Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, dans son roman Des mille et une façons de quitter la Moldavie, l’écrivain Moldave Vladimir Lortchenkov dépeint le quotidien d’une galerie de personnages qui, bien que parlant russe, ne rêvent que d’une chose : gagner l’Italie pour devenir riches !
Cela témoigne bien, à première vue, des tiraillements internes à la Moldavie, ancienne république soviétique dans ce que j’appellerai le « proche étranger » de la Russie, mais devenue une jeune démocratie qui regarde vers la grande promesse européenne – ou le grand rêve européen - d’un partenariat économique. Pour autant, l’avenir de la Moldavie n’a pas vocation à devenir un facteur de rupture entre les deux parties de l’Eurasie ; il doit plutôt favoriser le partage, les échanges et les synergies. Les rêves font heureusement partie de tout engagement politique !
En soit, le présent projet de loi que nous examinons ce jour au Sénat aurait pu paraître bien modeste. La ratification d’un accord de partenariat politique, et surtout économique, dont l’essentiel des stipulations est de la compétence de l’Union, avec un pays de 3, 6 millions d’habitants pour une superficie de 33 000 kilomètres carrés, ne devait en principe pas conduire la conférence des présidents à demander l’examen de ce texte selon la procédure ordinaire qui nous permet un débat en séance publique ce soir.
Mais la Moldavie est structurellement tiraillée entre ses espoirs européens et son histoire, qui la rapproche de la sphère d’influence russe. C’est donc le produit à la fois de l’histoire et de la géographie. Toutefois, tiraillement ne veut pas dire nécessairement division.
L’affaire de la Transnistrie, que Mme la rapporteur et certains de mes collègues ont exposée avec une grande clarté, en est la parfaite illustration. En effet, nous sommes face à une minorité très active qui, après une tentative de sécession lors de l’effondrement de l’Union soviétique, est parvenue à une autonomie administrative et demande maintenant son rattachement à la Fédération de Russie.
Cette question a pris une tournure d’autant plus délicate que c’est à l’occasion du déclenchement de la crise géopolitique en Ukraine, en mars dernier, que la Transnistrie a formulé sa demande. On pourrait craindre a priori qu’un tel rattachement ne soit pas sans conséquence sur le règlement de la question ukrainienne, puisqu’une Transnistrie russe viendrait renforcer le sentiment d’encerclement du gouvernement de Kiev.
Toutefois, dans ce jeu diplomatique, nous avons suffisamment de sens politique pour le comprendre, il ne semble pas inconcevable que la demande du parlement de Transnistrie ait été pilotée par Moscou. Ainsi, le succès apparent de la conclusion des accords de Minsk 2, attesté tant par les déclarations des ambassadeurs de l’OSCE à Vienne – Alain Néri et moi-même étions présents – et devant le Conseil de sécurité, que par les quatre hauts négociateurs – Petro Porochenko, Angela Merkel, Vladimir Poutine et François Hollande –, contribue à nous redonner espoir, sinon dans le règlement total de la crise ukrainienne, à tout le moins dans l’application de ces accords. Grâce à cela, nous entrevoyons, indirectement, une accalmie pour Kiev susceptible de faire refluer les tensions en Transnistrie.
Dès lors, rien ne porte à croire que la Moldavie puisse traverser les mêmes troubles que ceux auxquels l’Ukraine a dû faire face depuis l’année dernière. L’Union européenne a donc un véritable rôle à jouer.
En effet, j’aime à croire, mes chers collègues, en ces temps où l’euroscepticisme bat son plein, que l’Europe peut encore s’imposer comme un pôle de stabilité et de prospérité pour notre continent. Quand on voyage dans le voisinage de l’Union européenne, on se rend compte de l’espérance qu’elle représente ! Les Moldaves ne regardent plus vers la seule Italie ; ils scrutent l’Europe entière. Pourquoi ? Parce que l’Union européenne a su faire la preuve, depuis le précédent partenariat économique de 1998, de son efficacité.
Ce nouvel accord ira plus loin. Son titre V est un véritable accord de libre-échange. De ce commerce, la Moldavie espère tirer une vigueur et une prospérité économique qui doit lui permettre de choisir librement son destin et donc de répondre à ses propres défis internes.
La Transnistrie est une région économiquement importante pour la Moldavie, dont elle représente 40 % du PIB. Le reste du territoire moldave attend donc de l’Europe les moyens concertés de son développement afin de ne plus être un pays que l’on aide, à hauteur de 136 millions d’euros par an, mais de devenir un véritable partenaire commercial. C’est l’ambition des autorités moldaves – j’espère qu’elles vont atteindre leur objectif –, c’est également celle de ces jeunes dont la situation se dégrade fortement du fait de la crise et que nous accueillons le plus souvent en Europe dans le cadre de leurs études universitaires.
À ce titre, je souhaiterais saluer les efforts de la jeune République de Moldavie vers une meilleure démocratie.
De nombreux progrès en matière de transparence dans l’organisation des élections ont été relevés depuis 1991 et surtout depuis les élections de 2005, de 2009 et plus récemment de 2014.
Les troubles institutionnels et politiques que la Moldavie a traversés ces dernières années – je pense notamment à l’affaire de « l’incident de chasse » de 2013 – ont été surmontés par des réformes et des élections l’an dernier qui ont encore accentué l’ancrage économiquement pro-européen de la Moldavie en prouvant que l’alternance politique y était possible dans la paix. La Commission européenne l’a elle-même reconnu dans ses analyses menées dans le cadre de la politique de voisinage de l’Union.
Nous avons également constaté, lors de notre déplacement en Ukraine comme observateurs pour les élections législatives, un véritable sentiment d’appartenance à la nationalité moldave - pour 76 % des habitants de la République, selon Mme le rapporteur.
Outre le problème de la Transnistrie, un mode de coexistence pacifique a été trouvé avec la minorité gagaouze, orthodoxe mais turcophone. Le rattachement à la Roumanie a été presque unanimement refusé en 1994, et le nouveau gouvernement entend relancer le processus de négociation avec les autorités de Transnistrie tout en gardant de bonnes relations avec la Russie.
Justement, quid de la Russie dans tout cela ?
Je crois fermement, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, qu’il ne faut pas opposer la Russie à l’Union européenne, ni même au monde occidental. Nous n’avons pas à garder une posture défensive. Il faut en être conscient : nous avons des intérêts économiques, culturels, politiques et énergétiques à travailler en commun.
Le Président de la République, à Astana, au Kazakhstan – j’étais avec lui lors de ce voyage, il y a deux mois –, s’était d’ailleurs étonné devant les Français de l’étranger du fait que les souhaits de bons rapports entretenus par l’Ukraine à l’égard de l’Europe n’interdisaient pas, au demeurant, qu’elle entretienne d’aussi bonnes relations avec la Communauté économique eurasiatique. Ce qui est ici vrai pour l’Ukraine l’est également pour la Moldavie.
Cette remarque de François Hollande est d’ailleurs à l’origine des accords de Minsk : l’action du Président de la République et celle de la Chancelière, Angela Merkel, ont en effet permis le retour de l’Europe dans la diplomatie ukrainienne, avec, nous l’espérons, la perspective d’une issue favorable.
Ce n’est même pas un choix pour l’Union et la Russie, c’est une nécessité dictée par la géographie même. La dualité moldave n’est donc pas aporétique, elle peut, bien au contraire, être une source de complémentarité et créer une meilleure synergie entre la Russie et l’Union européenne.
La Moldavie n’a d’ailleurs jamais fait part d’un quelconque souhait d’adhérer à l’OTAN. Dès lors, rien ne laisse songer que la Russie pourrait prendre ombrage de l’approfondissement d’une politique économique qui a été engagée dans les années quatre-vingt-dix.
Nous sommes bien face à un texte économique avant toute chose, et c’est sur ce terrain que la Moldavie peut devenir l’un des éléments d’un renouvellement des relations entre les deux branches de l’Eurasie.
Pour l’ensemble de ces raisons, les sénateurs du groupe UDI-UC voteront en faveur du présent projet de loi de ratification, en espérant qu’il contribue à ce qu’il y ait à l’avenir davantage de raisons de se rendre en Moldavie que de la quitter !