que nous souhaitons avec la Moldavie, que l’adhésion à l’OTAN n’est pas à l’ordre du jour, par souci d’équilibre, et dans la mesure où la constitution moldave proclame la neutralité du pays.
En deuxième lieu, nous devons soutenir le rapprochement entre l’Union européenne et la Moldavie afin de montrer la capacité de l’Europe à stabiliser son voisinage à l’est.
Il est important de mesurer l’importance de cette problématique. Nous n’envisageons pas, dans l’immédiat – mais peut-être ne l’envisagerons-nous jamais –, de préparer un nouvel élargissement ; tel n’est pas l’objet du Partenariat oriental de l’Union européenne. Il reste que la Moldavie, de par sa position stratégique, doit être stabilisée, dans l’intérêt de l’Europe et des pays voisins.
Le préambule de l’accord d’association est très clair à ce sujet : il indique « prendre acte » des aspirations européennes de la Moldavie, sans que cela préjuge « en rien » de l’évolution future de ses relations avec l’Union européenne. À titre personnel, j’estime qu’il serait extrêmement regrettable que nous n’envisagions pas un jour que la Moldavie puisse adhérer à l’Union européenne.
L’accord d’association fixe un cadre pour la coopération. Il s’agit d’un accord mixte qui engage aussi l’Euratom, pour des raisons qui tiennent à la sûreté et à la sécurité nucléaires ainsi qu’à la protection radiologique. Il prévoit, dans de très nombreux domaines, un programme complet de rapprochement progressif de la législation moldave des acquis européens.
La Moldavie a déjà entrepris un grand nombre de réformes : réforme du secteur judiciaire, dispositions anti-corruption – il reste tellement à faire, notamment à cet égard ! –, lutte contre la criminalité... La Commission européenne a reconnu les progrès accomplis. Certes, les réformes doivent être poursuivies, et rendues effectives. Le dialogue politique prévu par l’accord d’association y contribuera.
L’accord d’association fixe un cadre de coopération ; la libéralisation des visas de court séjour, qui est distincte de l’accord, fait partie de ce mouvement de coopération.
L’accord de libre-échange, qui est le pilier de l’accord d’association, vise à supprimer 99 % des droits de douane, en valeur commerciale, pour la Moldavie. Soulignons qu’il ne fait que rééquilibrer les relations économiques extérieures de la Moldavie puisque celle-ci est, par ailleurs, partie à l’accord de libre-échange de la CEI, ce qui n’a pas empêché des sanctions économiques imposées par la Russie, en réaction à la perspective de l’accord d’association.
J’insisterai, par expérience, sur le fait que ce rééquilibrage des relations commerciales de la Moldavie pourrait, paradoxalement, contribuer à apaiser le conflit de Transnistrie. En effet, les entreprises de cette région sont tenues, dans le cadre du contrôle de la frontière entre Tiraspol et Odessa, de s’enregistrer en Moldavie. Le respect de cette obligation, qui est une condition pour poursuivre leurs activités, a contribué à rétablir des liens qui n’existaient plus.
L’accord d’association pourrait, de ce fait, susciter une volonté d’avancer dans la résolution du conflit. Soulignons que, à cet égard, l’accord stipule qu’il ne s’appliquera à la Transnistrie que lorsque le contrôle de l’État moldave sur ce territoire sera effectif. L’intérêt économique pourrait, dans un contexte où la démarche politique n’a pas débouché, être plus fort que les armes, plus fort que le conflit. Il faut aller au bout de cette démarche.
L’accord d’association doit donc permettre d’accompagner la Moldavie dans les réformes indispensables que ce pays a encore à accomplir, afin de créer un espace de stabilité et de prospérité autour des frontières de l’Union européenne. Il faut bien mesurer la dimension de cette obligation et l’intérêt qu’elle représente pour l’Europe.
Enfin, en troisième lieu, nous devons soutenir le rapprochement de l’Union européenne et de la Moldavie pour consolider nos relations avec le pays le plus francophone d’Europe orientale.
D’un point de vue strictement commercial, la portée de l’accord est, certes, limitée pour nous, dans la mesure où le montant de nos échanges avec la Moldavie est relativement faible. Toutefois, plusieurs entreprises françaises importantes sont présentes en Moldavie : Orange, qui est le premier exploitant de téléphonie mobile dans ce pays, mais aussi Lactalis, Lafarge, la Société Générale... Ces entreprises devraient profiter d’une amélioration du climat dans ce pays, tandis que d’autres pourraient envisager de s’y installer.
Mais, surtout, il nous faut soutenir le développement économique du pays le plus francophone d’Europe orientale, devant la Roumanie. Pour des raisons historiques et culturelles, plus de 50 % des élèves moldaves choisissent d’apprendre le français, qui reste la première langue étrangère enseignée, devant l’anglais. La coopération culturelle prévue dans le cadre de l’accord d’association pourrait constituer un outil parmi d’autres de promotion des échanges entre nos pays.
En l’absence d’une volonté politique forte, le déclin prévisible et annoncé de la francophonie au sein des jeunes générations moldaves sera difficile à enrayer.
On parle beaucoup de l’est de l’Ukraine, mais il ne faut pas oublier les menaces qui pèsent sur l’ouest. Tournons notre regard vers la Moldavie, la Gagaouzie, Odessa, qui représentent des zones d’intérêt majeur.
En définitive, la ratification de cet accord d’association témoignera de notre soutien à un pays situé dans une région soumise à de fortes pressions, à un risque d’instabilité politique et à un contexte de ralentissement économique.
C’est pourquoi, mes chers collègues, je vous propose d’adopter sans modification le présent projet de loi.