Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, avant d’entrer dans le vif du sujet, je souhaiterais attirer votre attention sur la méthode de travail désormais appliquée, l’objectif étant de fluidifier l’examen des conventions internationales.
Nous le savons, un grand nombre de conventions internationales attendent d’être ratifiées par le Parlement français. Pour permettre l’accélération de leur examen sans que les assemblées parlementaires deviennent de simples chambres d’enregistrement, le rapport d’information du président de la commission des affaires étrangères, Jean-Pierre Raffarin, préconise de « redonner tout son sens à l’examen parlementaire des traités » et de mettre en place une programmation à six mois de la discussion des projets de loi d’autorisation de ratification.
Ce soir, nous pouvons nous réjouir d’appliquer déjà ces recommandations, puisque la Haute Assemblée va se prononcer moins de deux mois après l’adoption du texte par l’Assemblée nationale. Si nous gardons ce rythme, nous pourrons affirmer, mes chers collègues, que le Sénat participe à la réduction des « bosses législatives » en matière de ratification des conventions internationales !
Pour en revenir à l’objet du projet de loi, la convention n° 181 de l’OIT vise à autoriser la création et les activités des agences d’emploi privées, mais aussi à définir les conditions de protection des travailleurs ayant recours aux services de ces agences. À mes yeux, ce dernier volet importe beaucoup.
Cette convention fut adoptée en 1997 par la Conférence internationale du travail et a été ratifiée par vingt-sept pays. La genèse de ce texte, entré en vigueur en 2000, s’inscrit dans une large réflexion menée en 1994 par l’OIT, ayant abouti à la conclusion que la convention de l’OIT relative aux bureaux de placement payants, interdisant le recours aux agences d’emploi privées, était obsolète.
Souvenons-nous que, déjà à cette époque, la mise en place d’un accompagnement spécifique des demandeurs d’emploi était au cœur des politiques de lutte contre le chômage en Europe.
Cette nouvelle convention repose sur l’idée simple que les opérateurs privés ont pour vocation d’intervenir en soutien des services publics suivant les personnes à la recherche d’un emploi, l’objectif premier étant de soulager ces services et de permettre ainsi à leurs agents de se concentrer sur les demandeurs d’emploi les plus en difficulté, dont le suivi nécessite plus de temps et de travail.
Le texte de la convention retient une définition très large de ces agences, qui sont indépendantes des autorités publiques, peuvent être des personnes physiques ou morales et peuvent offrir différents services.
Premièrement, il peut s’agir de rapprocher offres et demandes d’emploi, sans que les agences d’emploi privées puissent être parties aux relations de travail susceptibles d’en découler. En réalité, cela n’est pas autre chose que la mise en place de services de placement.
Deuxièmement, ces agences peuvent employer des travailleurs pour les mettre à la disposition de tierces personnes, en fixant les tâches et en supervisant leur exécution. Il s’agit là d’une activité exercée par les agences d’intérim, au sens du droit français. Ainsi, ces entreprises sont considérées comme exerçant non pas une activité de placement, mais une activité de mise à disposition de travailleurs.
Enfin, il peut s’agir d’autres services encore ayant trait à la recherche d’emploi, tels que la fourniture d’informations, sans pour autant viser à rapprocher une offre et une demande spécifiques. Précisons que ces services d’aide à la recherche d’emploi ou au recrutement ne font pas, en droit français, l’objet d’un régime particulier.
En tout état de cause, le statut juridique des agences d’emploi privées doit demeurer en l’état. Pour être plus clair, celui-ci doit rester « déterminé », selon les termes mêmes de la convention, et donc totalement conforme à la législation et à la pratique nationales.
Après avoir rappelé que ce statut demeurait, nous ne pouvons qu’observer que le texte ne présente pas d’enjeux en termes de législation sociale ou de droit du travail. En matière de droit positif, ce texte ne changera rien, parce que le droit français permet déjà son application, notamment grâce à la loi du 23 juillet 2010 relative aux réseaux consulaires, au commerce, à l’artisanat et aux services, qui a supprimé les restrictions à la création d’agences d’emploi privées.
Néanmoins, rappelons que la possibilité de création de telles agences avait été introduite par la loi du 18 janvier 2005 de programmation pour la cohésion sociale. De fait, l’ANPE, devenue Pôle emploi en 2008, n’avait plus le monopole du placement des demandeurs d’emploi.
Notre droit commun est donc déjà « prêt », si je puis dire, pour l’application de cette convention, sous réserve que nous adoptions ce soir le projet de loi autorisant sa ratification. Le groupe UMP votera ce texte, qui n’a pas d’incidence juridique.
Toutefois, je voudrais formuler une remarque : le sujet mériterait mieux qu’un débat organisé au détour de l’autorisation de la ratification d’une convention, qui devait faire l’objet d’une procédure simplifiée.
En réalité, c’est un débat d’ensemble sur le travail, son organisation, ses valeurs, son coût, les conditions de sécurité qui devrait être organisé, en particulier à la veille de l’examen par la Haute Assemblée d’un texte visant à décupler l’activité et la croissance dans notre pays, dont la situation économique est des plus moroses. Je fais bien sûr allusion au projet de loi Macron, dont je ne doute pas qu’il fera, sur ce sujet, l’objet de nombreux amendements.
Je comprends donc que nos collègues communistes aient souhaité saisir la présente occasion pour aborder un sujet crucial pour l’avenir de notre pays, de ses jeunes et de ses moins jeunes.
De la même façon, je comprends qu’un débat sur les agences d’emploi privées soit ouvert, la Cour des comptes dressant un bilan assez peu positif de leur activité. Je vous invite d’ailleurs à relire son rapport du 8 juillet dernier sur le recours par Pôle emploi aux opérateurs privés pour l’accompagnement et le placement des demandeurs d’emploi.
Qu’en est-il ? La Cour des comptes estime que le dispositif de sous-traitance à des opérateurs privés a connu des difficultés de lancement – c’est le moins que l’on puisse dire ! – avant d’enregistrer un certain repli. Pôle emploi a passé ses premiers marchés en 2009. Dans un premier temps, le volume de prestations fut important, mais il a rapidement décru, à hauteur de 54 % en trois ans.
Cette évolution est d’autant plus notable que, au cours de la même période, le nombre des demandeurs d’emploi s’est considérablement accru et que les prestations d’accompagnement renforcé des demandeurs d’emploi sont restées limitées en interne.
Aujourd’hui, le recours aux opérateurs privés de placement est très minoritaire, puisqu’il ne représentait en 2013 qu’une enveloppe de 145 millions d’euros, sur un budget global de près de 5 milliards d’euros.
La mise en œuvre des marchés s’est heurtée à d’importantes difficultés pratiques. La procédure de passation des marchés et l’exécution de ceux-ci ont connu des dysfonctionnements, parce qu’on ne s’est pas toujours entouré de garanties suffisantes, s’agissant par exemple de la capacité des opérateurs à délivrer des prestations de qualité, la sélection des attributaires s’étant fondée principalement sur les prix.
Ainsi, les comptes de résultat des opérateurs privés risquaient de se trouver déséquilibrés si les hypothèses d’activité sur lesquelles ils avaient fondé leurs offres ne se réalisaient pas, c’est-à-dire si Pôle emploi ne leur adressait pas suffisamment de demandeurs d’emploi.
À cela s’ajoutent l’irrégularité et une certaine faiblesse des flux de demandeurs d’emploi orientés vers les opérateurs privés de placement, par rapport à ce que prévoyaient les cahiers des charges. Le rapport de la Cour des comptes indique que cela a contribué à fragiliser l’équilibre économique de certains marchés, voire à mettre en danger les opérateurs pour lesquels les marchés de Pôle emploi constituaient une part importante de leur chiffre d’affaires.
Je ne continuerai pas à résumer le rapport de la Cour des comptes sur ce sujet, car cela prendrait beaucoup trop de temps. Je signalerai simplement que certains opérateurs privés sont au bord de la faillite, voire en situation de faillite.
Cependant, ne nous trompons pas de débat : cela est dû non pas à l’existence même des opérateurs privés, mais au manque d’organisation structurelle de leurs relations avec Pôle emploi. Cette situation justifierait sans doute une refonte législative au travers de l’élaboration d’une loi sur l’emploi ; en tout cas, ce sujet est beaucoup trop sérieux et grave pour que nous puissions le traiter ce soir.