Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, madame la rapporteur, mes chers collègues, dans des circonstances normales, l’examen du présent projet de loi, qui vise à autoriser la ratification de l’accord d’association entre l’Union européenne et la République de Moldavie, pays de 3, 5 millions d’habitants situé à sa frontière, ne devrait être qu’une simple formalité, d’autant que cet accord est déjà entré en application, à titre provisoire, depuis le 1er septembre 2014.
Toutefois, comme Mme la rapporteur le rappelait notamment dans sa conclusion, les circonstances ne sont pas vraiment normales, en particulier pour des raisons historiques.
Pour son malheur, la Moldavie a fait partie, pendant près de soixante-dix ans, de l’empire soviétique. Voisine de l’Ukraine et comptant une importante minorité russophone, elle est aujourd’hui touchée par les soubresauts de la décomposition de cet empire et menacée, comme, avant elle, la Géorgie, l’Arménie, l’Azerbaïdjan et l’Ukraine et comme, peut-être, demain, la Biélorussie, le Kazakhstan ou les États baltes, par la politique agressive de celui pour lequel « la chute de l’URSS est la plus grande catastrophe du XXe siècle » – je veux parler de Vladimir Poutine.
Bien sûr, nous savons, nous, que la catastrophe fut non pas la mort, mais la naissance de l’URSS. En tout état de cause, dans les démocraties européennes, y compris, parfois, au plus haut niveau, la difficulté à comprendre que l’effondrement de cet empire continuera d’avoir des conséquences dramatiques longtemps après sa survenue pour tous les peuples qu’il a dominés est frappante.
Le grand historien polonais Adam Michnik, qui est bien placé pour le savoir, disait que, ce qui est grave, avec le communisme, c'est que cela continue après… Combien faudra-t-il d’exemples comme ceux de l’Ossétie, de l’Abkhazie, de la Crimée, du Donbass ou de la Transnistrie, pour que nous comprenions à quel point Michnik a raison ?
Dans ces conditions, la ratification de l’accord d’association avec la République de Moldavie revêt un enjeu, notamment politique, plus important qu’il n’y paraît.
En le signant, la Moldavie assume une orientation européenne qui se traduit par un rééquilibrage de ses relations respectives avec l’Est et l’Ouest. La question est de savoir si elle possède les moyens de ce choix pro-européen et si elle pourra en gérer les conséquences diplomatiques vis-à-vis de ses voisins autres que l’Union européenne.
À ceux qui douteraient de la difficulté, il faut rappeler que l’accord a été signé en juin 2014, en même temps que les accords avec la Géorgie et avec l’Ukraine, dont il n’est guère besoin de rappeler ici les conséquences. C’est la raison pour laquelle ces accords et, plus généralement, le Partenariat oriental de l’Union européenne ne peuvent se passer d’une réflexion sur les relations entre la Russie et les anciennes républiques soviétiques, d’une part, et entre l’Europe et la Russie, d’autre part.
La Russie de Vladimir Poutine considère ses anciens satellites comme parties intégrantes de sa zone d’influence directe et souhaite renouer, pour des raisons de politique nationale habituelles sous les dictatures, avec le mythe nationaliste de la Grande Russie. C’est pour l’avoir dénoncé que Boris Nemtsov a été assassiné il y a quelques jours, en face du Kremlin. Je veux, ce soir, m’associer à la foule de ceux qui, aujourd'hui, en Russie, bravant les menaces, dépassant leurs craintes et leurs inquiétudes, ont salué la mémoire de ce grand défenseur des libertés, à l’occasion de ses funérailles.
À ce jour, la guerre en Ukraine est la conséquence la plus grave de cette politique. Elle est plus grave encore que la guerre contre la Géorgie, non seulement parce que le pays est amputé d’une région entière, la Crimée, annexée en violation totale du droit international, mais aussi parce que les combats, auxquels participent les troupes russes, malgré les dénégations de Moscou, durent depuis deux ans.
Il n’est donc pas possible d’analyser l’accord entre l’Union européenne et la Moldavie sans tirer les enseignements de cette situation.
Contrairement à l’Ukraine, la Moldavie ne possède pas d’accès à la mer Noire et se révèle donc moins stratégique. Cela n’a pas empêché qu’elle se trouve, depuis la signature de l’accord, sous le coup d’un embargo russe, conséquence directe de son orientation pro-européenne. De fait, le marché européen n’est plus, pour elle, un choix, mais une nécessité vitale, en particulier pour ses exportations agricoles.
Incapable d’assurer un véritable développement depuis vingt-cinq ans, en proie à une corruption massive, l’économie russe repose, pour une large part, sur l’exportation de ses ressources énergétiques et minières. Bien entendu, la Russie n’hésite pas à rappeler à certains pays européens les conséquences économiques et diplomatiques de leur dépendance énergétique.
Dans ce contexte, les accords de partenariat proposés par l’Union européenne, alors qu’ils ont pour but de participer au développement économique de l’ensemble de la région, ne sont compris par le régime russe que comme les éléments d’une guerre économique et commerciale, et la création de l’Union économique eurasiatique, qui pourrait être l’occasion d’une coopération avec l’Europe, n’existe que comme une sorte de contre-mesure aux accords d’association européens, ne laissant d’autre perspective aux anciennes républiques soviétiques que le choix, forcé, entre le partenariat offert par l’Europe et celui qui est proposé par la Russie.
Il n’en reste pas moins que, contrairement à ce que feint de croire la Russie et, malheureusement, à ce qu’espèrent parfois les pays concernés, la signature d’un accord d’association n’est pas un premier pas vers l’intégration européenne – Mme la rapporteur a évoqué ce point – et qu’il serait malhonnête de ne pas préciser aux intéressés que le Partenariat oriental constitue, en l’état actuel des choses, une fin en soi, non une étape vers un processus ultérieur d’adhésion.
Une autre question se pose, celle des défis intérieurs auxquels doit faire face la République moldave.
Du fait d’une histoire complexe et heurtée avec l’Empire ottoman, puis l’empire russe et, enfin, l’empire soviétique, le pays a comme l’un de ses principaux défis son manque d’unité politique et territoriale.
Si le conflit en Transnistrie, qui s’est traduit par la guerre civile de 1992, est « gelé » et si l’indépendance autoproclamée de la province, majoritairement russophone, n’est reconnue par aucun pays, il n’en est pas moins vrai que cette partie du pays ne peut bénéficier, pour l’heure, des accords d’association.
Cette région, la plus industrialisée du pays, est particulièrement affectée par la guerre en Ukraine et par l’embargo russe. À cet égard, les accords, favorisant la libéralisation du commerce, peuvent représenter une issue économique bienvenue, en même temps qu’un élément favorisant la résolution du conflit. Madame la rapporteur, vous avez insisté, à raison, sur ce point. Je suis d’accord avec vous : ces accords font naître l’espoir.
Le territoire de la Transnistrie ainsi que celui de la Gagaouzie, où les populations turcophones et russophones coexistent pacifiquement avec les populations roumanophones et qui n’exprime pas de volonté séparatiste, peuvent représenter un risque de morcellement pour la République de Moldavie. Bien entendu, ce risque est aggravé par les événements d’Ukraine et par la situation économique intérieure, la Moldavie étant l’un des États les plus pauvres de la région. De ce point de vue, la demande d’intégration à la Fédération de Russie formulée, en mars 2014, par le parlement de Transnistrie est évidemment de mauvais augure.
Du côté des bonnes nouvelles, il faut saluer les efforts de la Moldavie, qui, malgré un environnement particulièrement défavorable, est parvenue à diviser par deux son taux de pauvreté, passé de 30 % à 17 % entre 2006 et 2012.
Il faut, surtout, saluer le respect du pluralisme politique - les alternances de majorités au pouvoir en témoignent -, respect qui n’est pas très fréquent dans la région.
En revanche, le pays peine à sortir d’une crise institutionnelle ouverte avec les manifestations violentes de 2009 et l’impossibilité d’élire un président de la République. Et je ne parle pas des difficultés qu’a rencontrées le gouvernement actuel pour obtenir un vote de confiance du Parlement, puisque celui-ci n’a été obtenu qu’il y a quelques jours, précisément le 18 février dernier, à la condition que le gouvernement s’engage « à sauvegarder de bonnes relations avec notre principal partenaire : la Russie ».
Enfin, le pouvoir actuel doit faire face à de graves dysfonctionnements des institutions judiciaires et policières. Dans ce domaine, qui fait l’objet d’un volet de l’accord, l’aide que lui apportera l’Union européenne permettra sans doute à la Moldavie de réaliser des progrès.
Ces réalités ne font que donner plus d’importance à l’accord que nous examinons aujourd’hui, dont on peut espérer qu’il contribuera à améliorer la situation, au travers des aides financières et au moyen de la coopération politique, diplomatique et juridique.
Avant de conclure, je voudrais souligner l’importance de l’accord en matière de lutte contre les mafias et les trafics.
Selon l’Organisation internationale pour les migrations, la Moldavie est l’un des principaux pays sources de la traite des êtres humains, qui aurait fait plus de 3 000 victimes entre 2000 et 2012. Du fait de sa pauvreté et de sa géographie, le pays est au cœur des plus grands réseaux de prostitution, qui s’étendent, notamment, du Kosovo à la Russie et de Chypre à la Turquie.
En 2008, les autorités moldaves ont mis en place le « plan d’action pour la lutte contre les trafics d’êtres humains » conçu par la Commission européenne et contribuent à ce titre au financement de centres d’accueil pour les victimes. Cette initiative doit être soutenue, d’autant plus que la France est très mobilisée contre l’esclavagisme sexuel, notamment au travers de la Mission interministérielle pour la protection des femmes victimes de violences et la lutte contre la traite des êtres humains. Les ministères de l’intérieur et de la justice ont défini une stratégie de coopération avec la Moldavie, les Balkans, la Roumanie et l’Albanie, qui doit être impérativement poursuivie.
Mes chers collègues, le groupe UMP votera le projet de loi autorisant la ratification de l’accord d’association avec la République de Moldavie, qui s’inscrit pleinement dans les objectifs du Partenariat oriental de l’Union européenne. Il concerne beaucoup de domaines, tant institutionnels qu’économiques, qui doivent aider la Moldavie dans sa transition.
Il importe que l’Europe – notamment la France, monsieur le secrétaire d'État – fasse comprendre à la Russie, si c’est possible, que cette coopération n’est pas dirigée contre elle, mais qu’elle peut, au contraire, en bénéficier indirectement et qu’elle ne peut que tirer profit de la sécurisation de son voisinage.
Il importe également que l’Union européenne rassure ses États membres, en leur donnant les garanties que le Partenariat oriental ne sera pas l’occasion d’une concurrence déloyale résultant d’une différence de normes qualitatives.
Enfin, il convient que l’Union européenne affiche clairement la distinction entre accords d’association et mécanisme d’adhésion. À l’heure où le débat sur l’espace Schengen et la sécurité est engagé et où des États pleinement intégrés doivent faire face à la crise de la dette, l’Union européenne doit privilégier la réflexion sur sa réforme plutôt que sur son élargissement.