Intervention de Dominique Watrin

Réunion du 3 mars 2015 à 14h30
Convention de l'organisation internationale du travail relative aux agences d'emploi privées — Adoption définitive en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Dominique WatrinDominique Watrin :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la convention n° 181 de l’Organisation internationale du travail permet aux agences d’emploi privées d’intervenir dans le placement des demandeurs d’emploi de façon concurrente avec le service public de l’emploi. Comme le précise l’étude d’impact, il s’agit de promouvoir la libéralisation des activités des agences d’emploi privées.

Cette ouverture au privé est certes encadrée par la convention. Ainsi, les États continuent à régir les statuts de ces agences, ainsi que les droits fondamentaux des travailleurs.

En revanche, la gratuité des services pour les demandeurs d’emploi peut désormais être remise en cause puisque des dérogations sont possibles dans certains cas « pour certaines catégories de travailleurs et pour des services spécifiquement identifiés ». Monsieur le secrétaire d'État, pouvez-vous nous préciser de quels services il s’agit ? Nous avons bien noté l’obligation de consulter les organisations syndicales pour autoriser ces dérogations, mais cela n’atténue pas notre inquiétude.

Après l’adoption du présent texte, cette convention s’imposera à la France : notre législation devra toujours être en conformité avec elle. Sa ratification n’est donc pas une simple formalité ; c’est la confirmation de l’inscription, au cœur de notre droit, de l’activité des entreprises privées de placement de demandeurs d’emploi.

Pour notre part, au regard des enjeux qui sous-tendent ce projet de loi, nous considérons que la Haute Assemblée doit avoir un véritable débat sur ce sujet, d’autant que les critiques que nous émettons sur l’objectif visé au travers de cette convention sont partagées par l’actuel directeur général de Pôle emploi. Lors de son audition par la commission des affaires sociales, le 10 décembre 2014, M. Jean Bassères avait souligné que le service rendu par les opérateurs privés de placement n’était pas de meilleure qualité que celui fourni par Pôle emploi. Il avait ajouté que, tenant compte des critiques de la Cour des comptes, qui estime à 80 millions d’euros le coût de cette sous-traitance, Pôle emploi allait ré-internaliser l’accompagnement des personnes les plus en difficulté. Dès lors, nous nous interrogeons sur la pertinence de la ratification de cette convention.

Depuis l’entrée en vigueur de la loi du 18 janvier 2005, le « marché de la recherche d’emploi » est ouvert aux entreprises privées. À l’époque, nous nous y étions opposés et avions, avec les parlementaires socialistes, alerté sur les dangers d’une libéralisation du secteur de la recherche d’emploi.

La volonté du Gouvernement de faire entrer cette convention dans notre droit interne signifie-t-elle qu’il souhaite désormais encourager l’intervention directe des agences privées sur le marché de la recherche d’emploi ?

Cette volonté de conforter l’activité des entreprises privées dans ce secteur est d’autant plus incompréhensible que nous avons maintenant suffisamment de recul pour affirmer que les résultats sont loin d’être positifs. L’une des explications avancées tient au mode de fonctionnement des opérateurs privés, qui interviennent le plus souvent en tant que sous-traitants du service public de l’emploi et recourent à des salariés précaires, employés sous contrat de courte durée, pour accomplir la mission qui leur a été déléguée.

Ces salariés précaires sont chargés de trouver du travail à des demandeurs d’emploi, sans avoir les moyens ni la possibilité de maîtriser pleinement leur sujet. En effet, comment développer un réseau d’acteurs, mobiliser des aides, connaître le type d’emplois localement disponibles lorsque l’on a un contrat de travail de quelques mois ?

À ce sujet, le rapport parlementaire sur la performance comparée des politiques sociales en Europe souligne, à juste titre, que « le succès de l’accompagnement tient principalement à la pratique du conseiller, c'est-à-dire à sa bonne connaissance du bassin d’emploi local […] ; sa capacité à mobiliser des aides utiles pour le demandeur d’emploi […] ; sa connaissance des prestations d’aides au retour à l’emploi et de leurs effets ; sa relation avec le demandeur d’emploi. »

Les compétences et le savoir-faire des conseillers de Pôle emploi sont donc l’une des clés d’un service public de l’emploi performant. Or toutes les qualités requises s’acquièrent et se développent grâce à l’expérience accumulée au fil de l’exercice du métier, expérience dont ne bénéficient pas, du fait de leurs conditions d’emploi, les salariés des entreprises privées de placement.

Toutefois, les effets positifs du savoir-faire des personnels de Pôle emploi sont contrariés, on le sait, par le manque de moyens. Cette situation est largement exploitée par les opérateurs privés à la recherche de marchés publics, qui ont tout intérêt à décrier le service public, qualifié parfois d’« inefficace », de « trop cher » ou d’« inadapté », même si ces agences privées peinent à convaincre en raison de leurs résultats pour le moins mitigés.

D’ailleurs, de récentes affaires ont mis en lumière le manque de sérieux de ces opérateurs privés, qui ont parfois défrayé la chronique. Ainsi, l’entreprise C3 Consultants a été sanctionnée par l’État en raison de soupçons de fraude portant sur plusieurs marchés en Seine-Saint-Denis, notamment. La presse a également révélé que des entreprises privées ont dû fermer après avoir été sanctionnées par Pôle emploi pour ne pas avoir respecté le cahier des charges.

La pertinence du recours aux agences privées est donc loin d’être démontrée. C’est pourquoi nous regrettons que, par une délibération de février 2014, le conseil d’administration de Pôle emploi ait adopté le principe d’un changement d’orientation stratégique majeur pour 2015 : « Les demandeurs d’emploi les plus éloignés du marché du travail, qui constituaient les publics souvent confiés aux opérateurs privés, ne se verront plus proposer d’accompagnement externalisé, mais un accompagnement renforcé dans le cadre interne de Pôle emploi ; en sens inverse, une nouvelle prestation serait créée dans le but de sous-traiter au secteur privé l’accompagnement des demandeurs d’emploi les plus autonomes. »

Pour notre part, nous estimons que le marché de l’emploi n’est pas un marché comme un autre et qu’un gouvernement de gauche devrait avoir à cœur de remettre en cause les choix politiques arrêtés au travers de la loi de 2005 et, par conséquent, refuser de ratifier cette convention. Aussi nous étonnons-nous, monsieur le secrétaire d'État, que le Gouvernement s’empresse de demander au Parlement d’adopter un projet de loi autorisant cette ratification, alors même que d’autres conventions, plus favorables aux salariés, restent malheureusement dans les tiroirs.

Pour toutes ces raisons, nous voterons contre ce texte, qui conforte les entreprises privées de placement de demandeurs d’emploi, alors qu’il faudrait, au contraire, renforcer le service public de l’emploi.

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